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Avec le Manifeste « Pour une appropriation sociale du Médicament », nous affirmons notre visée : un monde dans lequel la santé, les activités de santé, les vaccins et les médicaments seront sous la maîtrise sociale et le contrôle social.

Nous voudrions que la rupture avec la marchandisation de la santé devienne une exigence largement partagée.

Bien évidemment la santé des populations ne saurait se résumer à l’accès aux médicaments, puisque sont en cause les conditions de vie, de travail, l’environnement, la malbouffe, l’accès à une médecine et des hôpitaux de proximité, sans oublier la prévention des risques sanitaires.

Il s’agit aussi de conquérir et maîtriser une Sécurité sociale digne de ce nom, désétatisée, financée par des cotisations sociales sur les richesses créées, à vocation universelle…

Reste que le médicament, bien commun universel, pose d’emblée et en termes planétaires la question de l’appropriation, de la maîtrise sociale et publique. Il invite à s’émanciper de la domination des Big Pharma, les multinationales de l’industrie pharmaceutique, sur le monde et à faire sauter un verrou : le brevet. Cela pour rendre possible un autre modèle de développement qui permette la recherche et la production de médicaments utiles, efficaces, accessibles, pour une sécurité sanitaire maximale. Sont également indispensables une pharmacovigilance et des tests cliniques respectueux de la dignité et de l’intégrité des patients.

Libérer le médicament du brevet c’est donner du sens, de la finalité sociale aux chercheurs, aux ingénieurs, à l’ensemble des salariés et du monde de la santé.

Libérer le médicament du brevet c’est refuser que les connaissances, leurs implications, particulièrement celles liées à la santé, à la vie, à l’humain soient privatisées.

Libérer le médicament du brevet c’est refuser que la santé et le médicament soient réduits à une marchandise.

C’est en définitive conquérir le pouvoir de décider.

 

Des obstacles d’ordre structurel, idéologique et politique à lever

Ces obstacles concernent les rapports sociaux d’exploitation, de domination du capitalisme, lesquels reposent sur la propriété.

Ils structurent l’exploitation des salariés, et dépossèdent ceux-ci des décisions sociales, ainsi que l’extension de la marchandisation à l’ensemble du vivant, les dérèglementations en cours et en perspective… Ils révèlent leur caractère prédateur en pillant les richesses sociales créées (Sécurité sociale, aides publiques, crédits d’impôts…).

Pour les Big Pharma le brevet est un outil, un support de spéculation : seuls les axes de recherches ultra-rentables financièrement sont travaillés, la période d’exclusivité liée au brevet permet aux laboratoires de fixer leurs prix et de dégager des marges considérables.

Les fabricants de médicaments comptent parmi les plus grosses multinationales au monde et les plus lucratives pour les marchés financiers, ils n’ont eu de cesse de renforcer les droits de la propriété intellectuelle. Très agressifs à l’échelle internationale, ces droits, comme le souligne le Manifeste, « sont aggravées par les dispositions ADPIC1. Enfin sous couvert de développement des thérapies géniques et via les partenariats public-privé, les entreprises privées ont obtenu l’exploitation des titres de propriété intellectuelle sur les résultats de la recherche publique universitaire, leur permettant ainsi d’étendre la brevetabilité au domaine du vivant ». D’une manière générale, les entreprises transfèrent au public et aux start-up les « coûts de la recherche ».

Dans une étude intitulée « Comment les labos sont devenus des monstres financiers », Olivier Petitjean2 explique qu’en moins de 10 ans le chiffre d’affaires des 11 plus grands laboratoires a été multiplié par 2, pour atteindre la somme record de 395 milliards d’euros en 2017. Parallèlement, la valeur de leurs actifs a été multipliée par 3,3, pour atteindre 873 milliards d’euros. La part de profits redistribués aux actionnaires (dividendes et rachats d’actions) a été multipliée par 3,6, pour atteindre 71,5 milliards d’euros en 2017.

N’oublions pas les rémunérations de dirigeants des Big Pharma qui sont avec les actionnaires les grands gagnants.

En 2014, le changement de direction à la tête de Sanofi, entre Viebacher et Brandicourt, a vu le premier doté d’un parachute doré de 4,4 millions d’euros, tandis que le second touchait une prime de bienvenue de 4 millions d’euros et une rémunération annuelle de 10 millions d’euros. Soit l’équivalent d’une paye de smicard pendant 46 ans. Certes inférieure aux 20 à 25 millions que touchent des dirigeants d’autres grandes firmes !

