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L’interview de Moshé Machover qui suit constitue une version abrégée et traduite d’un entretien conduit en anglais, début novembre 2017, par les membres de l’organisation états-unienne Science for the People (SftP). À cette époque, Moshé Machover venait d’être réintégré au Parti travailliste britannique (Labour Party) à la suite d’une campagne menée pour annuler son expulsion.

En collaboration avec le groupe Jewish Voice for Labour, SftP a élaboré une pétition internationale signée par des mathématiciens et universitaires de renom ainsi que par des champions des droits humains pour défendre Machover contre les accusations dont il faisait l’objet. Les demandes formulées dans cette pétition n’ont pas été satisfaites à ce jour et les défenseurs de Machover au sein du Parti travailliste continuent de lutter pour obtenir des excuses ainsi qu’une enquête sur les bureaucrates responsables de son éviction et de celles d’autres membres.

Traduction par Zoé Jourdain.

 

Science for the People : Merci d’avoir accepté de vous entretenir avec nous. Les détails de votre expulsion suivie de votre réadmission dans le Parti travailliste ont été bien documentés, par vous-même ainsi que par d’autres sources, c’est pourquoi nous aimerions aborder ici le contexte de ces événements. Pourriez-vous, dans un premier temps, évoquer votre relation au Parti travailliste depuis votre arrivée au Royaume-Uni en 1968 ?

Moshé Machover : J’ai adhéré au Parti travailliste pour la première fois dans les années 1970, probablement autour de 1973, car je me souviens qu’il y avait un rapport avec la guerre du Kippour. Mais comme beaucoup d’autres, j’ai rapidement quitté le parti face à la dérive vers la droite qui le caractérisait à l’époque. De fait, vers la fin des années 1970, il a nettement viré à droite. Comme beaucoup d’autres, j’ai donc renoncé au Parti travailliste.

Il y a quelques années de cela, Ken Loach a appelé à la création d’un nouveau parti, Left Unity (Unité de gauche), principalement composé de déçus du Parti travailliste. Cependant, [lorsque Jeremy Corbyn a été élu à la tête des travaillistes], la question s’est posée de la pertinence de cette nouvelle formation. En réalité, tout se passe au Parti travailliste ; c’est pourquoi comme des centaines de milliers de personnes, j’y ai à nouveau adhéré. Beaucoup de jeunes qui étaient jusque-là éloignés de la politique ont également pris le train en marche. Aujourd’hui, c’est le plus grand parti d’Europe de l’Ouest. Il compte près de 800 000 membres, un chiffre énorme pour un pays de la taille du Royaume-Uni.

Le Parti travailliste est devenu une sorte d’énergumène, dans la mesure où il est composé d’une immense base populaire qui se situe largement à gauche. Jeremy Corbyn et ses proches forment un petit cercle également issu de la gauche mais qui représente le centre du parti, tandis que les bureaucrates et les représentants élus sont les vestiges de l’époque blairiste. Ils appartiennent à ce que l’on avait coutume d’appeler le New Labour, qui semble aujourd’hui très dépassé.

 

SftP : Il existe donc un clivage, au sein des travaillistes, entre les blairistes et les sympathisants de Corbyn. Peut-on affirmer que votre expulsion du parti reflète cette scission ?

MM : Sans aucun doute. Les bureaucrates, qui sont la vieille garde de ce que l’on appelle le New Labour, se sont mis à exclure ou à suspendre temporairement tous les membres qu’ils suspectaient d’être à gauche. Je n’étais certainement pas le premier, ni le dernier. Simplement, mon cas a soulevé une vague de solidarité au sein du parti ainsi qu’à l’extérieur. Après avoir été réintégré au parti, j’ai été très touché par la résolution de solidarité qui demande des excuses et une enquête sur les mécanismes et les moyens derrière mon expulsion. Par exemple, une branche locale du syndicat des conducteurs ferroviaires a adopté une résolution unanime de soutien envers moi.

 

SftP : En 2017, Al Jazeera publiait une enquête révélant les efforts mis en œuvre par l’ambassade israélienne pour influencer la politique britannique par le biais de différents canaux, y compris au sein du Parti travailliste. Existe-t-il un lien entre ce phénomène et ce que vous venez d’évoquer, à savoir, la campagne menée contre Corbyn et ses soutiens par les bureaucrates du parti ? Ou s’agit-il simplement de la convergence fortuite de deux intérêts distincts ?

