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Les éditions des Prairies ordinaires ont décidé de republier le grand ouvrage de Nicos Poulantzas, L’Etat, le pouvoir et le socialisme, initialement paru en 1976. Voici, en guise de « bonnes feuilles », la préface écrite par Razmig Keucheyan (que l’on peut lire également en cliquant ici).

Lénine, Foucault, Poulantzas

« L’État n’est pas un bloc monolithique, mais un champ stratégique » (Nicos Poulantzas).

Sauver les événements méconnus du passé de l’ « immense condescendance de la postérité ». C’est ainsi qu’E. P. Thompson définit le rôle de l’historien critique. L’histoire officielle est toujours celle des vainqueurs, l’oubli des classes subalternes étant inhérent à l’enregistrement des faits historiques. Soit parce que la caste des historiens appartient traditionnellement au camp des dominants, soit plus fondamentalement parce que l’écriture de l’histoire est souvent un jeu à somme nulle, où celui qui l’emporte emporte tout. L’historien critique, de son côté, doit opérer de l’intérieur de la « tradition des vaincus ». Non par goût morbide de la défaite et de la martyrologie révolutionnaire. Mais pour montrer que le réel et le possible sont de tout temps disjoints, que d’autres réels que celui qui est advenu sont concevables. Produire une histoire des possibles : tel est l’objectif ultime de l’historien critique.

On ne saurait imaginer condescendance de la postérité plus immense, plus injuste aussi, que dans le cas de Nicos Poulantzas. Encore faut-il s’empresser d’ajouter que cette condescendance ne concerne que la France. A l’étranger, dans le monde anglo-saxon, en Amérique latine, ou en Allemagne par exemple, Poulantzas est couramment considéré comme l’un des principaux théoriciens de l’État de la période récente1. De fait, on importe aujourd’hui en France des courants de pensée critique étrangers influencés par Poulantzas en ayant oublié qui était Poulantzas. Ainsi, on ne comprend rien à l’œuvre de Stuart Hall, l’un des fondateurs des cultural studies aujourd’hui étudié dans toutes les universités françaises, si l’on ne voit pas ce qu’elle doit à Poulantzas. Hall est d’ailleurs l’auteur d’un célèbre entretien avec Poulantzas, paru en juillet 1979 dans la revue britannique Marxism Today quelques mois avant son suicide, où il revient sur l’ensemble de sa trajectoire politique et intellectuelle2. Dans les années 1960 et 1970, les ouvrages de Poulantzas se vendaient pourtant en France à des dizaines de milliers d’exemplaires, 40 000 pour Pouvoir politique et classes sociales, son premier grand livre paru aux éditions Maspero en 19683.

Poulantzas est le plus grand théoricien marxiste de l’État depuis Gramsci. Après des débuts sartriens puis althussériens, sa conception du pouvoir n’a cessé de se rapprocher de celle de l’auteur des Cahiers de prison, même si des désaccords – ou plutôt des malentendus – sont demeurés jusqu’à la fin4. L’œuvre de Poulantzas est le point culminant d’un siècle de débats sur la question du pouvoir et de l’État au sein de la tradition marxiste. Elle synthétise ces débats, et ouvre des pistes nouvelles pour les poursuivre au contact d’un capitalisme en mutation constante. Elle renferme également une discussion des principales théories non marxistes du pouvoir de l’époque, celles de Michel Foucault, Pierre Clastres, Claude Lefort, Gilles Deleuze, Raymond Aron, ou Talcott Parsons, et reconnaît l’importance de certaines d’entre elles, celle de Foucault en particulier.

L’État, le pouvoir, le socialisme (EPS), le dernier et le plus grand livre de Poulantzas que nous rééditons aujourd’hui, n’a pas fini de révéler son potentiel critique. Il doit être lu par une nouvelle génération de militants et d’intellectuels radicaux. La crise du capitalisme que nous traversons, dont on fait en général remonter l’origine à la faillite de la banque Lehman brothers en septembre 2008, n’est pas une crise purement financière. Il s’agit, comme dirait Gramsci, d’une « crise de l’État dans son ensemble », qui a contaminé l’ensemble des sphères sociales, et en particulier les institutions politiques. La force de la théorie marxiste de l’État, celle de Poulantzas en tête, est de nous aider à comprendre la façon dont les différentes dimensions de la crise interagissent les unes avec les autres. Elle nous permet aussi de concevoir des scénarios de sortie de crise, ce que Poulantzas nomme, dans la conclusion d’EPS, une « voie démocratique vers le socialisme ». Au vu des dévastations sociales et écologiques que génère le capitalisme, il n’y a pas de tâche plus importante à l’heure actuelle que d’explorer cette voie à nouveaux frais.

 

Conjoncture

EPS est un ouvrage d’une grande sophistication théorique. Mais c’est aussi un texte d’intervention dans une conjoncture politique, la seconde moitié des années 1970. « L’urgence, à l’origine de ce texte, dit la première phrase de l’ouvrage, concerne, tout d’abord, la situation politique en Europe : si la question d’un socialisme démocratique n’y est pas, loin de là, à l’ordre du jour partout, elle se pose néanmoins dans plusieurs pays européens. » Le livre paraît en 1978. L’Union de la gauche a été rompue quelques mois auparavant, cinq ans après la signature du programme commun en 19725. Poulantzas l’a écrit alors que ce programme était encore en vigueur. Nous qui savons quelle orgie de renoncements a représenté le mitterrandisme, nous pouvons être tentés de ne voir dans la décennie qui précéda son accession au pouvoir qu’un prélude à ces renoncements. Ce serait céder à la condescendance de la postérité. Pour Poulantzas, la question du socialisme se pose en France dans la seconde moitié des années 1970. Mai 1968 n’est pas loin, qui est encore en quête d’un débouché politique. A bien des égards, EPS cherche à répondre à une seule question : à quelles conditions une Union de la gauche parvenue au pouvoir pourra-t-elle mettre en œuvre un processus de transformation sociale radical ?

A l’époque, la question du socialisme ne se pose pas seulement en France. Au Chili, le gouvernement de l’Unité populaire de Salvador Allende, arrivé au pouvoir en 1970, est renversé par le coup d’État de Pinochet en septembre 1973. L’expérience de l’Unité populaire a grandement affecté la génération de Poulantzas, et une série de références au Chili figure dans EPS, à des moments-clés du raisonnement. Allende accède au pouvoir par la voie des urnes et à la tête d’une coalition, ce qui en fait un modèle possible pour la France. Il est flanqué sur sa gauche par le MIR, le « Mouvement de la gauche révolutionnaire », que beaucoup dans l’extrême-gauche française prennent en exemple6. La fin tragique de l’Unité populaire démontre cependant, aux yeux de Poulantzas, que si le respect des institutions représentatives est une condition du socialisme démocratique, il ne suffit pas. Un gouvernement de gauche radicale doit pouvoir compter sur des mobilisations extra-parlementaires, non seulement pour arriver au pouvoir, mais tout au long de la transition vers le socialisme. Ceci pour contrer les forces conservatrices à l’œuvre dans la société, mais aussi pour combattre ses propres tendances à la bureaucratisation, ce que Poulantzas appelle le « technocratisme de gauche », dont il observe déjà des manifestations dans l’appareil du Parti socialiste français.

