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Dans cette tribune**, Philippe Marlière analyse la signification de la victoire de Benoît Hamon lors des primaires de la « Belle alliance populaire ». Celle-ci pourrait selon lui impulser « une dynamique positive, interne et externe, qui l’amènera à prendre le pouvoir dans le parti et à regrouper l’ensemble de la gauche ».

Partagée par certains secteurs de la gauche radicale mais aussi par de nombreux/ses salarié-e-s, craignant le retour au pouvoir de la droite et le danger fasciste, cette position est évidemment discutable ; elle mérite donc d’être discutée sérieusement. C’est pourquoi nous publierons prochainement d’autres contributions portant sur la recomposition à gauche et la (nécessaire) reconstruction d’une perspective anticapitaliste. 

Philippe Marlière est professeur de sciences politiques à University College London (Royaume-Uni). Ses ouvrages et articles portent essentiellement sur la social-démocratie et la gauche radicale en Europe. Il prépare un livre consacré aux rapports entre pensée néoconservatrice et idéologie républicaine en France. Il est l’auteur de plusieurs articles pour Contretemps. 

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Depuis 2012, c’est l’antienne dans certaines composantes de la gauche radicale : le Parti socialiste vacille, vit ses derniers jours et va mourir. Dès la fin 2012 – alors que l’impopularité de François Hollande est déjà patente – l’idée de la « Pasokisation » du PS est pour certains incontestable. Le PS est effectivement dans un état de faiblesse extrême, mais ce n’est pas la première fois de son histoire, ni la dernière.

L’extinction de la vieille SFIO a été suivie dans la foulée de la reconstitution d’un courant réformiste modernisé et radicalisé lors du congrès d’Épinay en 1971. Dans la décennie qui a suivi, le PS est devenu hégémonique à gauche. Les élections législatives de 1993 ont été une déroute pour le PS qui n’a conservé qu’un groupe de 57 député-e-s. Quatre ans après, Lionel Jospin formait le gouvernement de la gauche plurielle.

Les faits, davantage que les désirs de certains acteurs politiques à gauche, sont têtus : le PS n’est pas mort. Les deux millions d’électeurs de gauche qui se sont déplacés pour voter pour Benoît Hamon lors de la primaire de la Belle alliance populaire viennent d’en donner la preuve.

En résumé, le PS ne se porte pas bien ; il est toujours gravement malade, sa convalescence pourrait prendre du temps et il connaitra sûrement de graves rechutes. Mais qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, le PS est toujours vivant. Le vote en faveur de Benoît Hamon, c’est un vote trompe-la-mort des électeurs de gauche !

 

Le sens du vote Hamon

Arrivé en tête lors du premier tour, Benoît Hamon a accentué son avance au second tour. Avec 58,70% des voix, il a fait mieux que François Hollande en 2012 (56,57%). Avec 1.655.919 votants au premier tour et 2.042.201 au second, la participation a certes été nettement inférieure à celle de la primaire organisée fin 2011 : 2,661.231 puis 2.860.157 votants. On ne peut cependant considérer que ce vote est en soi insignifiant, même si l’on pense que la primaire est un artefact de compétition électorale[1]. Après tout, payer deux euros et se déplacer pour voter n’est pas un acte moins « participatif » et moins « démocratique » que celui de cliquer le nom d’un candidat unique sur son écran d’ordinateur.

Ce n’est pas seulement l’électorat socialiste qui a voté : seuls 37% des électeurs du premier tour se réclament du PS ; 22% proviennent de la gauche hors-PS, 18% de la droite, du centre et du Front national, et 15% sont sans préférence partisane.[2] Parmi ces électeurs, 12% d’entre eux ont voté pour Jean-Luc Mélenchon en 2012.[3] Interrogés sur leurs motivations, les votants ont privilégié « l’honnêteté du candidat », son projet et sa « capacité à porter des idées nouvelles ». Il est intéressant de noter que les ressorts du vote sont similaires à ceux qui ont porté Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste à deux reprises : la volonté exprimée de repositionner le parti social-démocrate davantage à gauche, et de soutenir le programme le plus à gauche. Les considérations de notoriété, d’éligibilité ou d’expérience, qui auraient pu favoriser Manuel Valls, ont été écartées.[4]

