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“Voir notamment, sur le site du CVUH,  les articles de Claude LIAUZU et Catherine COQUERY-VIDROVITCH (consultés le 6 juillet 2012).”

Lire hors-ligne :

En 2007, huit historiens (parmi lesquels Gérard Noiriel) démissionnaient du conseil scientifique de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration (CNHI), pour protester contre la création du Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement par le gouvernement Sarkozy. Cette démission collective a mis en lumière les tensions inhérentes à la patrimonalisation et à la muséification de l’histoire de l’immigration, dans un contexte marqué par les politiques xénophobes. Aurore Chéry, doctorante à l’université Lyon III, revient dans cet article sur les cinq première années d’existence de la CNHI, marquées par des enjeux renvoyant aux difficiles rapports de l’État français avec son histoire de l’immigration. 


De nombreux chercheurs se sont intéressés à la genèse de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration (CNHI) ainsi qu’aux controverses qui ont émaillé sa conception et sa réalisation[fn]Cette période a particulièrement focalisé l’attention des historiens. Outre Nancy L. Green « History at Large. A French Ellis Island? Museums, Memory and History in France and the United States », History Workshop Journal, 63 : 239-253, Marie-Claude Blanc-Chaléard a par exemple retracé la genèse du projet dans « Une cité pour l’histoire de l’immigration. Genèse, enjeux, obstacles », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2006/4, n° 92, p. 134. [/fn]. La plupart d’entre eux ont évoqué les origines coloniales du Palais de la Porte Dorée, le bâtiment qui accueille la Cité. Construit à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931, celui-ci a été tour à tour le Musée des Colonies jusque dans les années 60, puis le Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie avant de fermer ses portes en 2003. Ils ont également rendu compte des obstacles qu’il a fallu contourner pour mener le projet à son terme. En effet, bien que la création d’un musée de l’immigration ait été projetée dès 1989, celui-ci n’a pas vu le jour avant 2007 ; les débats sur l’immigration consécutifs à la montée du Front National dans les années 80 surgissant notamment comme autant de pierres d’achoppement.

Bien que la CNHI se soit trouvée au cœur de nombreuses polémiques, les publications sur le sujet se sont raréfiées depuis 2007. Loin d’être le fait d’une désaffection des chercheurs, il semblerait plutôt que leurs travaux souffrent d’une difficulté d’accès à l’information. Ils se trouvent démunis face à une institution devenue méfiante, partagée entre des intérêts opposés : les impératifs commerciaux de rentabilité d’un côté et  les demandes et les attentes de ses ministères de tutelle de l’autre, autant de circonstances qui ont eu des répercussions sur sa neutralité et son indépendance. Cet article se propose donc de présenter les différents facteurs qui ont pesé sur la CNHI pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, en s’arrêtant notamment sur son contexte politico-social spécifique et sur les incidences qu’il a pu avoir sur le monde universitaire, ainsi que de réfléchir sur les conséquences des décisions qui ont alors été prises par la direction de l’établissement. Ce faisant, il s’agira de dresser le tableau d’une institution qui s’efforce de garder la main sur son devenir alors qu’elle est contrainte d’affronter nombre de facteurs qui pourraient le compromettre.

Afin de financer mon doctorat, j’ai été employée en tant que conférencière à la CNHI de 2008 à 2010. Dans le cadre de cette activité, j’ai pu rencontrer plusieurs jeunes chercheurs provenant de différents pays qui m’ont convaincue que la transparence caractérisant autrefois cette institution, et que Mary Stevens avait pu souligner, appartenait désormais au passé[fn]Mary Stevens,  “Still the family secret? The representation of colonialism in the Cité nationale de l’histoire de l’immigration”.African and Black Diaspora 2(2) p. 116. Il est également à noter que le premier rapport d’activités de la CNHI qui a été rendu public est celui de 2011, mis en ligne sur son site Internet en avril 2012. http://www.histoire-immigration.fr/node/26724 (consulté le 6 juillet 2012). [/fn]. Renvoyés d’un département du musée à un autre, ces chercheurs n’arrivaient que très rarement à obtenir les informations dont ils avaient besoin et c’est souvent vers les conférenciers qu’ils étaient finalement dirigés. En tant que vacataires, payés à la visite, nous ne faisions pas partie intégrante du personnel, mais nous étions cependant en mesure d’accéder de manière informelle à des informations sur le fonctionnement de l’établissement. Ceci permet d’éclairer les développements qui vont suivre : ils relateront un certain nombre de mes expériences à la CNHI, dans le but d’en offrir un « aperçu de l’intérieur ».

