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Obligé·e·s d’aller travailler, les personnels de la protection de l’enfance dénoncent l’absence de protection et plus largement de moyens pour faire face, les éducateurs·rices devant prendre en charge la scolarité des enfants en plus du reste. Hélène, professionnelle en protection de l’enfance, revient sur les effets du confinement dans son secteur et montre comment cette situation rend visible les dysfonctionnements existants, liés en grande partie aux politiques d’austérité imposées aux services publics depuis tant d’années.

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Peux-tu revenir sur les effets du confinement en protection de l’enfance ?

Les lieux de vie dans lesquels sont confinés les jeunes sont de 2 types : les foyers de protection de l’enfance (public et privé) et des lieux « en autonomie » où ils vivent, individuellement ou en groupe (hôtel ou appart). Comme pour tous les enfants, être enfermé, c’est dur à gérer et en protection de l’enfance, bien souvent, il faut ajouter des fragilités : la plupart des jeunes ont une forme de violence en eux parce qu’ils ont vécu des choses difficiles.

Depuis le confinement, le nombre de professionnels est parfois divisé par plus que deux, entre les personnes à risque, celles qui ont peur, celles qui doivent garder leurs enfants et celles qui sont malades. Le taux d’encadrement est donc encore plus bas que d’habitude alors qu’il est déjà insuffisant. En effet, les enfants étant censés être à l’école en journée, il n’y a pas le personnel pour s’en occuper et les départements n’ont pas augmenté les moyens.

Par exemple, là où j’interviens, il y a 18 jeunes. Normalement, il y a une équipe de neuf et là on est 4. A certains endroits, il y a des recrutements d’intérimaires pour remplacer les collègues absents et beaucoup d’établissements font appel à des bénévoles, à des étudiants en travail social. Déjà qu’habituellement, on est en sous-effectif : là, c’est encore pire.

Nous sommes donc confrontés à des problèmes de violence des enfants, des fugues, une difficulté à prendre en charge les addictions, à les occuper toute la journée, sans pouvoir sortir, etc. Comment continuer à maintenir un rythme de vie « normal », cadrant et rassurant pour les jeunes, dans cette situation ?

 

Comment assurez-vous la continuité pédagogique ?

Quand 20 jeunes ont des devoirs différents du primaire au CAP, que les éducateurs·rices ont des compétences limitées et qu’on n’a pas toujours accès aux supports de cours, ce n’est pas simple.  Pour les éducateurs·rices, c’est très compliqué d’assurer la continuité pédagogique et il me semble qu’il faudrait une attention spéciale de l’Éducation Nationale pour ces enfants-là.

 

Quelles ont été les consignes pour limiter la diffusion de la maladie ?

En cas de maladie, le ministère en charge de la protection de l’enfance a mis plus de dix jours à donner des consignes : on ne savait pas si les jeunes ou les professionnels devaient porter des masques et lorsqu’on vit en collectif et que les jeunes sont dans de toutes petites chambres, c’est impossible de les laisser enfermer toute la journée s’ils doivent être confinés.

Il y a eu des débats dans les établissements : si les professionnels viennent, ils sont vecteurs de transmission, et des équipes ont choisi de porter des masques pour se protéger ainsi que les jeunes ; et dans d’autres équipes, il a été décidé de ne pas en porter car ça aurait un impact négatif sur la relation éducative, c’est anxiogène et ça met une distance avec les jeunes.

De même, il est très compliqué de respecter la distance d’un mètre. Après, bien sûr, au niveau matériel, il y a plus ou moins de masques et de gel hydroalcoolique de toute façon, suivant les lieux. Pour la nourriture, ça peut également devenir compliqué si les livraisons extérieures n’ont plus lieu, et alors ce sont aux éducateurs·rices de faire des courses, mais ça pose la question du confinement.

Globalement, ce qu’on vit au quotidien, ça exacerbe les difficultés qui existent depuis une vingtaine d’années en protection de l’enfance.

 

Peux-tu revenir sur ces difficultés depuis une vingtaine d’années ?

Comme dans l’ensemble des services publics, on déplore des baisses de moyens drastiques de l’État envers les Conseils Départementaux, qui depuis les lois de décentralisation sont responsables de la politique de protection de l’enfance, et donc l’impact financier est également catastrophique sur les établissements, et donc sur les enfants et les jeunes. Certains établissements ne sont pas aux normes, délabrés, dangereux, ou tout simplement pas accueillants pour des enfants.

