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À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

À Versailles !

La marche vers Versailles est partie ce matin sous la pression populaire, sans véritable préparation, persuadé-es que la détermination et la colère face à l’agression d’hier, seraient des armes suffisantes pour y arriver.

Chaque bataillon a rejoint le général qui lui convenait, certains à peine commandés, la plupart des chefs n’ayant aucune connaissance militaire, certains sans vivres, sans avoir préparé les approvisionnements en munitions, sans soutien de l’artillerie, sans réfléchir aux difficultés. Dominait dans la population ouvrière une confiance naïve et l’illusion qu’on allait renouveler la marche des 5 et 6 octobre 1789, persuadés que les soldats de Versailles mettraient la crosse en l’air devant leurs frères parisiens.
Le plan prévoyait une marche avec trois colonnes, une dirigée par Bergeret de 6000 hommes partant de la porte Maillot et se séparant en arrivant au Mont Valérien vers Puteaux d’un côté et Rueil de l’autre, deux autres colonnes partant de la porte de Versailles, la première dirigée par Eudes vers Issy, Meudon et Chaville, l’autre dirigée par Duval vers Châtillon et Clamart.

 

Échec à l’ouest

La première colonne s’est coupée en deux en arrivant au Mont Valérien, persuadée que celui-ci n’allait pas tirer. Luillier affirmait que le commandant avait promis la neutralité du fort, ce fort qu’il n’avait pas pris alors qu’il était vide après le 18 mars. Il a bien vu un officier, est-il toujours en poste, s’est-il vraiment engagé à la neutralité ? Les gardes nationaux croyaient que la Commune occupait le Mont Valérien. Après avoir laissé les fédérés s’approcher, le fort du Mont Valérien déclenche la mitraille contre eux presque à bout portant. La panique rompt les bataillons, les fédérés regagnent Paris en désordre en criant à la trahison. La confiance qu’ils avaient dans le commandement est mise à mal : ne pas savoir si le Mont Valérien est à la Commune ou à Versailles, quel scandale !

Ceux qui sont partis vers Rueil avant le feu, continuent leur chemin, mais sont maintenant isolés. Ils sont aisément repoussés par les troupes Versaillaises dirigées par Gallifet. Trois gardes nationaux sont passés par les armes immédiatement, un capitaine du 175ème bataillon, un sergent et un garde.

Le général marquis de Galiffet, juste après cet assassinat, lançait cette proclamation justifiant le massacre des prisonniers :

« La guerre a été déclarée par les bandits de Paris.» Hier avant-hier, aujourd’hui, ils m’ont assassiné mes soldats.

C’est une guerre sans pitié ni trêve que je déclare à ces assassins. J’ai dû faire un exemple ce matin, qu’il soit salutaire ; je ne désire pas en être réduit de nouveau à une pareille extrémité. N’oubliez pas que le pays, que la loi, que le droit par conséquent sont à Versailles et à l’assemblée nationale, et non pas avec la grotesque assemblée de Paris, qui s’intitule Commune. »

Le général commandant la brigade, Galliffet.

Flourens rejoint cette colonne avec un petit millier d’hommes et poursuit vers Rueil. Ils sont bloqués eux aussi, mais Flourens refuse de rentrer après la débandade. Découragé de n’avoir pu éviter la dispersion des troupes, il est pris par les Versaillais. Conduit devant les officiers, il est sommairement exécuté, un capitaine de gendarmerie lui fend le crane d’un coup de sabre. Son corps est transporté à Versailles et exposé aux regards des habitants.

 Gustave Flourens, 33 ans, Professeur, officier

Né dans une famille de la grande bourgeoisie intellectuelle, licencié ès lettre et es sciences, il obtient à 25 ans l’ancien poste de son père dans la Chaire d’histoire naturelle des corps organisés. Mais il est athée, matérialiste et antibonapartiste, et la stigmatisation de l’empereur ne convient pas aux bien pensants. Il est obligé de quitter le poste, part en Europe. En 1866, il participe à l’insurrection crétoise, est nommé ambassadeur de Crète auprès des grecs. Mais sa campagne pour l’athéisme va l’obliger à quitter ce pays, inquiété par les grecs et par la France.

