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Re-expérimenter un souci pour l’avenir. Répondre aux générations futures ? Une recréation de « faitiche ». 


Aujourd’hui, un nombre de plus en plus grand de personnes commencent à se re-préoccuper du futur. Nous nous soucions de plus en plus de l’avenir de nos déchets comme nous commençons à nous inquiéter des conséquences du réchauffement climatique, pour nous et pour ceux qui viendront après nous. De même, l’appel de plus en plus fréquent à des scénarios énergétiques, climatiques ou encore économiques comme outils pour l’action et la décision, témoigne du fait que les autres collectifs ne sont pas les seuls à s’intéresser à l’avenir et à inventer des façons de le prendre en compte[1].

Les modernes[2] s’intéressaient au futur, mais dans le sens où ils mettaient leurs espoirs en lui. Ils faisaient partie de ceux qui ne s’en souciaient pas, c’est-à-dire qui n’ont pas cultivé avec lui un rapport de souci mais, pourrait-on dire, d’épargne. C’est comme si c’était à l’avenir de s’occuper de nous, de ce que nous avons fait – ou pas. Nous nous en sentions moins responsables que nous nous en remettions à lui. C’est cela qui est en train de changer : ce qu’on entend souvent dire, avec nostalgie ou dérision, que seuls les autres collectifs se soucient, parfois jusqu’à la 6ème génération, des conséquences de leurs actes, est ce que certains anciens modernes sont en train d’expérimenter[3]. De plus en plus d’individus ne s’en remettent plus à l’avenir, mais se mêlent de sa fabrication, en faisant attention (à) et / ou en demandant des comptes des conséquences de nos actes. Comme le souligne Isabelle Stengers, « le réapprentissage de l’art de faire attention n’a rien à voir avec une sorte d’impératif moral, d’un appel au respect ou à une prudence que « nous » aurions oublié. Il ne s’agit pas de « nous », mais des affaires dont nous ne sommes pas censés nous mêler »[4]. Contre d’autres intérêts – présents, économiques, émerge un souci moral pour le futur. Le débat sur le nucléaire témoigne de cette nouvelle préoccupation morale : si les personnes, les associations, les syndicats qui se sont mobilisés, et se mobilisent encore, sur la question des déchets nucléaires ne s’inquiétaient pas pour l’avenir, elles se moqueraient aussi de ces derniers.

Le souci moral aussi était présent dans les questions liées à l’avenir, mais sous la forme d’une morale du progrès. Pensons aux deux éthiques, marxistes et libérales, contre lesquelles l’éthique de la responsabilité de Jonas s’est explicitement construite, précisément parce qu’elles sont toutes deux fondées sur la notion de progrès : que ce soit le progrès des objets techniques, l’amélioration des égalités sociales ou la fin du capitalisme par la victoire de la lutte des classes, ces deux éthiques sont fondées sur une version progressiste de l’avenir. La ‘moralité’ de ces morales du progrès[5] tenait au fait que demain, les personnes puissent espérer une vie meilleure. Mais il n’y a rien de moral dans le fait de faire confiance ‘par soi’ à l’avenir (à la lutte des classes, à la croissance économique), et encore moins, comme cela a été maintes fois été entendu, dans le fait de justifier les morts et les misères d’hier et d’aujourd’hui au nom d’un hypothétique lendemain meilleur. Plus encore, une morale du progrès semble plutôt immorale en ce qu’elle nous déresponsabilise de nos choix faits aujourd’hui, au nom d’un progrès qui arrangera tout demain. Se soucier de l’avenir, c’est alors changer de rapport avec le futur : c’est-à-dire, apprendre à suspendre l’instrumentalisation du futur comme alibi moral pour n’importe quelle action présente, et obliger à faire attention à l’avenir, et donc aux conséquences de nos actes. C’est ce contraste entre ‘éthique du progrès’ et ‘éthique de l’avenir’ que Jonas a très bien mis en scène, ainsi que son corollaire : se passer de l’idée de progrès (re)fait exister le futur comme objet de notre souci moral.