La Révolution des œillets de 1974 au Portugal est une autre expérience à laquelle Poulantzas adosse sa pensée. Cette révolution a ceci de particulier que les forces armées en ont été le principal moteur. Plus précisément, l’impulsion initiale est venue du sein de l’armée, laquelle a ensuite convergé avec un mouvement et des aspirations populaires profonds. Les militaires sont impliqués d’une manière ou d’une autre dans toutes les révolutions modernes. La différence, dans le cas portugais, réside dans le fait que les premières dislocations qui donnent lieu au processus révolutionnaire se déroulent dans l’armée. Qu’une révolution de cette ampleur puisse trouver son origine dans l’ « appareil d’État » – ce concept althussérien est repris à son compte par Poulantzas – en principe le plus conservateur et le répressif ne laisse pas d’impressionner Poulantzas. Sa critique de la stratégie léniniste de la « dualité des pouvoirs », qui voit dans l’affrontement avec l’État et l’armée un moment inévitable de tout processus révolutionnaire, trouve dans l’expérience portugaise l’une de ses sources. Celle-ci témoigne de ce que des éléments favorables à la révolution peuvent parfois être présents dans l’armée.

S’il est un pays européen qui sert de repoussoir à Poulantzas lorsqu’il écrit EPS, c’est l’Italie. Plus grand parti communiste d’Europe de l’ouest, comprenant jusqu’à deux millions de membres dans les années 1960, le Parti communiste italien (PCI) – le parti de Bordiga, Gramsci et Togliatti – est une source d’inspiration et d’analyse intarissable pour les marxistes de l’après-guerre. Dès 1969, Enrico Berlinguer prend la tête du PCI. A la même époque, en plein « Mai rampant » italien, une partie de la gauche du parti, regroupée autour du journal Il Manifesto, en est expulsée. Prend alors forme la stratégie du « compromis historique », supposée permettre l’accession au pouvoir du PCI sur la base d’un accord avec la démocratie chrétienne (DC). L’expérience tragique du Chili joue un rôle déterminant dans la mise en œuvre de cette stratégie par Berlinguer. A ses yeux, la gauche italienne ne pourra jamais disposer d’une majorité électorale dans le pays, pour des raisons sociologiques profondes. Un compromis avec la DC s’impose par conséquent. L’assassinat d’Aldo Moro – un démocrate chrétien favorable à l’accord avec le PCI – par les Brigades rouges en 1978, ainsi que l’opposition du Vatican et de l’ambassade américaine, auront raison du compromis historique.

La conjoncture politique dans laquelle s’élabore EPS est, on le voit, ambivalente. C’est une conjoncture fluide, qui manifeste des potentialités révolutionnaires aussi bien que conservatrices, et qui requiert à ce titre le déploiement d’une pensée stratégique renouvelée. D’autres coordonnées de la période sont également présentes dans le propos de Poulantzas. Le débat sur le « totalitarisme », par exemple, relancé à l’occasion de la parution de l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne en 1973, et de l’arrivée sur le devant de la scène médiatique des « nouveaux philosophes ». Cette époque est aussi celle de la fin des dictatures en Europe : dans le Portugal de Salazar, mais aussi en Espagne, où Franco meurt en 1975, et dans la Grèce natale de Poulantzas, où la dictature des colonels instaurée en 1967, est renversée en 1974.

L’engagement politique de Poulantzas a débuté avant son arrivée en France, au Parti communiste grec. Il a pris part en 1968 à la scission du Parti communiste dit « de l’intérieur », qui cherche à s’émanciper de la tutelle de Moscou, et dont certains protagonistes se retrouvent aujourd’hui au sein de la coalition de la gauche radicale Syriza (l’institut de recherche de Synaspismos, l’une des principales composantes de Syriza, s’appelle d’ailleurs « Institut Poulantzas »). Poulantzas consacre en 1975 un ouvrage à La crise des dictatures7. Alors que les dictatures s’effacent du continent européen, elles prolifèrent ailleurs, en Amérique latine, en Afrique et en Asie.

Les théories critiques actuelles ne nous ont pas habitués à une pensée aussi fermement ancrée dans les questions stratégiques de son époque que celle de Poulantzas. Lire Poulantzas aujourd’hui nous permet de mesurer à quel point la politique est absente de la plupart de ces théories8. En ce sens, Poulantzas appartient à un cycle d’élaboration critique profondément différent du nôtre.

 

L’État capitaliste

De la fin de la seconde guerre mondiale à la première moitié des années 1970, le capitalisme a traversé une période de prospérité sans précédent, qu’il n’a plus connu depuis lors. Le compromis fordiste a permis de redistribuer les fruits de la croissance économique, et fait en sorte que des catégories de la population jusque-là relativement pauvres accèdent aux biens de consommation. Au plan des institutions politiques, cette période est celle de l’État interventionniste, et d’une certaine stabilité de l’ordre social, jusqu’à la seconde moitié des années 1960. La croissance génère des revenus fiscaux, qui donnent à l’État les marges de manœuvre nécessaires pour organiser l’économie, et bâtir des systèmes de protection sociale performants.

Avec la crise qui s’installe dans la première moitié des années 1970, marquée notamment par l’apparition d’un chômage structurel, l’État perd rapidement de ses moyens. C’est ce que le marxiste étatsunien James O’Connor – dont la connaissance des thèses transparaît en filigrane dans EPS – appelle la « crise fiscale de l’État », dans un ouvrage paru en 19739. L’État dont il est question dans EPS est un État en crise. Les premières analyses poulantzassiennes de l’État remontent au milieu des années 1960. Elles précèdent donc le tournant des années 1970. Mais à partir de ce dernier, Poulantzas réévalue son approche de l’État, jusqu’à élaborer une théorie générale de l’État capitaliste comme État de crise. A ses yeux, l’État est indissociablement facteur de crise et solution à la crise.

La théorie de l’État de Poulantzas repose sur un ensemble d’idées fermement articulées. La première est celle de l’autonomie relative de l’État par rapport aux classes dominantes10. L’État capitaliste, dit Poulantzas, est autonome par rapport aux intérêts de la bourgeoisie, mais il ne l’est que relativement. Cette thèse de l’autonomie relative de l’État a souvent été mal comprise. Elle l’a été par exemple par Pierre Bourdieu, qui l’évoque à plusieurs reprises dans ses cours sur l’État au collège de France de la période 1989-1992, récemment publiés sous le titre Sur l’État11. Dans un cours de janvier 1991, Bourdieu se demande ainsi : « L’État est-il dépendant, comme le disent les marxistes, même si c’est une dépendance relative, comme disait Poulantzas ? »12 Plus tard dans le même cours, il évoque l’ « ornière Skocpol/Poulantzas ». Theda Skocpol est une politiste étatsunienne connue pour sa sociologie des révolutions modernes, et sa théorie néo-wébérienne de l’État comme acteur autonome par rapport aux différents secteurs de la société. L’ « ornière Skocpol/Poulantzas » renvoie pour Bourdieu à l’alternative – qu’il considère comme fallacieuse – entre la thèse de la dépendance de l’État par rapport aux classes dominantes (supposée soutenue par Poulantzas), et celle de son indépendance  vis-à-vis de ces dernières (supposée soutenue par Skocpol).