MM : À mon sens, ces deux intérêts forment une synergie. En réalité, il existe trois facteurs. D’un côté, les sionistes, dévoués à la cause d’Israël, qui ne peuvent supporter le fait que pour la première fois dans l’histoire du Parti travailliste, son leader est un défenseur reconnu des droits des Palestiniens. Ils sont très attachés à Israël et se servent des accusations d’antisémitisme, qu’ils assimilent à de l’antisionisme, comme d’une arme.

D’un autre côté, il y a ceux qui ont une dent contre Jeremy Corbyn, mais très peu d’intérêt pour Israël : ils utilisent cette cause pour attaquer Corbyn. Certes, il existe des personnes qui appartiennent à ces deux catégories, mais parmi ceux qui brandissent l’argument de l’antisémitisme, certains le font de manière cynique, sans intérêt réel pour le conflit israélo-palestinien.

Enfin, il y a une dimension internationale. L’État d’Israël joue un rôle majeur dans le positionnement et la stratégie des États-Unis à l’échelle régionale au Moyen-Orient comme à l’échelle mondiale. Il se trouve que les États-Unis sont à la tête de ce qu’on nomme par euphémisme la « communauté internationale ». Cette communauté est hiérarchique, et certains États y occupent une place plus élevée que d’autres. Le Royaume-Uni est relativement bien classé, mais pas aussi bien qu’Israël. Le pouvoir établi britannique se prévaut de sa « relation spéciale » avec les États-Unis. Spéciale, certes, mais pas autant que celle qu’entretiennent ces derniers avec Israël.

Pour faire partie de cette « communauté internationale », il convient de ménager la sensibilité du rottweiler du patron qui se trouve être Israël. Si le rottweiler urine sur vos chaussures, il ne faut surtout pas l’envoyer balader, mais lui dire « bon chien ! ».  Cette obligation est partagée par l’intégralité du pouvoir établi britannique qui tente à tout prix d’empêcher la moindre critique de l’État d’Israël. Ils sont préoccupés par le fait que dans l’opinion publique, la cause d’Israël perd du terrain.

 

SftP : À propos d’impérialisme, 2017 marquait le centenaire de la déclaration Balfour. Pourriez-vous nous donner un aperçu du rapport qu’entretenait le Royaume-Uni avec le sionisme avant la création de l’État d’Israël, en insistant sur le rôle joué par le Parti travailliste ?

MM : La déclaration Balfour a fait couler pas mal d’encre dernièrement. L’idée initiale était d’implanter une communauté dont l’existence et la sécurité dépendraient entièrement du Royaume-Uni, et qui servirait les intérêts de cette puissance. Le premier gouverneur britannique de Jérusalem, Ronald Storrs, l’a formulé ainsi : « Nous avons, en Palestine, un petit Ulster [province d’Irlande du Nord] juif loyal dans une mer arabe potentiellement hostile. »

C’est ainsi qu’a été conçu et que continue de se développer le projet de colonisation sioniste, qui est unique en son genre. Contrairement à la colonisation de l’Amérique du Nord, où se sont installés exclusivement des citoyens issus de la métropole qui possédait ces terres, dans le cas de la Palestine, les colons sionistes n’étaient pas citoyens d’une métropole qui détenait cette partie du monde. Ils avaient donc besoin d’une mère patrie de substitution, et se sont systématiquement tournés vers la puissance impériale qui dominait la région. Dans un premier temps, ils ont conclu un accord avec le Royaume-Uni.

La situation a duré jusqu’aux années 1930, où il est devenu de plus en plus difficile pour le Royaume-Uni de concilier cette alliance avec ses autres intérêts régionaux. Le Royaume-Uni est connu pour sa duplicité. Peut-être devrait-on plutôt parler de triplicité. Il y avait l’accord Sykes-Picot passé avec la France, que le Royaume-Uni n’a pas respecté. Il y avait les promesses faites aux Arabes soulevés contre l’Empire turc d’un grand État arabe indépendant qui engloberait la Palestine. Et il y avait la promesse de la Palestine aux sionistes : trois promesses incompatibles avec lesquelles le Royaume-Uni devait jongler.

[Pendant ce temps], le projet sioniste devenait de plus en plus ambitieux. La promesse originelle ne consistait pas à fonder un État-nation juif en octroyant aux sionistes l’intégralité de la Palestine, mais à établir au sein de la Palestine un foyer national pour les Juifs. Toutefois, les sionistes désiraient désormais non seulement le beurre, mais aussi l’argent du beurre, avec la création de leur propre État-nation, ce qui a provoqué un conflit avec le Royaume-Uni. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le Parti travailliste était encore plus enclin que le gouvernement britannique à promouvoir le projet sioniste. De fait, une résolution du congrès du parti de 1944 prône le transfert de population. Je l’ai sous les yeux, je peux vous la lire, si vous le souhaitez.