Dès que l’on ne laisse plus les conséquences de nos actes ‘à la charge’ de la notion de progrès, on rencontre la notion de responsabilité morale. D’un côté, la nouveauté d’une responsabilité morale du futur est toute relative, en ce qu’elle relève d’une certaine manière du simple bon sens. Se soucier pour l’avenir des conséquences de ses actes, notamment d’intégrer les sciences et les techniques comme ‘n’importe quelle’ autre activité dans les objets de la responsabilité morale, relève en effet d’une prudence ordinaire[6]. Mais d’un autre côté, ce souci moral témoigne du fait que la situation a changé. La nouveauté d’une telle préoccupation morale ne réside pas dans son extension temporelle au futur, mais dans la tentative de prendre en compte le futur sans l’idée de progrès[7]. En quel sens ? Au sens, tout d’abord, où Jonas avait élaboré son éthique comme un travail philosophique pour notre temps, du fait que les ‘morales du progrès’ ne se chargeaient pas de prendre en compte les conséquences de nos actes. Mais au sens aussi où la difficulté s’est déplacée : le livre de Jonas semble à la jonction entre deux époques, celle où l’on éprouvait la puissance de la notion de progrès[8], où l’on était le cas échéant dans un rapport critique à cette notion – et de fait, Jonas consacre beaucoup de pages à la discuter -, et celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, où l’on a « [perdu] toute la charge d’évidence qui a été, depuis le XIXè siècle, associée à la notion de progrès »[9]. La flèche du temps semble aujourd’hui arrêtée ou plutôt suspendue. Nous ne sommes pas confrontés à la difficulté de ne plus ‘croire au progrès’, mais à l’expérience de la suspension de cette notion. Il s’agit aujourd’hui d’apprendre à penser à partir de cette suspension de la référence à l’idée de progrès, c’est-à-dire de recommencer à habiter une temporalité dotée d’un futur, et à instaurer la responsabilité morale qui l’accompagne.

Le problème n’est donc plus celui de trouver les moyens de se forcer à penser à l’avenir – de ‘croire’ qu’une catastrophe peut arriver, comme l’affirme Dupuy dans sa relecture de Jonas[10], mais de savoir comment faire attention à l’avenir. La temporalité du progrès nous a coupé d’une culture du soin, de l’attention pour l’avenir, du fait que l’on n’avait pas à s’en préoccuper. Il nous faut réapprendre à prendre en compte l’avenir, à nous attacher collectivement aux conséquences de nos actes. Or ce changement prend une forme cruelle : nous sommes en train de refaire l’expérience de la temporalité du futur au moment où celui-ci est menacé.  Nous re-expérimentons le souci pour l’avenir lorsque nous sommes peut-être en train de le perdre. Mais perdre quoi, ou qui ? De fait, cette préoccupation de l’avenir se fait de plus en plus au nom des générations futures. Le souci pour ces êtres me semble témoigner du fait que les anciens modernes sont en train de renouer une relation d’attention avec le futur – ne préjugeant pas de sa réussite – à une échelle collective. Cette notion est assez déroutante, en ce qu’elle est à la fois populaire et académique, partielle et incontournable, moraliste et morale. Je voudrais accompagner ici ce ‘retour’ des générations futures, en essayant de décrire la singularité de cette nouvelle relation au futur, et ce notamment en construisant une différence entre l’appel moraliste à ces générations et une recréation de « faitiche », à laquelle, me semble-t-il, elles appartiennent.

 

1. Re-expérimenter un souci pour l’avenir 

On sait de quoi ou de qui l’on se soucie lorsqu’il s’agit du présent, mais quand il est question de l’avenir ? La réponse de plus en plus fréquemment apportée à cette question est que la responsabilité morale de l’avenir concerne les générations futures. Ces dernières ne sont pas nouvelles[11] mais elles ont pris aujourd’hui une dimension nouvelle. On est en train de faire l’expérience de ces générations futures à une échelle collective. Elles sont mobilisées dans des domaines aussi différents que le nucléaire, la question des OGM, de la pollution en général, ou encore des changements climatiques. Décrivant la multiplication d’acteurs s’étant invités dans le débat sur le nucléaire depuis les années 60, époque où le dossier nucléaire était encore considéré comme purement technique, Yannick Barthe termine son énumération en mentionnant « ces incroyables générations futures dont soudainement tout le monde se soucie, au nom desquelles chacun se croit autorisé à parler et qui s’invitent à toutes les réunions où l’on discute de stockage, de surgénérateur ou de transmutation »[12]. On rencontre aujourd’hui cette même présence dans la pratique philosophique : les générations futures semblent devenues une notion quasi-indispensable pour penser notre relation au futur et construire une morale écologique. Jonas est l’un des plus connus de ses porte-parole, comme précurseur, mais cette notion est convoquée par de nombreux autres philosophes[13]. Que beaucoup de personnes se soient appropriées cette expression me semble pouvoir être considéré comme un signe de sa réussite. Cette popularité témoigne d’un souci moral nouveau de notre collectif pour le futur, donnant toute son importance à cette notion.

