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Raoul Peck, Le jeune Karl Marx, avec August Diehl, Stefan Konarske, Vicky Krieps, Hannah Steele… Sortie dans les salles le 27 septembre 2017.

Le film de fiction que le grand cinéaste haïtien Raoul Peck a dédié au Jeune Marx est une vraie œuvre d’art. C’est aussi l’œuvre d’un cinéaste qui a choisi son camp : celui des opprimés et exploités qui luttent pour leur émancipation. D’où son intérêt pour un certain Karl Marx, qu’il défend contre les attaques réactionnaires : « Karl Marx a aussi peu à voir avec l’histoire du Goulag que Jésus Christ avec le massacre de la Saint-Barthélémy »…

Ses films antérieurs, parmi lesquels deux inoubliables fictions sur la terreur Duvalieriste – Haitian Corner et L’homme sur les quais –, deux films sur Lumumba (une fiction et un documentaire), et, plus récemment I am not your negro sur l’écrivain africain-américain James Baldwin – un film qui a secoué l’Amérique –, témoignent de cette haute exigence artistique et de son engagement courageux.

Son dernier film, la première fiction sur Marx jamais tournée (si l’on excepte un vieux pensum soviétique), servi par d’excellents acteurs – August Diehl, Stefan Konarske, Vicky Krieps et Olivier Gourmet, parmi d’autres –, nous fait voir des personnages en chair et en os, parlant dans leur « langue originale » (allemand, anglais, français) : le jeune Marx, bien sûr, mais aussi Jenny von Westphalen, sa compagne, Friedrich Engels et son amie, l’extraordinaire Mary Burns, Pierre-Joseph Proudhon, Wilhelm Weitling, et plusieurs autres. On les voit discuter, polémiquer, s’engueuler, boire (trop), faire l’amour – la scène érotique entre Karl et Jenny est très réussie – et avant tout, rêver de révolution sociale.

La première scène du film est un coup de génie : tandis que, en voix off, on entend le jeune Marx lire quelques passages de son article sur les vols de bois par les paysans pauvres (brutalement punis par la loi) – un texte célèbre de 1842, brillamment commenté en son temps par Daniel Bensaïd –, on voit les paysans et paysannes qui ramassent des branches mortes tombées par terre dans la forêt seigneuriale, se faire violemment attaquer et massacrer par la cavalerie prussienne au service des propriétaires. Vous avez dit lutte de classes ? Voilà une scène digne d’une anthologie cinématographique.

Le film couvre les années 1842-48, de la Gazette rhénane jusqu’au Manifeste Communiste. Ici ou là le cinéaste prend quelques libertés avec les faits historiques : par exemple, dans cette scène où la police de Cologne, après avoir envahi la rédaction de la Gazette rhénane, jette le jeune rédacteur Karl Marx dans un panier à salade, les mains enchaînées… Licence poétique !

Le scénario accompagne le jeune penseur dans ses exils successifs, et dans ses discussions orageuses avec les jeunes hégéliens, mais aussi avec Proudhon et avec Weitling. Les relations avec la Ligue des Justes, organisation prolétarienne allemande à vocation révolutionnaire, sont loin d’être faciles, à cause des préjugés des artisans autodidactes envers les intellectuels, mais aussi en conséquence d’une certaine arrogance de ses derniers… Finalement, les ouvriers décident de confier à Marx et Engels la rédaction d’un Manifeste, et les deux amis les persuadent de changer leur nom de « Ligue des Justes » en Ligue des Communistes, et de remplacer leur vieux mot d’ordre à tonalité chrétienne – « Tous les hommes sont frères » – par cet autre plus combatif : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ».

Constamment en mouvement entre la pensée et l’action, l’individuel et le collectif, l’intime et le politique, le film est un petit chef d’œuvre qui réussit pleinement à rendre vivante la figure du jeune fondateur du communisme moderne, et celles de ses amis ou rivaux.

Cela fait un siècle qu’on attendait ce film… Ne le ratez pas !

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