La création d’un musée est toujours une affaire délicate qui implique de faire des choix, de choisir ce que l’on doit montrer mais peut-être aussi et surtout, ce que l’on ne doit pas montrer. Afin d’être accessibles à un large public, dans un espace restreint, les situations complexes doivent nécessairement être simplifiées. Par ailleurs, un musée d’histoire est toujours le produit du contexte qui l’a fait naître, ici, celui d’une patrimonialisation croissante de l’histoire par les pouvoirs publics depuis le succès des Lieux de mémoire de Pierre Nora[fn] Pierre Nora, (dir.) Les Lieux de mémoire, 7 vol, Paris, Gallimard, 1984,1986, 1992. [/fn]. Pour Gérard Noiriel, à l’origine du projet de la CNHI, il s’agissait de créer un « lieu de mémoire » pour « ceux d’en bas » quand Nora ne semblait considérer que « ceux d’en haut », à travers la célébration des grands hommes[fn]Voir cet entretien avec Gérard Noiriel publié par la revue Vacarme (consulté le 18 septembre 2012). [/fn].

La relation de la France à son passé a fait l’objet de nombre de débats tout au long de la présidence de Nicolas Sarkozy. Conseillé par Patrick Buisson, journaliste ayant longtemps fait carrière à l’extrême droite, Sarkozy a souvent été accusé d’instrumentaliser l’histoire à des fins politiques, et d’œuvrer plus particulièrement à la promotion des idées nationalistes[fn]Sur le sujet, voir notamment Laurence de Cock, Fanny Madeline, Nicolas Offenstadt et Sophie Wahnich (dir.), Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France, Marseille, Agone, 2008 et Nicolas Offenstadt, L’histoire bling bling, le retour du roman nation, Paris, Stock, 2009. [/fn]. Le projet de Maison de l’Histoire de France, qui devait apparaître comme le grand musée de l’ère Sarkozy, comme la pyramide du Louvre l’avait été pour Mitterrand ou le Quai Branly pour Chirac, en est l’une des illustrations les plus marquantes[fn]Légalement né en janvier 2012 sous la forme d’un « Etablissement public » dirigé par Maryvonne de Saint Pulgent, celui-ci a été dissous par décret le 31 décembre suivant (consulté le 1er janvier 2013). [/fn]. Il s’agissait de concevoir un musée de l’histoire de France destiné à présenter une histoire « qui a fondé notre nation, notre identité nationale et notre démocratie », comme la lettre de mission du 20 novembre 2007 l’expliquait[fn]Voir Hervé Lemoine, Rapport sur La Maison de l’Histoire de France, p. 7, disponible ici (consulté le 6 juillet 2012). [/fn]. Plusieurs historiens y ont vu « un musée dangereux » par la dimension nationaliste qu’il promouvait dès l’origine[fn]Voir Isabelle Backouche, Vincent Duclert, « Maison de l’Histoire de France », enquête critique, Paris, Fondation Jean Jaurès, 2012. [/fn].

Gérard Noiriel était l’un d’entre eux, il était également originellement membre du conseil scientifique de la CNHI dont il a démissionné, avec sept autres collègues, pour protester contre la création d’un Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement par le gouvernement Sarkozy en 2007. Ce ministère leur apparaissait en effet en total contradiction avec les buts de la CNHI, ce qui était d’autant plus problématique que ce nouveau ministère était aussi le principal financeur de la Cité[fn]Voir la revue de presse ici (consulté le 6 juillet 2012).[/fn]. La CNHI se donnait pour but de revendiquer une place légitime pour l’immigration au sein de l’histoire de France, ce pour quoi la devise « Leur histoire est notre histoire » avait été choisie. Son objectif était de promouvoir une alternative au roman national classique.

Dans la mesure où l’ouverture au public de la CNHI a correspondu avec le début de la présidence de Nicolas Sarkozy, elle fut vite confrontée à un paradoxe : le discours officiel sur la question de l’identité apparaissait en opposition ouverte avec les principes qui guidaient le projet de la Cité. Or, ses financements provenaient presqu’exclusivement de l’Etat. Comment l’établissement pouvait-il faire face à des exigences aussi contraires ? Fallait-il voir un lien de cause à effet entre cette situation et le déclin des recherches universitaires sur la CNHI ? C’est à ces questions que cet article voudrait tenter d’apporter des réponses en se concentrant sur trois aspects majeurs qui ont marqué les cinq premières années de la Cité : le contexte socio-politique global, la manière dont la CNHI use de ses ressources, particulièrement concernant les expositions temporaires et enfin, les conséquences qui en résultent pour les chercheurs qui travaillent sur la CNHI et/ou en lien avec elle.