Il existe un débat concernant la question de savoir quelles générations sont concernées – si nos petits-enfants ou petits neveux sont concernés ou bien seulement les générations que nous ne pourrons pas connaître. De même, se pose la question de savoir si l’on compte ou non parmi les générations futures les non-humains. On considère généralement que les générations futures désignent des générations qui ne sont pas encore nées[14], mais une interprétation plus large, dans laquelle peuvent être prises en compte les générations qui succèdent immédiatement aux générations présentes (donc nos petits-enfants mais aussi nos propres enfants) est de plus en plus usitée. Cet usage élargi me semble de fait plus pertinent aujourd’hui  : comme j’ai commencé à le souligner plus haut, en l’espace de 30 ans, les scénarios que Jonas appelait de ses vœux se sont multipliés[15] et les catastrophes susceptibles de se produire ne semblent plus difficiles à imaginer. C’est comme si les générations futures s’étaient rapprochées des générations présentes. L’inquiétude que manifestait Jonas dans son livre à l’égard des générations qui ne sont pas encore nées s’est aujourd’hui étendue à nos petits-enfants, voire nos enfants. Il y a moins d’un an, une jeune canadienne de douze ans, appartenant à ECO, une organisation d’enfants pour la défense de l’environnement, est venue s’adresser aux participants d’une conférence des Nations Unies pour leur demander de s’occuper maintenant de la crise écologique. Faisant part de ses craintes pour son avenir et celui de ses enfants, elle a alors posé la question de savoir si, comme nous le prétendons, notamment à travers ces références répétées aux générations futures, nos enfants étaient vraiment notre priorité[16]. Cette jeune fille fait-elle partie des générations futures ? Aussi préparée que cette intervention ait pu l’être, le trouble causé par la prise de parole de cette jeune fille témoigne de sa réussite à s’être faite l’une des porte-parole de notre futur.

En quoi consiste cette reprise d’un attachement soucieux aux générations futures ? Quelle(s) expérience(s) partageons-nous avec ces dernières ? Ces êtres font partie de ceux que l’on ne peut aborder ‘frontalement’, pour autant, aussi indirectes soient-elles, ces expériences sont désormais quotidiennes. Aujourd’hui que les conséquences de nos actes nous reviennent dessus, on se demande ce que nous avons ‘envoyé’ – et ce que nous ‘envoyons’ encore – dans le futur. Ce faisant, nous re-expérimentons à propos de l’avenir et des générations futures ce que François Ost appelle un sentiment de « communauté temporelle »[17]. C’est ce dont témoigne la controverse sur le nucléaire : ce débat nous concerne tous, c’est-à-dire les générations présentes et les générations futures, proches et lointaines. Il porte d’une part sur le danger présent d’exploitation de ces centrales, et d’autre part sur les conséquences de transmettre aux générations futures la charge de nos déchets nucléaires. La décision qui a été arrêtée pour le moment en France, de laisser aux générations futures la possibilité d’agir sur ces déchets si elles en ont l’occasion, a été obtenue par des associations et des syndicats explicitement en leur nom[18]. Chacun, comme le souligne Yannick Barthe, se sentant autorisé à parler pour elles. Ce sentiment de « communauté temporelle » avec les générations futures nous fait prendre en compte le point de vue de l’avenir. Il ne s’agit plus de penser à l’avenir comme à un après, juxtaposé au présent comme une autre couche temporelle, mais comme appartenant à notre collectif, dont on prend en compte le point de vue, maintenant, vis-à-vis de ce que l’on fait.

Que nous demandent ces générations futures ? Jonas répond à cette question sous la forme d’une obligation morale ‘classique’  – même si le contenu l’est moins : nous devons « préserver la possibilité d’une (…) vie future »[19]. Autrement dit, il s’agit d’éviter le « sacrifice de l’avenir au profit du présent »[20], c’est-à-dire aussi, le sacrifice des générations futures aux générations présentes[21]. Cette « obligation de l’existence de l’humanité future » se comprend aussi par la négative, comme le fait de ne pas empêcher qu’elles existent. Plus précisément, cette obligation ne porte pas sur le fait qu’elles survivent, mais qu’elles puissent vivre une vie humaine[22]. Jonas développe peu ce qu’il entend par là, renvoyant au concept kantien « d’humanité », mais certains évènements récents, comme le passage du cyclone Katrina et les conditions de vie qui s’ensuivent pour des centaines de personnes, ou l’imminence des premiers réfugiés climatiques, sans statut politique ni possibilité de travailler[23], permettent, me semble-t-il, de prendre la mesure de ce qui est en jeu. Mais en quel sens nous obligentelles ? Cette possibilité d’exister est peut-être ce qu’elles nous demandent, mais est-ce ce qu’elles nous font faire ? Il s’agit ici d’une question pragmatique, s’intéressant à l’efficace morale de cette proposition morale plutôt qu’à sa valeur ‘en soi’[24]. Or, c’est la limite de la proposition de Jonas me semble-t-il, oscillant entre une description et une injonction, à l’image de notre relation avec les générations futures. Ces dernières sont certes devenues très présentes, mais elles ne nous font pas encore ‘faire’ grand-chose, en dehors d’éprouver des scrupules. Ce qui distingue néanmoins cette proposition d’autres appels moralistes tient au fait que Jonas pense cette obligation d’exister des générations futures devant leurs « accusations anticipées »[25]. L’intervention de la jeune canadienne à l’ONU, de ce point de vue, est un exemple quasi-prémonitoire – cette dernière étant venue sinon nous accuser de l’abandonner, du moins nous interpeller, nous qui sommes en train de décider dans quel monde elle va grandir. Outre que la vision catastrophiste, au sens littéral du terme, suggérée par Jonas en dernier recours, mettant en scène la disparition et le silence conséquent des générations futures commence à résonner drôlement[26], placer nos engagements vis-à-vis des générations futures sous le regard de la possibilité de ces  accusations me semble en partie nous protéger d’un usage moraliste de cette notion[27].