Hamon n’est pas le « Corbyn français » cependant : au-delà de différences politiques et d’ordre personnel, le candidat socialiste occupe une position plus forte dans le jeu intra-partisan que son homologue britannique. Bien que minoritaire pour le moment dans l’appareil du parti, Hamon n’est pas aussi isolé que ne peut l’être Corbyn. Il peut compter sur des appuis centristes dont Corbyn ne bénéficie toujours pas. Ce point est fondamental pour la suite : il est vain d’espérer la naissance d’une gauche de gauche sur les ruines fumantes de la social-démocratie. Cette dernière possède toujours un électorat et des adhérents qui sont de gauche et qu’il faut convaincre. Les exemples de Bloco de Esquerda, de Podemos ou de Syriza en apportent la preuve : c’est donc le travail unitaire, et non les injonctions sectaires, qui est la clé d’une recomposition radicale de la gauche française.

Le vote en faveur de Benoît Hamon est donc un acte d’auto-défense d’une gauche menacée d’élimination au premier tour de l’élection présidentielle. Pour cela, il fallait d’abord se débarrasser d’une menace interne incarnée par Manuel Valls : celle d’un néoconservatisme « de gauche », autoritaire, xénophobe/islamophobe et totalement acquis à la « politique de l’offre » hollandaise sur le plan économique. C’est cette orientation outrageusement droitière que les électeurs ont sanctionnée.

Benoît Hamon, plus que tout autre candidat critique du bilan gouvernemental (notamment Arnaud Montebourg), a présenté un programme qui répondait aux préoccupations majeures des électeur-ice-s. Ils-elles ont opté pour ses mesures sociales-démocrates de gauche en matière économique et sociale : abrogation de la loi travail, réduction du temps de travail et protection des 35 heures, création d’agences régionales de développement des nouveaux modes de production et de consommation, création de 40.000 postes dans l’Éducation nationale ; autant de mesures compatibles avec le programme social-démocrate de gauche proposé par Jean-Luc Mélenchon. Davantage, les deux hommes partagent des orientations politiques symboliquement fortes : abandon de l’aéroport de Notre Dame des Landes, PMA pour toutes les femmes opposées à la GPA, légalisation du cannabis, harmonisation fiscale européenne, reconnaissance d’un État palestinien, droit de vote des étrangers aux élections locales, 6e République, opposition aux traités de libre échange CETA et TAFTA. En résumé, ces deux programmes sociaux-démocrates de gauche se recoupent et sont totalement complémentaires.

Quant au revenu universel, projet critiqué à gauche, il ne se réduit pas à ses variantes libertaires de droite. Depuis quatre décennies, des penseurs de gauche radicaux réfléchissent à la question. Le revenu universel peut constituer une arme émancipatrice et un pied de nez historique à la « tyrannie du salariat » [5] à condition que ce revenu minimum permette une vie décente et que cette mesure ne s’accompagne pas du démantèlement de l’État social par ailleurs. De ce point de vue, la proposition de Benoît Hamon peut être jugée imprécise et largement insuffisante.

C’est sur le plan des questions relatives aux discriminations de genre, ethniques et touchant au pluralisme culturel et religieux, qu’Hamon apparait aujourd’hui l’un des dirigeants les plus intéressants dans la gauche française. Son discours pluraliste et inclusif à l’endroit des populations racisées, sa défense robuste d’une laïcité de non-domination[6], c’est-à-dire visant l’intégration de toutes et tous dans le respect des différences de chacun-e, ainsi que ses prises de position contre l’islamophobie, le placent à la pointe des combats pour l’égalité citoyenne. Mélenchon, prisonnier d’une lecture du monde républicano-positiviste, est dans l’incapacité de formuler des réponses adaptées aux problèmes de sexisme et de racisme qui gangrènent la société française.

On pourra, à charge, objecter que Benoît Hamon fut (l’éphémère) ministre de l’éducation de Manuel Valls (qu’il contribua à faire nommer à Matignon), qu’il reste lié à l’appareil d’un parti discrédité. Il n’en reste pas moins qu’à l’instar de Bernie Sanders au sein du Parti démocrate ou de Jeremy Corbyn au sein du Parti travailliste, il offre la possibilité à la gauche de ne pas mourir. Car si les électeurs avaient entériné les orientations politiques de Hollande et de Valls, c’est-à-dire s’ils avaient renoncé à voir dans ce parti une protection, certes très imparfaite, contre la droite et l’extrême droite, ils auraient choisi Manuel Valls.

