Lire hors-ligne :

Alors que des élections auront lieu en Allemagne à l’automne, et que l’extrême droite (l’AFD, Alternative für Deutschland) s’établit, pour la première fois depuis 1945, comme une force significative dans le champ politique outre-Rhin, il vaut la peine de s’interroger sur la gauche allemande et, en particulier sur la trajectoire, les échecs et les défis de Die Linke dans les années à venir. C’est ce qu’a fait Selim Nadi en posant quelques questions à Loren Balhorn. 

Loren Balhorn est un militant anticapitaliste vivant à Berlin depuis de nombreuses années et actif dans les milieux de la gauche radicale allemande. Il est originaire du midwest des États-Unis, où il fut membre de l’International Socialist Organization (ISO). On pourra lire par ailleurs son article sur la politique antiraciste du Parti Communiste des États-Unis dans les années 1930 sur le site de la revue Période

 

Dans un article pour Revolutionary socialism in the 21st century[1], tu écris que l’AfD (Alternative für Deutschland) a remplacé Die Linke comme parti de protestation principal aux yeux des classes ouvrière et moyenne. Comment expliquer cela?

Ce que j’entends par là, c’est que dans les dernières élections régionales, de larges groupes (qui n’étaient en aucun cas majoritaires, mais de l’ordre de 10 à 25%) de syndicalistes et, plus largement, de membres de la classe ouvrière, ont voté pour l’AfD, citant comme raisons principales pour ce vote une insatisfaction politique générale et, secondo, l’immigration.

Bien que les résultats de Die Linke varient de Land à Land et que certaines régions soient plus prometteuses que d’autres, le parti semble perdre du terrain dans certaines sections de la classe ouvrière et, plus généralement, auprès des électeurs insatisfaits, particulièrement dans des régions moins urbaines et économiquement marginalisées. Ce processus n’est pas une fatalité et il reste à voir dans quelle mesure l’AfD peut reproduire le succès de ses homologues européens (l’Allemagne n’est pas, du moins pas encore, la France ou la Hongrie), mais je pense qu’on peut dire que l’âge d’or de 2004 à 2010, lorsque Die Linke représentait l’opposition principale au parlement et parvenait à attirer les franges politiquement marginalisées par défaut, est arrivé à son terme.

À l’époque de sa création, Die Linke pouvait s’appuyer sur la politisation découlant des mouvements anti-guerre et anti-agenda2010, exploitant une tendance de gauche dans la société et en la transformant en une série de victoires électorales. Sept ans plus tard, l’économie s’est stabilisée sous Merkel, les électeurs observent que les conditions sont bien pires que les leurs dans les pays de l’Union Européenne qui les entourent et, entre-temps, Die Linke a fait son entrée dans certains parlements régionaux, dans lesquels ils n’ont pas vraiment apporté la preuve d’une différence qualitative ou d’une cohérence stratégique vis-à-vis de l’establishment politique. À mes yeux, il n’est donc pas surprenant que nous baissions dans les urnes et que nous n’attirions que peu de votes de protestation.

L’instabilité politique introduite par l’AfD dans la politique allemande, et le danger réel que représente le développement d’une base organisée d’extrême-droite dans la classe ouvrière allemande signifie que Die Linke ne peut se permettre de compter sur les circonstances et des relations publiques stratégiques pour construire sa base politique, mais qu’il faut plutôt penser plus sérieusement à ce que signifie représenter les opprimés et les exploités non seulement au parlement, mais aussi sur le terrain politique et plus généralement dans la vie publique. C’est, pour être tout à fait honnête, un défi immense auquel beaucoup de membres du parti ne pensent pas assez.

 

Comment la gauche allemande peut-elle mobiliser contre la montée de l’AfD ? Est-ce que Die Linke est capable d’offrir une vraie alternative politique ? Au-delà des manifestations dans la rue, y a-t-il une vraie réflexion politique sur la stratégie antiraciste dans la gauche allemande ?