 

2. Une recréation de « faitiche »  

En effet, si les générations futures sont l’une des préoccupations morales les mieux partagées, dans le même temps, l’usage qui en est fait est largement moraliste. Sa popularité s’accompagne régulièrement de l’instrumentalisation de cet appel aux générations futures en caution morale. L’expérience que l’on fait des usages de cette notion alterne ainsi entre des réussites à faire exister le futur comme une de nos préoccupations morales et des emplois moralistes répétés, mettant largement en question cette notion. Cependant, si l’on peut sérieusement se demander si les générations futures comptent pour nous, il me semble que l’on se tromperait si l’on renvoyait purement et simplement cette notion du côté du moralisme[28]. Nous retrouvons également cette difficulté au niveau conceptuel. D’une certaine façon, cette notion semble victime de son succès – ou plutôt, ceux qui font appel à elle sont victimes de son succès à elle : parce qu’elle est populaire, on a tendance à croire que c’est une notion simple, voire simpliste. De fait, il y a un vrai décalage entre sa réussite ‘pratique’ et la difficulté à la décrire, à la saisir. Ce faisant, on confond la cause et l’effet, c’est-à-dire son succès et sa fabrication, et l’on passe à côté des raisons pour lesquelles elle marche. Qu’est-ce qui fait cette différence ? Dupuy a raison de dire que c’est une notion virtuelle[29], mais cela ne signifie pas qu’elle n’existe pas.

Si cette notion sonne creux – moraliste – lorsqu’elle est convoquée, c’est peut-être parce qu’elle est mal instaurée. On passe à côté lorsque l’on présente les générations futures comme objet d’un devoir moral ‘en soi’, en revanche il me semble que l’on peut réussir à instaurer cette notion en la construisant comme un « faitiche ». La façon dont les gens se re-mêlent des questions de futur ne consiste pas à formuler un nouvel impératif moral, mais à se re-engager dans une relation d’attention vis-à-vis de l’avenir – c’est-à-dire, à participer à son élaboration, non à produire des jugements sur ce que l’on devrait faire.

Qu’est-ce qu’un « faitiche » ? Cette notion a été proposée par Bruno Latour pour élaborer une théorie de l’action qui sorte du partage entre sujet et objet, entre d’un côté un sujet qui agit de manière autonome, et de l’autre un objet inerte qui est agi. Dans cette répartition, « les sources même d’attachement, la formidable prolifération des objets, des biens, des êtres, des frayeurs, des techniques qui tous font faire quelque chose à d’autres » ont disparu[30]. L’introduction de la notion de faitiche réactive une relation où l’action ne vient pas du sujet mais de la relation, de l’attachement dans lequel ce dernier est engagé. Ce carnet me fait écrire, les animaux sauvages avec qui nous souhaitons cohabiter nous font faire des compromis, les rouleaux de prières tibétains font prier les boudhistes. C’est cette « fracture de l’action », cette répartition, entre d’un côté, un monde inerte et de l’autre, des humains agissant tout seuls que l’on trouve dans les mots qui composent ce nouveau concept : « fait » (objet ‘tout court’, c’est-à-dire que personne n’a fabriqué), et « fétiche » (du côté du sujet ‘tout court’, c’est-à-dire aussi de ses représentations internes). Par ce néologisme, Latour cherche à ‘recoller’ ce qui a été séparé : des faits qui ont été fabriqués et qui sont pour cela objectifs ; des fétiches qui ont été fabriqué et qui pour cela fonctionnent[31]. Ce faisant, il déplace le problème : il ne s’agit pas de choisir une action autonome contre une action déterminée, mais de « trier dans les attachements eux-mêmes, ceux qui sauvent et ceux qui tuent »[32].

Or que nous font faire ces relations  faitiches ? « [Elles excellent] dans l’articulation de la prudence et de la publicité. [Elles affirment] publiquement qu’il faut faire attention en manipulant les hybrides »[33]. Ne considérant ni les humains ni les non-humains comme inertes, et donc sans conséquence, les faitiches nous font faire attention aux relations qu’on lie avec tel ou tel être. Il n’est pas plus anodin dans cette théorie de l’action de consommer des drogues que du pétrole, ou encore, de commercer avec des mots qu’avec des choses. C’est cette relation d’attention au monde dont les modernes ont imaginé se défaire – se ‘libérer’ – en la réduisant à de la superstition (de ‘bonne femme’ ou de ‘primitifs’). Songeons au poison de la moquerie qu’ont subi pendant des décennies toutes celles et ceux qui avaient peur que le ciel ne leur tombe sur la tête, s’ils enfreignaient telle règle de prudence, se désintéressaient des conséquences de leurs actes[34]. Pourtant, la thèse de Latour est que ce n’est pas le fétiche de la superstition que les modernes ont détruit, mais le faitiche du faire attention. Pourquoi ? Parce que les fétiches (au sens moderniste de quelque chose à quoi l’on ‘croit’) n’existent pas[35]. Existent des relations attentionnées (ou mal intentionnées) aux choses. En cherchant à se débarrasser de leur superstition supposée, les modernes se sont en fait débarrassés de leur responsabilité.

