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Vincent Gay revient ici en détail sur les luttes menées au début des années 1980 par les OS immigrés des usines Citroën et Talbot, respectivement à Aulnay-sous-Bois et Poissy.

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Le début des années 1980 est une période de mutations profondes, à l’échelle internationale comme en France. Les élections respectives de Ronald Reagan et Margaret Thatcher annoncent le vaste tournant politique qui est alors en train de s’opérer, qui va faire de la décennie le grand cauchemar que décrit François Cusset1 à propos du cas français. Ce grand cauchemar se caractérise entre autres par la mise à l’index des utopies soixante-huitardes, le reclassement d’une partie des élites issues de l’extrême-gauche, et plus largement par le déploiement d’un consensus entre les principales forces politiques autour de la nécessité d’un programme économique néo-libéral.

Si ce regard a posteriori est pleinement justifié, il ne saurait masquer un certain nombre de questions que des luttes sociales mettent au grand jour au début de la décennie. Parmi celles-ci, l’immigration, et plus particulièrement le devenir des populations immigrées ou héritières de l’immigration, est l’enjeu de nombreux conflits et mobilisations. Or, si la marche pour l’égalité et contre le racisme en décembre 1983 est demeurée dans les mémoires, faisant du beur de deuxième génération une figure médiatique, les grèves menées par les ouvriers immigrés de l’automobile de la région parisienne posent la question du devenir d’un salariat particulièrement dominé et exploité, dans une industrie en constante restructuration.

A partir de l’étude des conflits dans deux usines, Citroën à Aulnay-sous-Bois, et Talbot à Poissy, entre 1982 et 1984, nous étudierons comment à cette période se dessinent les enjeux quant à la place de ces travailleurs dans la société française, et de quelle manière peut-on lire, à partir des conflits du travail, les tensions qui traversent les choix gouvernementaux quant au devenir de l’immigration.

Les OS et la restructuration de l’automobile

La fin des années 1970 voit le début d’un processus de restructuration profond de l’industrie automobile au niveau international, qui tend à une spécialisation des usines et à une diminution de leur taille. Il faut alors en finir avec les grandes concentrations ouvrières où les automobiles étaient construites de A à Z. Certaines usines ferment, des rachats et fusions d’entreprise ont lieu, en particulier au sein de Peugeot qui rachète Citroën puis Chrysler France (ex-Simca).

Du coté des salariés, outre la multiplication des jours de chômage technique, on assiste à l’arrêt des embauches, puis aux premiers licenciements collectifs, à une dégradation des conditions de travail, une lutte contre l’absentéisme, bref, un durcissement des rapports sociaux au sein des entreprises. Les changements auxquels doivent faire face les salariés sont très rapides, ce qu’on peut expliquer par les choix opérés par le patronat à la fin des années 1960. Alors que l’automobile connaît une période d’expansion, les constructeurs ne procèdent pas à une modernisation de leurs installations, mais font le choix d’embaucher massivement une main-d’œuvre immigrée, ce qui va notamment permettre de repousser à plus tard la modernisation.

Dans les projets patronaux, formation et promotion des ouvriers spécialisés (OS) ne sont ni possibles ni nécessaires.En 1971, le Conseil National du Patronat Français (CNPF) publie une étude consacrée aux OS où il explique que

« s’il s’agit de main-d’œuvre étrangère comprenant mal le français, la spécialisation devra rester la règle, une main d’œuvre trop fruste ne pouvant s’y adapter [à la modernisation]. […] Un grand nombre resteront OS. La promotion et la formation ne sont applicables qu’à un nombre restreint d’OS. Beaucoup n’auront pas les capacités, ou la volonté, d’y recourir, ou les événements leur seront hostiles, ou l’usine ne pourra pas leur offrir de telles possibilités de formation et de promotion »2.

Refusant donc par avance toute possibilité de promotion dans les usines, le patronat condamne les OS immigrés à n’occuper qu’une fonction temporaire en maintenant bas salaires et conditions de travail pénibles, d’autant plus qu’opérer des changements dans l’organisation du travail juste après les grèves de 1968 pouvait constituer un risque certain pour les employeurs. Ces choix industriels contribuent à modifier fortement la sociologie des usines, particulièrement dans celles étudiées où arrivent des travailleurs issus de migrations récentes, Marocains en majorité, Turcs, Yougoslaves notamment.

La question immigrée dans les années 1970

Parallèlement aux embauches massives et à la mise au travail dans des positions très subordonnées des immigrés, l’immigration est l’objet d’une forte politisation dans les années 1970, tant à travers la place que prennent les immigrés dans les luttes sociales que du fait des mesures prises à leur encontre par les gouvernements successifs.

Différents types de luttes mettent en lumière les problèmes auxquels sont confrontés les immigrés. Il s’agit tout d’abord de luttes ouvrières, c’est-à-dire mettant en cause la condition ouvrière proprement dite, les cadences infernales, les bas salaires des OS et l’arbitraire des classifications. Ainsi, en 1972, dans l’usine Pennaroya de Lyon, une grève de trois semaines permet aux ouvriers immigrés d’obtenir des augmentations salariales, la reconnaissance de l’ancienneté, des contrôles sur les produits toxiques et la construction d’un foyer neuf3.