 

SftP : Oui, s’il vous plaît.

MM : La résolution, rédigée par Hugh Dalton, est la plus prosioniste jamais adoptée par le Parti travailliste :

« À moins que nous ne soyons prêts à laisser les Juifs, si tel est leur souhait, pénétrer sur ce petit territoire en quantités telles qu’ils y deviendraient la majorité, la notion de « foyer national juif » est dépourvue d’espoir et de sens. (…) La Palestine présente un cas de transfert de population, pour des raisons humaines et en vue de promouvoir une implantation stable. Que l’on encourage les Arabes à partir, afin que les Juifs puissent s’installer. Qu’ils soient amplement compensés pour leurs terres et que leur installation ailleurs soit dûment organisée et généreusement financée. »

 

SftP : C’est précisément cette stratégie de transfert de population qui a ouvert la voie à la création de l’État d’Israël quelques années plus tard – sans « l’ample compensation » prévue, cela va sans dire. Cette citation est très éloquente. Dans les décennies qui ont suivi, quand est-ce que les États-Unis ont pris le pas en tant que premier soutien d’Israël ?

MM : Avant qu’Israël ne devienne le rottweiler des États-Unis, son sponsor impérial principal était la France. En 1956, lorsqu’Israël, de connivence avec la France et le Royaume-Uni, a attaqué l’Égypte, les États-Unis l’ont contraint à se retirer. L’alliance de la France avec Israël était liée à d’autres problèmes auxquels faisait face la puissance impériale dans la région. La France considérait l’Égypte comme un soutien important de la révolution algérienne, et présumait que sans cet appui, la résistance algérienne s’effondrerait. C’est pour cette raison que la France a soutenu Israël et encouragé l’invasion de l’Égypte, avant de mettre un terme à cette alliance dans les années 1960, avant la guerre de 1967.

Parallèlement, un important commerce d’armes provenant des États-Unis à destination d’Israël s’est développé et a pris de l’ampleur jusqu’en 1966. Sans le feu vert des États-Unis, Israël ne se serait jamais engagée dans la guerre des Six-Jours. C’est un fait qu’il convient de remarquer, parce qu’il est communément admis qu’Israël est devenu le partenaire junior des États-Unis à la suite de la guerre de 1967, mais cela n’est pas tout à fait vrai : Israël n’aurait pas lancé l’offensive contre l’Égypte en 1967 sans l’aval des États-Unis.

 

SftP : J’aimerais évoquer le groupe que vous avez créé à cette époque, l’Organisation socialiste israélienne, aussi connue sous le nom de Matzpen. Je crois comprendre qu’il existait alors, au sein de la gauche dans l’ensemble de l’Europe occidentale, un consensus autour du soutien à l’État d’Israël, suscité par la compassion générale envers la diaspora juive au lendemain de l’Holocauste. C’est grâce à Matzpen que ce public de gauche a été sensibilisé pour la première fois à la critique anticoloniale du sionisme. Et les porte-paroles, dont vous faisiez partie, étant des Juifs israéliens, vous avez commencé le processus d’érosion du consensus sur la question sioniste dans les partis sociaux-démocrates à travers l’Europe.

MM : C’est exact. Je me dois d’ajouter, cependant, qu’un autre facteur explique la compassion envers Israël : l’État nouvellement créé est parvenu très habilement à se faire passer pour la victime en 1967. Bien sûr, les discours terrifiants et menaçants du président égyptien, Nasser, n’ont pas aidé. Les généraux israéliens savaient parfaitement qu’il n’était pas en mesure d’attaquer Israël, que ses meilleurs atouts étaient enlisés au Yémen, que ses forces positionnées dans le Sinaï étaient défensives et qu’il ne préparait pas d’offensive. Israël a donc bénéficié des effets de sa propre propagande, mais aussi des erreurs stratégiques et de la propagande maladroite de l’Égypte.

Matzpen avait vu le jour en 1962. Lorsque la guerre a éclaté, nous avions élaboré notre position, qui correspond à notre analyse du sionisme. Nous étions prêts à exposer notre vision de la guerre, du statut spécial de l’État colonial israélien, du projet colonial qu’est le sionisme, fondé sur la négation des droits nationaux et individuels des citoyens arabes palestiniens, etc.

Fin 1968, je suis arrivé à Londres et me suis joint à cette campagne. Nous parcourions le pays, nous rendant dans un endroit différent (principalement des réunions d’étudiants) quatre fois par semaine. Mais outre l’expression de notre point de vue, je pense que les gens étaient avides d’informations et d’analyse de la situation. Nous avons beaucoup travaillé, durant ces années, et nos efforts semblent avoir largement porté leurs fruits.