 

Relever le défi des relations avec le public

Les démissions de chercheurs du conseil scientifique ont eu un impact important sur la CNHI. Elles ont contribué à la placer sous les feux de l’actualité politique, ce qu’elle voulait précisément éviter. L’événement a en effet suscité une large couverture médiatique dont le gouvernement s’est efforcé de minimiser l’impact : le 29 mai 2007, Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, recevait les historiens démissionnaires tandis que le 31 mai, Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, les appelaient à revenir sur leur décision sur les ondes de France Info. Des entreprises qui n’eurent aucun effet et qui ne permirent pas de faire cesser la controverse ; lors de l’inauguration officielle, le 30 mars 2009, de jeunes sociologues chahutèrent Eric Besson, le nouveau ministre de l’Immigration, ce qui le força à quitter le musée avant que la cérémonie n’ait pu effectivement avoir lieu. Par la suite, la présence policière renforcée lors de visites de personnalités politiques ne servit pas véritablement la popularité de la politique d’immigration du gouvernement, d’autant que, en octobre 2010, un groupe de migrants sans-papiers vint occuper la Cité pour protester contre cette politique. Le bâtiment avait déjà fait l’objet d’une occupation similaire en avril 2002, alors qu’il abritait encore le Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie. Cette fois, les migrants venaient réclamer le respect des termes de l’accord qu’ils avaient signé avec le Ministère de l’Immigration le 18 juin précédent. On leur avait alors notamment promis la délivrance d’un récépissé de trois mois valant autorisation de travail et de séjour pendant l’étude de leur dossier en préfecture. Or, la plupart des grévistes concernés n’avaient alors reçu aucun récépissé.

L’affaire est évidemment critique pour la CNHI car il est symboliquement délicat de faire évacuer des sans-papiers qui se bornent à demander à ce que le gouvernement tienne ses promesses. D’autre part, dans Repères, l’exposition permanente du musée, on peut notamment voir l’œuvre d’Olivier Jobard : Kingsley, carnet de route d’un immigrant clandestin qui relate par la photographie les conditions particulièrement cruelles que doivent affronter les migrants illégaux qui recourent à des passeurs. On y voit les embarcations de fortune, la crainte des migrants devant les menaces des passeurs, les longues attentes, les accidents, les nombreux morts. Un peu plus loin dans l’exposition, une œuvre de Bruno Serralongue présente quant à elle les manifestations d’un collectif de sans-papiers à Paris[fn]En décembre 2012, ces deux œuvres n’étaient plus présentées dans le parcours de la collection permanente, étant officiellement retirées momentanément pour des raisons de conservation. [/fn]. Aussi, les premières semaines, l’institution est bien obligée de jouer le jeu : les sans-papiers accompagnent les visites des conférenciers, ils acceptent volontiers de poser pour les photos des visiteurs.

Mais dans la mesure où la situation perdurait, la Cité a finalement décidé de fermer ses portes aux visiteurs et a accepté de conclure un accord avec la CGT, représentant les sans-papiers, le 9 décembre 2010. Les termes de l’accord prévoyaient de mettre un local à leur disposition dans l’attente de la réception des récépissés valant autorisation de travail[fn]Voir le tract de l’UL CGT (consulté le 6 juillet 2012)[/fn]. Ils restèrent ainsi à la CNHI jusqu’à 28 janvier 2011, jour où la direction demanda aux  forces de l’ordre de faire évacuer l’établissement. Un communiqué de presse accompagna cette décision ; il faisait état de « problèmes récurrents » qui auraient mené à cette évacuation : « jauges de salles dépassées, non respect des règles intérieures, insalubrité, personnes stationnant en trop grand nombre dans les espaces ouverts au public. » D’autre part, des menaces contre le personnel étaient également évoquées, « à la fin de l’année 2010 et au début du mois de janvier 2011 », soit après l’accord passé avec la CGT. Officiellement, ce n’est donc qu’en raison de ces problèmes, et pour protéger ses personnels, que la CNHI avait recouru aux forces de l’ordre.

Contrairement à ce qui s’était passé lors de l’occupation de l’église Saint-Bernard par des sans-papiers en 1996, cette occupation ne suscita que peu d’intérêt de la part des médias. A cette époque, l’implication de célébrités telles qu’Emmanuelle Béart ou Georges Moustaki avait contribué à instaurer une sorte de tradition de l’occupation de sites à fort potentiel symbolique par les sans-papiers[fn]Sur l’occupation de l’église Saint-Bernard, voir Thierry Blin, Les sans-papiers de Saint-Bernard, mouvement social et action organisée, Paris, L’Harmattan, 2005. [/fn].

Soucieuse d’éviter toute mauvaise publicité et les protestations qui pourraient résulter de cette évacuation forcée, la Cité adopta un « protocole de sécurité renforcé  » annoncé par un communiqué sur le site Internet de l’établissement, le 15 février. En des termes susceptibles d’une large interprétation, il rappelait que le règlement intérieur de la CNHI devait être respecté en toute occasion sous peine d’exclusion immédiate « par tout moyen nécessaire » et/ou de la fermeture du site. Concrètement, ce protocole de sécurité a conduit à fermer l’établissement tous les matins où les sans-papiers venaient manifester devant la CNHI, soit plusieurs fois par semaine jusqu’au mois de mars. Le musée n’ouvrait ainsi ses portes que lorsque, soit par le recours aux forces de l’ordre, soit par leur propre volonté, ils quittaient le trottoir passant devant l’établissement.