Quelques mois plus tard, en mars 1973, les ouvriers des presses de Renault-Billancourt obtiennent après trois semaines de grève la garantie d’un coefficient identique à tous les travailleurs, ce qui permet une progression de carrière égalitaire. Cette grève illustre par ailleurs la capacité d’auto-organisation de ces travailleurs et certaines différences avec des luttes syndicales plus classiques4.

Mais les luttes immigrées ne se cantonnent pas au lieu de travail, et la question du logement va mobiliser les énergies entre 1973 et 1979 lors de la longue grève des loyers dans les foyers SONACOTRA où sont entassés les immigrés5. Travail et logement sont donc au cœur de la condition sociale immigrée, mais les luttes se déploient également sur d’autres terrains, en particulier celui du racisme quotidien et de la xénophobie d’Etat.

Des grèves de la faim contre les expulsions en 1972 aux mobilisations de la fin de la décennie contre les lois Bonnet-Stoléru visant à limiter la présence immigrée en France, en passant par la grève contre les actes racistes déclenchée par le Mouvement des Travailleurs Arabes (MTA) en septembre 19736, ces années voient l’éclosion d’une multitude de mouvements, associations, publications, transformant l’image du travailleur immigré, qui, de catégorie sociologique passe à celle d’acteur politique dans la société française. Cette figure n’est plus seulement celle de la victime, passive et transparente, mais celle d’un groupe qui gagne en visibilité et qui percute ainsi les conceptions sur la place de l’étranger au sein de la nation.

L’autre pan de la politisation de la question immigrée se joue au sein de l’État et des gouvernements qui se succèdent dans les années 1970. Un arsenal législatif est adopté tout au long de la décennie, en même temps que la haute fonction publique produit un nouveau discours sur l’immigration7. Discours étatique et législation visent dans une certaine mesure à répondre à la diffusion d’un sentiment antiraciste lié aux mobilisations des immigrés et de leurs soutiens, d’où l’adoption de la loi contre le racisme en 1972.

Mais surtout, les mesures se succèdent pour limiter les flux migratoires et afficher un contrôle de l’immigration par l’État. Dès 1972 les circulaires Marcellin-Fontanet conditionnent l’attribution de cartes de séjour à la possession de contrats de travail d’un an et d’un logement décent, ce qui provoque la grève de la faim d’immigrés menacés d’expulsion. En 1974, l’immigration de travail est suspendue provisoirement, puis durablement, tout comme, pendant une courte période, l’immigration familiale.

La décennie voit également s’accentuer les différenciations entre migrants puisque si la construction européenne autorise la libre circulation au sein de la CEE, ce sont les migrations issues des anciennes colonies qui connaissent le plus de restrictions. Ces restrictions s’accentuent à la fin de la décennie, lorsque, face à la croissance du chômage qui dépasse un million de personnes en 1976, le gouvernement cherche à remplacer les travailleurs immigrés par des travailleurs français dans certains secteurs industriels, faisant la promotion d’un travail manuel qui ne serait pas destiné aux étrangers.

Les aides au retour de 10 000 francs instaurées en 1977 par Lionel Stoléru, secrétaire d’Etat en charge des travailleurs immigrés et des travailleurs manuels, puis les lois Bonnet-Stoléru de 1979-80 visant à limiter le renouvellement des titres de séjour et à faciliter les expulsions sont l’objet de vives critiques de la gauche politique, des syndicats et des associations immigrées.

Si ce durcissement des politiques d’immigration reste le trait marquant de la décennie, en particulier dans sa seconde moitié, on assiste cependant dans le même temps à l’ouverture de nouveaux droits pour les travailleurs immigrés dans les entreprises : droit d’éligibilité aux comités d’entreprise en 1972, mais conditionné à la maîtrise du français oral et écrit ; suppression de l’obligation de maîtrise de l’écrit du français en 1975 et droit d’occuper des responsabilités syndicales ; cependant des discriminations subsistent qui différencient étrangers européens et non européens.

Citroën et Talbot, les usines de la peur8

Aussi important soit-il, le cadre législatif a des effets différenciés selon les entreprises. Celles-ci peuvent constituer des systèmes sociaux particuliers, qui renvoient tant à leurs caractéristiques sociologiques propres qu’à leurs histoires respectives. Les usines Citroën et Simca-Talbot9 représentent des caractéristiques atypiques, mais d’une certaine façon se rapprochent d’un idéal-type de mise au travail d’une main-d’œuvre immigrée dans une entreprise fordiste. Ce qui distingue ces usines du reste de l’industrie automobile, c’est la place qu’occupe le syndicalisme indépendant dans le système de relations sociales.

Peu connu, aujourd’hui quasiment disparu, ce syndicalisme bien particulier est né au lendemain de la deuxième guerre mondiale de différents réseaux de droite et d’extrême-droite collaborationniste. Sous le nom de Confédération Française du Travail (CFT) puis Confédération des Syndicats Libres (CSL), il s’implante durablement d’abord à l’usine de Poissy (Simca) dès les années 195010, puis dans les usines Citroën après 1968.

