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Mardi 6 décembre 2011, l’Assemblée nationale a réaffirmé sa position abolitionniste en matière de prostitution. Contretemps réagit à cette nouvelle résolution en publiant un article de Thierry Schaffauser, du syndicat de travailleur·ses du sexe, STRASS, dans lequel il entend revenir sur les raisons de création du syndicat, mais aussi sur les points de controverse qui l’opposent à une partie de la gauche en France.

 

Pourquoi le modèle syndical ?

Depuis 1973 et la création de Coyote en Californie, les travailleur·ses du sexe s’organisent au sein d’associations. Les premières revendications portaient sur la décriminalisation du travail sexuel appelé encore alors prostitution. Mais très vite, le thème du travail apparaît. Dès la fin des années 1970, l’activiste Carol Leigh crée le terme sex work, qui fut repris et traduit internationalement par l’ensemble des travailleur·ses du sexe activistes.

Ainsi, une des premières luttes menées par les travailleur·ses du sexe est la reconnaissance du travail sexuel comme un travail. C’est une étape essentielle pour changer notre statut, accéder de façon effective à des droits et ne plus être considéré·es comme des inadapté·es sociaux·les à réinsérer. Les travailleur·ses du sexe ne veulent pas de la charité chrétienne aujourd’hui organisée autour des associations abolitionnistes financées par l’État. Nous voulons des droits pour être indépendant·es.

Le qualificatif de victime qu’on nous impose n’a rien d’émancipateur mais n’est qu’un outil pour nous maintenir dans un statut de minorité légale, qui nous pathologise, et sans possibilité de nous exprimer par nous-mêmes. Pour beaucoup, le travail sexuel ne serait pas un travail mais une violence à abolir. Ces gens confondent rapport sexuel consenti et viol, migrations et traite des êtres humains, et le travail avec l’esclavage. Ils soutiennent ces amalgames en expliquant que dans un système capitaliste et patriarcal le libre choix n’existe pas. Nous sommes d’accord que le concept de choix est un concept libéral et qu’il ne décrit pas la réalité vécue par la plupart des travailleur·ses. Mais cela est vrai pour tous les travailleur·ses et pas seulement les travailleur·ses du sexe. Il est alors surprenant que seuls les travailleur·ses du sexe soient accusé·es d’être complices du patriarcat et du capitalisme quand ils et elles luttent pour leurs droits, quand nous ne sommes pas accusées d’être des proxénètes[1], tandis que les autres travailleur·ses, eux, s’organiseraient pour leur émancipation. Cet argument du choix est en fait une stratégie pour nous exclure en justifiant notre incapacité politique et pour confisquer notre parole. Puisque nous ne pourrions choisir le travail sexuel, alors de bonnes âmes vont décider pour nous qu’il vaut mieux que nous travaillions à McDonald’s parce qu’au moins ce n’est plus nous la « viande » qui est à vendre[2]. Ces personnes vont parfois jusqu’à utiliser l’expression de « viandards » pour décrire nos clients[3].

L’enjeu du mot « travail » pour les travailleur·ses du sexe est d’obtenir la décriminalisation et d’accéder aux droits associés à l’occupation d’un emploi. Les mouvements abolitionnistes répondent que l’usage du mot « travail » normaliserait ce qui serait toujours une violence et de l’exploitation du corps. En faisant une différence entre le travail sexuel et d’autres formes de travail, ils·elles opèrent ainsi implicitement une négation de l’aspect violent et exploitant de tout travail. Les abolitionnistes qui refusent de reconnaître le travail sexuel comme travail tendent ainsi à comprendre la notion de travail comme facteur d’épanouissement personnel et qui serait différent de la violence et de l’exploitation. Pour les travailleur·ses du sexe, le mot travail ne cache ni l’exploitation ni la violence qui existent dans les industries du sexe, mais permet de trouver des solutions dans les lois protégeant les travailleur·ses et les mouvements syndicaux qui les défendent. Créer un syndicat, c’est donc nous soustraire au statut aliénant de victime, et inscrire notre lutte dans celle de l’ensemble des travailleur·ses, et comme une lutte de classe.

 

Le droit de se syndiquer ?

La Déclaration universelle des droits de l’homme proclame au paragraphe 4 de l’article 23 que : «Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts»[4].