Faut-il vraiment espérer la disparition du PS étant donné l’état de faiblesse historique de la gauche, la menace fasciste en France et l’incapacité de la gauche révolutionnaire à tirer profit des mouvements sociaux ? Dans les conditions actuelles, si le PS passait armes et bagages à droite (dirigeants, adhérents et électeurs), quelle serait l’influence de la gauche française ? En l’absence d’un Syriza (pré-2015) ou d’un Podemos français, son poids serait encore plus insignifiant qu’il ne l’est aujourd’hui.

 

Le problème Mélenchon

Les attaques virulentes des mélenchonistes à l’encontre de Benoît Hamon le soir du premier tour n’ont trompé personne. Cette victoire a pris à contre-pied le leader de la France insoumise. La stratégie de celui-ci reposait sur deux hypothèses qui se sont avérées erronées : 1) affronter et devancer un François Hollande, honni et rejeté des Français ; 2) remplacer le PS « pasokifié » comme premier parti de gauche. Mélenchon arguait de sa première place à gauche dans les sondages pour appeler à un vote utile en sa faveur. La tendance s’est maintenant inversée. C’est Benoît Hamon qui fait la course en tête à gauche et, sauf accident de parcours majeur, il sera le premier candidat de gauche au soir du premier tour de l’élection présidentielle. Le piège s’est refermé sur le chef des « insoumis » qui est dans une large mesure responsable de sa propre déroute.

Les raisons de ce décrochage sont inscrites dans la genèse même de la France insoumise. Les conditions de l’( auto)nomination de Mélenchon à la candidature sont restées en travers de la gorge de l’ex-Front de gauche : se déclarer candidat sans en aviser ses partenaires politiques ; refuser de prendre part à tout débat visant à permettre des convergences à gauche ; rédiger un programme vendu clé en mains à des supporteurs ; exiger enfin des partenaires politiques ralliés (PCF et Ensemble !) qu’ils signent une Charte non-négociable et non-amendable qui officialise leur position subalterne par rapport au leader insoumis. Ce sont autant de faits qui portent la marque de fabrique bonapartiste du mélenchonisme. La candidature a été perçue à gauche, dès le départ, comme une candidature de division. C’est en quelque sorte le péché originel de cette démarche individualiste qui empêchera à Mélenchon de recueillir plus de 15% des voix de gauche dans le meilleur des cas.

Il y a quelques années, Mélenchon aimait déclarer : « la consigne, c’est qu’il n’y a pas de consigne ». Il sous-entendait que le Parti de gauche, « parti-creuset » selon ses termes, était ouvert aux initiatives individuelles de toutes et de tous. Le problème ici est qu’il y a bien une consigne de départ qui détermine et bride l’autonomie individuelle – « Moi, Jean-Luc Mélenchon, serai candidat jusqu’au bout, quelques que soient les circonstances »[7] – et qu’il vaut mieux la respecter…

Si les forces de gauche radicales principales (PCF et Ensemble !) reconnaissent que les orientations sociales et économiques de Jean-Luc Mélenchon sont clairement progressistes, il en va différemment sur nombre de sujets sensibles : sa conception communautarienne et positiviste de la laïcité, son républicanisme abstrait[8], son désintérêt pour les dominations liées au genre, son refus d’utiliser la notion d’islamophobie, son soutien apporté à la secrétaire d’État Laurence Rossignol après qu’elle ait tenu des propos racistes, son autoritarisme et sa mégalomanie dans la gestion de la campagne présidentielle, son sectarisme à l’encontre de ses partenaires politiques, son refus de condamner les violences policières en France, sa position sur les réfugiés et les travailleurs détachés, sa mitterrandolâtrie, son chauvinisme[9], son tropisme anti-étatsunien en matière internationale qui l’amène à traiter avec une certaine bienveillance le régime de Bachar Al-Assad, ainsi que le rôle joué en Syrie par Vladimir Poutine, etc.

Ainsi se dessine en creux le portrait peu flatteur de républicain conservateur et d’homme d’ordre. Ces désaccords, importants aux yeux de militants de tradition communiste, trotskyste, libertaire et féministe, expliquent pourquoi le ralliement du PCF et d’Ensemble ! n’a été acquis qu’après de longues hésitations et malgré de vives oppositions internes dans les deux partis. En 2017, nous sommes très loin de l’élan collectif et de la joie militante de 2012.