C’est très simple : quelle que soit la réunion à laquelle j’assiste ces jours-ci, généralement au sujet du Moyen-Orient, une personne aux cheveux grisonnants s’approche de moi pour me dire : « Vous ne vous souvenez pas de moi, mais j’étais étudiant, en 1972, à l’université d’Essex (par exemple). Vous y avez donné une conférence qui a changé ma position sur la situation au Moyen-Orient. » Je vous assure que cela m’arrive presque à chaque réunion à laquelle je me rends.

Un autre indice de ce succès est la façon dont nos idées ont infiltré l’aile gauche du Parti travailliste. À l’époque, Anthony Benn était une figure de proue admirée de la gauche. Les dirigeants de la gauche actuelle étaient tous associés à lui. Quand je suis arrivé au Royaume-Uni, il était officiellement considéré comme un ami de Mapam, un genre de parti sioniste de gauche [en Israël]. Au fil des ans, il est devenu un défenseur des droits des Palestiniens fermement opposé au projet sioniste. Cela ne signifie pas qu’il était présent à nos réunions, mais montre bien l’évolution du climat à gauche. Jeremy Corbyn est en partie le produit de ce basculement dans la période qui a immédiatement suivi la guerre des Six-Jours de 1967.

 

SftP : Il convient tout de même de reconnaître que vous avez contribué à faire évoluer la compréhension que la gauche britannique avait du sionisme. Il semble logique que cinquante ans plus tard, la campagne qui naît pour dénoncer l’influence sioniste au sein du Parti travailliste tourne en grande partie autour de votre personne. Cette campagne récente a-t-elle permis de promouvoir l’analyse d’Israël de Matzpen ?

MM : Absolument. La situation s’est retournée contre les personnes qui ont déclenché cette chasse aux sorcières. Jusque-là, j’étais un inconnu. Beaucoup de personnes doivent se demander pourquoi tout ce raffut, d’où viennent ces articles prétendument antisémites qui, en plus, n’auraient pas dû être publiés dans ce journal, etc.

Comme le dit l’adage, toute publicité est bonne à prendre, du moment qu’on écrit votre nom correctement. Ces détracteurs doivent se mordre les doigts d’être enfin tombé sur quelqu’un qui a suscité une telle vague de solidarité. À dire vrai, je me sens un peu coupable, car je ne suis pas le seul, mais les autres victimes n’ont pas bénéficié d’un tel soutien. Cela s’explique probablement par mon âge avancé, par le fait que j’aie abondamment écrit sur ce sujet et par le fait que je suis israélien. Ces facteurs ont aussi facilité la mobilisation des gens.

 

SftP : À ce propos, j’aimerais justement que nous évoquions votre expulsion du parti et la campagne menée pour l’annuler. Jewish Voice for Labour a suivi de près la campagne dans les différentes branches locales du Parti travailliste qui continuent de demander des excuses ainsi qu’une enquête – vous mentionniez plus tôt, à titre d’exemple, la résolution adoptée par les employés des chemins de fer. Mais quelles étaient les accusations portées contre vous au départ ?

MM : Il y a, en premier lieu, l’accusation infondée d’antisémitisme qui relève de la diffamation. Il suffit de lire l’article : seul un esprit tordu peut qualifier ce texte d’antisémite. Ceci requiert des excuses. Plus encore, ceci requiert d’examiner le postulat qui sert de fondement à ces accusations, qui émanent d’une définition erronée et d’une interprétation sournoise de l’antisémitisme. En réalité, les détracteurs n’ont pas prouvé que mes écrits étaient, de quelque façon que ce soit, antisémites. Ils ont démontré que leur propre définition était incorrecte. En logique, c’est ce qu’on appelle le raisonnement par l’absurde : leur prémisse est réduite à l’absurdité.

En sus de cela, ils ont utilisé une règle draconienne pour me renvoyer du parti. Finalement, l’accusation d’antisémitisme n’a servi qu’à donner le ton : une diffamation gratuite, puisqu’elle n’a même pas servi de prétexte pour m’expulser. En effet, cela n’aurait pas marché. À la place, ils ont invoqué la règle 2.I.4.B du règlement du Parti travailliste qui leur permet de suspendre automatiquement tout membre qui adhère et/ou soutient une organisation politique autre que celles affiliées au Parti. Cette règle présente trois défauts évidents.

