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Le 13 juin 2020 s’est éteint Maurice Rajsfus, alors que se tenait une manifestation historique contre le racisme et les violences policières. Celle-ci a indéniablement constitué le meilleur hommage qui pouvait être rendu à un militant qui a tant fait – notamment par son minutieux travail d’archives – pour mettre en pleine lumière ces violences d’État que les puissants s’échinent à dissimuler, mais aussi les complicités entre la police et les groupes d’extrême droite.

Nous reproduisons ici un court texte de 2018 dans lequel il décrivait son parcours, introduit par Pierre Baton. 

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Auteur de près de 60 livres depuis les années 1980, Maurice Rajsfus a beaucoup écrit sur la police et son lot de violences à travers les âges ; il a tenu durant des années un bulletin d’information sur les agissements policiers (« Que fait la police ? »), importante source d’information pour les militant·es que l’on recevait alors par la poste chaque mois, bien avant les réseaux sociaux…

Enfant de déportés, lui même rescapé de la rafle du Vél d’Hiv, il n’a cessé de raconter ces heures sombres. Devenu historien, il laisse quelques livres marquant sur l’histoire de la déportation. Des livres comme Drancy, un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944 ou Opération étoile jaune marquèrent en leur temps historien·nes et militant·es. Car Maurice Rajsfus a avant tout été un militant, tout au long de sa vie, et c’est sur ce parcours de plus de 70 ans de luttes que nous avons échangé avec lui. Il nous a livré quelques bribes de ces engagements qui vont bien au-delà de Mai 68.

Maurice Rajsfus continue à écrire, toujours avec une vieille machine à écrire pour laquelle il peine de plus en plus à trouver des rubans encreurs. Poli, discret et toujours amical, il reste chez lui une colère contre les fascistes de tout poil et les forces au service de l’ordre, que rien n’a su encore apaiser.

Pierre Baton

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On dit que les révolutionnaires ne meurent jamais, simplement vers la fin, ils commencent à avoir mal aux genoux.

Ma vie militante a commencé très tôt, puisque mes parents nous avaient envoyés, avec ma sœur, dans une colonie de vacances issue du Secours rouge à l’île de Ré en 1937 et 1938. Nous avions alors le sentiment d’être de futurs grands révolutionnaires.

En fait je suis militant depuis la Libération de Paris à la fin du mois d’août 1944. À l’époque, je croyais participer à la révolution en adhérant au PCF et aux Jeunesses communistes. Mais deux ans plus tard j’en étais violemment exclu, sous l’accusation de « provocateur policier ». J’avais 18 ans. En octobre 1946, je rejoins la Quatrième internationale.

Après quelques années d’errance, je reprends goût à la lutte contre la guerre d’Algérie. Je participe en septembre 1955 à la constitution du comité des mouvements de jeunesse de Paris contre le départ du contingent en Algérie. Mouvement fortement réprimé par la police. Et le 8 février 1962 je me trouve au sein de la manifestation à quelques centaines de mètres du métro Charonne.

 

« L’Enragé de Fontenay-aux-Roses »

Un temps éloigné du militantisme, j’avais changé d’âme et commençais à me construire cet indispensable passé professionnel. J’étais devenu journaliste. Un peu éloigné de la lutte, lorsque éclate Mai 1968, je viens d’avoir 40 ans et, du jour au lendemain, je rajeunis de 20 ans, et j’apprends à ne plus me sauver face aux charges policières.

Dans la deuxième quinzaine de mai 1968, je participe à la création du comité d’action de Fontenay-aux-Roses où je demeure alors. Tout n’est pas simple, et au côté des camarades trotskystes ou guévaristes il est difficile de s’imposer face aux Maoïstes de l’École normale supérieure de Fontenay.

Avec ce mois de mai 1968 recommence une aventure militante qui n’a jamais cessé depuis.

C’est la création à Fontenay d’un petit journal réalisé à la ronéo : L’Enragé de Fontenay-aux-Roses. Il y aura un vingtaine de numéros, jusqu’en octobre 1969, date à laquelle la cohabitation avec les Maos est devenue insupportable.

 

« Que fait la police ? »

En novembre 1969, j’entreprends la publication d’un nouveau bulletin mensuel, Action banlieue sud, qui paraîtra régulièrement jusqu’en décembre 1975. Parallèlement sera constitué le Groupe d’études socialistes, qui se consacrera à l’histoire du mouvement ouvrier tout au long des années 1970 et 1971.

Comme la répression de mai 1968 avait laissé des traces, j’ai rapidement entrepris de constituer une documentation sur les violences policières, sur la base de la presse. Travail prenant qui devait me permettre de constituer un fichier fort de plus de 10 000 fiches rappelant environ 5 000 bavures. Ce travail sera à l’origine de la création de l’Observatoire des libertés publiques en mai 1994, après l’assassinat du jeune Makomé au commissariat des grandes Carrières. Il y a aura la publication de plus de 200 numéros du bulletin « Que fait la police ? » jusqu’en 2014.

En mai 1990, je participe à la création du réseau Ras l’front qui, après des débuts difficiles, connaîtra une rapide croissance, en compagnie de militantEs qui avaient réussi à troubler la manifestation du Front national sur la place de l’Opéra le 1er mai 1995. Un peu plus tard je deviendrai le président de Ras l’front pour quelques années.

Ne pouvant me contenter de cette activité débridée, à l’orée de ma retraite, je commence à publier un certain nombre d’ouvrages lourds de sens dès 1980. Sur les quelques 60 livres publiés jusqu’à aujourd’hui une vingtaine sont consacrés à la police, et plus généralement à la répression sous toute ses formes.

Je pense n’avoir pas trop déçu ceux avec qui j’ai milité. Mais à l’âge de 90 ans mes genoux commencent à me faire souffrir et ma hanche gauche en fer blanc m’empêche de courir aussi vite que je devrais, non pas pour me sauver lorsque ça devient nécessaire, mais pour faire la chasse aux nouveaux fachos qui menacent nos libertés fondamentales.

 

Cet article a initialement été publié sur le site du Nouveau parti anticapitaliste.

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