Le modus operandi de l’ex-ministre de Lionel Jospin est surtout très problématique. Il estime que la notion de gauche a été entachée par le PS au pouvoir. On ne pourrait plus revendiquer un positionnement de gauche car cela associerait la « vraie gauche » à un PS rejeté de toutes part. Pour aller chercher ce peuple qui fait défaut à la gauche, Mélenchon embrasse un « populisme de gauche » afin de ne pas laisser à l’extrême droite le monopole des symboles nationaux et patriotiques. Le populisme de gauche a notamment été théorisé par Ernesto Laclau[10] et son épouse Chantal Mouffe[11], avec qui Mélenchon a dialogué. Selon Mouffe, le populisme de gauche permettrait de cliver, de recréer une « conflictualité » et des « passions » en politique que la gauche a perdues depuis longtemps.

Un populisme de gauche est-il possible ? Qu’est-ce que ce peuple ; cette « multitude sociologique » comme le reconnait Mélenchon ?[12] Comment la démarche populiste parvient-elle à conscientiser et rassembler des individus issus de classes sociales très diverses ? La gauche réformatrice a toujours eu le souci de construire un front de classes (notamment les classes ouvrière et moyenne). Mais qu’est-ce qui va unifier cette multitude ? Chez Mélenchon, c’est essentiellement un discours négatif « anti-élites » (le gouvernement socialiste, le Front national, les médias dominants, la Commission européenne, etc.), selon une veine populiste où un peuple « uni » se bat contre des élites.

Le problème d’un tel discours est qu’il est essentiellement « négatif » : avant de chercher à rassembler le peuple contre des forces ou institutions, peut-être serait-il pas plus pertinent de mettre l’accent, en positif, sur ce qui unit et sur la nature de la société que l’on souhaite construire ? Substituer la notion de « populisme » à celles de « socialisme » ou de « communisme », c’est en effet remplacer une définition pleine et positive de son camp par une autre, négative et aux contours incertains. Car le populisme n’est ni un programme, ni une idéologie, mais un simple mode d’action. Et s’il faut cliver entre un « eux » et un « nous », pourquoi ne pas le faire au sein de la gauche contre une droite[13] ? Car en fin de compte, le populisme est bien pluriel : il est de gauche (Mélenchon) du centre (Macron) et d’extrême droite (Le Pen).

Mélenchon a choisi en fait de mener le combat politique dans un créneau tactiquement saturé par les forces conservatrices et réactionnaires. Ce faisant, il a brouillé les pistes. Il suffisait qu’un dirigeant social-démocrate, armé d’un discours et de mesures clairement de gauche, remporte la primaire de la BAP, pour ringardiser le discours populiste de Mélenchon et le rendre inopérant. Avant de construire un peuple, il faut d’abord construire la gauche. Pour avoir ignoré cette loi d’airain politique, Mélenchon a perdu la bataille de la recomposition de la gauche (il n’a jamais eu la moindre chance dans cette élection). L’électeur-ice lambda n’attend pas d’un-e candidat-e de gauche du bruit et de la fureur (fussent-ils légitimes), mais des propositions de gauche concrètes, soutenues par un discours calme, positif et contenant une part d’utopie. C’est exactement ce que propose Hamon à la gauche, et c’est pour cela qu’il a été placé au cœur de celle-ci.

 

Une stratégie à long terme

Comme le remarquait cruellement Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble ! (qui soutient la candidature de Mélenchon) :

« Mélenchon apparaît comme un homme seul quand Hamon risque d’avoir le soutien des Verts et donne à voir un spectre plus large. D’où l’urgence pour Jean-Luc de rassembler sa famille politique et d’offrir un visage plus ouvert et collectif ».[14]

Jean-Luc Mélenchon n’est pas au bout de ses peines et de son isolement car si Benoît  Hamon maintient son programme social-démocrate de gauche, c’est autour de lui que vont converger les principales forces de gauche. Les Verts, qui soulignent la qualité du programme environnemental d’Hamon, n’auront aucun mal à s’entendre avec lui. Il est même probable si ce n’est acquis que Yannick Jadot se retirera de la course présidentielle au profit d’Hamon.