En dépit de ces mesures, la CNHI a toujours été très inquiète de l’image qu’elle renvoyait dans l’affaire des sans-papiers et ce, plus particulièrement après l’évacuation par les forces de l’ordre. Elle a par exemple tout fait pour effacer le souvenir de l’adoption du protocole de sécurité renforcé. En atteste notamment les stigmates laissés sur la page Wikipedia consacrée à la Cité. Cette page montre en effet une photographie représentant l’entrée principale de l’établissement avec un affichage du protocole de sécurité renforcée. Depuis que la situation s’est apaisée, celui-ci n’est plus affiché à l’entrée du musée ni même sur son site web et seule la photographie de Wikipedia en garde le souvenir. Or, l’historique de la page témoigne que l’utilisateur Citeimmigration a tenté a plusieurs reprises de retirer cette photo en prétextant notamment qu’il s’agissait d’un montage[fn]http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Cit%C3%A9_nationale_de_l%27histoire_de_l%27immigration&action=history[/fn]. La vigilance des autres utilisateurs a finalement contraint Citeimmigration à conserver la photo.

D’autre part, dans le rapport d’activités 2011, c’est justement l’image qui est pointée comme la première des faiblesses de l’établissement :

« La longue occupation par les sans papiers, même si, de l’avis général, elle a été gérée le mieux possible, n’a pas contribué à sortir la Cité d’un certain brouillage d’image. Le déficit de notoriété, la faiblesse des moyens de communication et l’ambiguïté de l’institution ont maintenant été bien analysés (voir notamment le diagnostic du contrat de performance). En 2011, grâce à un partenariat de compétences avec les équipes de EuroRSCG, une réflexion a été lancée pour travailler ce chantier »[fn]Rapport d’activités de la CNHI 2011, p. 6.[/fn].          

Mais si la CNHI souffre d’une mauvaise image, l’occupation des sans-papiers en est la seule responsable et le rapport d’activités poursuit ainsi :

« L’occupation du Palais par les sans papiers a eu des conséquences importantes sur l’image de la Cité. Deux constatations immédiates peuvent être faites :

–  cette situation a renvoyé la Cité dans le champ politique,

– la reprise des communiqués envoyés par la Cité est nettement plus importante lorsqu’ils

concernent le politique »[fn]Ibid., p. 12-13.[/fn].

Cette référence à la politisation de la Cité montre que la direction de l’établissement considère la CNHI comme fondamentalement apolitique alors même que l’objet dont elle traite fait depuis longtemps l’objet de vives controverses politiques et que l’établissement est entièrement dépendant des fonds provenant de ses ministères de tutelle, autant de facteurs qui la placent nécessairement dans la sphère politique.

S’appuyant sur cette supposée neutralité, les auteurs du rapport annuel concluent que la Cité a pu conserver son image positive aux yeux du public grâce à une bonne gestion des relations publiques. En d’autres termes, l’opinion semble être convaincue que l’occupation devait cesser en raison des effets négatifs qu’elle induisait autant pour le personnel que pour les finances de l’établissement, ce que signifie le « poids humain et financier » de l’occupation :

« La gestion des relations avec les travailleurs sans papiers et leurs représentants syndicaux, en l’occurrence la CGT a été plutôt bien gérée puisque le départ des occupants n’a pas été repris dans la presse comme une évacuation mais comme la fin d’une occupation – même dans des journaux sympathisants tel que l’Humanité. La Cité a su conserver une partie de son capital sympathie en insistant sur le poids financier et humain d’une occupation qui a duré quatre mois et qui pour l’essentiel s’est passée dans de très bonnes conditions »[fn] Ibid.[/fn].

Compte tenu de cette interprétation de l’événement, les sans-papiers n’ont pas seulement compromis l’image de la CNHI, ils ont aussi contribué à la baisse du nombre de visiteurs pour 2011 et mis en danger les finances de l’institution[fn]Ibid., p. 38-39[/fn]. La question de la fréquentation sporadique de la CNHI était devenue une obsession de la direction suite à la parution d’un article du journal Le Monde, le 20 mars 2010, qui en faisait état[fn]Michel Guerrin, « Le musée fantôme », Le Monde du 20 mars 2010.[/fn]. Il avait suscité cette réponse de Luc Gruson, le directeur de la CNHI : « l’immigration, ça n’est pas glamour. On doit innover dans notre rapport au public en tissant du lien avec les associations »[fn]Catherine Coroller, « Du Galon pour un proche de la famille Bruni-Tedeschi », Libération, 13 avril 2010.[/fn]. C’est peut-être en raison de cet état d’esprit que, quelques jours après le début de l’occupation, la CNHI a décidé d’accorder un passe aux sans-papiers pour accéder gratuitement aux collections, ce qui permettait aussi de les inclure dans le nombre de visiteurs.