Bourdieu est parfois un lecteur pressé. Car à lire Poulantzas avec une concentration minimale, on s’aperçoit que son travail est justement entièrement tendu vers l’objectif de sortir de l’ « ornière » que Bourdieu s’imagine être le premier à avoir identifiée. L’ « autonomie relative » de l’État – une expression que Bourdieu emploiera d’ailleurs par la suite lui-même à propos des champs sociaux – vise justement à répondre à ce problème. En régime capitaliste, l’État est toujours un État de classe. Cependant, il est autonome par rapport aux classes dominantes, et ce pour deux raisons. La première est que les classes dominantes ne sont pas homogènes, elles ne l’ont jamais été, et ne peuvent pas l’être. La division du travail est l’essence du capitalisme, elle affecte tous les secteurs de la société, y inclus les classes dominantes. Celles-ci se divisent en d’autres termes en fractions du capital : le capital industriel, le capital financier, le capital commercial, l’armée, le personnel politique, les intellectuels dominants… Les intérêts de ces fractions ne coïncident pas nécessairement. Afin d’asseoir leur domination et de constituer ce que Poulantzas appelle un bloc au pouvoir, elles doivent par conséquent pouvoir compter sur un instrument suffisamment souple qui, le plus souvent sous l’hégémonie de l’une d’elles (par exemple, à l’époque néolibérale, le capital financier), coordonne leurs intérêts. Cet instrument n’est autre que l’État. Celui-ci œuvre en faveur de la domination de la bourgeoisie, tout en étant indépendant des intérêts de telle ou telle fraction du capital. L’autonomie relative de l’État, en somme, est une conséquence du caractère pluriel, différencié, des classes dominantes.

On a souvent reproché au marxisme – Claude Lefort a fait toute sa carrière sur cette idée – de ne pas disposer de théorie de la politique. Ce reproche, comme le montre la pensée de Poulantzas, est profondément erroné. Le marxisme explique pourquoi il ne peut pas ne pas y avoir de la politique, pourquoi la politique est nécessaire. Là où d’autres courants de pensée postulent abstraitement l’existence « du » politique, le marxisme montre que la politique est le produit de la non-congruence des intérêts des fractions des classes dominantes, et des rapports de force qui les opposent aux fractions des classes subalternes. C’est dans cet espace social non déterminé que se loge la politique.

Une seconde explication de l’autonomie relative de l’État capitaliste réside en ceci que la bourgeoisie n’est pas toujours la mieux placée pour défendre ses propres intérêts. Les classes dominantes manquent souvent de lucidité sur leur propre compte. Il est fréquent qu’elles cherchent à assouvir leurs intérêts de court terme au détriment de leurs intérêts de long terme. C’est même sans doute la règle, et les écrits politiques de Marx évoquent nombre d’épisodes où la bourgeoisie commet des erreurs, pour certaines graves. La crise du capitalisme actuelle, l’incapacité des États européens à résoudre l’impasse institutionnelle de l’Union européenne, en sont des exemples contemporains. L’existence d’un État relativement autonome est une façon de contrecarrer cette tendance de la bourgeoisie à commettre des erreurs. L’État organise l’intérêt de long terme des classes dominantes, y compris au besoin en réprimant leur tentation d’assouvir leurs intérêts immédiats. Du moins est-ce ce qu’un État qui fonctionne normalement est supposé faire. Car l’un des aspects de la crise de l’État est que celui-ci est de moins en moins capable d’organiser rationnellement et durablement l’hégémonie des classes dominantes, en partie, comme le suggère Poulantzas, parce qu’il n’est plus assez autonome par rapport à elles.

Cette capacité organisatrice de l’État, il est important de le signaler, est indépendante de la question de savoir si l’État est dirigé ou non par des représentants des classes supérieures. Dans la controverse qui l’oppose à Poulantzas – l’une des grandes controverses du marxisme – Ralph Miliband soutient que contrairement à ce que soutient la science politique dominante, l’État capitaliste n’est pas neutre, c’est un État de classe13. L’argument qu’il avance à l’appui de cette thèse est que la classe politique et la haute administration sont pour l’essentiel composées de représentants de la bourgeoisie. Poulantzas ne conteste pas ce point. Mais pour lui, ce qui fait de l’État capitaliste un État capitaliste n’est pas lié à la provenance de classe de ses dirigeants. Cet État pourrait être entièrement dirigé par des ouvriers qu’il n’en demeurerait pas moins un État capitaliste. Ce qui rend l’État capitaliste capitaliste, c’est qu’il exerce une fonction de cohésion et de reproduction du système. C’est la raison pour laquelle Miliband reproche à Poulantzas son « fonctionnalisme », c’est-à-dire le fait que pour lui, l’État capitaliste se reconnaît à la fonction qu’il exerce. Poulantzas reproche à son tour à Miliband son « instrumentalisme », c’est-à-dire qu’à ses yeux, l’État est un instrument aux mains de la classe dominante. En somme, pour Poulantzas, l’État n’est utile à la classe capitaliste que s’il est autonome. Si la distance par rapport à elle se réduit par trop, la situation devient dangereuse pour le système dans son ensemble.

 

L’État comme relation

C’est sur cette base que Poulantzas formule sa définition de l’État comme « condensation matérielle d’un rapport de force entre les classes et les fractions de classe » (EPS, p. 141). Il s’agit de l’une des plus célèbres définitions de l’État de la tradition marxiste. Lire un auteur suppose peut-être avant tout de se rendre attentif aux métaphores qu’il emploie. Dans le marxisme classique, disons de Marx lui-même à Gramsci, la doctrine militaire est un vivier de concepts et de métaphores quasi inépuisable. Cette génération de marxistes était composée de lecteurs assidus de Clausewitz, Jomini, Delbrück, et autres stratèges militaires du 19e siècle14. Pour ne prendre qu’un exemple, la distinction gramscienne entre la « guerre de mouvement » et la « guerre de position », qui permet à l’auteur des Cahiers de prison de concevoir une stratégie révolutionnaire adaptée à l’Europe de l’ouest, remonte (au moins) à De la guerre de Clausewitz.

Avec la transition du marxisme classique au marxisme « occidental » dans les années 193015, la doctrine militaire perd son statut de vivier de métaphores. Celles-ci vont désormais provenir de sources diverses. Cette diversité s’observe chez Poulantzas. L’idée de « condensation » qu’il emploie dans sa définition de l’État relève de la chimie. La condensation, c’est le passage d’un gaz ou d’un liquide à l’état solide. En ce sens, l’État est le produit de la « solidification » de rapports de force entre classes et fractions de classes. Il arrive aussi à Poulantzas d’utiliser une métaphore anatomique, lorsqu’il évoque par exemple l’ « ossature » ou le « squelette » de l’État capitaliste. Il met également à contribution un vocabulaire architectural, en se référant notamment à la « charpente » ou à l’ « architecture » de l’État. Chimie, anatomie et architecture permettent à Poulantzas de penser la « matérialité » de l’État, c’est-à-dire le fait que celui-ci s’incarne dans des « appareils » – répressifs, idéologiques ou autres – qui s’emboîtent les uns dans les autres, et permettent que la logique étatique à la fois reflète et innerve le corps social.

Comment comprendre alors la définition poulantzassienne de l’État ? Que l’État moderne soit un État de classe ne signifie pas qu’il est un bloc monolithique entièrement sous contrôle de la bourgeoisie. L’État est un champ stratégique, où classes et fractions de classes se livrent une lutte constante. Dans le fond, la question importante est celle-ci : « Pourquoi la bourgeoisie a-t-elle généralement recours, à fin de domination, à cet État national-populaire, à cet État représentatif moderne avec ses institutions propres, et pas à un autre ? » (EPS, p. 13). La réponse est que ce n’est pas elle qui a choisi cette forme d’État, et que si elle avait pu le faire, elle en aurait choisi une autre. Tout en étant capitaliste de part en part, l’État national-populaire est imposé à la bourgeoisie par les classes subalternes : prolétariat, paysannerie, classes moyennes, femmes, colonisés… Cette façon de concevoir l’État a des implications stratégiques importantes. La thèse marxiste du « dépérissement de l’État » repose sur l’idée que l’État est un instrument de domination, et que le renversement du capitalisme induira à terme l’obsolescence de cet instrument. Si en revanche, comme le pense Poulantzas, l’État capitaliste a en partie été façonné par des luttes populaires, la nécessité de son dépérissement dans la transition vers le socialisme devient nettement moins évidente.