On déplore également une baisse importante des moyens humains, un encadrement insuffisant. De surcroit, le personnel est de moins en moins formé. A certains endroits, des personnes sont embauchées juste parce qu’ielles ont des enfants. La qualité de la formation professionnelle initiale questionne et la formation continue s’est dégradée également.

Tous ces éléments mis bout à bout font que les collègues perdent le sens de leur mission, leur motivation et le lien avec les enfants se détériore. Et, comme à l’hôpital, les regroupements de foyers pour des raisons budgétaires font qu’il peut y avoir un directeur pour 150 enfants dispatchés sur 5 ou 6 lieux de vie – ce qui est ingérable – et la proximité éducative se perd. Alors même que le cœur de la protection de l’enfance, c’est de travailler cette proximité, pour aider le jeune à se reconstruire et être plus tard un adulte responsable et émancipé.

Le cœur de notre métier et de notre engagement c’est le lien et la relation avec les enfants et les jeunes.  Il n’y a que ce lien qui nous permettra de travailler avec eux sur leur vécu, leurs traumatismes, leurs besoins, pour leur redonner confiance et dignité. Et ça, ça prend du temps à construire, ça passe par le quotidien, par du partage, par de l’écoute et de l’échange. Or aujourd’hui, un peu comme à l’hôpital, on n’a plus ce temps, on devrait être un peu comme des guichetiers de prestations, l’humain disparait petit à petit, écrasé sous des contraintes temporelles, d’efficience, de paperasse, de budgets à bricoler pour pouvoir encore faire des choses avec les enfants.

 

Que faudrait-il mettre en place actuellement ?

Il y a en gros 350 000 enfants suivis par l’aide sociale à l’enfance.  La moitié d’entre eux sont retirés à leurs familles, pour mauvais traitements, négligences graves, etc. Parmi ceux-ci, la moitié sont placés en famille d’accueil et l’autre moitié en institution (foyers). Aujourd’hui, comme depuis longtemps d’ailleurs, ces enfants et ces jeunes devraient être une priorité collective. On le leur doit. Ces enfants sont confiés à des travailleurs sociaux et on ne peut pas attendre qu’ils explosent.

Ce qu’on veut, c’est une prise de conscience globale de la problématique des enfants maltraités et confiés. Et ensuite, le système doit être repensé pour répondre à leur intérêt et des moyens financiers doivent être dégagés pour avoir des personnels en plus grand nombre et formés ainsi que des moyens matériels pour les accueillir dans des conditions respectueuses.

 

Et en ce qui concerne les mineurs non accompagnés (MNA), peux-tu décrire la situation ?

Les mineurs non accompagnés placés sont dans la même situation que les autres. Cependant, il y a le stress supplémentaire des procédures juridiques pour leurs papiers et les sorties de dispositifs qui vont avoir lieu : que va-t-il se passer après le confinement ?  Ils savent qu’ils perdent du temps à cause du confinement et il y a le couperet des 18 ans qui va tomber, c’est l’âge où ils peuvent avoir une fin de prise en charge et se retrouver à la rue et sans rien, et ils ont peur que les pouvoirs publics ne décalent pas d’autant les procédures.

Par ailleurs, pour ceux qui ne parlent pas bien français, ce n’est pas simple de comprendre les gestes barrières, etc. Pour ceux qui sont seuls ou plusieurs dans des appartements pour apprendre l’autonomie, l’accompagnement est encore plus compliqué et en période de confinement, on ne peut pas vérifier grand-chose, s’ils sortent, s’ils invitent des amis, et on ne peut pas trop les aider pour les devoirs, par exemple. Déjà, avant la crise sanitaire, ce n’était pas toujours simple, mais le confinement renforce ces difficultés pour ceux qui vivent « en autonomie ».

Enfin, il y a ceux qui sont placés à l’hôtel, où les conditions de vie sont désastreuses et il y a tous ceux qui ne sont pas pris en charge, laissés à la rue et là ils n’ont pas tous été mis à l’abri, malgré les déclarations des pouvoirs publics, dans quelle condition et ce qui va leur arriver après.

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