De retour en France en 1869, il est condamné pour avoir refusé de dissoudre une réunion qu’il présidait. Il défendait dans ces réunions des positions oscillant entre rationalisme scientifique et romantisme.

Rochefort lui confie la rubrique militaire dans son journal, La Marseillaise. Inculpé dans le procès de Blois, une sombre machination policière prétextant un complot contre la vie de l’empereur destinée à se débarrasser d’opposants, il est condamné à six ans de prison et à la dégradation civique.

Durant le Siège, il est élu chef par les cinq bataillons de Belleville, on lui décerne le titre honorifique de « major des remparts ».

Il joue un rôle décisif dans l’insurrection du 31 octobre dernier, en occupant l’Hôtel de ville à la tête de ses gardes nationaux. Emprisonné après l’échec, il est libéré par un commando dans la nuit du 20 au 21 janvier et se cache dans Paris.

Élu à la Commune par le XIXe arrondissement (4 100 voix sur 11 282 votants) et le XXe (13 498 voix sur 16 792 votants), il siégeait à la Commission militaire où il mit toute son énergie et ses compétences.

 

Échec au Sud

Ayant pour tout ordre de marche, « allez de l’avant ! », 10 000 hommes dirigés par Eudes ont quitté le Champ de Mars à 3 heures du matin. Ils ont avancé, mais rapidement ont été obligés de se replier vers Meudon, puis Issy.

Duval avait passé la nuit sur le plateau de Châtillon avec 6 ou 7 000 hommes. Ils avancent, mais sont bloqués à Clamart. Face à la fusillade qui éclate, ils ne disposent pas d’artillerie, les cartouches manquent. Sans renforts ni munitions, un officier ordonne la retraite vers le plateau de Châtillon.

Les forts de Vanves et Issy qui sont tenus par la commune, mal pourvus en munitions adaptées, sont impuissants pour faire taire les batteries versaillaises.

Ce n’était pas le courage qui avait fait défaut.

Les fédérés se battent « comme des lions », avec la détermination, l’héroïsme de ceux qui sont persuadés de s’opposer au triomphe de la réaction, à la remise en cause de la République.

 

L’aveuglement du commandement

 Alors que cette sortie est un échec sur tous les plans, les communiqués crient victoire, contre toute évidence.

À 11 h 20, le Colonel Bourgoin écrit : « Bergeret et Flourens ont fait leur jonction ; ils marchent sur Versailles. Succès certain. »

À 2 h, on annonce que les troupes se sont abritées efficacement contre le feu du Mont Valérien qui n’a occasionné « aucune perte appréciable » et que deux colonnes ont pu franchir les lignes et se mettent en marche sur Versailles.

Témoignage. Catulle Mendès, 30 ans, romancier

« (…) Dès le matin, on a entendu le canon. Ah ! Ce bruit qui, pendant le siège, nous faisait battre le cœur d’espérance oui, d’espérance, car il faisait croire à la délivrance possible, ce bruit, qu’il a été affreux ce matin ! Je me suis dirigé vers les Champs Élysées. Paris, véritablement, était désert. (…) Place de la Concorde, quelques groupes. Je m’approche ; on parle de la question des loyers ! Ah ! Certes, ceux qu’on tue en ce moment ne paieront pas leurs propriétaires. À la hauteur du Rond-Point j’aperçois distinctement une foule assez compacte autour de l’arc de Triomphe, et je rencontre quelques gardes nationaux fatigués qui reviennent de la bataille. Ils sont mornes, en loques, poudreux.

– Que se passe-t-il ?