« Ils ne furent plus soumis à la moindre contrainte, à la moindre responsabilité. Les deux moitiés du faitiche brisé, coulées au seuil du temple moderniste, les protégèrent, pour un temps, contre toutes les implications morales de leurs actes (…) . Mais c’étaient l’attention et la prudence que leur marteau avait cassées. »[36].

Aujourd’hui, la suspension de la toute puissance de la notion de progrès interrompt la réduction de notre souci à de la superstition, puisque c’est (notamment) la pensée du progrès qui a brisé le faitiche du faire attention, et l’a transformé en croyance superstitieuse d’un côté et ‘fait’ du progrès de l’autre.

C’est ce type de relation (faitiche) qu’il me semble que nous commençons à ré-engager avec les générations futures. Ces dernières nous exhortent à la prudence et ce, de manière populaire, collective, ‘publique’. Les générations futures semblent faire réfléchir et agir autrement de plus en plus de personnes et réussir, parfois, à produire une réelle différence. Pensons une fois encore aux combats sur le nucléaire : ceux qui parlent en leur nom demandent d’être prudent dans nos décisions, de faire attention aux conséquences de nos actes. L’appel aux générations futures, c’est-à-dire l’appel à prendre en compte de nouveaux êtres, met fin ou du moins fait hésiter à renvoyer une nouvelle fois ces exigences de prudence, à des contraintes « irrationnelles », « subjectives ». Une attitude simplement critique à leur égard passerait à côté. Cette relation est instaurée lorsque nous arrivons à dire ce qu’elles nous font faire, tout en résistant au fait d’en parler en termes de devoir moral. On passe à côté lorsque l’on présente notre obligation morale à l’égard des générations futures comme l’objet d’un devoir moral. Le philosophe moralE accompagne ce qu’elles nous font faire – même si c’est très peu, mais ne peut exhorter à faire plus, sauf à devenir moraliste[37]. Le danger de cette notion, du fait qu’elle soit virtuelle et concerne le futur, est de nous faire croire que se soucier des générations futures consiste à dire ce que nous devrions faire, de manière programmatique. L’instaurer comme un faitiche, pour un philosophe moralE, c’est précisément s’efforcer de se concentrer sur ce qu’elles nous font faire, maintenant.

 

Conclusion

Nous avons jusqu’à présent laissé de côté la discussion portant sur l’objet des générations futures – savoir si elles sont ‘seulement’ humaines ou non. De fait, on peut souligner qu’en règle générale, cette notion renvoie aux seuls humains[38]. Les générations futures, ce sont les générations humaines futures. Mais cette restriction n’a pas de sens parce qu’on vit dans un monde – les humains-tout-seuls n’existent pas[39], mais aussi parce que Gaïa nous a appris que ce n’est pas la Terre qui est en danger mais nous qui sommes menacés[40]. Nous, c’est-à-dire cet écosystème dans lequel les humains existent et auquel ils appartiennent.

Cette potentielle limitation aux ‘humains-tout-court’ participe de fait au côté abstrait de cette notion. Cependant, il me semble moins intéressant d’accuser la notion de générations futures de ne pas prendre en compte les non-humains, le cas échéant, que d’accepter l’existence d’une telle hésitation au sein de cette notion, comme j’ai essayé de la faire ressentir dans ce texte. D’une part, parce que cette tension est liée à son histoire. À charge de ceux qui l’emploient de faire entendre autre chose. D’autre part, parce qu’elle témoigne de la tentation existante de ‘passer aux choses sérieuses’ quand l’avenir est menacé. Et que les ‘choses sérieuses’ soient ramenées, selon un faux bon sens, aux ‘humains-tous-seuls’ et aux générations présentes me semble être une épreuve que cette notion peut nous aider à affronter, en nous y exposant.

 


[1] Pensons par exemple aux rapports du groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC),   http://www.ipcc.ch/.  Sur cette question, voir Amy Dahan Dalmedico (dir.), Les modèles du futur : changement climatique et scénarios économiques, Paris, La découverte, coll. Recherches, 2007.

[2] Je m’inscris ici dans la réflexion contemporaine sur la modernité, et plus particulièrement de la problématisation de Bruno Latour dans Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La découverte/poche, 1997 (1991). ‘Modernes’ s’entend ici comme une manière problématisée de présenter ceux qui se sont pensé distincts des autres collectifs, selon une coupure ontologique irréversible et hiérarchique en leur faveur le long d’une ligne de progrès. Nous expérimentons aujourd’hui que nous ne l’avons jamais été, tout en héritant de cette histoire qui n’est pas terminée, comme d’une contrainte et motif de prudence.