Dans le même temps, des rumeurs circulaient également sur la situation financière de l’établissement. De fait, dans les derniers mois de 2010, afin de boucler le budget annuel sans devoir demander de nouvelle subvention au gouvernement, Luc Gruson évoquait la possibilité de cesser de recourir aux services extérieurs du musée, tels que les visites guidées, afin de finir l’année sans avoir à recourir à une subvention supplémentaire du gouvernement. L’annonce brutale de la fermeture du musée à partir du  26 novembre et ce jusqu’à nouvel ordre (dans les faits jusqu’au 10 décembre) mit en l’occurrence fin à ces services extérieurs. Les personnels furent alors priés de prendre leurs congés, la mesure devant inciter les sans-papiers à quitter les lieux par eux-mêmes puisque, sans visiteurs et sans personnel, les dépenses de fonctionnement comme l’électricité et le chauffage seraient également interrompues. Devant la fronde des employés, refusant de se plier à la directive et de prendre leurs congés, l’établissement est resté ouvert sans recevoir de public, ce qui le dispensait aussi de demander de nouveaux fonds au gouvernement.

 

Les expositions temporaires : l’histoire sans vagues

En France tout particulièrement, la réputation d’un musée se joue sur le nombre de visiteurs qu’il peut revendiquer chaque année. Aussi, à l’instar des autres musées nationaux, la CNHI a toujours voulu s’engager dans cette course aux visiteurs dans laquelle les expositions temporaires jouent un rôle crucial. Elles permettent en effet d’attirer de nouveaux visiteurs qui ne sont peut-être pas ordinairement attirés par la thématique principale du musée. Toutefois, elles peuvent aussi impliquer de rompre avec la ligne directrice de l’établissement et ce plus particulièrement quand elles sont créées à l’initiative d’individus ou de groupes dont les idées diffèrent du projet initial. En pratique, la diversité des approches des expositions temporaires de la CNHI a bel et bien prouvé que le discours politique sur l’immigration était loin d’être univoque et partant, ne pouvait que jeter le doute sur la neutralité proclamée par l’institution. Cependant, là n’était pas le souci de l’établissement qui cherchait surtout à combler une attente souvent exprimée par le public : obtenir des informations sur telle ou telle communauté d’origine à laquelle des attaches personnelles le lie.

L’exposition permanente Repères ayant pour but de toucher à une universalité de l’expérience migratoire, c’est sciemment que l’accent n’avait pas été mis sur ces aspects. Dans le même temps, si le public est souvent en demande d’un lien avec une histoire personnelle et familiale, il est souvent dérouté quand il découvre des photographies représentant précisément des membres de sa famille sans même qu’il en ait été informé. Le manque de transparence du photographe dans l’usage qu’il comptait faire de la photographie se retourne contre la CNHI qui devient alors l’exploiteur de l’histoire familiale. Dans ce cas, la bienveillance initiale du visiteur se transforme en méfiance voire en franche hostilité envers la Cité, ce que j’étais également amenée à mesurer en tant que conférencière. Les premières minutes de la conférence ressemblaient souvent à un jeu pendant lequel il s’agissait de me cerner : quelles étaient mes positions sur l’histoire coloniale de la France alors que je présentais le bâtiment, quelles étaient mes positions politiques tandis que j’expliquais les politiques migratoires. Enfin, étais-je un instrument au service de ce qui était, pour nombre de visiteurs, un musée « sarkozyste » ?

Les premières expositions temporaires ont essayé de répondre aux polémiques suscitées par le choix du Palais de la Porte Dorée. Il s’est agit de placer la CNHI dans la continuité d’Ellis Island, sur laquelle portait la première exposition, puis, dans la deuxième, de s’intéresser aux étrangers qui ont participé au chantier de construction de la Porte Dorée. Les autres expositions ont plus précisément cherché à séduire un nouveau public en explorant les aspects « communautaires » : France/Allemagne, à chacun ses étrangers ; Générations, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France ; Polonia, des Polonais en France depuis 1830, ou en s’intéressant à des thématiques pour lesquelles l’intérêt est massif comme le football dans Allez la France ! Foot et immigration, histoires croisées.

L’exposition Génération[fn]Présentée du 17 novembre 2009 au 18 avril 2010, elle a fait l’objet d’un catalogue : Générations : un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France. Catalogue de l’exposition Générations. Sous la direction de Driss El Yazami, Yvan Gastaut, Naïma Yahi. Co-édition Gallimard/Cité nationale de l’histoire de l’immigration/Génériques, 2009.[/fn] est sans doute celle qui porte l’une des conceptions les plus opposées à l’esprit de l’exposition permanente Repères. Elle a été créée à l’initiative de l’association Génériques qui appartient au réseau de partenaires de la Cité. En 2001, Génériques avait écrit un rapport sur la création d’un centre national de l’histoire et des cultures de l’immigration pour Lionel Jospin, alors qu’il était premier ministre. Si le réseau de partenaires associatifs présente l’avantage de pouvoir mobiliser ses adhérents qui sont autant de visiteurs potentiels pour la CNHI, confier l’exposition d’un musée d’histoire à la seule validation scientifique des membres d’une association peut poser un certain nombre de problèmes. Dans le cas de Générations, ce sont Driss el Yazami, délégué général de l’association, et Naïma Yahi, chargée de recherche employée par Génériques, qui ont été les commissaires de l’exposition. Le premier est un militant, la seconde est historienne mais est payée par l’association. Par conséquent, Générations s’est fait le véhicule du seul point de vue de Génériques sur le sujet, un point de vue qui tend à réduire l’approche historique à la seule histoire culturelle et surtout à la patrimonialisation, comme le précise le site web de l’association :