– Nous sommes trahis ! dit l’un

– Mort aux traites ! dit un autre

Du champ de bataille aucune nouvelle certaine. (…) Je continue mon chemin. (…) La hauteur sur laquelle repose l’Arc-de-Triomphe est couverte de curieux : beaucoup de femmes et d’enfants. On grimpe aux bornes, on s’accroche aux saillies du monument, on se retient aux sculptures des bas-reliefs. (…) De cet observatoire, on aperçoit une longue foule immobile et attentive qui garni entièrement l’avenue de la Grande Armée. (…) Bientôt la fusillade cesse entièrement ; il est midi. Mais la batterie du rempart continue d’attaquer le rond-point de Courbevoie, et le Mont Valérien lance, de moment en moment, des projectiles sur Neuilly. Tout à coup une épouvantable poussée, venant de la Porte Maillot, refoule l’épaisseur de la multitude (…) et tout le monde s’effare, crie, s’enfuit avec des gestes d’épouvante. Un obus, dit-on, vient de tomber sur l’avenue de la Grande Armée. Autour de l’Arc-de-Triomphe, plus personne. Les rues voisines regorgent de gens qui cherchent un abri. Puis, peu à peu on se rassure (…) on revient sur ses pas. (…) À quelque distance du théâtre des événements, on est mieux informé, on est du moins très informé. L’imagination, plus loin du fait, a plus beau jeu. Je recueille cent nouvelles absurdes. Ce qui paraît certain, c’est que les fédérés ont subi un échec, médiocrement important, en soi, puisque les troupes de Versailles ont peu avancé, mais enfin un échec qui pourra avoir quelque influence sur les résolutions de la garde nationale. On lui avait dit : « l’armée ne se battra pas ; les lignards lèveront la crosse en l’air comme à Neuilly, comme ils ont fait à Montmartre ». Elle commence à croire que l’armée se battra, et les gens qui vont répétant le plus haut que les sergents de ville et les zouaves de Charette ont seuls attaqué, ont l’air de parler ainsi pour se rendre courage et se faire illusion à eux-mêmes… »

Vers 9h00, un certain nombre de membres de la Commune, ceints de leurs écharpes réussissent à rallier les bataillons rentrant en désordre dans Paris en y semant la terreur.

Les parisien-nes restent très déterminé-es. Un appel aux citoyennes paraît :

Citoyennes,

Femmes de toutes les classes,

Allons à Versailles !

Allons dire à Versailles ce que c’est que la Révolution de Paris ;

Allons dire à Versailles que Paris a lait la Commune, parce que nous voulons rester libres ;

Allons dire à Versailles que Paris s’est mis en état de défense, parce qu’on l’a calomnié, parce qu’on l’a trompé, et qu’on a voulu le désarmer par surprise ;

Allons dire à Versail1es que l’assemblée est sortie du droit, et que Paris y est rentré ;

Allons dire à Versailles que le gouvernement est responsable du sang de nos frères, et que nous le chargerons de notre deuil devant la France entière.

Citoyennes, allons à Versailles, afin que Paris ait tenté la dernière chance de réconciliation.

Pas le moindre retard.

Unissons-nous aujourd’hui même à midi, place de la Concorde, et prenons cette importante détermination devant la statue de Strasbourg.

Une véritable citoyenne.

Vers 3 heures de l’après-midi, une manifestation de 300 femmes part de la place de la Concorde, précédée d’une femme portant un drapeau rouge. La colonne marche vers la porte maillot jusqu’au rempart, pour rejoindre « nos maris partis pour Versailles ». Elles sont arrêtées aux remparts.

 

La Commune change le commandement

 Les débats sont houleux à la séance de la Commune contre ceux qui ont compromis par imprudence le sort de la révolution. Gustave Lefrançais, indigné de la folle sortie, quitte la commission exécutive de la Commune et rejoint la commission du travail et de l’échange.

La responsabilité personnelle des généraux qui se sont laissés entraîner par l’élan populaire, en étant plus fougueux que perspicaces et efficaces, est mise en cause.

Cluseret analyse la marche vers Versailles, qu’il a pourtant validée, comme une véritable « gaminerie ».

Il est vrai que ce qui s’est passé lors de cette sortie pose de graves problèmes, des chefs qui disparaissent, des bataillons qui manquent de munitions, de vivres. Dans ces conditions le combat n’est pas possible, il y a urgence à réorganiser la garde nationale. Il demande à être seul chargé de la direction des opérations et de l’organisation des forces armées.