En France, le Syndicat du TRAvail Sexuel (STRASS)[5] s’est créé en mars 2009 afin de défendre les droits et intérêts des travailleur·ses du sexe. Ce nouveau syndicat a suscité la curiosité des médias et du public mais continue d’être ignoré par la plupart des autres organisations syndicales, les partis politiques et le mouvement social. Beaucoup vont jusqu’à questionner la légitimité du STRASS à se revendiquer comme syndicat. C’est par exemple ce qu’a exprimé l’organisation Alternative Libertaire (AL) dans un dossier consacré à la prostitution[6]. En réponse au STRASS, ils écrivent : « S’agit-il d’un syndicat de défense « de la légalité du travail sexuel » ou d’un « syndicat de défense des travailleurs et travailleuses du sexe » ? Nous pensons que le nom du syndicat est sans ambiguïté, il s’agit d’un syndicat de défense du « travail sexuel » et non de défense des travailleurs du sexe au sens où l’a entendu le mouvement ouvrier. Le Strass est un syndicat qui défend les intérêts d’une corporation de métier, c’est un syndicat de défense d’artisans du travail sexuel. Or, un syndicat de travailleurs au sens du mouvement ouvrier ne défend pas un métier, mais des travailleurs contre les abus des patrons. En ce sens, il ne pourrait y avoir de syndicat de travailleurs et de travailleuses du sexe que comme organisation de défense des personnes prostituées exploitées dans des réseaux de prostitution. » Cette objection est intéressante à plusieurs niveaux et reprend les différents arguments entendus contre la syndicalisation des travailleur·ses du sexe. AL oppose tout d’abord la défense de la légalité du travail sexuel et la défense des travailleur·ses du sexe, comme si l’illégalité du travail sexuel pouvait être en fait dans l’intérêt des travailleur travailleur·ses. Pour le STRASS, et l’ensemble des organisations de travailleur·ses du sexe, la revendication de décriminalisation est une priorité parce que l’illégalité de notre travail est la première cause des abus et de l’exploitation et en aucun cas une barrière ou une protection contre ces problèmes. Défendre la légalité du travail sexuel, c’est donc défendre les travailleur·ses du sexe.

AL affirme que le nom du syndicat serait sans ambiguïté et défendrait le travail plutôt que les travailleurs. Pourtant, le STRASS n’est pas le seul syndicat qui porte dans son nom le mot « travail » au lieu de « travailleur·ses ». Il s’agit là d’un fait courant pour un syndicat : qu’on pense à la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT), à la Confédération Générale du Travail (CGT) ou encore à la Confédération Nationale du Travail (CNT). Étonnamment, aucun de ces syndicats ne se voit interrogé sur sa légitimité à être un (vrai) syndicat défendant les travailleur·ses.

En concluant que le STRASS défend un métier et non des travailleur·ses contre des patrons, AL commet plusieurs erreurs. Il sépare les artisans des travailleur·ses du sexe parce que sans patrons. Or, les travailleur·ses du sexe exerçant indépendamment d’un patron n’en sont pas moins des travailleur·ses, et ne sont pas épargné·es par les oppressions et exploitations spécifiques de la part de l’État ou de parties tiers qui tirent profit de l’illégalité du travail sexuel. AL suppose que le STRASS ne comprend pas de membres salarié·es ou travaillant pour un patron, imaginant peut-être l’ensemble de l’industrie du sexe comme illégale ou sous la mainmise de mafias. En fait, les membres du STRASS travaillent dans différents cadres de travail, plus ou moins légaux, la notion de légalité ou d’illégalité étant souvent floue étant donné le nombre et la variété des lois encadrant les industries du sexe, et beaucoup de travailleur·ses du sexe, dont des membres du STRASS, peuvent donc avoir un employeur. C’est précisément parce que le STRASS a conscience des intérêts de classe différents dans l’industrie du sexe entre travailleur·ses et patrons que son adhésion est réservée aux travailleur·ses.

Enfin, AL, suivant la même logique que l’État, confond salariat et proxénétisme. Ce qui est intéressant, c’est que cette confusion n’est faite que pour le travail sexuel, tandis que l’on pourrait considérer que tout patron est un proxénète que le travail soit sexuel ou pas. Cependant, en utilisant l’expression « personnes prostituées exploitées dans des réseaux de prostitution », AL utilise la confusion de la loi sur le proxénétisme et ne fait pas de distinction entre le travail salarié consenti et le travail forcé. AL semble analyser ainsi, comme nous l’avons vu précédemment, le travail comme différent de l’exploitation (sexuelle), et nous fait retomber dans l’amalgame entre travail sexuel et esclavage, puisqu’il leur semble apparemment inconcevable, qu’on puisse être travailleur·se du sexe et salarié·e, un·e travailleur·se du sexe salarié·e étant manifestement obligatoirement victime d’un « réseau de prostitution ».