[3] Jean Chesneaux, dans Habiter le temps : présent, passé, futur. Esquisse d’un dialogue politique (Paris, Bayart, 1998), parle aussi d’une « crise du temps » chez les modernes, mais la problématise en sens inverse, comme une « indifférence à l’avenir et aux générations futures ».

[4] Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes, Résister à la barbarie qui vient, Paris, La découverte, Les empêcheurs de penser en rond, 2009, p. 81.

[5] Selon l’usage contemporain, j’emploie ici indifféremment les termes morale et éthique.

[6] C’est ce qui définit le principe de précaution : faire entrer les pratiques des sciences et des techniques dans des mesures de prudence ordinaire. Voir par exemple, Philippe Kourilsky, Du bon usage du principe de précaution, Paris, Odile Jacob, 2001.

[7] Hans Jonas, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, traduit de l’allemand par Jean Greisch, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1995 (1979), p. 42 et sq. « Les formes antérieures de l’éthique du futur ».

[8] Comme à l’époque où Walter Benjamin écrivait ses thèses sur l’histoire, dans les années de la montée du fascisme, dans lesquelles l’auteur pointe l’aveuglement des États Européens, et le rôle que la notion de progrès a joué, notamment dans les partis de gauche. Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », traduction M. de Gandillac, Gallimard folio, 2000 (1940). Voir aussi, le commentaire linéaire très éclairant de ces thèses souvent hermétiques, Michael Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « sur le concept d’histoire », PUF, Pratiques théoriques, 2001.

[9] Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes, op. cit., p. 25-26.

[10] Dans sa relecture de Jonas, Jean-Pierre Dupuy affirme que les menaces de l’avenir posent « le problème (…) que nous n’y croyons pas », pour expliquer qu’on ne les prenne pas en compte (Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Le Seuil, 2002, p. 142 et 144). Outre une divergence d’analyse anthropologique, cette allégation peut par ailleurs sembler problématique, en ce qu’elle dédouane les différents acteurs, politiques et économiques, de leurs responsabilités respectives. L’analyse de Dupuy revient à dire qu’ « on » ne fait rien parce qu’ « on » n’y ‘croit’ pas, et non parce que certains manquent à leurs responsabilités. Que ce soit l’épuisement mondial de différentes espèces de poissons ou la situation de centaines de familles de la Nouvelle-Orléans, trois ans après le passage de Katrina, aucun ne pose ou n’a posé le problème d’y ‘croire’ ou pas, mais celui, par exemple, de non respect étatique des directives internationales ou de l’abandon politique des plus pauvres. Et si « la peur de la catastrophe à venir n’a aucun effet dissuasif » (p. 143), ce n’est pas en demandant de considérer la catastrophe comme certaine que l’on peut espérer que cela change.  Sur la divergence anthropologique et politique concernant la définition de la notion de croyance comme un « état psychologique [ou] un mode de relation polémique », Bruno Latour « Faits, fétiches, faitiches, la divine surprise de l’action », p. 291 et passim, in L’Espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l’activité scientifique, traduit de l’anglais par Didier Gilles, Paris, La découverte, coll. « Armillaire », 2001.

[11] Voir plus bas, note de bas de page n° 28.

[12] Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain, Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001, p. 46.

[13] Voir par exemple, Ernest Partridge (ed.), Responsabilities to future generations, Environmental ethics, Buffalo N.Y., Prometheus Book, 1981.

[14] Hans Jonas parle par exemple « d’obligations pratiques à l’égard de la postérité appartenant à un avenir lointain », op. cit., p. 38. Voir aussi Dieter Birnbacher, La responsabilité envers les générations futures, Paris, PUF, coll. philosophie morale, 1994 (1988), « À quel degré les « générations futures » sont-elles futures ? », p. 15 et sq. Sur le deuxième débat, voir conclusion. J’emploie le terme un peu maladroit de ‘non-humains’, non par anthropocentrisme mais pour éviter d’utiliser le terme de ‘nature’ impunément. Je m’inscris ici dans la problématisation critique de cette notion centrale de la modernité proposée par Bruno Latour dans Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, La découverte/poche, 2004 (1999). Sur le naturalisme des modernes, mais proposant une version différente, voir Philipe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 2005.

[15] Pensons au rapport sur le Club de Rome (Halte à la croissance ? Rapport sur les limites de la croissance, Donella H. Meadows (ed), Fayard, 1972), à ceux déjà cités du GIEC.

[16] Conférence de l’ONU sur l’environnement et le développement tenue au Brésil en juin 2007 http://www.youtube.com/watch?v=5JvVf1piHXg.

[17] Que ce dernier considère perdue, « Élargir la communauté politique par les droits ou par les responsabilités ? », Écologie politique, numéro 22, 1998, p. 85-104, p. 98.