La CFT est un outil d’élimination rapide de la CGT à la fin des années 1950 à Simca, mais au-delà, elle participe à une forme très poussée de paternalisme coercitif qui repose sur deux piliers, la direction de l’entreprise et le syndicat indépendant11. Par un quadrillage permanent de l’entreprise, la CFT-CSL gère de fait les ressources humaines, attribuant primes, avantages, cadeaux, mais aussi sanctions et punitions, selon le degré d’allégeance dont font preuve les salariés. Ainsi, plusieurs centaines de collecteurs, conseillers d’ateliers, agents de secteurs, interprètes sont rémunérés uniquement pour entretenir le système, veiller sur les salariés et les surveiller, dans l’usine comme en dehors. Le syndicalisme indépendant constitue donc une véritable hiérarchie parallèle.

Pour les immigrés qui arrivent, souvent recrutés collectivement dans leurs pays d’origine, la carte du syndicat indépendant, désignée comme « la petite carte de la tranquillité » est distribuée lors de l’embauche avec les autres papiers, et l’argent de la cotisation est déduit de la première somme versée par l’entreprise. Les collecteurs du syndicat harcèlent bien souvent les salariés pour les faire adhérer. Ceux qui refusent sont souvent ostracisés et voient leurs carrières bloquées. Quant à adhérer à un autre syndicat, c’est quasiment impossible, sauf à être élu délégué du personnel ce qui assure une protection légale, mais n’est pas possible avant 1972 pour les immigrés.

La CGT se construit donc clandestinement dans ces usines, ses membres ne se connaissent pas ou peu les uns les autres, et les violences et sanctions dont ils sont victimes les découragent bien souvent. Pendant de nombreuses années, ce système n’est pas contesté, du fait bien sûr de la répression syndicale, mais aussi à cause des bénéfices qu’il apporte aux salariés, en particulier les Français qui font de longues carrières dans ces usines. Les OS immigrés d’un coté, les Français syndicalistes de l’autre bénéficient beaucoup moins de ces avantages, ce qui va, un temps au moins, faciliter la rencontre et une compréhension commune des systèmes sociaux de ces usines.

Ces systèmes sociaux, particulièrement au moment où la hausse de la production nécessite des embauches massives, ne pourraient fonctionner aussi bien sans l’utilisation de la main-d’œuvre immigrée. Représentant entre 50 et 75 % des salariés des usines Citroën et Talbot en région parisienne12, et bien plus dans certains ateliers, les immigrés sont dès leur embauche placés dans une situation extrêmement subordonnée, inscrits dans un destin « d’OS à vie ».

La différenciation professionnelle au cœur de cet enfermement dans la condition d’OS est en effet redoublée par une différenciation ethnique. Si dès l’embauche la majorité des immigrées est affectée aux tâches subalternes les plus dures et les moins bien rémunérées, les discriminations qu’ils subissent augmentent au cours de la carrière, notamment du fait de l’inégale répartition des formations internes dont les trois quarts sont destinés aux ouvriers qualifiés, le plus souvent français. Les formations destinées aux OS sont limitées à certaines tâches et ne visent pas l’acquisition de compétences permettant de faire évoluer sa carrière.

On a là des effets cumulés qui renforcent l’assignation ethnicisée à certains postes, d’autant plus que la composition de l’encadrement renforce le dualisme ethnique13.

Le printemps des OS immigrés

Les années 1970 aux usines Citroën et Simca-Talbot sont marquées par un calme apparent. Nulle contestation visible ne semble entraver le dynamisme industriel des deux constructeurs, et les velléités de révoltes sont tuées dans l’œuf. Pourtant, les débuts de la crise que connaît le secteur automobile à la fin de la décennie et la difficulté pour les entreprises à assurer un niveau de redistribution suffisant pour légitimer leur système changent le climat.

Par ailleurs, l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 et les projets de droits nouveaux pour les salariés (lois Auroux) modifient l’état d’esprit des salariés et des syndicalistes, ce qui se manifeste dès le début de l’année 1982 par la présentation d’une trentaine de personnes sur une liste de la CGT à Aulnay, et une progression de ce même syndicat à Poissy (30,5 %), ce qui est complètement inédit dans des usines où la CGT n’avait pas le droit de cité.

Cependant ce qui va se passer à partir de la fin avril est largement inattendu. A Citroën-Aulnay d’abord où, le 22 avril, l’équipe du soir décide de débrayer, alors qu’il n’y a pas eu d’appel syndical à la grève. La grève s’élargit et la production est complètement arrêtée à partir du 26 avril. Le mouvement va durer cinq semaines, entrainant dans le mouvement les usines de Levallois, Asnières et Saint-Ouen.

