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À propos de : Naïma Anka, Fanny Gallot et Gaël Pasquier, Enseigner l’égalité filles/garçons. La boîte à outils du professeur, Paris, Dunod, 2018.

Paru aux éditions Dunod en 2018, Enseigner l’égalité filles/garçons est un ouvrage pratique rédigé par trois auteur-e-s Naïma Anka, Fanny Gallot et Gaël Pasquier. En avant-propos, les auteur-e-s affirme s’appuyer sur une pédagogie critique de la norme et une pédagogie inclusive[1]. Mais en réalité l’ambition de l’ouvrage va bien au-delà comme le montre le contenu développé par la suite : il ne s’agit pas seulement de déconstruire des stéréotypes et d’interroger les normes sociales, mais de mettre en œuvre des pratiques pédagogiques qui agissent sur la division sexuée inégalitaire du travail scolaire.

La première partie revient sur la notion de « genre ». Il s’agit d’un choix important dans la mesure où cette notion a fait l’objet de nombreuses attaques de la part des milieux conservateurs religieux sous le nom de « théorie du genre ». Ainsi les auteur-e-s reviennent sur une explicitation de ce terme. Mais en outre, l’approche adoptée s’inscrit dans une vision intersectionnelle et inclusive des études de genre. En effet, le genre y est croisé avec d’autres discriminations liées : à l’apparence corporelle (grossophobie), au handicap, à la classe sociale, à l’orientation sexuelle, à l’identité ou à l’apparence de genre, à la religion ou encore à l’origine ethno-raciale. C’est à partir de cette approche intersectionnelle du concept de genre que les auteur·e·s se proposent d’interroger les stéréotypes et les normes. Ils décrivent pour cela plusieurs activités pratiques par exemple sur la grossophobie ou encore le handicap. Cette pédagogie critique de la norme, influencée par la théorie queer, trouve plus particulièrement une application dans l’éducation à la sexualité pour aborder des thématiques telles que celles des personnes intersexes, de la transidentité ou encore de l’orientation sexuelle.

Mais comme nous l’avons dit en réalité l’ouvrage ne se limite pas uniquement à une perspective de déconstruction des normes. Il va en réalité plus loin dans la pédagogie critique qu’il propose. Puisqu’il donne également des outils d’analyse et de changement des interactions sexuée inégalitaires dans la salle de classe comme par exemple dans les prises de parole. Il s’attache également à l’occupation genrée de l’espace dans la salle de classe ou dans la cour de récréation. En analysant un ensemble de situations pédagogiques et en proposant des pistes de changement, l’ouvrage se rapproche d’une pédagogie de l’égalité telle que la définit Isabelle Collet[2]. Il ne s’agit pas seulement de déconstruire les normes dans l’esprit des enseignants ou des élèves, mais également de changer les pratiques pédagogiques. Cette pédagogie de l’égalité trouve une application à travers l’étude des supports scolaires en particulier des manuels, mais également à travers des exemples de leçons dans différentes disciplines scolaires pour aborder l’égalité homme/femme : histoire, français, langues vivantes… Elle trouve aussi une application dans la réflexion autour du sexisme de la langue.

Néanmoins l’ouvrage ne s’arrête pas là et propose une grille de lecture plus profonde encore permettant d’expliquer les divisions sexuées inégalitaires qui traversent l’école, mais également plus largement la société. Le genre, en tant que réalité sociale, doit s’analyser en relation avec l’existence de rapports sociaux qui structurent la société comme l’a souligné Danièle Kergoat dont les auteures rappellent la théorisation : « les rapports sociaux de sexe se caractérisent par une relation antagonique et hiérarchique entre les groupes de sexe qui a une base matérielle : le travail ». (Lexique, p.88). C’est là que s’éclaire un ensemble d’interrogations auxquels les auteur-e-s soumettent le lecteur dans un exercice intitulé « l’école une institution inégalitaire ? » : « les métiers subalternes sont quasiment toujours réservés aux femmes et plus spécifiquement aux femmes racisées » « plus l’âge des élèves augmente, plus il y a des hommes enseignants »… Ce qui apparaît derrière cette division genrée, raciale et classiste de l’école et de la société, ce sont les divisions sociales du travail qui structurent la société. Ainsi, les normes sociales sont une dimension des rapports sociaux, mais elles n’en sont pas le fondement explicatif. C’est pourquoi l’orientation des élèves occupe une place centrale dans le dispositif de reproduction des inégalités sociales à l’école. Les auteur-e-s proposent ainsi toute une partie visant à lutter contre les biais de genre dans l’orientation scolaire.

Enseigner l’égalité filles/garçons est un ouvrage précieux pour les enseignant-e-s qui veulent lutter contre la reproduction des inégalités sociales de sexe et les discriminations sociales relatives à l’orientation sexuelle, l’apparence et l’identité de genre. Cet ouvrage présente non seulement des explications sociologiques, mais il permet également aux enseignant-e-s d’utiliser des outils sociologiques pour refaire les constats sociologiques avec les élèves eux-mêmes. Il propose également des exemples d’activité à réaliser avec les élèves pour leur faire prendre conscience des stéréotypes et leurs faire déconstruire les normes de genre. Il fournit également des pistes pédagogiques pour lutter contre l’amplification des inégalités de genre à l’école. Il est possible néanmoins de regretter que la partie culture de l’engagement du programme d’enseignement moral et civique (EMC) ne soit pas davantage mise à contribution pour inciter les élèves à participer à des projets en faveur de l’égalité filles/garçons ou d’autres thématiques liées au genre.

 

Notes

[1]    Devieilhe Elise, 2014, « Le livre le plus important du monde », Actes du colloque organisé par le Centre Hubertine Auclert, « Manuels scolaires, genre et égalité », Centre Hubertine Auclert, p.22-25.

[2]    Collet, Isabelle. « Former les enseignant-e-s à une pédagogie de l’égalité », Le français aujourd’hui, vol. 193, no. 2, 2016, pp. 111-126.

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