La Commune, compte tenu des fautes commises, décide que Duval, Bergeret et Eudes, « retenus loin de Paris par les opérations militaires », soient remplacés à la commission exécutive par les citoyens Delescluze, Cournet et Vermorel et que Cluseret soit seul délégué au ministère de la guerre.

Elle leur adresse une lettre polie pour justifier cette mise à l’écart

Aux citoyens Bergeret, Duval et Eudes.

Citoyens,

Nous avons l’honneur de vous prévenir qu’afin de vous laisser toute liberté pour la conduite des opérations militaires qui vous sont confiées, la Commune vient d’attribuer au général Cluseret la direction de l’administration de la guerre.

L’assemblée a estimé que, dans les graves circonstances où nous sommes, il importait d’établir l’unité dans les services administratifs de la guerre.

La commune a également jugé indispensables de vous remplacer provisoirement à la commission exécutive dont votre situation militaire de vous permet plus de partager les travaux.

Nous n’avons pas besoin d’ajouter qu’en prenant cette double décision, la Commune est aussi éloignée de vous désobliger, que d’affaiblir l’intérêt de votre situation comme chefs de corps. Vous n’y verrez que les conséquences des nécessités du moment.

Salut et fraternité :

Paris, le 3 avril 1871.

Les membres de la commission exécutive, CHARLES DELESCLUZE, FÉLIX PYAT.

 

En bref

En raison des opérations militaires engagées, les élections communales précédemment fixées au mercredi 5 avril sont ajournées.

La commune vient d’adopter à l’unanimité l’écharpe rouge, frangée d’or, comme insigne des fonctionnaires municipaux.

À la salle de la rue d’Arras, séance tous les soirs à huit heures, à l ‘ordre du jour : capital et travail, moyens pratiques d’organisation.

Un appel est fait à tous les citoyens qui s’occupent de l’amélioration des classes laborieuses.

Le prix des denrées, plus rares dès lors que les portes sont fermées, a augmenté. Une grande animation règne aux points de vente. Il a fallu mettre des barrières devant magasin Potin au Boulevard Sébastopol pour contenir et réglementer la foule qui s’y presse.

Les journaux de province continuent à nous faire complètement défaut.

Le directeur général des lignes télégraphiques, Monsieur Pauvert, invite les jeunes gens sans emploi, tous les bons citoyens, à la fréquentation d’une école de télégraphie qui vient d’être ouverte à l’administration centrale pour aider à reconstituer le personnel des différents bureaux de Paris, si traîtreusement désorganisés par le gouvernement de Versailles. Le stage nécessaire pour les hommes intelligents n’excédera pas vingt jours, et des appointements convenables leur seront immédiatement offerts. Un examen préalable permettra à l’administration de se fixer que la capacité des postulants.

Thiers dans la journée du 31 mars, a payé 500 millions aux prussiens, ce qui lui permet de faire venir des renforts du nord.

Mac Mahon a été nommé commandant en chef de toutes les forces militaires chargées de la défense de Versailles.

 

La séparation de l’Église et de l’État en pratique

Dans le Ve arrondissement, le citoyen Blanchet a été prévenu que suite au décret, des voitures pleines de vivres se trouvaient dans les couvents, prêtes au départ. Ordre est donné de les réquisitionner. Le commissaire, à la tête d’une compagnie de la Garde nationale s’est rendu à l’établissement des jésuites rue Lhomond où était prévu un inventaire. Après avoir difficilement récupéré les clefs, il constate la disparition de la caisse et de la comptabilité, et ne peut ouvrir la bibliothèque.
Rigault, de la commission de sûreté générale, ordonne l’arrestation immédiate de ceux qui s’opposent à l’exécution du décret.

Les fédérés cernent l’établissement, un coup de feu parti de l’intérieur blesse une sentinelle. La foule veut tout saccager, elle est contenue par les gardes. Le commissaire arrête quatre pères jésuites et plusieurs frères de la compagnie et les emmène à la préfecture.

Rigault procède à l’interrogatoire :

– Quelle est votre profession ?

– Serviteur de Dieu.