Cinq semaines d’occupation des parkings de l’usine, de manifestations en Seine-Saint-Denis ou à Paris, de contre-manifestations de la direction Citroën…. qui se terminent par une victoire éclatante des ouvriers et la nomination d’un médiateur, Jean-Jacques Dupeyroux, professeur de droit et fondateur de la revue Droit Social, dont les recommandations doivent mettre fin au système Citroën. La reprise du travail le 1er juin est suivie par le début de la grève à l’usine de Poissy dès le lendemain, la première depuis 28 ans, avec occupation du principal atelier et batailles rangées dans l’usine où pour la première fois les salariés répliquent physiquement à la hiérarchie et au syndicat indépendant et prennent le dessus. Le même médiateur qu’à Citroën soumet des propositions, qui mettent fin au conflit et permettent la reprise du travail le 5 juillet.

Compte tenu de l’affaiblissement de la conflictualité sociale dans cette période, ces grèves constituent un phénomène relativement exceptionnel14 tant par leur durée que par le fait qu’elles s’étendent à différentes usines d’un groupe, puis se propagent d’une marque à une autre, de Citroën à Talbot15.

Mais ce sont également les questions portées par les grévistes et les discours qu’ils construisent alors qui constituent leur caractère exceptionnel. Particulièrement à l’usine d’Aulnay-sous-Bois où ils occupent les parkings, les OS immigrés font de ces cinq semaines de grève un moment de libération d’une parole longtemps muselée, et témoignent, auprès des journalistes ou dans le mégaphone de la CGT, de ce qu’ils ont vécu jusqu’ici.

Au-delà des revendications syndicales (salaires, évolutions de carrière, conditions de travail, libertés syndicales, revendications spécifiques aux travailleurs immigrés), la question de la dignité est omniprésente dans les paroles des OS, qui renvoie tant à la dignité en tant que salariés vis-à-vis de l’entreprise, qu’en tant qu’immigrés vis-à-vis de la France. Le Manifeste des OS d’Aulnay, rédigé par des syndicalistes CGT sur la base de ces témoignages synthétise cette aspiration à mettre fin à un système identifié comme tel, et à entrer dans le droit commun :

Manifeste des OS de Citroën-Aulnay (extraits)

Nous sommes OS à l’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois. Nous y subissons depuis des années le poids d’une véritable chape de plomb.

L’usine d’Aulnay, c’est l’usine de la peur. […]

Aujourd’hui, forts de notre grève, nous proclamons :

Le système de répression Citroën : c’est fini.

La terreur : c’est fini.

Les barrières entre travailleurs : c’est fini.

-Fini le quadrillage de l’usine par les mouchards pour mieux réprimer les travailleurs, et pour faire passer la politique de la direction ;

-Fini la hiérarchie parallèle, doublant la maîtrise et les techniciens (affectation à des postes productifs) ;

-Fini les agents de secteurs qui balancent avertissements et lettres à domicile, sans motifs valables ;

-Fini les cadeaux au « chef-interprète », fini le pastis au chef… pour obtenir ainsi : une promotion, un congé pour enfant malade, etc. ;

-Fini les insultes racistes ;

-fini la médecine maison, les pressions par les agents de secteurs, pour reprise du travail avant guérison – ou pour décider à la place de la médecine du Travail de la gravité d’un accident, ou pour nous garder plusieurs jours à l’infirmerie.

Nous ne supporterons plus d’être traités en esclaves.

Nous voulons tout simplement avoir les mêmes droits que tous les travailleurs :

-le respect de la dignité ;

-la liberté de parler avec qui nous voulons ;

-de prendre la carte du syndicat de notre choix ;

-de voter librement.

Nous voulons

-choisir l’interprète de notre choix […] ;

-qu’on nous reconnaissance le droit de pensée et de religion différentes […] ;

-des élections libres […] ;

-voter comme tous les autres travailleurs de ce pays […]

Chez Citroën, la liberté et les droits de l’homme doivent triompher.

Alors que pour certains historiens, la décennie d’insubordination ouvrière s’est close en 197916, les OS immigrés prolongent donc d’une certaine façon le cycle des luttes ouvrières qui a suivi mai 68, dans un contexte cependant très différent. Par ailleurs, il ne s’agit pas là d’un brusque éclat, aussi violent que soudain, mais bien d’une mise en mouvement durable.

Si on ne doit pas négliger le rôle des syndicalistes français, le plus souvent ouvriers professionnels, dans les usines ou à l’extérieur, le fait exceptionnel et nouveau, c’est que le régime de subordination des OS immigrés n’a pas produit une apathie mais bien au contraire une révolte latente qui surgit brusquement au printemps 1982 et continue à s’exprimer dans les mois suivants. Alors qu’ils sont cantonnés à une position dominée dans le travail, leur participation aux grèves, puis leur intégration dans les équipes syndicales modifient leur position, les faisant accéder à un statut d’acteurs politiques, de sujets capables de prendre leurs affaires en mains. Deux faits attestent particulièrement de ce phénomène.

Se syndiquer et devenir un délégué de chaîne

En quelques jours, la CGT de Talbot-Poissy devient le plus gros syndicat d’entreprise d’Ile-de-France (environ 4000 adhésions), et dans les usines Citroën, le taux de syndicalisation est de même importance ; 1500 adhésions à la CGT et 350 à la CFDT à Aulnay sont réalisées pendant la grève.