« Par ses multiples actions, ancrées dans une vision de la culture comme ciment de la citoyenneté, Génériques contribue à recréer ou renforcer du lien social, faire resurgir le sens d’un vivre ensemble nourri par le dialogue culturel et le respect des altérités réciproques. Faire connaître, préserver, diffuser et valoriser le patrimoine des migrations est donc la mission première de Génériques, qui contribue par ce biais à restaurer le sens d’une identité collective et partagée »[fn]Voir http://www.generiques.org/nous_generiques.php, consulté le 6 juillet 2012.[/fn].

En posant comme postulat « l’altérité réciproque », Génériques pose question dans le contexte français puisqu’il s’agit, plutôt que d’altérité, de reconnaître des citoyens semblables en veillant à ce que les droits de tous soient respectés indépendamment de toute question d’origine.  En focalisant le regard sur les différences et en ne définissant jamais véritablement le sujet de l’exposition – le vocable « Maghrébins », selon Yahi, pouvait tout aussi bien inclure des migrants, notamment européens, installés au Maghreb que des Français d’origine maghrébine – le risque était de conduire le public à confirmer ses propres clichés sur une altérité indépassable, le Maghrébin commençant là où le public traçait sa propre ligne de  différence. Cette conception posait d’autant plus question dans un contexte de controverse autour du débat sur l’identité nationale. En présentant l’exposition aux personnels de la CNHI, le 25 novembre 2009, Naïma Yahi, affirma en effet qu’elle visait à célébrer une « identité nationale nord-africaine ». Alors même que les historiens qui avaient démissionné de la CNHI mettaient en cause la validité du concept d’identité nationale, une exposition temporaire de l’établissement le prenait pour un fait acquis en se contentant de prôner une cohabitation pacifique entre ces identités diverses.

L’exposition en elle-même souffrait d’une perspective essentiellement axée sur l’histoire culturelle qui contribuait à lui donner un caractère orientaliste d’autant plus gênant qu’il ne semblait jamais vraiment être questionné. Ainsi, de l’émir Abd el Kader au groupe Zebda en passant par les scopitones des années 60, l’histoire culturelle maghrébine s’articulait essentiellement autour de la danse du ventre, de la musique populaire, du hip hop ou encore du football à travers l’exemple de Zinedine Zidane. Les expressions de cette histoire appartenant à la « culture légitime », pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu, y étaient marginalisées voire inexistantes, laissant ainsi sous-entendre que la culture des « Maghrébins » ne pouvait que se confondre avec celle des classes dominées. Par exemple, la dimension d’écrivain d’Albert Camus était gommée pour en faire un seul penseur de la guerre d’Algérie. Il apparaissait d’autre part de manière anecdotique dans l’exposition sous la forme d’une « Une » que Paris Match lui consacrait après sa mort. Quant au cinéma, il était  représenté par le film Wesh, wesh, qu’est-ce qui se passe ? de Rabah Ameur-Zaïmeche qui traite de la vie dans une cité difficile de Seine-Saint-Denis. Enfin, la danse du ventre était préférée aux chorégraphies de Sidi Larbi Cherkaoui, qui est certes belge, mais que la CNHI connaît bien pour avoir acheté la Zon-Mai, une œuvre qu’il a cosigné avec le vidéaste Gilles Delmas. L’exposition a semble-t-il été bien reçue par le public même si une grande partie des visiteurs provenait d’un partenariat établi avec des établissements scolaires.

Des reproches similaires pouvaient être adressés à l’exposition Allez la France ! Foot et immigration[fn]Présentée du 25 mai 2010 au 2 janvier 2011. Elle a fait l’objet d’un catalogue : Allez la France ! Football et immigration, histoires croisées coordonné par Claude Boli, Yvan Gastaut et Fabrice Grognet, co-édition Gallimard / CNHI / Musée National du Sport, 2010.[/fn]. Après une brève introduction sur l’histoire du football, rappelant qu’il s’agissait d’un sport venu de l’étranger et importé par des migrants, l’exposition se perdait dans les biographies de joueurs ayant joué en France, qu’ils aient été migrants ou descendants de migrants. En fin de parcours, on pouvait revoir la séquence de la Marseillaise sifflée lors du match France-Tunisie du 14 octobre 2008. En fait d’exposition, l’objectif était surtout d’attirer un nouveau public à la CNHI en profitant de l’engouement autour de la coupe du monde de football 2010. Et tant pis s’il fallait pour cela réduire l’histoire de l’immigration à la portion congrue.