Poulantzas élabore une théorie relationnelle de l’État. A ses yeux, l’État n’est pas une substance, mais une relation. Il consiste, plus précisément, en un ensemble de relations enchevêtrées, certaines sur un mode conflictuel, d’autres de manière plus fonctionnelle. Selon les régimes politiques – démocratie, dictature, « totalitarisme » –, ces relations changent de nature. La conception de l’État de Poulantzas peut être rapprochée de la théorie des classes sociales d’E. P. Thompson. Dans La formation de la classe ouvrière anglaise (1963), Thompson soutient que les classes sociales ne sont pas des essences, mais des processus. Elles se construisent au gré des expériences qu’effectuent les individus et groupes concernés, et se posent en s’opposant, c’est-à-dire que l’identité des unes se forge au contact de l’identité des autres. Ce que Thompson dit des classes sociales, Poulantzas l’affirme à propos de l’État. Cette approche a ceci d’intéressant qu’elle implique que le pouvoir n’est jamais entièrement concentré dans l’État. Autrement dit, les frontières de l’État sont mouvantes. Elle implique aussi que tout État est encastré dans des « matrices » spatiales et temporelles, dont la principale à l’époque moderne est la nation.

 

Poulantzas, théoricien de la mondialisation

L’État que Poulantzas observe dans les années 1970 n’est pas seulement un État en crise. C’est un État en cours de mondialisation. En 1973, Poulantzas publie dans les Temps modernes de Sartre – une revue dans laquelle il écrit régulièrement – un article retentissant intitulé « L’internationalisation des rapports capitalistes et l’État-nation ». Ce texte fera l’objet d’une réédition dans le recueil Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui16. Il contient l’une des contributions majeures à la théorie de l’impérialisme depuis les débats classiques entre Kautsky, Lénine, Rosa Luxembourg, Rudolf Hilferding… Cet article est une référence fondatrice pour les théoriciens contemporains qui cherchent à élaborer une approche critique des relations internationales. Leo Panitch au Canada et Alex Demirovic en Allemagne, parmi d’autres, ont développé les thèses qu’y avance Poulantzas.

Au sein du marxisme, la question de l’impérialisme renvoie à deux problèmes liés mais distincts. D’abord, quel est le lien entre le centre et la périphérie du système, c’est-à-dire entre les pays anciennement industrialisés et les régions victimes du développement inégal et combiné ? En particulier, dans quelle mesure l’industrialisation des premiers est-elle tributaire du non- (ou du mal-) développement des secondes ? D’autre part, quels rapports les puissances impérialistes entretiennent-elles entre elles ? Dans son texte L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), Lénine soutient que l’impérialisme implique une rivalité des puissances du centre pour le partage du monde, susceptible de déboucher sur des guerres. Lénine s’oppose à Kautsky, qui affirme que la coopération entre pays impérialistes est possible et même inévitable, plus précisément que l’émergence d’une « sainte alliance des impérialistes », ou « ultra-impérialisme », est la tendance à l’œuvre à la fin du 19e et au début du 20e siècle.

Ces deux positions classiques – conflits inter-impérialistes ou ultra-impérialisme – ont fait l’objet de reformulations dans les décennies suivantes. A l’époque de Poulantzas, l’économiste trotskiste Ernest Mandel reprend à son compte la position de Lénine. Mandel voit en particulier dans la construction européenne l’apparition d’un capital concurrent du capital étatsunien, ce qui pourrait déboucher à terme sur une nouvelle rivalité inter-impérialiste17. A l’inverse, les tiers-mondistes que sont Paul Sweezy, Immanuel Wallerstein, ou André Gunder Frank perçoivent l’opposition entre le centre et la périphérie comme déterminante dans le capitalisme de leur temps. C’est l’une des dimensions de la notion de « capital monopoliste » employé par Baran et Sweezy dans leur ouvrage de 196618.

Poulantzas considère ces deux positions comme également erronées, et insuffisamment créatives par rapport au marxisme traditionnel. Elles passent à côté de ce qui constitue le fait majeur de l’après seconde guerre mondiale : la nature inédite de l’hégémonie américaine. Cette hégémonie s’exerce sur le tiers-monde, l’Amérique latine, le Moyen-Orient ou l’Asie. Elle s’exerce aussi sur l’Europe. Elle n’est toutefois pas du même ordre dans les deux cas, le vieux continent n’étant ni dans un rapport néocolonial avec les États-Unis, comme le sont les pays du tiers-monde, ni indépendant de lui. Après la seconde guerre mondiale, le capital américain s’installe en Europe, avec l’accord des élites européennes. Du fait des dévastations induites par les deux guerres mondiales, le vieux continent est en ruine. Ouvrir la porte au capital américain est une manière pour ces élites de se refaire, au plan économique et politique. C’est aussi une façon de défendre les intérêts du capital en général, face à la consolidation du camp soviétique et le progrès des luttes de libération nationale dans le tiers-monde19.

Les investissements directs américains en Europe augmentent de manière vertigineuse. Ils concernent les secteurs productifs les plus dynamiques du capitalisme US. Le plus souvent, les profits issus de ces investissements ne sont pas rapatriés aux États-Unis, comme le voudrait une relation impérialiste classique entre une métropole et ses colonies. Ils sont réinvestis en Europe, où les multinationales étatsuniennes disposent de filiales. On assiste à une fusion croissante – inégale selon les secteurs – du capital US et du capital européen. Les États européens sont en charge de l’intendance : transformation des cadres juridiques, fiscalité avantageuse, négociations salariales, répression syndicale… C’est dans ce contexte que démarre la construction européenne, à laquelle on ne comprend rien si l’on ne voit pas qu’elle s’opère sous hégémonie américaine. Les problèmes que traverse l’Union européenne aujourd’hui remontent en partie à cette configuration initiale. Le rôle du Trésor américain, et particulièrement de son secrétaire Timothy Geithner, dans la résolution de la crise actuelle de l’UE, en est une illustration20. Pour Poulantzas, la mondialisation du capital, loin d’affaiblir les États, s’opère sous leur égide, et sous celle d’un État en particulier, l’État américain.

C’est alors que Poulantzas avance l’un de ses concepts les plus féconds : celui de bourgeoisie intérieure. La théorie marxiste de l’impérialisme reconnaît classiquement deux types de bourgeoisie : les bourgeoisies nationales et les bourgeoisies « comprador». Une bourgeoisie nationale est indépendante, elle possède des intérêts et une culture propres, et son existence est liée à un État-nation. Une bourgeoisie compradore, à l’inverse, est inféodée au capital étranger, pour lequel elle ne constitue souvent qu’un simple intermédiaire vers un territoire donné. C’est un phénomène typique des pays colonisés. « Comprador » signifie « acheteur », cette bourgeoisie tirant sa position dominante de sa capacité à commercer avec l’étranger.