Mais cela pose la question du décalage entre cette syndicalisation massive et rapide, et la structurelle institutionnelle de représentation des salariés qui ne correspond plus aux nouveaux rapports de force. La réponse pragmatique choisie par les ouvriers et les syndicats est de créer une structure d’organisation à coté des formes classiques de représentation : les délégués de chaîne, à propos desquels France Soir parle de soviétisation de la chaîne. Chaque chaîne de montage désigne des délégués chargés de la représenter et de régler rapidement les problèmes qui se posent aux ouvriers, notamment dans leurs relations avec les contremaîtres.

Symboles des changements de position et d’attitude vis-à-vis de la hiérarchie, les délégués de chaîne sont aussi une forme de médiation entre OS et maîtrise, limitant autant que faire se peut les réactions violentes et les actes vengeurs contre les contremaîtres. Surtout, cette nouvelle situation constitue pour les directions un sapement de l’ordre interne, non seulement parce qu’elle ronge l’influence de la CSL mais aussi parce qu’elle institue un auto-pouvoir en dehors des canaux institutionnels dont elle maîtrise les codes.

Là est peut-être la plus grande violence du point de vue patronal, ce qu’exprime ainsi un conseiller des cadres de Talbot : « la tentative de création de délégués de chaînes est une invention diabolique révolutionnaire. Elle est un acte de violence pseudo-juridique destiné à accentuer le phénomène de terreur par son caractère unilatéral, comme si le droit social n’existait pas, et surtout comme si Peugeot n’existait plus. »

Produire sans patron

Alors que les idéaux autogestionnaires cristallisés autour de LIP se sont en ce début des années 1980 peu à peu évanouis, une expérience inédite, mais cependant très furtive, voit le jour dans l’usine de Poissy et met en lumière le contre-pouvoir initié par les OS immigrés. Face aux baisses de production du début de l’année 1983, la direction de l’usine Talbot décide de recourir au chômage technique.

Pour les équipes syndicales, la grève ne semble pas être le moyen le plus efficace pour résister. Leur perspective est de montrer qu’il est toujours possible de produire, et que les ouvriers ont toutes les capacités de le faire, si besoin sans l’aval de leur hiérarchie, à un moment où la modernisation de l’usine et l’arrivée des robots menace de chômage les ouvriers sans formation. Ainsi, pendant plusieurs jours, les délégués de chaîne, les militants, les simples ouvriers décident de faire tourner l’usine sans patron. Ils remettent en route la production et réalisent toutes les opérations nécessaires à la fabrication des voitures.

L’objectif n’est pas tant de s’approprier la production sur un mode autogestionnaire et pour une longue durée, que de faire une démonstration politique : démonstration d’un savoir-faire ouvrier, démonstration d’une prise en charge collective de son sort, et démonstration de la possibilité de produire quand la direction de l’entreprise souhaite ralentir cette production. Plusieurs centaines de voitures sont ainsi produites par les ouvriers, permettant une alliance conjoncturelle avec d’autres secteurs professionnels, chefs d’équipes et ingénieurs, et illustrant un certain attachement à l’usine en tant que lieu de travail et source d’emploi. Réponse pragmatique à une situation donnée, cette remise en route de la production sous contrôle ouvrier vise aussi à réfuter le discours patronal selon lequel c’est la mobilisation des ouvriers qui cause la ruine de l’entreprise.

On retrouve ici certaines des caractéristiques des grèves productives des années 1970 : partage des savoirs-faire, appropriation des lieux et des outils, émulation et fierté collective. C’est donc un nouveau rapport à la production qui se dessine pendant quelques jours, rendu possible par les nouvelles positions symboliques conquises par les luttes des mois précédents, grâce auxquelles les ouvriers immigrés peuvent sortir partiellement de leur position subordonnée et réinvestir ce changement de position dans leur rapport au travail.

La gauche de gouvernement et l’immigration

Les événements qui secouent Talbot et Citroën, mais aussi dans une moindre mesure d’autres usines automobiles, sont concomitants à des redéfinitions des orientations gouvernementales quant aux politiques d’immigration. Lors des conflits de 1982, qui se déroulaient au moment des négociations sur les droits nouveaux des salariés (lois Auroux), les OS immigrés avaient pu compter sur le soutien des partis de gouvernement.

En 1983 d’une part s’amorce une nouvelle réflexion sur l’immigration, d’autre part de nouvelles attitudes vis-à-vis des travailleurs immigrés se font jour. Le gouvernement d’union de la gauche tire en effet un premier bilan de sa politique d’immigration. Celle-ci est tiraillée entre des logiques contradictoires, en particulier celle du ministre de l’Intérieur et celle du secrétariat d’État aux immigrés. De plus des sondages indiquent que c’est sur cette question-là que le gouvernement est l’objet des plus vives critiques de la part de son électorat. Enfin, les premiers succès électoraux du Front National lors des élections municipales de mars 1983 semblent valider l’hypothèse d’une France de plus en plus raciste.