En proposant de telles expositions, la CNHI, tout en se présentant comme un établissement indépendant des contingences politiques, s’inscrivait en fait dans la ligne de la politique migratoire du gouvernement sous la présidence Sarkozy, une politique qui n’hésitait pas à essentialiser les différences culturelles, comme le montrait la création du ministère de l’Identité nationale. Dans le cas de Générations, l’accent exclusivement mis sur l’histoire culturelle participait de cette même essentialisation, elle traçait une ligne distinguant un « eux » et un « nous », un « eux » que l’exposition tentait de rendre sympathique en exaltant ses caractéristiques pittoresques. Dans le cas de Foot et immigration, on pouvait distinguer une frontière manichéenne opposant d’une part les bons immigrés, méritants, qui travaillent durs pour faire gagner la France et, de l’autre côté, les méchants oisifs qui sifflent l’hymne national de leur pays d’accueil. Ce faisant, ces expositions temporaires s’inscrivent en faux contre la volonté d’universaliser l’expérience de migration que porte Repères et qui était une volonté du comité scientifique originel.

 

Pression politique et indépendance de la recherche

Les tensions s’exprimant entre les visions opposées proposées par l’exposition permanente et les expositions temporaires pouvaient aussi se lire dans les relations que la CNHI entretenait avec ses partenaires issus du monde de la recherche. En tant que Cité, celle-ci a en effet des attributions plus larges que celles d’un simple musée et c’est dans ce cadre qu’elle a notamment développé un pôle d’activités de recherche : elle a créé un Groupement d’Intérêt Scientifique (GIS) présidé par Marianne Amar et elle héberge la revue de référence Hommes et migrations. Pour l’aider à développer ces activités scientifiques, la CNHI bénéficie de deux subventions du Ministère de l’Enseignement Supérieur s’élevant au total, pour l’année 2011, à 1 155 000 euros. Dans la mesure où elles bénéficient d’un financement propre, on attendrait que ces activités puissent s’exercer en toute indépendance, comme il se doit pour la recherche[fn]Rapport d’activités de la CNHI, 2011, p.54.[/fn].

Dans le cas de Hommes et migrations, la revue a bénéficié des relations cordiales entre Luc Gruson, plus tard directeur de la CNHI, et l’historien Philippe Dewitte, son rédacteur en chef de 1990 à sa mort en 2005. Toutefois, l’amitié entre les deux hommes, que Gruson a évoquée en des termes très personnels dans un hommage rendu à Dewitte après sa mort[fn]« Il ²mélangeait les regards² », in Hommes et migrations, n°1257, septembre-octobre 2005, « Trajectoire d’un intellectuel engagé. Hommage à Philippe Dewitte », p.16-20.[/fn], n’a  visiblement pas pu garantir l’indépendance du périodique. Ainsi, en mai 2011, l’historienne Esther Benbassa rapporte qu’un dossier qu’elle coordonnait sur le thème de « La France postcoloniale » a fait l’objet d’une censure par la direction du musée[fn]Voir le communiqué à l’adresse suivante : http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4462 (consulté le 5 juillet 2012).[/fn]. En effet, la veille de l’envoi du dossier à l’imprimerie, celle-ci se trouve contrainte d’ôter un article de Nicolas Bancel, intitulé : « La brèche. Vers la racialisation postcoloniale des discours publics ? » A la demande du comité de rédaction, l’article avait été modifié quelques jours auparavant et donnait manifestement toute satisfaction aux membres du comité depuis lors. C’est finalement Luc Gruson qui aurait décidé, seul, de le supprimer, comme le laisse entendre le courriel envoyé par Esther Benbassa à la rédaction de la revue et retraçant les différentes étapes du processus de relecture. De la même manière, à l’occasion de la parution du numéro intitulé  « L’immigration dans les musées. Une comparaison internationale », en septembre-octobre 2011, deux contributeurs ont confié qu’il leur avait été demandé de retirer toute comparaison avec la CNHI de leur article car cela aurait pu constituer une source de conflit avec la direction de l’établissement. L’unique parole sur la CNHI devait revenir à Luc Gruson qui y signe également un article. Par conséquent, alors que les autres institutions étaient passées au crible du chercheur, la CNHI s’offrait une publicité sous la forme d’une apologie par son directeur général.