La bourgeoisie intérieure désigne la bourgeoisie européenne de l’après-guerre dans son rapport avec les États-Unis. D’un côté, elle s’éloigne de plus en plus de l’idéaltype de la bourgeoisie nationale, perdant de son autonomie face au capital américain. Comme dit Poulantzas, « En raison de la reproduction du capital américain au sein même de ces formations, (…) elle est imbriquée par de multiples liens de dépendance, au procès de division internationale du travail et de concentration internationale du capital sous la domination du capital américain »21. D’un autre côté, la bourgeoisie intérieure n’est pas une bourgeoisie compradore, qui aurait perdu toute indépendance. Des contradictions persistent et peuvent se manifester périodiquement entre le capital américain et le capital européen. Ce dernier peut aussi avoir conservé dans certains cas – la France de de Gaulle par exemple – une certaine autonomie politique. Bourgeoisie « intérieure » signifie qu’elle a intériorisé dans son propre calcul économico-politique les intérêts d’un capital étranger, en l’occurrence le capital US. Celui-ci, dit Poulantzas, force le capital européen à se restructurer, ce qui implique aussi une restructuration de la forme de l’État. Si la mondialisation s’opère sous l’égide des États, elle influe donc en retour sur la nature de ces derniers.

 

Étatisme autoritaire

La mondialisation du capital s’accompagne d’un autoritarisme étatique de plus en plus marqué. La quatrième partie d’EPS s’intitule « Le déclin de la démocratie : l’étatisme autoritaire ». Cette dernière notion, avec celle de bourgeoisie intérieure, est l’une des plus intéressantes  qu’ait proposées Poulantzas, l’une des plus adaptées aussi au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Dans L’État et la révolution (1917), Lénine soutient que la démocratie est la meilleure forme politique possible pour le capitalisme. Une fois que le capital y a pris racine, ce régime est en effet le plus stable qui soit. Le capitalisme que les révolutionnaires cherchent à renverser, de ce point de vue, est encastré dans des institutions démocratiques.

L’intuition de Poulantzas est que depuis le dernier tiers du 20e siècle, nous sortons de cette alliance du capitalisme et de la démocratie identifiée par Lénine. La démocratie devient un handicap pour le capitalisme, notamment parce qu’elle permet à des revendications sociales (santé, retraites, assurance-chômage…) toujours nouvelles de se faire entendre, lesquelles sont coûteuses, et exercent une pression à la baisse sur le taux de profit. Le capitalisme évolue vers une forme non démocratique, il s’accompagne désormais de ce que Poulantzas appelle un étatisme autoritaire. Poulantzas s’inscrit ici, une fois de plus, dans le sillage de Gramsci. Dans les Cahiers de prison, celui-ci soutient qu’en période de crise, les institutions les moins démocratiques – armée, finance, bureaucratie, église – viennent occuper le devant de la scène, au détriment des instances démocratiques, notamment le parlement. « Césarisme » est le nom que Gramsci donne à cette tendance.

Poulantzas distingue l’étatisme autoritaire de ce qu’il appelle les « États exceptionnels ». Cette notion désigne les régimes non démocratiques, pour l’essentiel au 20e siècle les dictatures militaires et les régimes « totalitaires ». Ceux-ci ont des fondements distincts des régimes démocratiques. L’étatisme autoritaire, quant à lui, est une tendance endogène des démocraties représentatives. Il n’a rien d’exceptionnel, il est le destin commun de tous les régimes démocratiques depuis les années 1970, c’est-à-dire depuis que la crise du capitalisme est apparue. Plus précisément, comme dit Poulantzas, des éléments normaux et des éléments exceptionnels coexistent désormais dans la structure des États démocratiques.

Paradoxalement, les États autoritaires ne sont pas des États forts, mais des États faibles. C’est justement parce qu’ils sont faibles qu’ils deviennent autoritaires. Un État fort s’appuie sur une hégémonie solidement constituée, une « hégémonie cuirassée de coercition », pour parler comme Gramsci. C’est lorsque l’hégémonie perd de sa vigueur que la coercition prend le dessus. La faiblesse des États autoritaires explique que les politiques qu’ils mettent en œuvre sont souvent peu cohérentes. L’autoritarisme évolue en proportion inverse de la consistance idéologique. Lorsque celle-ci vient à manquer, la ligne politique devient hésitante et contradictoire. C’est ce que l’on constate aujourd’hui dans le cadre de la gouvernance de l’Union européenne, mais aussi à l’échelle de chaque État-nation, et notamment en France. Comme dit Poulantzas dans une phrase pénétrante, que devraient méditer les présidents de la République passés et présents : « Ces contradictions traversent forcément le point focal que représente le chef suprême de l’exécutif : il n’y a pas un président, mais plusieurs dans un seul. » (EPS, p. 255).

Avec l’étatisme autoritaire, le poids du parlement décline, et celui de l’exécutif augmente en proportion. Le parlement fait office de « chambre d’enregistrement » de ses décisions, qui tendent à prendre la forme de décrets, et à être adoptées dans les cabinets ministériels. Le poids de la bureaucratie s’accroit également. L’administration devient le lieu où s’élaborent les compromis entre fractions du capital, et entre le capital et les classes subalternes. Le problème, dit Poulantzas, est que la bureaucratie n’est pas suffisamment souple et réactive pour que la coordination des intérêts des dominants s’effectue dans de bonnes conditions. Ceci aggrave encore l’inconsistance des politiques menées. On le voit, Poulantzas est loin de considérer l’État capitaliste comme une entité toute-puissante. Même s’il continue à disposer d’importantes ressources, et s’il conserve une certaine unité, la crise entrave son action et accentue les contradictions qui le sous-tendent, contradictions qu’en temps normal il est en mesure d’assumer.

A mesure que le capitalisme se développe, l’État avance dans la société. Il s’immisce dans la gestion des conditions de production et de reproduction du capital : transports, éducation, santé, urbanisme, protection des ressources naturelles… Ceci implique qu’en cas de crise, il fait partie de la solution aussi bien que du problème. L’État lui-même n’est pas extérieur à la crise, il produit de la crise. En intervenant pour la résoudre, il est susceptible de l’aggraver, par exemple en subventionnant certains secteurs peu productifs de l’économie, ou en étant contraint de verser des indemnités chômage qui pèsent sur son budget, et sur les taux d’intérêts auxquels il pourra emprunter à l’avenir. L’État est échec et mat : ne pas intervenir est impossible, et intervenir risque d’approfondir la crise. L’autoritarisme est la conséquence de cette contradiction.

 

Contre la dualité des pouvoirs

Poulantzas se livre dans EPS à une critique de la « dualité des pouvoirs ». Cette notion apparaît dans le contexte de la Révolution russe. Elle conduit cependant les marxistes qui l’élaborent, au premier rang desquels Lénine et Trotski, à relire par son entremise toute l’histoire des révolutions modernes, depuis la révolution anglaise. La version la plus sophistiquée de ce concept se trouve dans l’Histoire de la révolution russe de Trotski, dont le premier volume contient un chapitre qui le concerne. Lénine évoque la dualité des pouvoirs dans trois textes : les Thèses d’avril (1917), un article également paru en avril 1917 dans la Pravda intitulé « Sur la dualité des pouvoirs », et dans la brochure Les tâches du prolétariat dans notre révolution, qui date d’avril-mai 1917. Lénine réfléchit à ce problème dans le feu de l’action, entre les deux révolutions – février et octobre – de 1917, ce qui confère à ses écrits un caractère moins élaboré que chez Trotski, qui rédige l’Histoire de la révolution russe en exil en Turquie, au début des années 1930.