Ces différents éléments conduisent le gouvernement à réorienter sa politique d’immigration, et Georgina Dufoix, nommée secrétaire d’État à la Famille, à la Population et aux Travailleurs immigrés en mars 1983, synthétise ces nouvelles orientations en août de la même année. Il s’agit à la fois de faire face aux risques d’augmentation de la population immigrée, de rassurer les Français inquiets, sans pour autant susciter l’ire des immigrés et leurs soutiens, autrement dit, selon les termes de la secrétaire d’État :

« équilibrer départs et arrivées et parvenir à un excédent des départs sur les arrivées ; assurer la reconnaissance, en contrepartie de mesures restrictives, de la présence durable, et le plus souvent définitive, des communautés d’origine étrangère, cela afin d’apaiser l’inquiétude des communautés et d’inciter l’opinion française à accepter leur insertion ».

Mais cette position d’équilibre visant à répondre aux attentes contradictoires censées traverser la société française peut aussi être éclairée par l’émergence de la question de l’Islam dans l’espace public. Or cette question est étroitement corrélée aux grèves des travailleurs immigrés de l’automobile. Si humoristes et dessinateurs de la presse de droite construisent l’image de l’ouvrier immigré-musulman-gréviste, ce sont surtout des déclarations de plusieurs ministres qui donnent crédit à une telle construction.

Pierre Mauroy, Premier ministre, et Gaston Deferre, expliquent ainsi les grèves par la présence d’intégristes parmi les ouvriers ; Jean Auroux, ministre du Travail, multiplie les propos à ce sujet :

« S’il est prouvé que des influences extérieures d’inspiration religieuse ou politique ont pesé sur le comportement des immigrés en grève […] alors le gouvernement prendra ses responsabilités et en premier lieu le ministère du travail. Nous ne tolérerons pas que ces attitudes compromettent la réussite des entreprises en agissant contre l’intérêt national »17.

« Il y a, à l’évidence une donnée religieuse et intégriste dans les conflits que nous avons rencontrés, ce qui leur donne une tournure qui n’est pas exclusivement syndicale »18.

« Lorsque des ouvriers prêtent serment sur le Coran dans un mouvement syndical, il y a des données qui sont extra-syndicales […] Un certain nombre de gens sont intéressés à la déstabilisation politique ou sociale de notre pays parce que nous représentons trop de choses en matière de liberté et de pluralisme »19.

Après le soutien des partis d’union de la gauche lors des grèves de 1982, le changement d’état d’esprit au sein du gouvernement est patent, ce qui ne peut qu’avoir des conséquences lors des événements ultérieurs.

Face aux licenciements

Arguant de sa mauvaise santé financière et de la baisse de ses ventes, le groupe Peugeot souhaite procéder à un vaste plan de suppressions d’emplois et ainsi opérer une restructuration de ses usines. En juillet 1983, il annonce ce plan qui menace 4140 emplois à Talbot, 4000 pour la marque Peugeot et 4500 pour Citroën. L’usine de Poissy est particulièrement concernée puisque, outre les préretraites, 2905 licenciements sont prévus, qui doivent toucher essentiellement les ouvriers sur chaîne, immigrés pour la plupart.

Premiers concernés, les ouvriers de Talbot se mobilisent dès l’été puis entament une grève avec occupation de l’usine le 7 décembre 1983. Des négociations entre le groupe Peugeot et le gouvernement aboutissent à baisser le nombre de licenciements à 1905 et à enrichir le plan social de nouvelles clauses. Si le début du mouvement avait montré une forte unité parmi les salariés et une mise entre parenthèses des divisions syndicales entre la CGT et la CFDT, les nouvelles propositions de la direction de l’entreprise créent le trouble.

Alors que le gouvernement semble se satisfaire de ces décisions, la fédération de la métallurgie CGT parle d’une « première avancée constructive », tandis que la section CGT de l’usine appelle à poursuivre le conflit pour l’ouverture de négociations. L’ambivalence de la position de la CGT mine la confiance des ouvriers, et lorsqu’arrivent les lettres de licenciement, se confirme le caractère ethnicisé des suppressions d’emplois, puisque parmi les licenciés 80 % sont étrangers et parmi les 20 % restant, une majorité est originaire des DOM-TOM. Les licenciements touchent également fortement les équipes syndicales, cinquante délégués de chaînes CGT et quinze de la CFDT étant licenciés.

Si le conflit se poursuit tout au long du mois de décembre, la désunion syndicale est de plus en plus forte, le nombre d’occupants de l’usine de moins en moins important, et la fin du conflit est particulièrement violente. Entre le 3 et le 5 janvier 1984, les grévistes sont attaqués par les militants de la CSL, secondés par un groupuscule d’extrême-droite20, mais aussi par d’autres travailleurs non syndiqués. La violence physique de ces affrontements, qui font plusieurs blessés, obligent les syndicats à faire appel aux forces de l’ordre pour évacuer les grévistes qui sortent sous les huées, les cris et les slogans « les Arabes au four », « les Noirs à la mer ».