– Où habite votre Maître ?

– Partout.

Rigault impassible, dicte à son secrétaire, écrivez « Ducoudray, se disant serviteur d’un nommé Dieu, en état de vagabondage »

Est-il bien efficace de confier l’exécution de ce décret à des gens qui y procèdent avec une violence d’apparat inutile ?

 

Deux démissions de l’Assemblée versaillaise

MM. Floquet et Lockroy, qui se trouvaient à Paris depuis samedi, ont tenté de se rendre à Versailles aujourd’hui, pour déposer leur démission entre les mains du président de l’Assemblée.

La gare du chemin de fer étant fermée, après avoir essayé inutilement de se rendre à Versailles en voiture, les deux députés se sont trouvés dans la nécessité de revenir. Voici la lettre qu’ils avaient 1’intention de remettre au président de l’Assemblée de Versailles, s’ils avaient pu arriver dans cette ville :

Monsieur le président,

Nous avons la conscience d’avoir fait tout ce que nous pouvions pour conjurer la guerre civile face aux Prussiens encore armés sur notre sol. Nous jurons devant la nation que nous n’avons aucune responsabilité dans le sang qui coule en ce moment. Mais puisque, malgré nos efforts passés, malgré ceux que nous tentions encore pour arriver à une conciliation, la bataille est engagée, et une attaque dirigée sur Paris, nous, représentant de Paris, croyons que notre place n’est plus à Versailles. Elle est au milieu de nos concitoyens, avec lesquels nous voulons partager, comme pendant le siège prussien, les souffrances et les périls qui leur sont réservés. Nous n’avons plus d’autre devoir que de défendre, comme citoyens et selon les inspirations de notre conscience, la République menacée. Nous remettons entre les mains de nos électeurs le mandat qu’ils nous avaient confié, et dont nous sommes prêts à leur rendre compte.

Les représentants du peuple présents à Paris, CHARLES FLOQUET, EDOUARD LOCROY

Extraits d’un article de Jean-Baptiste Millière, représentant de la Seine dans La Commune

… Qui pourra nous sauver ?

Le prolétariat.
De même qu’il y a quatre-vingt ans, le régime capitaliste s’est substitué au régime féodal, de même il faut qu’aujourd’hui le travail absorbe le capital. Et quand nous parlons du travail, nous l’envisageons sous toutes ses formes agricoles, industrielles, scientifiques, artistiques et commerciales. Les deux anciennes classes de la noblesse et du tiers-état se sont réunies pour former la bourgeoisie ; à son tour la bourgeoisie doit se fusionner avec le prolétariat pour ne constituer qu’une seule classe, le peuple.

Ce sera là le caractère distinctif de la Révolution dans laquelle nous entrons.

Le prolétariat français est-il dès à présent en mesure d’accomplir cette œuvre de régénération ?

À Paris et dans quelques autres grandes villes, oui, le prolétariat est assez préparé pour la tenter avec succès ; mais dans La plupart des petites villes, et surtout dans les villages, il en est encore incapable.

Et c’est là le grand écueil de la Révolution communale commencée à Paris.

Si cette Révolution, destinée à régénérer le monde, s’effectuait sur toute la surface de la France, elle pourrait procéder par la base ; mais si, dès à présent, on laisse à chaque commune la faculté de s’organiser à sa guise, au lieu de continuer l’œuvre de la civilisation elle la détruira; au lieu de marcher en avant, la société française reculera jusque dans la nuit du Moyen Âge, et l’on verra se produire un phénomène de réaction bien autrement monstrueux que celui qui s’est manifesté lors de l’élection des ruraux qui composent la majorité de l’assemblée de Versailles.

De là les difficultés qu’éprouve le Conseil communal de Paris.

La question de l’organisation de la Commune se pose aujourd’hui dans des conditions on ne peut plus défavorables et qui rendent impossible une bonne solution.

[…]

De quelque façon que procède la Commune de Paris, elle est obligée de recourir à des mesures exceptionnelles pour résister aux attaques du pouvoir politique. Sa légitimité n’est pas reconnue par le gouvernement; elle est menacée dans son existence même ; elle est en état de guerre; son action est une bataille, et comme la République de 1792, sa tâche consiste moins à administrer qu’à combattre.