Sans une candidature unique à gauche – avec ou sans une candidature révolutionnaire de type NPA ou Lutte ouvrière – la gauche n’a aucune chance de se qualifier au second tour. Un désistement de Hamon ou de Mélenchon apparait très improbable. Le socialiste est investi par le plus grand parti de gauche (quoique très affaibli, c’est toujours le cas), il est en tête à gauche dans les sondages (une avance qu’il va devoir certes confirmer dans les semaines à venir) et son programme permet d’agréger la gauche dans sa pluralité. Les partisans de la France insoumise demandent à Hamon de les rejoindre ou même de se désister en faveur de Mélenchon. Les deux revendications sont d’une stupidité (ou d’une mauvaise foi) totale. En quoi le renfort de Hamon et du bataillon de quelques milliers de cadres et militants socialistes, permettrait-elle à la France unie de devenir majoritaire dans le pays ? Toutes choses égales par ailleurs, c’est comme si on avait exigé de Jeremy Corbyn, une fois élu leader du Parti travailliste, de le quitter avec ses maigres troupes pour rejoindre une coalition comprenant le Socialist Workers party, Left Unity et Momentum.

Certains à gauche demandent à Hamon qu’il sacrifie les éléments les plus droitiers du PS. On fait remarquer que Myriam El-Khomri, par exemple, ne peut être investie dans une circonscription étant entendu qu’elle ne pourra défendre l’abrogation de sa loi travail. Cet argument est plus recevable que le précédent à ceci près qu’il est très théorique. La question de la désélection de candidat-es s’est posée à Jeremy Corbyn, et il s’est heurté à un mur. Quand on est politiquement minoritaire dans un parti, il est quasi-impossible de procéder à ce type de « nettoyage » car Hamon serait rapidement débarqué par un putsch interne. Mieux vaut tenter de convaincre le ventre-mou du parti de se rallier à une politique qui suscite l’intérêt et le soutien des électeurs de gauche, que de menacer ou sanctionner a priori des élu-es en vertu de leur comportement passé. Il existe évidemment une ligne jaune à ne pas franchir : tout-e socialiste qui aura soutenu la campagne d’Emmanuel Macron se mettra de facto hors-jeu du parti et de la gauche. Si Hamon ne trahit pas ses engagements sociaux-démocrates de gauche il créera une dynamique positive, interne et externe, qui l’amènera à prendre le pouvoir dans le parti et à regrouper l’ensemble de la gauche.

Quant à Mélenchon, qui se positionne dans la frange « radicale » de la gauche, il ne se désistera pas, car il en a décidé ainsi. Pourtant, les différences programmatiques ne peuvent constituer un obstacle rédhibitoire à des alliances électorales lors de l’élection législatives, voire en vue d’un pacte de gouvernement. La stratégie du choix entre « eux et nous » qui somme Hamon de choisir un camp est donc un piètre prétexte pour défendre, non les intérêts de la gauche et des millions de personnes qui votent pour elle, mais les intérêts personnels des personnes qui expriment cette demande.

 

Épilogue provisoire

Faut-il faire confiance à Benoît Hamon ? Ne trahira-t-il pas ses engagements, préférant le confort de sa propre carrière au sein du PS, à une action historique en faveur d’un renouveau de la gauche française ? Il ne faut pas l’exclure. Par conséquent, cette confiance ne peut être que relative et renouvelable à chaque étape comme nous le montre le Bloc de gauche au Portugal. Mais les doutes et les risques ne doivent pas freiner la volonté de changement exprimée par les électeur-ice-s de gauche. En l’absence de débouchés révolutionnaires sous l’impulsion de mouvements sociaux victorieux, l’option réformiste incarnée par Jean-Luc Mélenchon est une illusion. En divisant la gauche, elle condamne les forces radicalement de gauche qui le soutiennent à végéter dans la marginalité politique.

Dans une lettre adressée à un ouvrier membre du Parti communiste allemand en 1931[15], Léon Trotsky s’oppose vivement à la stratégie du PC communiste allemand. Celui-ci part de l’idée qu’il est impossible de vaincre le fascisme, sans avoir vaincu au préalable la social-démocratie allemande : « Cette idée, Ernst Thälmann la répète sur tous les tons. Est-elle juste ? Cette idée est juste du point de vue de la stratégie révolutionnaire dans son ensemble, mais devient un mensonge, et même un mensonge réactionnaire une fois traduite dans le langage de la tactique. Est-il vrai que pour faire disparaître le chômage et la misère il faut détruire au préalable le capitalisme ? C’est vrai. Mais seul le dernier des idiots en tirera la conclusion que nous ne devons pas nous battre aujourd’hui de toutes nos forces contre les mesures qui permettent au capitalisme d’augmenter la misère des ouvriers. »

Trotsky rappelle, qu’en 1917, les bolcheviks ne se contentèrent pas de lancer un appel général aux ouvriers et aux soldats, mais proposèrent aux socialistes révolutionnaires et aux mencheviks un front unique de combat, et créèrent avec eux des organisations communes pour la lutte.