Trotski définit la dualité des pouvoirs ainsi : « (…) la préparation historique d’une insurrection conduit, en période prérévolutionnaire, à ceci que la classe destinée à réaliser le nouveau système social, sans être encore devenue maîtresse du pays, concentre effectivement dans ses mains une part importante du pouvoir de l’État, tandis que l’appareil officiel reste encore dans les mains des anciens possesseurs. C’est là le point de départ de la dualité de pouvoirs dans toute révolution »22.

La dualité des pouvoirs se dit d’une situation où deux pouvoirs se disputent un même territoire : le pouvoir en place, le tsarisme dans le cas de la Russie, et le mouvement révolutionnaire. Cet affrontement a un caractère territorial, puisque chaque antagoniste occupe une partie de l’espace national (rural ou urbain) et cherche à conquérir l’autre par la force. L’État lui-même est du côté du pouvoir en place, même si certaines de ses branches, comme le suggère Trotski dans ce passage, peuvent être passées sous contrôle des forces révolutionnaires. La dualité des pouvoirs suppose un climax – un point culminant – dans l’affrontement révolutionnaire, au-delà duquel la révolution prend le dessus sur la conservation. Elle implique aussi que l’identité des antagonistes soit clairement délimitée, même si chaque camp peut être le fruit d’alliances entre différents secteurs de la société.

De la Commune de Paris à la révolution sandiniste de 1979, en passant par les révolutions russe, chinoise, vietnamienne, cubaine et algérienne, le modèle de la dualité des pouvoirs a été déterminant au 20e siècle, en théorie et/ou en pratique. Bien entendu, ces révolutions ont des caractéristiques propres. Mais chacune a donné lieu à la fragmentation d’un territoire, suivi du basculement du pouvoir de l’une à l’autre des forces (armées) en présence. En dernière instance, la distinction entre la réforme et la révolution, qui a structuré les mouvements révolutionnaires depuis la seconde moitié du 19e siècle, découle de cette conception du changement social. Sera dit « réformiste » tout mouvement qui considère que le changement ne doit pas prendre le chemin de la dualité des pouvoirs, et « révolutionnaire » tout mouvement qui préconise cette stratégie.

Pour Poulantzas, la dualité des pouvoirs convient tout au plus aux pays non démocratiques, où les institutions représentatives et la société civile sont fragiles. De fait, l’histoire des révolutions au 20e siècle montre que cette stratégie n’a réussi que là où existaient des régimes autoritaires23. Dans les pays de vieille tradition démocratique, un mouvement qui mettrait en œuvre une stratégie de cet ordre est certain de courir à la catastrophe. C’est ce qu’avait commencé à reconnaître Gramsci, dont les notions d’ « État intégral » et de « guerre de position » visent à sortir d’une conception simpliste du processus révolutionnaire. Cette conception n’est d’ailleurs pas celle de Lénine et de Trotski, elle résulte de l’insuffisante contextualisation et de l’ossification de leur pensée au cours des décennies qui ont suivi.

L’État capitaliste n’est pas une « forteresse », dit Poulantzas. Il n’est pas extérieur aux conflits sociaux, et à ce titre, il n’est pas à conquérir comme on conquerrait une place forte située en territoire étranger. En tant que condensation d’un rapport de force entre classes et fractions de classes, l’État est traversé de contradictions. Tous ses « appareils » le sont à des degrés divers. Par conséquent, il est erroné de se représenter l’État comme n’étant situé que d’un côté, le côté conservateur, de la dualité des pouvoirs. Il se trouve de part et d’autre de la ligne de front, à tel point que cette ligne de front n’en est en réalité pas une. Plus précisément, il existe de multiples lignes de front, dont certaines passent à l’intérieur même de l’État.

Ce constat entraîne le marxisme sur une voie jusque-là inexplorée. D’abord, la révolution cesse d’être synonyme d’affrontement armé avec l’État. Celui-ci demeure bien entendu le garant de l’ordre existant, au besoin par la violence. En ce sens, toute révolution inclut des moments de contre-violence. Mais ces moments ne sont plus conçus comme décisifs, on sort d’une vision militaire du changement social. On renonce par la même occasion au climax, à l’idée de point culminant du processus révolutionnaire. L’État ne disparaît pas dans la transition vers le socialisme, il est présent jusque dans le socialisme lui-même. Puisqu’il n’est pas un simple instrument aux mains des capitalistes, il n’a pas de raison de s’effacer avec la disparition de ce système. Les marxistes ont accordé peu d’attention au problème de la forme de l’État en régime socialiste, car pour eux, le socialisme abolira l’État. Or, selon Poulantzas, cette question doit être mise à l’ordre du jour de la recherche marxiste.

La démocratie représentative est elle aussi maintenue. « Le socialisme sera démocratique ou ne sera pas », affirme Poulantzas dans la conclusion d’EPS. Une critique que Rosa Luxemburg – l’une des principales sources d’inspiration de Poulantzas – adresse à Lénine dans La révolution russe (1918) est d’avoir suspendu la démocratie représentative au profit des conseils ouvriers. L’absence de vie démocratique – presse indépendante, élections générales, liberté de conscience et de réunion – étouffe le processus révolutionnaire. La seule instance qui parvient à surnager dans ce contexte de dépérissement de la politique est la bureaucratie. La bureaucratisation de l’URSS, qui débouchera sur le stalinisme, s’explique en partie par la suspension des libertés démocratiques. Comme ne cesse de le rappeler Poulantzas, ces libertés sont le produit de conquêtes populaires passées, et doivent à ce titre être défendues.

La « voie démocratique vers le socialisme » préconisée par Poulantzas combine radicalisation de la démocratie représentative et expériences d’autogestion dans la société civile, notamment – mais pas seulement – sur le lieu de travail, et dans le secteur industriel aussi bien que les services ou la fonction publique. Elle cherche à peser sur les contradictions de l’État capitaliste de l’intérieur et de l’extérieur, c’est-à-dire à la fois en prenant part aux institutions en place lorsque des avancées peuvent y être obtenues, et en faisant pression sur les appareils d’État à partir d’espaces qui leur échappent, qui se tiennent à distance du pouvoir de l’État. L’ « eurocommunisme critique » dont Poulantzas se réclame dans les années 1970 consiste en ce double mouvement24. Chez Poulantzas, l’idée d’un « intérieur » et d’un « extérieur » de l’État, sans disparaître complètement, devient relative, une conséquence de l’abandon de la dualité des pouvoirs.

La question des alliances de classe est cruciale dans ce processus. Dans les années 1970, Poulantzas consacre une série de textes à la « nouvelle petite bourgeoisie », ce que nous appellerions aujourd’hui les « classes moyennes » : fonctionnaires, techniciens, employés de bureau, cadres, enseignants25… Un débat fait rage à l’époque – Serge Mallet, Alain Touraine, Pierre Bourdieu, André Gorz, Erik Olin Wright y prennent part – pour savoir si cette classe est une nouvelle classe sociale, ou si elle est un épiphénomène dans la structure des sociétés capitalistes. Cette problématique est à mettre en rapport avec l’émergence des « managers » ou des « cadres » dans le capitalisme de l’époque, et la dissociation croissante de la propriété et de la gestion du capital.