L’industrie pharmaceutique génère une manne financière pour les marchés financiers dont l’emprise est croissante. Dans cette industrie, à quelques exceptions près (la famille Bettencourt chez Sanofi), l’actionnariat est dominé par les investisseurs professionnels et divers fonds de pension.

Ainsi, pour prendre un exemple, BlackRock, présent dans toutes les grandes industries pharmaceutiques, possède 5,7 % du capital de Sanofi, 8 % de celui d’AstraZeneca, 7 % de celui de GlaxoSmithKline, 7,6 % de Pfizer, 6,2 % de Johnson et Johnson, 6,8 % de Merck/MSD, 6,3 % d’Abott, 6,4 % de BristolMeyerSquib, 5,8 % d’Elly Lilly. Ce qui correspond à 3,66 milliards d’euros touchés en dividendes en 2017.

D’autres fonds sont également présents dans le capital des géants pharmaceutiques. Tels les fonds de capital-risque qui investissent dans le secteur des biotechnologies pour s’assurer le contrôle des brevets stratégiques et faire monter les prix. On peut constater le prix exorbitant de certains traitements, tel celui des anticancéreux innovants (300 000 euros par patient) ou celui contre l’hépatite C (en France, 41 000 euros pour 3 mois de traitement).

La monstrueuse conséquence de cette situation est de rendre difficile, voire impossible, l’accès de populations entières aux médicaments, y compris aux États-Unis et en Europe, et de grever drastiquement le budget des systèmes de couverture sociale. Cela souligne en même temps l’inefficacité sinon la complicité coupable des organismes d’agrément et de contrôle public.

Les profits non distribués servent essentiellement à l’acquisition et aux placements spéculatifs plutôt qu’à l’investissement scientifique et productif.

Les plans de licenciement se multiplient (fusions, reventes de filiales, délocalisations, remplacement de CDI par des emplois précaires).

Des recherches indispensables sont empêchées. Telles celles de nouveaux antibiotiques, alors que les résistances aux bactéries deviennent une grave menace pesant sur la santé mondiale. Celles aussi concernant la sécurité alimentaire, ou celles qui concernent des maladies qui sont de véritables fléaux en Afrique par exemple.

La logique du marché conduit l’industrie pharmaceutique à développer des médicaments qui traitent plus qu’ils ne guérissent. Un consommateur non guéri reste un consommateur permanent assurant des bénéfices à l’industrie, tandis que les produits qui guérissent les patients… tuent le marché.

L’obsession de l’augmentation constante des dividendes induit des pratiques comptables : l’abaissement des normes sanitaires (taux de cholestérol, tension), la création de nouvelles maladies qui ouvrent de nouveaux débouchés. Alors que de nouvelles pathologies bien réelles apparaissent ou s’installent qui résultent de la domination du capital sur la vie des hommes, le travail, l’alimentation, ou du fait de la surmédicalisation en psychiatrie…

Face à cette machinerie destructrice, la possibilité pour un pays et pour un médicament de recourir, au nom de la nécessité face à la mise en danger de la santé du peuple, à la licence obligatoire, ne règle pas le problème de fond.

Abroger le système de brevet, ce serait supprimer la véritable rente financière dont disposent les Big Pharma, arracher l’industrie pharmaceutique à l’emprise des multinationales et du marché, rendre ce bien commun disponible pour l’humanité. Extraire celui-ci de l’appropriation privée est la condition pour mettre un terme à nombre de désastres humains.

En finir avec les brevets signifie pouvoir mettre les avancées scientifiques, technologiques au service des seules populations, agir pour autre rapport entre les peuples et entre les pays. En finir avec les brevets c’est agir avec les peuples pour une refonte de l’OMS sur la base de la primauté de la santé publique, remettre en cause la directive européenne 98/44 relative à la brevetabilité des séquences génétiques et des organismes contenant des entités brevetables, dénoncer les accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

Notre manifeste exigeant l’abrogation des brevets est un appel à un autre mode de développement, porteur d’une dimension solidaire au niveau planétaire, appelant une couverture sociale universelle, une coopération entre chercheurs, entre équipes de chercheurs, et la reconnaissance sociale de ces dernières.