Dans un tel contexte, on peut s’étonner que la liberté du chercheur ne soit pas mise à mal plus souvent. Mais en définitive, les relations entre la CNHI et les chercheurs sont d’autant plus apaisées qu’elles sont peu nombreuses. En effet, une certaine confusion règne dans l’institution sur la question du conseil scientifique. Ce qui a été ainsi dénommé dans un premier temps est devenu, par la suite, le « Comité d’histoire ». Il comptait vingt personnalités dont huit ont démissionné comme nous l’avons évoqué plus haut. Des chercheurs qui n’ont pas été remplacés à notre connaissance. En réalité, le véritable conseil scientifique est aujourd’hui celui que l’on nomme : « conseil scientifique et culturel ». Il comprend notamment un « collège de personnalités qualifiées », nommées par les ministères de tutelle, et où sont regroupés les historiens. Il s’agit actuellement d’Yvan Gastaut, Philippe Joutard, Daniel Lefeuvre, Janine Ponty et Laure Teulières[fn]Voir l’arrêté du 12 juillet 2010 portant nomination au conseil d’orientation de l’Etablissement public de la porte Dorée – Cité nationale de l’histoire de l’immigration. [/fn]. Il peut être intéressant d’y remarquer la nomination de Daniel Lefeuvre, susceptible d’éclairer l’affaire Benbassa. En effet, en dépit de ses travaux sur l’Algérie, Lefeuvre s’est fait connaître du grand public par la parution de son ouvrage polémique : Pour en finir avec la repentance coloniale[fn]Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, Paris, Flammarion, 2006. [/fn]. Il prétend plus particulièrement y répondre aux thèses défendues par l’Association pour la Connaissance de l’Histoire de l’Afrique Contemporaine (ACHAC), à laquelle appartient Nicolas Bancel. Certes, par-delà la recherche, l’ACHAC se caractérise par une volonté de marquer les mentalités par des coups d’éclat, mais cela ne discrédite pas pour autant la totalité des travaux de ses membres, d’autant que les divergences qu’ils affichent avec Lefeuvre sont partagées par d’autres historiens à l’instar de Claude Liauzu ou Catherine Coquery-Vidrovitch[fn]Voir notamment, sur le site du CVUH,  les articles de Claude LIAUZU et Catherine COQUERY-VIDROVITCH (consultés le 6 juillet 2012).[fn]. La censure d’Hommes et migrations semble donc confirmer un choix : celui de ne faire valoir qu’une seule et unique vision de l’histoire coloniale, la vision d’un historien nommé au conseil scientifique de la CNHI par le gouvernement et qui a, par ailleurs, rendu service à ce même gouvernement en défendant le débat sur l’identité nationale que récusaient la plupart des chercheurs[fn]Daniel Lefeuvre, Michel Renard, Faut-il avoir honte de l’identité nationale, Paris, Larousse, 2008.[/fn].

 

Quel avenir pour la CNHI ?

La fin de la présidence de Nicolas Sarkozy pourrait bien modifier le climat politique dans lequel baigne la CNHI. En effet, les déclarations de François Hollande lors de son voyage en Algérie en décembre 2012[fn]Voir ici : http://www.elysee.fr/declarations/article/allocution-devant-les-deux-chambres-reunies-du-parlement-algerien/, (consulté le 1er janvier 2013).[/fn], dénotent notamment une ambition plus apaisante que clivante relativement aux enjeux de mémoire, la CNHI pourrait avoir un rôle à y jouer. En outre, son rôle pourrait être revalorisé par l’arrêt définitif mis au projet de Maison de l’Histoire de France[fn]Décret le 26 décembre 2012.[/fn]. Mais les défis auxquels doit faire face la CNHI sont toujours nombreux, le premier d’entre eux étant sa viabilité économique. Instituée en tant qu’Etablissement Public à caractère Administratif (EPA), ce statut lui permet, tout en relevant du droit public, une certaine autonomie financière. De grands musées comme Orsay ou le Louvre sont ainsi passés, ces dernières années, du statut de service à compétence nationale à celui d’EPA. Concrètement, ces mesures visaient à désengager financièrement l’Etat du financement de ces musées et à les encourager à trouver eux-mêmes les ressources nécessaires à la poursuite de leurs activités. Dans ce cadre, la CNHI doit prendre des mesures drastiques car depuis sa création, ses dépenses n’ont pas cessé d’augmenter quand, dans le même temps, les subventions de l’Etat ont baissé, bien qu’elles représentent encore 91% des recettes totales[fn]Rapport d’activités 2011 de la CNHI, p. 53-54.[/fn]. En novembre 2011, l’établissement s’est trouvé dans une situation financière difficile, l’obligeant à faire des demandes de subventions supplémentaires et à voter une décision modificative du budget[fn]Ibid., p. 7. [/fn]. La situation aurait été tout aussi dramatique en 2010 : la fermeture de l’établissement, officiellement expliquée par la présence des sans-papiers, l’ayant alors utilement dispensée de faire cette même demande de subventions.

Pour essayer d’enrayer ces difficultés structurelles, la CNHI a annexé l’aquarium le 1er janvier 2012. Créé au moment de l’Exposition coloniale, il se situe au sous-sol du bâtiment et bénéficie d’une fréquentation familiale bien plus importante que celle de la CNHI.  La France se trouve donc dans la situation inédite d’avoir créé un établissement public constituant une espèce hybride de Cité de l’histoire de l’immigration de l’homme et du poisson, le tout au prétexte de mutualiser les moyens des deux espaces. Cette mesure sera-t-elle suffisante pour sauver la CNHI ? Rien n’est moins certain en une période de crise où le budget du Ministère de la culture est revu à la baisse et dans laquelle les musées n’auront pas d’autre choix que de s’adapter.

 

J’adresse tous mes remerciements à Fiona Barclay pour l’aide apportée à la rédaction de cet article. 

 

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