En suivant cette logique, il est impossible que les travailleur·ses du sexe puissent s’organiser par eux·elles-mêmes. Nous devenons soit des esclaves qui devons être libéré·es, soit des artisans libéraux aux intérêts corporatistes et égoïstes auxquels il faudrait s’opposer. C’est une analyse très partagée au sein de la gauche, qui peut de cette façon ignorer les revendications des travailleur·ses du sexe, voire les combattre. Il ne leur suffit plus pour compléter et justifier leur combat contre les travailleur·ses du sexe que de prétendre que l’immense majorité des prostitué·es sont des victimes de la traite[7] en manipulant les chiffres du ministère de l’Intérieur[8].

Paradoxalement, en reprenant à son compte la lutte contre la prostitution et les (faux) chiffres sur la traite, la gauche française permet de normaliser le renforcement des frontières et la répression des femmes et des étrangers. Nicolas Sarkozy, pour justifier sa loi contre le racolage passif (en 2003), n’a fait que répéter ce que les abolitionnistes et féministes disaient depuis des années, mais avec la cohérence du pragmatisme puisque lui au moins faisait quelque chose de concret contre le « problème ». Les travailleur·ses du sexe se sont alors retrouvé·es seul·es pour lutter contre le gouvernement. Il est en effet hors de question pour la gauche de mener des luttes communes avec les travailleur·ses du sexe, sous peine de reconnaître notre existence politique comme celle d’un acteur légitime dans le débat.

 

Lutte contre l’exploitation

Les attaques d’AL et d’autres organisations contre la légitimité du STRASS visent à nous discréditer. Certains abolitionnistes utilisent parfois des expressions telles que « libéral-proxénète »[9] pour décrire le STRASS, afin de nier notre représentativité et sous-entendre que nous travaillerions dans l’intérêt de lobbys de proxénètes.

Les abolitionnistes ont donc une analyse complètement différente de celle du STRASS sur la lutte contre le libéralisme et le patronat dans les industries du sexe. Contrairement à ce que croient les abolitionnistes, le STRASS est contre le proxénétisme. Cependant, nous faisons une différence entre le proxénétisme de contrainte et le proxénétisme de soutien, car si la violence, la contrainte et les abus doivent rester pénalisés, l’aide à la prostitution criminalise les travailleur·ses du sexe davantage que nos exploiteurs. En confondant la décriminalisation du travail sexuel[10] avec la légitimation de l’exploitation, les mouvements abolitionnistes ne comprennent pas (ou font semblant de ne pas comprendre) que la prohibition ne lutte pas contre l’exploitation, bien au contraire.

La prohibition signifie que nous n’avons aucun droit, et notamment aucun droit de recours aux prud’hommes, aucun moyen de nous défendre ou d’appeler la police lorsque nous sommes victimes de crime[11]. C’est donc la loi du plus fort, celle des patrons/proxénètes. La prohibition c’est le libéralisme, dont pourtant ils nous accusent. Les patrons font ce qu’ils veulent, il est très facile quand on est riche et puissant de corrompre la police, et de les envoyer arrêter les travailleur·ses du sexe et les migrant·es en priorité. Beaucoup des cas de proxénétisme en France concernent en fait des putes qui tombent pour aide à la prostitution d’autrui. C’est un crime de solidarité entre travailleur·ses dont on nous accuse et c’est exactement le sens des attaques politiques contre le STRASS, par exemple dans le procès qui nous oppose à Henriette Zoughebi. Dans sa lettre de soutien signée par des centaines de féministes, syndicats, et élus de gauche, il est rappelé que, selon le Code pénal, « le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit : 1° d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui »[12]. Il est également dit, à charge contre le STRASS, « qu’en cela, ils facilitent, aident et promeuvent la prostitution d’autrui et commettent des agissements proxénètes ». Ils accusent ainsi le STRASS de proxénétisme parce que nous nous entraidons, alors qu’il faudrait que nous nous dissuadions les un·es les autres de travailler.

C’est bien mal connaître le STRASS, car le syndicat s’est toujours refusé à « aider » le travail sexuel de ses membres. Il est clair que notre lutte est syndicale et politique et que nous laissons les associations de santé communautaire fournir les services d’aide sociale et sanitaire. Le STRASS est souvent contacté par des clients qui recherchent des prostituées et nous avons toujours répondu que nous ne sommes pas une agence d’escortes. De même, nous informons nos membres sur leurs droits, l’accès aux services des associations de santé communautaire, mais nous ne leur indiquons pas la façon dont ils·elles doivent travailler.