Au milieu de ce conflit, on ne peut pas exiger que la Commune se renferme dans une étroite légalité qui, pour elle, serait la mort. Si l’on veut éviter une guerre civile redoutable pour tous, il faut nécessairement arriver, et cela le plus tôt possible, à l’un ou l’autre de ces deux résultats.

Ou déterminer le gouvernement de Versailles à reconnaître et à consacrer légalement les droits de la Commune.

Ou bien faire cesser l’antagonisme en substituant à l’assemblée actuelle, dont le mandat spécial est à peu près terminé, une Assemblée constituante qui aura pour mission d’établir les bases de l’organisation politique et administrative de la France par de fortes institutions républicaine et municipales.

 

Nouvelles du Havre

 Le Journal du Havre dans un article, comparant la situation de la ville pendant la guerre, durant laquelle la commune a pris l’initiative de décisions politiques, a été la seule autorité obéie pendant 6 mois, explique la commune de Paris par le fait que

« les grands centres ne sont pas représentés (à Versailles), car leurs votes sont perdus dans le vote des campagnes. Ainsi Bordeaux, Toulouse, Le Havre, Lyon et bien d’autres villes n’ont vu passer aucun des candidats auxquelles elles avaient donné la majorité ; les votes des campagnes les ont absorbées et ces villes sont sans représentation ».

 

En débat

L’échec militaire de la marche vers Versailles confirme que la Garde Nationale, le peuple parisien en armes, n’est pas une armée conçue, organisée et dirigée pour mener une guerre classique.

À l’exception de la sortie de Buzenval du 19 janvier dernier, elle n’a jamais été utilisée dans les combats durant la guerre et le siège parce que l’état-major et le pouvoir avaient peur d’utiliser le peuple en armes, de le former et de l’aguerrir.

La tradition militaire des républicains les plus aguerris de Paris est celle des barricades, montées et défendues par les insurgé-es dans leur quartier.

Chateaubriand avait compté 4000 barricades dans Paris lors des journées de juillet 1830, ce chiffre est peut-être exagéré, mais c’est à nouveau par centaines, probablement plus d’un millier que des barricades sont érigées en février 1848 dans tout Paris, et un peu moins lors des journées de juin 1848, seulement dans les quartiers ouvriers à l’Est de Paris tant rive droite que rive gauche. Depuis le début de la commune, depuis 18 mars, des centaines de barricades sont réapparues dans Paris.

Cette forme de combat a été efficace lorsque l’artillerie n’avait pas la puissance qu’elle a aujourd’hui.

Cette forme de combat défensif, dans des rues connues, dans un environnement favorable, avec le soutien de la population, n’a rien à voir avec une offensive armée en rase campagne.
D’abord la pression sur les soldats adverses pour les pousser à désertion est tout autre lorsque les affrontements commencent par des bombardements, la mitraille de part et d’autre. D’autant qu’aujourd’hui Versailles a préparé politiquement ses troupes, dépeignant Paris comme une ville où 1,5 millions de personnes sont opprimées par 20 000 scélérats, et se donne les moyens de mettre des troupes sûres dans les premiers affrontements.

Ensuite une offensive de cette nature nécessite une préparation militaire d’une toute autre ampleur, des groupes soudés, ayant la nourriture assurée, des munitions nécessaires, un appui adapté d’artillerie, et obéissant aux ordres pour agir collectivement, la démocratie n’étant pas applicable au moment de l’affrontement militaire. Les réactions individuelles coordonnées de la défense d’une barricade ne suffisent pas pour des affrontements militaires plus classiques.

Enfin au plan politique, il est différent de se défendre contre une agression que de justifier une offensive. Il fallait justifier la marche sur Versailles autrement que par un réflexe de vengeance. Y allait-on pour imposer un autre pouvoir, lequel ? Il fallait un objectif politique unifiant celles et ceux qui s’y impliquent. Cela a dramatiquement été absent !

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