[18] Yannick Barthe, Le pouvoir d’indécision : la mise en politique des déchets nucléaires, : la mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Économica, 2006, p. 36 et sq. Par exemple, p. 37 : « Le problème des déchets doit être en effet examiné, non seulement pour la période actuelle (…) mais dans une perspective de centaines et de milliers d’années pendant lesquelles l’ « héritage » légué aux générations futures par la civilisation industrielle utilisant l’énergie nucléaire devra être maintenu sous contrôle ou stocké de façon sûre », Syndicat CFDT de l’énergie atomique.

[19] Bernard Sève, « Hans Jonas et l’éthique de la responsabilité », Esprit, octobre 1990, p. 72-87, p. 75. « Agis de façon que les effets de tes actions soient compatibles avec la Permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre », Hans Jonas, op. cit., p. 40. Pour une discussion des arguments pour ou contre des obligations envers les générations futures, voir Axel Gosseries, Penser la justice entre les générations, Paris, Alto Aubier, 2004, « Que devons-nous à la génération suivante ? », p. 143-196 ; Ernest Partridge (ed.), Responsabilities to Future generations, op. cit., p. 187 et sq.

[20] Idem, p. 39.

[21] Dans la perspective du progrès, les générations futures sont censées être plus heureuses et plus sages que les générations passées (ce qui justifierait les souffrances et / ou les sacrifices de ces dernières). C’est ce raisonnement qui est à l’origine d’un taux de croissance élevé en économie, fondé sur le progrès technologique et l’adaptation des générations futures, contre lequel le rapport Stern a cherché à se démarquer en essayant de prendre en compte économiquement les générations futures. Stern review, octobre 2006, http://www.hmtreasury.gov.uk/independent_reviews/stern_review_economics_climate_change/stern_review_Report.cfm.

[22] Jonas le formule sous la forme d’un impératif kantien : « Agis de façon que les effets de tes actions soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre », op. cit., p. 40.

[23] Quel avenir pour les habitants de l’archipel de Tuvalu, premier pays dont les habitants doivent migrer à cause du réchauffement climatique qui est en train de le faire disparaître ? Malgré la petitesse de la population (10 000 habitants), l’Australie (sa plus proche voisine) a déjà refusé de les accueillir sans contrat de travail. Sur cette question, voir la thèse de François Gemenne, « Environmental Changes and Migration flows. Normative Frameworks and Policy Responses.», à paraître. L’ONU estime le nombre de réfugiés climatiques d’ici 2050 à 150 millions.

[24] William James, Le pragmatisme, traduit de l’américain par Nathalie Ferron, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2007 (1907). Pour une introduction remarquable au pragmatisme en langue française, David Lapoujade, William James : Empirisme et pragmatisme, Paris, PUF, coll. Philosophie, 1997. Cette exigence pragmatique est proche de la réflexion pragmatique environnementale qui a commencé dans le milieu des années 80 aux Etats-Unis, interrogeant l’écart entre la production théorique et ses effets sur la crise environnementale. Ce débat a été engagé par Bryan G. Norton qui a orienté cette exigence pragmatique du côté de la participation de la philosophie aux prises de décision politique par sa capacité à fabriquer « l’accord le plus large possible sur les mêmes valeurs ». Mais il existe d’autres façons de répondre à cette exigence, et l’une d’entre elles peut être d’essayer de rendre compte de la morale en train de se faire, plutôt que de proposer un consensus sur des valeurs. Bryan Norton, « L’éthique environnementale et l’anthropocentrisme faible » (in Hicham-Stéphane Afeissa (textes réunis et traduits par), Éthique de l’environnement. Nature, valeur, respect, Paris, Vrin, Textes clefs d’éthique de l’environnement, 2007, p. 249-283 / Toward unity among environmentalists ; voir aussi l’introduction de Stéphane Afeissa, p. 229-247). Sur cette question, voir aussi Andrew Light and Avner De-Shalit (ed. by), Moral and Political Reasoning in Environnmental Practice, Cambridge, The MIT Press, 2003.

[25] Hans Jonas, op. cit. p. 92.

[26] La thèse partagée par un nombre de plus en plus grand de paléontologues et de biologistes concernant une possible sixième extinction donne un ton particulier à cette obligation morale, l’espèce humaine appartenant à cette biodiversité sans laquelle elle ne peut pas vivre. Richard Leakey Richard, Roger Lewin, La sixième extinction. Évolution et catastrophes, traduit de l’anglais par Vincent Fleury, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1997. Et cette thèse, comme le rappelle les auteurs, renoue avec la théorie de Cuvier connue sous le nom de « catastrophisme », désignant des évènements balayant « la vie existante à un moment donné et [laissant] la place à une nouvelle vague de création », op. cit., p. 60 et sq.