Poulantzas est de ceux qui soutiennent que la « nouvelle petite bourgeoisie » est une classe à part entière. Il est crucial, ajoute-t-il, que le mouvement communiste reconnaisse qu’elle a des intérêts propres, qui ne coïncident pas forcément avec ceux de la classe ouvrière. Tout porte à croire que les révolutions à venir, en Europe et ailleurs, procèderont de l’alliance de la classe ouvrière et de cette nouvelle petite bourgeoisie toujours susceptible de basculer du côté de la réaction, comme le montre le cas du Chili. C’est pourquoi l’hégémonie des organisations révolutionnaires en son sein est l’une des questions stratégiques du moment. Sur ce point, la situation n’a guère changé depuis l’époque de Poulantzas.

 

Après Foucault

Les deux conceptions du pouvoir les plus influentes du 20e siècle sont celles de Lénine et de Foucault. Au sein des pensées critiques contemporaines, l’approche foucaldienne a détrôné le léninisme – dominant jusqu’au dernier tiers du siècle – comme théorie du pouvoir la plus débattue. Ces deux conceptions sont surdéterminées par le contexte dont elles émergent. Lénine cherche à renverser le tsarisme, un régime où l’État concentre l’essentiel du pouvoir, et où, comme dit Gramsci, la société civile est « primitive » et « sans forme ». C’est ce qui a conféré à la théorie léniniste du pouvoir sa principale caractéristique : son stato-centrisme, c’est-à-dire le fait qu’elle centrée sur la prise du pouvoir d’État. Ce stato-centrisme n’est pas intégral. Lénine a bien sûr conscience de l’existence de formes extra-étatiques de pouvoir. Les travaux récents le concernant montrent que la question de la culture, dans son rapport à la politique, est cruciale chez lui, en particulier à la fin de sa vie26. Il n’en demeure pas moins que dans un contexte absolutiste, Lénine ne peut faire autrement que d’élaborer une conception stato-centrique du pouvoir.

L’approche foucaldienne se construit en opposition à Lénine, et plus généralement au marxisme27.  Elle met l’accent sur la part de pouvoir qui échappe à l’État, autrement dit non sur la concentration du pouvoir dans l’État, mais sur sa dispersion dans le corps social. La « microphysique du pouvoir » de Foucault suppose une conception diffuse et réticulaire du pouvoir. Mais Foucault n’a certainement pas négligé l’État. D’une certaine manière, il n’a parlé que de lui. Dans les cours du Collège de France de la seconde moitié des années 1970 apparaît ainsi le concept de « gouvernementalité ». Par son entremise, Foucault cherche à appréhender un type de pouvoir qui apparaît au 17e siècle, et qui prend le relai de l’État « administratif » des 15e et 16e siècles. La gouvernementalité s’exerce alors non plus sur un territoire, mais sur des populations, dont elle cherche à préserver les conditions d’existence – santé, travail, environnement – à des fins de puissance et de profit. C’est pourquoi Foucault dit qu’il s’agit d’une forme de « biopolitique », d’une politique qui a pour objet la vie.

Si Foucault s’intéresse à l’État, c’est cependant toujours sous l’angle de l’éparpillement et du décentrement.  La préservation des conditions d’existence des populations conduit l’État à développer des savoirs les concernant : démographie, économie politique, statistiques ou sociologie. Ces savoirs façonnent les individus, par la mise en circulation de catégories (par exemple raciales) et la régulation des pratiques. Le gouvernement des populations s’accompagne d’un « gouvernement de soi », par lequel les technologies du pouvoir déclenchent des processus de subjectivation. L’une des cibles de l’approche foucaldienne est la conception « juridique » du pouvoir, présente au moins depuis Hobbes dans la philosophie politique. Celle-ci fait de l’État une instance centralisée, qui dérive de la soumission des individus à la loi.

Poulantzas est le premier à prendre au sérieux le défi que représente l’œuvre de Foucault pour le marxisme. Les références à l’auteur de Surveiller et punir sont nombreuses dans EPS, à tel point qu’elles constituent pratiquement un livre dans le livre. Poulantzas ne cesse de reconnaître l’apport de Foucault, et le met à contribution pour faire évoluer le marxisme. L’approche foucaldienne permet par exemple de dépasser l’idée que le pouvoir consisterait uniquement en un doublet répression-idéologie. Du point de vue marxiste, soit le pouvoir réprime par la violence, soit le pouvoir trompe par l’idéologie. Ce que montre Foucault, c’est qu’en plus de ces deux opérations, le pouvoir produit du réel, qu’il a une dimension performative. Celle-ci s’accomplit notamment par la mise en circulation des catégories évoquées à l’instant. Les marxistes ont toujours assimilé – et subverti – la perspective de penseurs non marxistes – celle de Max Weber dans le cas de Lukacs, celle de Benedetto Croce dans celui de Gramsci -, et Foucault est, en un sens, le Weber ou le Croce de Poulantzas. Que la part de structuralisme althussérien n’ait cessé de décliner chez Poulantzas au fil des années, au bénéfice d’une influence grandissante de la « philosophie de la praxis » de Gramsci, s’explique en partie par le fait que cette dernière permet de mener une discussion constructive avec Foucault.

Ceci n’empêche pas Poulantzas d’adresser à Foucault des critiques radicales. Au premier rang desquelles celle de ne pas être sorti d’une conception métaphysique du pouvoir, qui fait de celui-ci une « substance ». Chez Foucault, le pouvoir est à ce point dispersé qu’il est partout et nulle part à la fois. Il y a du pouvoir, sans que l’on sache quelle est son origine, et il y a de la résistance au pouvoir, sans que l’on comprenne ce qui la déclenche. Sur ce point, le marxisme est plus précis et plus analytique que l’approche foucaldienne. Dans le capitalisme, la principale source de pouvoir est l’exploitation. Ce n’est certes pas la seule, mais c’est celle qui configure toutes les autres, qui fait que le système capitaliste est justement un système. L’exploitation naît dans le domaine de la production (le concept d’« économie » dans son sens actuel est trop étroit pour exprimer ce que les marxistes appellent « production »), partout où le travail est accaparé par une classe qui ne l’accomplit pas. L’exploitation opprime ceux qui en sont victimes, mais leur permet également de résister. Car l’exploiteur a besoin de l’exploité, son bien-être matériel et son statut de possédant en dépendent. C’est pourquoi l’exploitation a toujours une limite, et permet aux opprimés d’en tirer un contre-pouvoir. Ne pas diluer l’exploitation dans une catégorie au fond abstraite de « pouvoir », comme le fait Foucault, c’est se donner les moyens de penser à la fois la domination et la résistance à la domination.

Foucault passe en outre sous silence le fait que bien des savoirs élaborés pour gouverner les populations, depuis le 18e siècle, sont apparus non dans la sphère de l’État proprement dite, mais dans celle de la production28. Le capitalisme approfondit en permanence la division du travail, dont la forme matricielle est la division entre le travail manuel et le travail intellectuel. L’État lui-même est une instance de centralisation du travail intellectuel. Comme le rappelle Poulantzas, « Les intellectuels comme corps spécialisé et professionnalisé se sont constitués dans leur fonctionnarisation-mercenarisation par l’État moderne » (EPS, p. 63). Comprendre l’interaction entre le savoir et le pouvoir suppose en ce sens de cerner les effets de la division du travail sur le corps social, ce que Foucault ne fait à aucun moment.