Quelques mois plus tard, Citroën connait un scénario semblable, moins violent cependant. Face aux licenciements, des grèves et des occupations d’usines ont lieu à Aulnay, Levallois, Nanterre et Asnières en mai 1984, et le gouvernement semble refuser dans un premier temps les 2417 licenciements demandés par Citroën. Mais pendant l’été, il donne son aval à 1909 licenciements, contre des modifications partielles du plan social. Les tentatives syndicales pour relancer la lutte contre les licenciements à la rentrée restent vaines. Comme à Poissy, une large majorité des licenciés sont immigrés, et parmi eux, beaucoup sont syndiqués à la CGT.

Si l’émoi est fort au sein des usines, au gouvernement, ce n’est pas nécessairement le pessimisme qui règne, certains conseillers voyant dans le cas de Talbot « un point de référence pour les conversions industrielles à venir ». Les événements que constituent ces licenciements et ces grèves sont une occasion pour le gouvernement de légitimer un nouvel axe de sa politique d’immigration, ou plutôt la remise au goût du jour d’une mesure instaurée par le gouvernement de droite précédent, à savoir les aides au retour.

Rebaptisée aide à la réinsertion, ce « terme-alibi acceptable par tous »21, l’aide au retour est intégrée à la nouvelle loi sur l’immigration adoptée le 17 juillet 1984 et votée par tous les groupes parlementaires. Pour ne pas reproduire cependant la politique du gouvernement précédent, le gouvernement de gauche souhaite inscrire les aides à la réinsertion dans une politique de coopération avec les pays d’émigration, mais peu de pays répondent favorablement à un retour massif de leurs ressortissants. L’aide à la réinsertion prend alors plus une dimension symbolique, à la fois à destination des Français supposés désirer un renvoi d’une partie des immigrés dans leur pays d’origine, et à destination des immigrés eux-mêmes, comme un « rappel de leur vérité essentielle et, au fond, une invite à partir »22.

Conclusion

Faire l’histoire des conflits dans les usines Citroën et Talbot entre 1982 et 1984 permet donc de poser la question du devenir des travailleurs immigrés dans une période de profonds changements, tant politiques qu’économiques et industriels. Il ne s’agit pas de dire que ces événements provoquent un brusque virage de la situation politique et sociale. Mais en eux se concentrent différents phénomènes qui se conjuguent dans la France du début des années 1980.

Transformations de l’appareil productif et introduction de nouvelles organisations du travail, chômage de plus en plus menaçant, décollectivisation de la société et « effritement de la condition salariale »23 dans le sens qu’en donne Robert Castel, menacent la stabilité des collectifs de travail. Phénomènes également politiques, avec l’émergence du Front National et l’adaptation du Parti Socialiste au monde tel qu’il est, symbolisé par le tournant de la rigueur en 1983. Et bien entendu, comme on l’a déjà évoqué, modifications qui touchent l’immigration, tant du point de vue des politiques menées que des représentations qui se forgent alors.

On peut donc souligner deux phénomènes concomitants et fortement corrélés. D’une part, l’occultation progressive de la figure du travailleur immigré, prélude à l’effacement de la figure de l’ouvrier, ou de la classe ouvrière, en tant que groupe mobilisé. D’autre part la réactivation du clivage national/racial. En 1995, Jacques Rancière notait qu’« il y a vingt ans, nous n’avions pas beaucoup moins d’immigrés. Mais ils portaient un autre nom : ils s’appelaient travailleurs immigrés, ou simplement ouvriers. L’immigré d’aujourd’hui, c’est d’abord un ouvrier qui a perdu son second nom, qui a perdu la forme politique de son identité et de son altérité, la forme d’une subjectivation politique du compte des incomptés. Il ne lui reste alors qu’une identité sociologique, laquelle bascule alors dans la nudité anthropologique d’une race ou d’une peau différentes »24. Les discours publics sur l’immigration, les réactions gouvernementales à partir de 1983 participent de la modification des perceptions du monde social.

Les lectures classistes de la société perdent de leur vigueur pour une série de raisons au cours des années 1980 et touchent en premier lieu les ouvriers immigrés. Si ceux-ci ne peuvent être désignés par une approche classiste, et ne peuvent donc se reconnaître collectivement ainsi, d’autres modes de représentation doivent émerger qui ignorent la question du travail et la place des immigrés dans les rapports de production ; d’autres dimensions, d’autres modes d’assignation identitaire s’imposent alors, ouvrant la voie à une approche culturaliste, à laquelle participe la référence au religieux sans pour autant s’y réduire.

Le clivage national/ étranger, s’il n’a bien entendu jamais disparu, se réactualise à partir des événements qui touchent le monde du travail, le racisme devenant « un facteur déterminant du consensus qui relativise les clivages de classes »25.

La circulation des phénomènes dans les usines et dans le champ politique permet de montrer comment à un moment de profondes restructurations industrielles, un consensus peut naître tant au sein des entreprises que parmi la gauche gouvernementale, qui s’accorde là avec la droite, quant au caractère surnuméraire des travailleurs immigrés. Cependant les grèves de 1982 montrent que d’autres trajectoires collectives sont possibles pour ces derniers, fut-ce furtivement, durant un moment où l’apprentissage et la conscience d’un soi collectif révèlent des capacités insoupçonnées sans doute par les acteurs eux-mêmes.