Premièrement, le fait de pouvoir expulser automatiquement un membre du parti. Cela signifie que les bureaucrates peuvent exclure n’importe qui sans audition ni examen des preuves. Deuxièmement, la règle ne définit pas ce qu’est une « organisation politique ». En théorie, cela pourrait donc correspondre à Momentum, un large mouvement principalement composé de sympathisants du Parti travailliste mais non affilié à ce dernier. Le texte est si évasif qu’il pourrait s’appliquer au groupe Electoral Reform Society ou à Refuge, une organisation de lutte contre les violences domestiques. Enfin, cette règle ne définit pas la notion de « soutien ». Or, le soutien n’est pas une simple affaire de oui ou de non. C’est comme ces référendums trompeurs, où l’on vous demande d’effectuer un faux choix entre deux options, alors qu’en réalité, ce n’est pas une question à laquelle on répond par oui ou par non.

Je n’appartiens à aucune des deux organisations mentionnées [dans la lettre d’expulsion], à savoir, le Parti communiste de Grande-Bretagne qui publie dans le Weekly Worker, où nombre de mes articles sont apparus, et le groupe des Marxistes du Parti travailliste. C’est ce dernier qui a agi de telle manière à rendre les bureaucrates du Parti travailliste furieux : les Marxistes ont reproduit un article que j’avais écrit et l’ont distribué au congrès du Parti en septembre 2017. C’est parti comme des petits pains. L’article, qui expliquait en quoi l’antisionisme diffère de l’antisémitisme, a eu beaucoup de succès. J’ai été renvoyé pour « soutien » à ces deux groupuscules.

 

SftP : L’une des principales raisons qui expliquent le soutien important que vous ont témoigné les partisans du débat sur Israël est le fait que le contenu et l’esprit des accusations dont vous étiez la cible faisaient largement écho au maccarthysme.

MM : Tout à fait. Cette affaire empeste le maccarthysme.

 

SftP : La pétition élaborée par Science for the People a obtenu l’appui de dizaines de scientifiques de renom et de grands défenseurs des droits humains. Le plus impressionnant est le ralliement de vos collègues, d’éminents mathématiciens tels que Sir Michael Atiyah, David Mumford, Stephen Smale, Neal Koblitz, David Klein, Colette Moeglin, Ivar Ekeland, Joseph Oesterlé, Michael Harris, Ahmed Abbes, Emmanuel Farjoun, Chandler Davis et Catherine Goldstein. Nous espérons que les efforts déployés au sein du Parti travailliste pour vous défendre seront renforcés par cette démonstration de solidarité internationale.

MM : Imaginez ma surprise à la lecture de ces noms : Smale, Mumford, Atiyah… vous savez, en mathématiques, nous n’avons pas de prix Nobel, mais la médaille Fields. Contrairement au prix Nobel, qui couronne l’œuvre de toute une vie et est donc décerné à des personnes en fin de vie, la médaille Fields est accordée à des individus de moins de 40 ans. Dans le monde des mathématiques, ces lauréats sont vénérés. Je suis profondément touché par leur soutien. Parmi les personnes que vous avez citées figurent d’autres grands mathématiciens et scientifiques, dont j’apprécie infiniment la mobilisation pour un collègue.

Mais selon moi, ce geste gracieux était également nécessaire. Les mathématiciens et les scientifiques en général ne doivent pas demeurer dans leur tour d’ivoire proverbiale. Ils font partie intégrante de la société et se doivent d’utiliser leurs connaissances de tel ou tel sujet et de la réalité du monde pour mobiliser les forces de la lumière contre les forces des ténèbres. Cela ne peut être que bénéfique. Je trouve que les Britanniques ont toujours eu une certaine tendance à l’isolement. Ils vivent sur une île et ont une mentalité insulaire. Mais ils ont aussi une vague idée de l’existence d’un monde au-delà leurs frontières ; et il est très important que les membres du Parti travailliste réalisent qu’il ne s’agit pas d’une affaire interne au Parti ou même au pays. Il s’agit d’une affaire internationale.

Au début de cette discussion, nous avons souligné qu’au moins deux des trois facteurs [derrière les allégations qui me concernent] sont de nature internationale : la campagne sioniste menée à travers le monde contre les critiques de l’État d’Israël et le dévouement des autorités en place à la puissance hégémonique états-unienne. La haine vouée à Jeremy Corbyn au sein du Parti travailliste est d’ordre local et ne représente qu’une partie du tableau. L’autre partie est d’ordre international, c’est pourquoi j’estime que toutes les personnes en dehors du Parti sont légitimes à s’exprimer sur la lutte qui se déroule en son sein.

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