Concrètement, l’abrogation des brevets conduit à en finir avec les critères de rentabilité et de domination. Il ne peut y avoir une appropriation par la société sans l’éviction des actionnaires, des fonds de pension et autres profiteurs…

En résumé, le brevet, outil essentiel de la manne à profits et de l’accumulation capitaliste, a des conséquences dramatiques et scandaleuses pour la santé, et ce à l’échelle internationale. Pour enrayer ce processus mortifère, l’abrogation du brevet et une appropriation sociale évinçant les actionnaires sont des exigences incontournables.

 

Inscrire une telle visée dans le présent

Aujourd’hui, les multinationales sont de plus en plus délégitimées aux yeux de l’opinion publique, du fait des prix exorbitants, des scandales sanitaires, des mensonges concernant par exemple le médiator, le viannox, le lévothyrox, le gardésil…

Les Big pharma en ont conscience, puisqu’elles consacrent d’énormes moyens pour redresser leur image. Contrairement aux affirmations de la pensée unique, la précarisation, les restructurations, les délocalisations, le mépris à l’égard des salariés sont source d’inefficacité. Car l’entreprise constitue une communauté de travail qui a besoin, non de faire de l’immédiat la mesure de toute chose, mais de partager les savoirs, de travailler collectivement, de s’inscrire dans le temps… Cela dans une finalité humaine et utile à la société et à l’humanité.

Ce qui manque, c’est la vision qu’il est possible de se défaire de l’existant. Ce n’est pas la première fois qu’un transfert de propriété privée vers le public aurait lieu. On se rappelle 1981. Le nouveau et le sens du combat d’aujourd’hui, c’est une véritable appropriation par tous les acteurs concernés, une prise de pouvoir sur les questions décisives par les salariés, professionnels de la santé, associations, citoyens. Pour pouvoir choisir, décider, tracer les voies du futur, contrôler.

Ce n’est pas parce que c’est nouveau, audacieux, que cela n’est pas légitime, incontournable, et à conquérir.

Quel type de batailles, de mobilisations, de conceptions ?

Le fil conducteur est la conquête de la maîtrise sociale et publique de la santé, avec les pouvoirs de décision et de contrôle que celle-ci nécessite, autrement dit la conception d’une nouvelle citoyenneté.

C’est une idée pour tout de suite.

S’engager sur cette voie c’est en appeler à un processus de mobilisation des salariés et des citoyens qui visent à devenir une exigence majoritaire. Pour passer à l’offensive et poser la question des pouvoirs et de la propriété. La réponse ne peut s’imposer par une décision d’État, nous le savons par expérience. Elle appelle chacune et chacun de nous à s’exprimer, donner son opinion. Il s’agit avec tous ceux qui partagent cet objectif de s’approprier l’enjeu, de construire ensemble des objectifs, des convergences, des argumentaires, des initiatives.

C’est aussi une idée qui appelle à travailler dans tous les espaces : celui de l’entreprise, avec les salariés, les chercheurs et le monde de la santé, celui des lieux de vie, quartiers, villages, avec les syndicats et les forces progressistes, en France et partout dans le monde, avec l’engagement d’élus partenaires qui participent au mouvement et qui deviennent eux aussi porteurs de l’exigence.

C’est une invitation au décloisonnement de chaque organisation pour aller vers la multiplication des rapports entre elles afin d’engager une réflexion sur les lieux de pouvoir à conquérir et sur de nouveaux organismes de décision à construire.

Ce n’est pas une idée en l’air, car déjà, à ce jour, concrètement, des actions ont eu lieu à Bruxelles, en Grèce… À Bobigny à l’occasion d’un colloque organisé par des professionnels de la santé autour du thème « l’intérêt général face à l’extension du domaine du pathologique ». Des contacts sont pris ou à venir en Afrique, en Amérique du Sud, aux États-Unis (la couverture sociale est un des futurs enjeux de la prochaine élection présidentielle).

Le Manifeste a reçu le soutien de salariés, de chercheurs, de professionnels de la santé, d’universitaires, philosophes, économistes, et des participations individuelles. Il est un atout pour cette bataille.

Un site internet est ouvert. Nous souhaitons qu’il donne écho à nos réflexions et activités, et aussi aux paroles, échanges, confrontations, et propositions d’initiatives venant de ses visiteurs…

 

Daniel Vergnaud est un des initiateurs du Manifeste « Pour une appropriation sociale du médicament »

Cet article a été publié dans le cadre du dossier « Le médicament, un bien commun », paru dans le numéro 42 de la revue imprimée Contretemps.

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références

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1 ADPIC : Aspect des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.
2 Olivier Petitjean, journaliste, co-fondateur et éditeur du site d’information indépendant Multinationales.org.