Il s’agit là à l’évidence de la question à un million d’euros pour la gauche allemande actuellement et je ne pense pas pouvoir réellement te donner une réponse satisfaisante. L’essentiel de mon expérience pratique quant à l’organisation antiraciste date de mes années d’études aux États-Unis, donc quand je regarde la situation allemande je la perçois toujours à travers ce prisme bien particulier. Mais je pense qu’il y a un certain nombre de problèmes sur lesquels travailler :

Premièrement, la gauche allemande est divisée quant à la question de savoir quel est, exactement, le problème. Pour une grande partie de la gauche radicale, l’Allemagne est une société raciste bien particulière qui, par sa nature teutonique, rejette et menace tous les Autres. De façon analogue aux anarcho-libéraux américains qui rejettent la faute de la victoire présidentielle de Trump exclusivement sur les blancs racistes, ce type de récit confère un confort moral aux radicaux passionnés, mais ne se base hélas pas sur la réalité et n’est donc pas très utile pour nous aider à développer une stratégie. Nous devons comprendre que le racisme ne vient pas de nulle part mais découle plutôt d’un contexte socio-économique dynamique et complexe auquel il faut s’attaquer aussi vigoureusement que le racisme lui-même si nous voulons sortir du bourbier social sur lequel il fleurit. De plus, nous devons développer une  idée réaliste de qui sont nos ennemis, qui sont nos amis et qui n’a pas choisi son camp, et développer notre communication et notre stratégie en conséquence. En aucun cas nous ne pouvons excuser ou ignorer l’oppression, mais nous ne devrions pas non plus pathologiser celle-ci comme étant le fait certains groupes sociaux, voire d’un pays entier. Une gauche qui ne tente pas de gagner la majorité d’une population à une plateforme antiraciste ne désire pas réellement gagner.

Heureusement, j’ai l’impression que ces positions gauchistes deviennent de plus en plus impopulaires et ne sont guère courantes au sein même de Die Linke. Il y a sans aucun doute une réelle conscience, dans le parti, que le populisme de droite est un danger grandissant qui capitalise sur la souffrance économique et l’exclusion sociale afin de s’établir sur les bases traditionnelles de la gauche. Néanmoins, la question de savoir ce qu’il faut faire de cette idée est moins claire. Il y a eu d’importants exemples d’organisations antiracistes de même que des tentatives d’organiser les communautés à la base dans des quartiers ouvriers. Dans le même temps, de moins bonnes personnalités, au sein de la direction de Die Linke, ont écrit quelques articles qui prêtent à grimacer et que l’on ne peut décrire que comme ouvriéristes et réductionnistes, sans même parler des opinions désormais bien connus de Wagenknecht sur cette question. Par ailleurs, un gouvernement mené par Die Linke en Thuringe participe à des déportations fédérales, parlant d’inévitabilité politique et des contraintes de la démocratie parlementaire.

Il est facile, pour moi, d’être assis tranquillement ici et de dire que Die Linke doit combiner l’antiracisme aux luttes sociales, n’importe qui pourrait dire cela. C’est bien évidemment exact, mais cela reste vide de sens sans propositions concrètes, en particulier car j’ai critiqué les campagnes existantes ailleurs. Mais lorsque l’on regarde les tentatives d’organisations aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, j’ai l’impression que la distance entre les immigrés et les non-blancs et la gauche est, comparativement, plus étendue qu’en Allemagne. Cela est dû à divers aspects historiques, culturels et autres qui dépassent largement le cadre de cet entretien (et auxquels je ne suis pas sûr de pouvoir répondre de toute façon), mais questionner ce fossé me semble être un obstacle majeur. Il y a eu d’importants exemples de coopération entre communautés, dans Berlin et dans d’autres villes, autour de luttes liées aux loyers et d’autres questions, et je pense que ce type d’initiatives est très prometteur pour bâtir une gauche socialement et culturellement intégrée, mais elles restent à l’état embryonnaire pour le moment.

Bien qu’il y ait des personnes issues de l’immigration dans le parti et dans la gauche, de manière globale nous restons assez largement blancs pour un pays comptant autant d’immigrés, des communautés turques et arabes aussi grandes et établies, etc. On peut d’ailleurs dire la même chose de la société allemande dans son ensemble, dont l’image reste assez largement blanche malgré des décennies d’immigration de masse. Je pense qu’une gauche trouvant comment dépasser cela – non pas d’un coup de baguette magique mais à travers un long processus bien sûr – serait davantage capable de s’attaquer à la montée de l’extrême-droite en combinant une véritable organisation antiraciste organique à un programme économique populaire pour contrer la droite et améliorer les standards de vie matérielle pour tous, blancs comme non-blancs. Les meilleurs moments dans l’histoire de la gauche socialiste datent de l’époque où c’était un mouvement de masse, capable d’attirer les plus opprimés de la société par son programme politique et sa réputation, mais également de les intégrer (et apprendre à ses membres à les traiter comme des égaux) dans une lutte vibrante et organisée pour un monde meilleur. Bien sûr, il ne peut pas s’agir que d’un slogan en 2017.