 

S’organiser

En seulement deux ans, le STRASS est passé de 200 à 500 membres, avec des fédérations dans treize villes. Son relatif succès peut s’expliquer par une histoire militante plus ancienne concentrée autour des associations de santé communautaire. En s’appuyant sur les organisations déjà existantes, le STRASS a réussi à communiquer auprès de centaines de travailleur·ses du sexe, malgré un isolement accru par la criminalisation. La communication interne du STRASS est toujours un défi car de nombreux·ses travailleur·ses du sexe n’ont pas forcément accès à Internet et ne communiquent pas par email.

C’est parce que les associations de santé communautaires sont elles-mêmes composées de travailleur·ses du sexe, dont la plupart sont membres du STRASS, que l’information, au besoin traduite en anglais et espagnol, peut circuler. Cela n’est pas facile pour autant, car dans de nombreux cas existe une confusion des rôles entre le STRASS et les associations.

Le travail du STRASS est surtout militant. Les membres peuvent bénéficier de soutien et de conseil juridique mais la plupart des services sont fournis par les associations. La priorité du STRASS est la décriminalisation du travail sexuel, et du racolage en particulier, car la majorité de nos membres travaillent dans la rue et que c’est ce qui impacte le plus leurs conditions de travail. Le syndicat s’est donc attelé à développer des discours et argumentaires, et à rassembler des preuves afin de convaincre l’opinion publique de l’intérêt d’un changement de loi. Ce travail est rendu plus compliqué par les mouvements prohibitionnistes, ou dit abolitionnistes, qui au contraire veulent renforcer la criminalisation du travail sexuel par la criminalisation de nos clients[13], ou bien par les mouvements réglementaristes qui veulent imposer un contrôle étatique par la réouverture des maisons closes[14]. Le débat est donc bloqué entre contrôle et répression, mais jamais de réflexion n’est portée sur l’accès aux droits et l’autonomie des travailleur·ses du sexe qui pourraient peut-être savoir ce qui est le mieux pour eux/elles-mêmes.

 

L’exemple du GMB[15]

Au Royaume-Uni où je vis, les travailleur·ses du sexe peuvent rejoindre le troisième syndicat du pays, le GMB, depuis presque dix ans. C’est une différence symbolique énorme car nous faisons ainsi partie du mouvement syndical. Depuis 2009, je suis le président de la branche sex work du GMB et j’ai pu constater et comparer les différences avec la France.

Le GMB peut intervenir politiquement pour défendre la décriminalisation de l’ensemble de l’industrie du sexe, en particulier auprès des parlementaires travaillistes mais cela n’a pas été efficace car les autres syndicats n’avaient pas de position claire sur la question et que les mouvements féministes officiels ont fait pression pour augmenter la criminalisation de l’industrie du sexe avec le Policing and Crime Act voté en 2009.

L’aspect le plus politique de notre activisme a donc été depuis 2009 de convaincre les autres syndicats. Au Royaume-Uni, contrairement à la France, les syndicats sont unis au sein d’un Trade Unions Congress (TUC). Chaque année, il est possible de présenter des motions et de discuter différents thèmes politiques liés aux droits des travailleur·ses. Si le syndicat Unison a pris position en faveur de la criminalisation des clients, cette motion est passée avec une courte majorité seulement et les autres syndicats semblent de plus en plus enclins à nous soutenir.

S’il y a eu des résistances au début de ma présidence, il me semble que la syndicalisation des travailleur·ses du sexe paraît de plus en plus acquise pour tout le monde, même de la part des abolitionnistes qui reconnaissent à présent notre droit à rejoindre un syndicat. Il faut dire que notre branche, bien qu’étant une des plus récentes et petites, est une des plus actives du mouvement syndical alors que de nombreux syndicats perdent des membres. Nous sommes parmi les syndicalistes les plus jeunes et embrassant une diversité de genre, ethnique et sexuelle.

De plus en plus de syndicalistes se rendent compte que nos problèmes peuvent être assez comparables à ceux des travailleur·ses opérant dans des industries dérégulées, sans contrat, avec des horaires et conditions très flexibles. Le capitalisme moderne fait perdre aux travailleur·ses leurs acquis et nombreux·ses sont ceux·celles qui comprennent ainsi notre situation. Les syndicats finissent par accepter les travailleur·ses tel·les qu’ils·elles sont et non tel·les qu’ils aimeraient qu’ ils·elles soient.