Ceci conduit Foucault à sous-estimer la violence de l’État contemporain, en faisant sien le « grand récit » selon lequel l’histoire de la modernité serait l’histoire de la pacification des rapports sociaux. Une version influente de ce grand récit à l’époque de Foucault et de Poulantzas se trouve dans La civilisation des mœurs de Norbert Elias (publié de manière confidentielle dans les années 1930, mais réédité à la fin des années 1960). Pour Poulantzas, « La violence physique monopolisée par l’État sous-tend en permanence les techniques du pouvoir et les mécanismes du consentement (…), même lorsque cette violence ne s’exerce pas directement. » (EPS, p. 88). La violence d’État est déterminante, dit Poulantzas, ce qui signifie qu’elle agit même – et peut-être surtout – lorsqu’elle ne s’actualise pas. Le volet répressif du pouvoir n’a donc rien perdu de son importance. Or, cette violence est concentrée dans l’État, un point que Lénine – et Max Weber après lui – avaient parfaitement saisi. L’incapacité de Foucault à penser la violence, de ce point de vue, est un corollaire de son incapacité à penser la centralisation du pouvoir par l’État.

Lénine, Foucault, Poulantzas. Cette séquence théorique renferme une généalogie de la question du pouvoir au siècle passé. Son troisième terme, Poulantzas, offre un point d’équilibre fécond entre l’apport respectif des deux premiers. Un jour peut-être le 20e siècle sera poulantzassien. Cela suppose cependant que la contribution de Poulantzas soit développée au cours du siècle suivant.

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références

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1 En France, certains représentants de l’école de la régulation, comme Bruno Théret, Bruno Amable ou Stefano Palombarini, se réfèrent aujourd’hui à Poulantzas. Voir par exemple Bruno Amable et Stefano Palombarini, « A Neorealist Approach to Institutional Change and the Diversity of Capitalism », in Socio-Economic Review, 7, 2009.
2 Voir Stuart Hall et Alan Hunt, « Interview with Poulantzas », in Marxism Today, juillet 1979 (publié en français dans Nicos Poulantzas, Repères, hier et aujourd’hui : textes sur l’État, Paris, Maspero, 1980). A lire également, l’entretien de Poulantzas avec Henri Weber, « L’État et la transition au socialisme », in Critique communiste (revue de la Ligue communiste révolutionnaire), n°16, juin 1977. Voir Stuart Hall et Alan Hunt, « Interview with Poulantzas », in Marxism Today, juillet 1979 (publié en français dans Nicos Poulantzas, Repères, hier et aujourd’hui : textes sur l’État, Paris, Maspero, 1980). A lire également, l’entretien de Poulantzas avec Henri Weber, « L’État et la transition au socialisme », in Critique communiste (revue de la Ligue communiste révolutionnaire), n°16, juin 1977.
3 Voir François Dosse, Histoire du structuralisme, t. 2, Paris, la Découverte, 1992, p. 205.
4 Sur le rapport entre Gramsci et Poulantzas, voir Peter Thomas, « Conjuncture of the Integral State ? Poulantzas’s Reading of Gramsci », in Alexander Gallas et alii, Reading Poulantzas, Londres, Merlin Press, 2011. Ce volume contient d’excellentes discussions des principaux thèmes de l’œuvre de Poulantzas. Signalons également l’anthologie de textes de Poulantzas publiée par les éditions Verso : James Martin (dir.), The Poulantzas Reader. Marxism, Law and the State, Londres, Verso, 2008.
5 Sur cette période, voir Alain Bergougnioux et Gérard Grunberg, « L’Union de la gauche et l’ère Mitterrand (1965-1995), in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar (dir.), Histoire des gauches en France, t. 2, Paris, la Découverte, 2005. Voir aussi Alain Bergougnioux et Danielle Tartakowsky (dir.), L’union sans l’unité. Le programme commun de la gauche, 1963-1978, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012.
6 Sur l’importance du modèle chilien en France à l’époque, voir Daniel Bensaïd, Une lente impatience, Paris, Stock, 2004
7 Nicos Poulantzas, La crise des dictatures. Portugal, Grèce, Espagne, Paris, Maspero, 1975.
8 Voir à ce propos Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche, op. cit.
9 James O’Connor, The Fiscal Crisis of the State, New York, Transaction, 2001.
10 La notion d’ « autonomie relative » est d’origine althussérienne, on la trouve par exemple dans l’article consacré aux « appareils idéologiques d’État » : Louis Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État (Notes pour une recherche) », in La Pensée, n°151, juin 1970, ou dans la contribution d’Althusser à Lire le capital (1965), intitulée « L’objet du ?Capital? » (Paris, Maspero, 1965).
11 Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au collège de France, 1989-1992, Paris, Seuil, 2012.
12 Ibid., p. 175.
13 Sur le débat entre Poulantzas et Miliband, auquel s’ajoute en cours de route la prise de position d’Ernesto Laclau, voir par exemple Elisabeth Nash et William Rich, « The Specificity of the Political: The Poulantzas-Miliband Debate », in Economy and Society, vol. 4, n°1, 1975. Ce débat a principalement eu lieu dans les pages de la New Left Review. Le grand livre de Miliband sur l’État est L’État dans la société capitaliste, Paris, Maspero, 1982 (première édition anglaise : 1969).
14 Voir Bernard Semmel (dir.), Marxism and the Science of War, Oxford, Oxford University Press, 1981.
15 Voir à ce propos Perry Anderson, Sur le marxisme occidental, Paris, Maspero, 1977.
16 Nicos Poulantzas, Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui, Paris, Seuil, 1974.
17 Une position notamment exprimée par Mandel dans « International Capitalism and ?Supra-Nationality? », Socialist Register, vol. 4, 1967. L’opposition entre Poulantzas et Mandel structure les débats marxistes concernant la nature de la construction et de la crise européennes jusqu’à ce jour, comme en témoigne Magnus Ryner, « Financial Crisis, Orthodoxy and Heterodoxy in the Production of Knowledge about the EU », Millenium: Journal of International Studies, vol. 40, n° 3, 2012.
18 Paul Baran et Paul Sweezy, Le capitalisme monopoliste, Paris, Maspero, 1970.
19 Leo Panitch et Sam Gindin s’inspirent explicitement de Poulantzas sur ce point dans The Making of Global Capitalism. The Political Economy of American Empire, Londres, Verso, 2012.
20 Voir à ce propos Jean Pisani-Ferry, « Tim Geithner and Europe’s phone number », rapport de l’institut Bruegel, 4 novembre 2012, disponible à l’adresse : http://www.bruegel.org/nc/blog/detail/article/934-tim-geithner-and-europes-phone-number/
21 Nicos Poulantzas, Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui, op. cit., p. 71.
22 Léon Trotski, Histoire de la révolution russe, t. 1, Paris, Seuil, 1995, p. 252.
23 Voir à ce propos le constat sans appel de Jeff Goodwin, No Other Way Out. States and Revolutionary Movements, 1945-1991, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
24 Voir Stuart Hall et Alan Hunt, « Interview with Poulantzas », op. cit., p. 196. Etienne Balibar revient sur l’opposition entre l’eurocommunisme critique de Poulantzas et son « néo-léninisme » de l’époque dans « Communisme et citoyenneté : sur Nicos Poulantzas », in La proposition de l’égaliberté, Paris, PUF, 2010.
25 Voir Nicos Poulantzas, Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui, op. cit.
26 Voir Lars Lih, Lenin, Londres, Reaktion Books, 2011.
27 Sur le rapport de Foucault à Marx, voir le chapitre qu’Isabelle Garo lui consacre dans Foucault, Althusser, Deleuze & Marx, Paris, Demopolis, 2011.
28 Voir sur ce point Bob Jessop, « Pouvoir et stratégies chez Poulantzas et Foucault », in Actuel Marx, vol. 2, n° 36, 2004.