 

Pourrais-tu revenir sur la position de Sahra Wagenknecht [Vice-présidente de Die Linke de 2000 à 2005, coprésidente du groupe parlementaire Die Linke au Bundestag] concernant les réfugiés ? Penses-tu qu’il s’agisse là de quelque chose de nouveau dans la gauche allemande ? S’agit-il d’un épiphénomène ou d’une position bien représentée chez Die Linke ?

Mon ami Leandros Fischer s’est attaqué à la question Wagenknecht, dans Jacobin, il y a quelques semaines[2] d’une manière minutieuse et très convaincante. Je me limiterai donc à renvoyer à son article, étant donné que je ne pense pas pouvoir rendre justice à son excellent argumentaire. Concernant ton second point ceci-dit, je dirai que c’est compliqué. Les commentaires de Wagenknecht concernant l’immigration ne font certainement pas écho à l’opinion personnelle d’une majorité des membres de Die Linke. Néanmoins, j’imagine qu’ils ont une audience chez certains partisans de Die Linke dans l’industrie exportatrice la plus traditionnelle et les zones les plus rurales. Le principal problème est que beaucoup de membres de gauche du parti ont, traditionnellement, perçus Wagenknecht comme un rempart vis-à-vis du courant droitier du parti autour de Gregor Gysi, etc. Son brusque virage a mis en lumière les limites fondamentales de la stratégie à long terme de l’aile gauche du parti, et m’effraye franchement plus que la perspective d’une euphorie protectionniste pouvant entraîner le parti à l’avenir.

 

Comment évalues-tu la place de Die Linke dans les rapports de forces politiques en Allemagne, que ce soit au niveau parlementaire ou extra-parlementaire ?

Au niveau national, Die Linke continue d’être marginalisée par la sphère politique dominante, tout en se « normalisant » simultanément via la participation à une série de gouvernements régionaux dans l’ancienne Allemagne de l’Est. Leur insignifiance partielle au niveau fédérale permet aux partis dominants de coopter nos revendications les plus populaires tout en doublant nos personnalités publiques et nos revendications, alors que les gouvernements régionaux ont permis au parti d’apparaître comme un acteur parlementaire normal, à la fois plus respectable et faisant moins appel aux électeurs désenchantés dans le même temps.

Cela a graduellement, adouci l’image radicale du parti et consumé sa capacité à attirer l’attention par des questions politiques scandaleuses et populaires mais négligées, comme la question du salaire minimum. Le déclin d’une grande partie des mouvements sociaux (anti-guerre, etc.) a également fait perdre sa base naturelle à Die Linke et a réduit la visibilité du parti et de la gauche en général. Je ne pense pas que la dérive du parti vers l’establishment soit une fatalité (du moins pas encore), donc nous verrons bien ce qui se passe dans l’avenir.

Néanmoins, il faut souligner l’énorme différence, tant matérielle que pratique, que fait le parti pour l’ensemble de la gauche radicale. Au-delà de la tribune publique sans précédents pour nos idées qui nous est donnée, le parti a apporté des ressources à la gauche en termes d’espaces organisationnels, d’emplois dans les appareils du parti ou parlementaires, d’importants alliés au parlement et dans les media et des ressources académiques critiques et de recherches de gauche à travers la fondation Rosa Luxemburg. Ce sont là d’importantes étapes qualitatives qui favorisent la gauche radicale et ne devraient pas être ignorées, quelles que soient leurs défauts et limites.

Bien que la gauche radicale (des groupes comme Interventionistische Linke et d’autres tendances post-autonomistes) recrutent parmi les jeunes militants à un degré plus important et sont à l’origine des rouages de nombre de manifestations de masse dans le pays, l’existence de Die Linke leur procure de nouvelles perspectives d’action et de visibilité publique. De plus, Die Linke est capable d’attirer des secteurs plus larges de la société allemande que les groupes à sa gauche, qui restent trop subculturels.

J’ai l’impression que les opportunités d’interactions et d’échanges sont trop souvent ignorées des deux côtés. Ils travaillent ensemble lors de campagnes ou de manifestations, mais il n’y a rien qui se rapprocherait d’échanges stratégiques ou théoriques entre les deux camps comme le feraient des forces sociales sérieuses et coopératives travaillant en vue du même objectif. C’est d’autant plus regrettable étant donné le fait que la plupart des membres de Die Linke et la plupart des militants autonomes partagent sans doute un certain nombre d’idées politiques.