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1 François Cusset, La décennie : Le grand cauchemar des années 1980, Paris, La Découverte Poche, 2008, 371 p.
2 CNPF, Groupe d’Etudes Patronales, Le problème des OS, 1971.
3 Laure Pitti, « « Travailleurs de France, voilà notre nom » : les mobilisations des ouvriers étrangers dans les usines et les foyers durant les années 1970 », in Ahmed Boubeker, Abdellali Hajjat, Histoire politique des immigrations (post)coloniales : France, 1920-2008, Paris, Editions Amsterdam, 2008, p. 95-111.
4 Laure Pitti, « Grèves ouvrières versus luttes de l’immigration : une controverse entre historiens », Ethnologie française, 2001/2, Tome XXXVII, p. 465-476.
5 Choukri Hmed, « « Sonacotra cédera ! » La construction collective d’une identité collective à l’occasion de la grève des loyers dans les foyers de travailleurs migrants (1973-1981) », Agone. Histoire, politique et sociologie, Agone, n°40, 2008, Marseille, p. 81-94.
6 Abdellali Hajjat, « Des comités Palestine au mouvement des travailleurs arabes (1970-1976) », in Ahmed Boubeker, Abdellali Hajjat, Histoire politique des immigrations (post)coloniales : France, 1920-2008, op. Cit. p. 145-156.
7 Sylvain Laurens, Une politisation feutrée : les hauts fonctionnaires et l’immigration en France, Belin, Paris, 2009, 352 p.
8 La reprise de cette dénomination par de nombreux syndicalistes de Citroën fait référence au livre de Daniel Bouvet et Jean-Paul Desgoutte, L’usine de la peur, Paris, Stock, 1975.
9 La principale usine de la marque Simca, celle que nous évoquons, est située à Poissy dans les Yvelines. Suite à des rachats, elle a changé plusieurs fois de nom pendant les années 1960-70 : Simca, puis Chrysler-France en 1970 puis Talbot en 1978, marque appartenant au groupe Peugeot. Citroën qui ne change pas de nom est également rachetée par Peugeot en 1975. Voir Jean-Louis Loubet et Nicolas Hatzfeld, Les sept vies de Poissy : une aventure industrielle, Paris, ETAI, 2001, 357 p.
10 Jean-Louis Loubet et Nicolas Hatzfeld, « Poissy : de la CGT à la CFT : Histoire d’une usine atypique », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2002/1 n° 73, p. 67-81.
11 Pour une histoire « compréhensive » du syndicalisme indépendant depuis ses origines, voir Didier Favre, Ni rouges ni jaunes : de la CGSI à la CSL, l’expérience du syndicalisme indépendant, Paris, Éditions Midi moins le Quart, 1998, 299 p. Pour un point de vue plus critique, voir les enquêtes de la CGT menées par Marcel Caille, Les Truands du patronat, Paris, Éditions Sociales, 1977, 305 p. et L’assassin était chez Citroën, Paris, Éditions Sociales, 1978, 255 p.
12 On retrouve les mêmes caractéristiques sociologiques dans d’autres usines automobiles de la région parisienne, notamment à Renault-Flins, et à Billancourt dans une moindre mesure, alors que les usines de province font moins appel à l’immigration (Peugeot à Sochaux- Montbéliard), voire pas du tout (Citroën à Rennes).
13 En 1982, alors que les immigrés sont très largement majoritaires sur les chaînes de l’usine de Poissy, sur 467 agents de maîtrise, on ne compte que 11 étrangers parmi lesquels 9 Européens.
14 Phénomène qu’il faut inscrire dans le cycle de grèves que connaît le secteur automobile à partir de mai 1981.
15 Si Citroën et Talbot appartiennent toutes deux au groupe Peugeot, elles bénéficient d’une large autonomie de fonctionnement et d’histoires sociales propres.
16 Xavier Vigna, L’insubordination ouvrière dans les années 68 : essai d’histoire politique des usines, Rennes, PUR, 2007, 378 p.
17 Paris-Match, 2 février 1983.
18 L’Alsace, 10 février 1983.
19 France-Inter, 10 février 1983. Précisons qu’en février 1983 l’usine d’Aulnay connaît un conflit très violent, avec menaces de licenciements des principaux militants marocains de la CGT, et qu’une grève a lieu à l’usine de Flins, usine où la proportion d’ouvriers immigrés est aussi très forte.
20 Il s’agit du Parti des Forces Nouvelles (PFN), concurrent à l’époque du Front National.
21 Abdelmalek Sayad, « Le retour, élément constitutif de la condition de l’immigré », in L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, tome 1 : L’illusion du provisoire, Paris, Ed. Raisons d’agir, p. 179.
22 Idem.
23 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, Gallimard, 2002 [1ère ed. 1995], p. 621.
24 Jacques Rancière, La Mésentente, Paris, Galilée, 1995, p. 161.
25 Etienne Balibar, « Racisme et crise », in Race, nation, classe : les identités ambiguës, Paris, La Découverte, 1997 [1ère ed. 1988], p. 293.