Aussi, les syndicalistes travailleur·ses du sexe ont fait preuve de solidarité auprès des autres travailleur·ses dans les combats contre les coupes budgétaires du gouvernement, pour les retraites, et autres luttes. Lors des journées de grève ou d’action, notre branche a envoyé des messages de soutien, s’est déplacée sur les piquets de grève en offrant des sandwichs, gâteaux et jus aux autres travailleur·ses. À plusieurs reprises j’ai écrit des articles dans la presse de mouvements de travailleur·ses, tels The Morning Star, The New Worker ou International Socialism. Il est devenu évident pour beaucoup que nous pouvions être à la fois travailleur·ses du sexe et anti-capitalistes ou simplement syndicalistes.

Faire partie d’un syndicat dit généraliste nous a permis d’apprendre comment mieux nous organiser et de bénéficier d’un soutien concret. GMB offre à ses membres des conseils juridiques gratuits sur nos droits. Il peut intervenir pour nous défendre en cas de conflit avec un employeur comme ce fut le cas au sein d’une entreprise de téléphone rose. GMB a défendu des membres qui ont été discriminés par des employeurs en dehors de l’industrie du sexe, qui considéraient que le fait d’être ou d’avoir un passé de prostitué·e nuisait à la réputation de leur entreprise. Il est intervenu contre des tabloïds qui avaient publié sans accord d’une de nos membres des photos d’elle et a obtenu compensation pour le préjudice subi. Le syndicat peut fournir des formations pour les travailleur·ses du sexe qui veulent s’orienter vers d’autres carrières ou bien des cours d’auto-défense ou d’anglais pour les migrant·es. Nous avons développé des forums et des listes emails pour communiquer entre nous et nous alerter sur de mauvais clients ou d’hommes potentiellement dangereux. Via le syndicat, nous avons eu des contacts avec la police dans certaines régions et récemment un homme qui arnaquait des escortes a pu être arrêté suite aux informations que des membres avaient réussi à rassembler. L’an dernier, notre syndicat a réussi à empêcher la fermeture de quatre strip clubs dans Hackney malgré les campagnes des prohibitionnistes et nous avons pu sauver plus de 300 emplois dont ceux de nos membres qui y travaillaient.

Aujourd’hui nous avons comme projet de créer une mutuelle santé pour les travailleur·ses du sexe et peut-être aussi une coopérative. Toutes ces actions sont possibles parce que nous sommes membres du GMB et reconnus comme de vrais travailleur·ses et de vrais syndicalistes. La France est donc très en retard sur la question, et pas seulement par rapport aux pays européens voisins.

 

Un phénomène mondial

Le mouvement des travailleur·ses du sexe est à présent international et des syndicats existent dans plusieurs pays du monde, que le travail sexuel y soit légal ou pas encore. L’an dernier j’ai été élu, pour la région Europe, membre du bureau du Global Network of Sex Work Projects (NSWP)[16]. Le NSWP compte plus de 120 organisations membres à travers le monde et coordonne des actions entre les activistes en particulier à l’occasion des conférences mondiales sur le sida.

C’est en Asie du sud-est et en Amérique Latine que le mouvement des travailleur·ses du sexe est le plus fort. En Argentine, le syndicat AMMAR[17] compte plus de 15 000 membres et en Inde, le syndicat DURBAR[18] plus de 65 000. Des syndicats de travailleur·ses du sexe existent en Allemagne, Hollande, Australie, Afrique du Sud, Ghana, Brésil, Nigeria, Bolivie, etc. Ce que le STRASS fait en France, d’autres le font, exactement de la même façon, dans d’autres pays, et ce depuis plus de trente ans. Je suis confiant dans l’idée que rien ne nous arrêtera désormais et que, si la gauche française continue de nous exclure et de nous diffamer, nous serons prêt·es à nous organiser sans elle, voire contre elle.

 


[2] Evelina Giobbe, « In McDonald’s, you’re not the meat ! In prostitution, you are the meat » in Janice Raymond, Prostitution on demand Legalizing the Buyers as Sexual Consumers, Violence against Women, vol. 10, n° 10, octobre 2004 : http://www.prostitutionresearch.com/RaymondVAW.pdf.

[3] Florence Montreynaud, « Comment nommer ceux qui paient pour « ça » ? Remplaçons le nom « client » par un mot péjoratif ! », No pasaran !, hors-série n° 2, décembre 2002 : http://eleuthera.free.fr/pdf/157.pdf.

[9] Par exemple Grégoire Théry du mouvement du Nid : http://www.mouvementdunid.org/Feu-Verts-au-proxenetisme-Lettre.

[11] Sur les crimes de viol contre les putes, cf. http://lmsi.net/Le-viol-des-putes-et-leur-parole.

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