Tant que la constellation politique et économique en Allemagne demeure inchangée, je suppose que cette dynamique continuera. Néanmoins, je pense que le mouvement pro-réfugiés peut faire office de carte Joker. Jusqu’ici, il n’y a pas eu quelque chose de semblable à une auto-organisation de masse des demandeurs d’asile en Allemagne. J’imagine que cela est notamment dû au fait que les conditions pour les réfugiés sont tellement pires dans la plupart des pays européens que beaucoup n’osent pas s’engager dans des activités à risque. Mais, tôt ou tard, à moins que les conditions ne s’améliorent drastiquement, nous nous dirigerons davantage dans cette direction, et la manière dont les différentes parties de la gauche réagiront face à cela pourrait avoir d’importantes conséquences quant à leur développement futur et leur capacité à capitaliser sur le changement de climat politique.

 

Quelles sont les limites rencontrées par Die Linke pour changer le rapport de forces?

Die Linke souffre surtout du fait qu’il manque d’une réelle base militante parmi la jeunesse, les milieux progressistes allemands et, plus généralement, le mouvement ouvrier, bien que les évolutions soient plus contrastées et montrent des exemples plus positifs dans ce dernier cas. Cela limite le parti au travail parlementaire et à des apparitions symboliques lors de manifestations, mais dans l’ensemble, le gros de l’organisation de terrain n’est pas faite par le parti, mais par d’autres, et une large partie des jeunes gens qui s’y investissent finissent par rejoindre la gauche radicale plutôt que Die Linke. Gagner ces couches au parti s’est montré bien plus difficile que prévu et a empêché le parti d’acquérir le type d’influence plus large dans la société qui caractérisait les anciennes formations d’extrême-gauche, à la fois en Allemagne et au niveau international. J’ai de la sympathie pour l’idée selon laquelle les mouvements sociaux doivent nécessairement être autonomes de tout parti politique, mais l’aversion pour les partis politiques dans la gauche allemande (qui est, sans aucun doute, un produit de l’histoire particulière de ce pays) a certainement empêché Die Linke de devenir une force sociale plus cohérente et tangible.

Incapable d’engendrer une réelle dynamique de terrain, le focus politique du parti a inévitablement dérivé vers le parlement. Il y a eu des moments, par le passé, pendant lesquelles Die Linke a réussi à utiliser cette plateforme pour galvaniser des manifestations de masse et provoquer des controverses politiques, mais dans l’ensemble l’establishment a, curieusement, réussi à marginaliser et à domestiquer le parti au parlement. Tant que le parti reste tributaire de cet instrument il est otage des caprices de la politique parlementaire allemande.

 

Comment décrirais-tu l’évolution de Die Linke depuis sa fondation?

Pour comprendre ce qui arrive à Die Linke aujourd’hui, il faut revenir à ses premières années et aux premiers grands succès électoraux, comme le résultat de 11,9% en 2009 ou la vague d’élections régionales propulsant Die Linke dans les parlements régionaux ouest-allemands pour la première fois, entre 2006 et 2011. Ces victoires étaient sans doute attendues mais le parti n’y étant pas préparé, sous l’effet de l’excitation il envoya nombre de ses militants et personnalités importants au parlement. À l’époque, les deux slogans majeurs de Die Linke étaient « Les richesses pour tous » et « Plus la gauche est forte, plus le pays deviendra socialement juste », aucun de ces deux slogans avait un quelconque lien avec quelque chose de plausible.

Par la suite, la classe dominante allemande a réussi à stabiliser l’économie au lendemain de la crise tout en évitant le type d’austérité draconienne qu’elle a imposé à la Grèce ou à ses voisins d’Europe du sud. Merkel a même introduit un salaire minimum et parlé d’une augmentation de dépenses sociales. D’un seul coup, les conditions des ouvriers allemands ne semblaient plus si terribles et le centre politique tenait bon. La tendance de gauche de la fin des années 2000 commençait à décliner et Merkel est devenu assez populaire – pour des raisons qui restent obscures pour moi ; en tant que non allemand, j’attends des politiciens qu’ils aient une personnalité, du charisme ou quelque chose qui les fasse réussir. De ce point de vue, ce pays est assez unique.

Die Linke avait promis à sa base que de bons résultats électoraux se traduiraient par une pression croissante en faveur du changement social à travers une forte voix de gauche au parlement. Mais peu de politiciens de Die Linke furent capable d’utiliser cette plateforme de manière efficace – après tout, travailler au grand jour est un véritable défi – et tombèrent souvent dans l’oubli. La presse était plus que ravie de nous ignorer et, comme la guerre en Afghanistan et d’autres thèmes chers à Die Linke reculaient dans l’opinion publique, nous nous sommes retrouvés en quelque sorte assez inutile.