Aucune alliance n’était possible avec les gouvernements Ayrault, Valls et Cazeneuve. Mais une alliance avec Benoît Hamon, dans le cadre de la campagne présidentielle et dans le contexte d’une menace fasciste en France (une victoire de Marine Le Pen en mai prochain n’est plus à exclure), est plus que souhaitable : elle est vitale pour la gauche de gauche.

 

** Les tribunes n’engagent pas Contretemps en tant que revue. 

 

Notes

[1] J’avais vivement critiqué l’organisation de primaires en 2007 et 2011 ; une position que j’ai depuis nuancée : « Primaire socialiste : une fuite en avant qui fragilise la gauche », 30 septembre 2011, Mediapart, 2011, https://blogs.mediapart.fr/philippe-marliere/blog/300911/primaire-socialiste-une-fuite-en-avant-qui-fragilise-la-gauche

[2] HarrisInteractive, « Sexe, âge, cadres ou inactifs : qui a voté pour qui au premier tour de la primaire de gauche ? », La Dépêche du midi, 24 janvier 2017, http://www.ladepeche.fr/article/2017/01/24/2503284-sexe-age-csp-inactifs-vote-1er-tour-primaire-gauche.html

[3] OpinionWay, « Second tour de la primaire du Parti socialiste. Sociologie du vote », 29 janvier 2017, http://www.slideshare.net/contactOpinionWay/opinionway-sociologie-du-second-tour-de-la-primaire-du-ps-et-de-ses-allis

[4] Philippe Marlière, « Jeremy Corbyn : l’élan démocratique contrarié », Les Temps modernes, No. 692, janvier-février 2017.

[5] Jesse A. Myerson « The right to a dignified life », Jacobin, 8 avril 2015, https://www.jacobinmag.com/2015/08/universal-basic-income-socialist-libertarian/

[6] Philippe Marlière, « La laïcité, un principe de non-domination », Mediapart, 30 octobre 2013, https://blogs.mediapart.fr/philippe-marliere/blog/301013/la-laicite-un-principe-de-non-domination

[7] Ce sont les propos que m’a personnellement tenus Jean-Luc Mélenchon en novembre 2014 à l’occasion d’une réunion publique du Club des socialistes affligés que j’avais lancé avec Liêm Hoang Ngoc. Olivier Faye, « Mélenchon, Laurent et Filoche au rendez-vous des socialistes affligés », Le Monde, 20 novembre 2014, http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2014/11/20/melenchon-laurent-et-filoche-au-rendez-vous-des-socialistes-affliges_4526892_823448.html

[8] Ces temps derniers, Jean-Luc Mélenchon aime répéter : « La France n’est pas une nation occidentale, c’est une nation universelle » ; une déclaration politiquement absurde, et un bel exemple de néo-impéralisme culturel français. Ce type de propos passe très mal à l’étranger.

[9] Jean-Luc Mélenchon, Le Hareng de Bismarck. Le poison allemand, Paris, Éditions Plon, 2015.

[10] Ernesto Laclau, On Populist reason, Londres, Verso, 2005.

[11] Chantal Mouffe, « In defense of left-wing populism », The Conversation, 29 avril 2016, http://theconversation.com/in-defence-of-left-wing-populism-55869

[12] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2014.

[13] Éric Fassin, Populisme: le grand ressentiment, Paris Éditions Textuel, 2017, p. 85.

[14] Raphaëlle Besse-Desmoulières, « Benoît Hamon perturbe la campagne de Jean-Luc Mélenchon », Le Monde, 2 février 2017, http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/02/02/la-strategie-de-jean-luc-melenchon-au-defi-de-la-candidature-hamon_5073139_4854003.html#lGTI6dRDkk2R0djf.99

[15] Léon Trotsky, « En quoi la politique actuelle du PC allemand est-elle erronée ? », décembre 1931, https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1931/12/311208.html

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