Entre-temps, et plus important encore, les militants locaux, qui constituent souvent le moteur des structures locales du parti étaient très investis dans le parlement, que ce soit comme parlementaires ou comme membres des équipes d’autres parlementaires, perdant de vue la construction de l’organisation ou la mise en place de campagnes. Ainsi, un transfert massif d’énergie et de ressources, du bas vers le haut, advint précisément au moment où le parti avait besoin d’une forte base pour éviter le travail parlementaire d’acquérir une vie autonome.

Lorsque les prometteuses années 2000 devinrent les anxieuses années 2010, Die Linke perdit le vent de gauche qui nous avait poussé en avant après notre fondation. Il s’est avéré qu’en période d’austérité,  un parti réformiste de gauche ne peut compter uniquement sur l’inertie qui le pousse en avant à moyen terme, mais doit plutôt prouver son utilité politique afin de rester nécessaire et de gagner des soutiens. La prétention du parti à améliorer la justice sociale à travers sa seule existence pourrait même s’avérer vraie – nous avons certainement poussé l’establishment sur sa gauche concernant pas mal de questions – mais les électeurs ont la mémoire courte. Ils ne perçoivent pas la mise en place d’un salaire minimum en 2015 comme un sous-produit de l’émergence de Die Linke au milieu des années 2000, la plupart des gens ne penseront pas non plus à la stratégie à long terme lorsqu’ils se rendront aux urnes. Ils voteront pour nous s’ils pensent que nous pouvons faire bouger les choses dans un système politique qu’ils perçoivent comme corrompu et déconnecté de la réalité, et ils nous sanctionneront s’ils pensent que nous gaspillerons leur vote en participant à un gouvernement néolibéral.

Bien évidemment, les électeurs espèrent aussi que Die Linke rejoigne le gouvernement si l’option se présente – ainsi fonctionne la démocratie parlementaire, il n’est donc pas aisé de simplement dire « non » comme le Comité pour une Internationale Ouvrière voudrait le faire croire. Néanmoins, le parti n’a pas trouvé le moyen d’articuler ces contradictions à sa base et d’élaborer un moyen cohérent de sortir de l’impasse. D’un côté, nous avons rejoint des gouvernements régionaux d’Allemagne de l’Est qui tendent, en général, vers des politiques néolibérales ; de l’autre, nous nous trouvons dans une opposition impuissante dans les parlements ouest-allemands qui n’arrivent pas, le plus souvent, à être réélus, sans même parler de bâtir un courant socialiste au sein du mouvement ouvrier.

À moins que Die Linke n’arrive à résoudre ces contradictions, se montrant utile non seulement comme une plateforme changeante d’une gauche parlementaire désorganisée et contradictoire mais comme une institution capable de gagner les masses à une vision politique spécifique, il va continuer à dériver. Sa seule existence reste tout de même un gain majeur pour notre camp, et toutes mes critiques mises à part, je ne veux pas donner l’impression que le parti est mort dans l’œuf. Il reste un certain nombre de milieux prometteurs au sein du parti et son avenir reste encore à écrire.

Mais étant donné les récents développements à travers toute l’Europe et l’Amérique du Nord, je pense qu’on peut dire que la politique et la stratégie deviennent des enjeux encore plus sérieux et il est important que la gauche essaye de trouver un équilibre dans son bilan de la dernière décennie quant à la stratégie socialiste. Qu’espérions nous, que s’est-il passé et que faudrait-il repenser ou changer ? Heureusement, la direction actuelle de Die Linke, autour de Katja Kipping et de Bernd Riexinger, semble être consciente de cela et a mis en place de très bonnes choses pour la direction d’une formation de gauche au niveau parlementaire récemment. Leurs positions limitent, bien évidemment, ce qu’ils peuvent dire et leur degré d’ouverture, mais ils montrent au moins que certains pans du partis tentent de comprendre et de faire face à la nouvelle situation politique de manière productive. Cela me donne un peu d’espoir dans l’avenir.

 

Entretien réalisé et traduit de l’anglais par Selim Nadi. 

 

Notes 

[1]Loren Balhorn, «On ‘The Crisis in German Politics’ – A Response», revolutionary socialism in the 21st century, https://rs21.org.uk/2017/02/08/revolutionary-reflections-on-the-crisis-in-german-politics-a-response/

[2]Leandros Fischer, « Why Wagenknecht Will Fail», Jacobin, https://www.jacobinmag.com/2017/03/die-linke-germany-immigration-sahra-wagenknecht-oscar-lafontaine-afd-merkel/

Lire hors-ligne :