[27] L’accusation pourrait aussi venir d’ailleurs. Notre « dette à l’égard de l’avenir » dont parle Jonas (op. cit., 256), c’est-à-dire à l’égard des générations futures et de toutes les espèces vivantes que nous entraînons avec nous, ne vient pas seulement des conséquences de nos actions, mais aussi de la relation qui nous attache aux générations passées. Cette relation, qui avait été considérée au siècle dernier par Léon Bourgeois comme créant une obligation entre les générations présentes et les générations futures, est aujourd’hui réactivée par la reprise de notre souci pour ces dernières. Notre dette envers les générations futures serait indirectement due aux « services rendus par les générations passées » :

« [L’homme détient une] dette envers tous les morts qui ont laissé cet héritage, envers tous ceux dont le travail a transformé la terre, rude et sombre abri des premiers âges en immense champ fertile, en une usine créatrice (…), mais si cette dette est contractée envers les ancêtres, à qui sommes-nous tenus de l’acquitter ? Ce n’est pas pour chacun de nous en particulier que l’humanité antérieure a amassé ce trésor, ce n’est ni pour une génération déterminée, ni pour un groupe d’hommes distinct. C’est pour tous ceux qui seront appelés à la vie (…). C’est donc envers tous ceux qui viendront après nous, que nous avons reçu des ancêtres charge d’acquitter la dette ; c’est un legs de tout le passé à tout l’avenir », Léon Bourgeois, Solidarité, Armand Colin, 1902, p. 138 et 164 (c’est moi qui souligne), cité dans Axel Gosseries, Penser la justice entre les générations, op. cit., p. 148). Pour nous acquitter envers les générations passées de ce que nous avons reçu, nous devons donner à notre tour aux générations futures. Cette ‘passe’ crée un lien entre le passé et le futur, par lequel le passé n’est plus passé ou perdu mais se trouve conservé, continué. Ces « liens de solidarité historique » (Ost, art. cit., p. 98) entre les générations nous engagent auprès des générations passées à prendre soin des générations futures. Ce détour par les générations passées permet de nous voir d’un autre point de vue : ‘nous’, c’est-à-dire les générations présentes et les générations futures. En parlant au nom des générations passées, Léon Bourgeois nous met du côté des générations futures, et ce faisant, au lieu d’être séparées comme à l’ordinaire, les générations présentes et futures apparaissent contemporaines d’un même avenir. Nous rapprochant des générations futures, il les rend beaucoup moins abstraites… sauf à l’être autant qu’elles.

[28] Comme le pense Jean-Pierre Dupuy, Petite métaphysique des tsunamis, Paris, Le Seuil, 2005, p. 14 : « Non, notre responsabilité ne s’adresse pas aux « générations futures », ces êtres anonymes et à l’existence purement virtuelle, au bien-être desquels on ne nous fera jamais croire que nous avons une quelconque raison de nous intéresser ».

[29] Je l’entends pour ma part dans un sens positif : « Dire qu’une chose existe virtuellement, est-ce dire qu’elle n’existe pas ? Nullement. Mais ce n’est pas dire non plus qu’elle est possible. C’est dire qu’une réalité quelconque la conditionne, sans la comprendre ou la poser », Étienne Souriau, Les différents modes d’existence, Paris, PUF, 1943, p. 82-83.

[30] Bruno Latour, « Factures / fractures. De la notion de réseau à celle d’attachement », in André Micoud et Michel Peroni (dir.), Ce qui nous relie, L’Aube, Paris, 2000, p. 189-207. http://www.bruno-latour.fr/articles/article/076.html.

[31] Bruno Latour, « Faits, fétiches, faitches, la divine surprise de l’action », art. cit., p. 293-294. Sur la notion de fait, à la fois construit et réel (« c’est parce qu’il est construit qu’il est si réel, si autonome, si indépendant de nos propres mains », art. cit., p. 295), cf. L’espoir de Pandore, op. cit., chapitre 4.

[32] Bruno Latour, « Factures / fractures… », art. cit.

[33] Bruno Latour, « Faits, fétiches, faitiches… », art. cit., p. 308.

[34] Encore actif aujourd’hui dans les attaques contre le principe de précaution au nom d’une apologie du risque. Voir, par exemple, l’article de François Ewald et Denis Kessler, « Les noces du risque et de la politique », Esprit, Août-septembre, 2003.

[35] Pour une analyse de la notion de croyance, comme relation polémique aux autres à qui l’on prête une croyance en des choses qui n’existent pas, voir Petite réflexion sur le culte moderne des dieux faitiches, Le Plessis-Robinson, Synthélabo, coll. Les empêcheurs de penser en rond, 1996.

[36] Bruno Latour, « Faits, fétiches, faitiches… », art. cit., p. 309.

[37] Sur le rôle du philosophe moral, voir un petit texte extraordinaire de William James, « Les moralistes et la vie morale », in La volonté de croire, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Loÿs Moulin, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2005, p. 191-215.

[38] Dans son usage ordinaire, pas en philosophie. Par exemple, Le Mouvement pour le droit et le respect des générations futures qui s’est crée contre les pesticides et les OGM est explicitement tourné vers ‘nos enfants’. http://www.mdrgf.org/. Pour des articulations de la notion de générations futures – du moins de l’avenir avec les non-humains en philosophie, voir Bill Devall, George Sessions, Deep ecology. Living as if Nature mattered, Salt Lake City, Peregrine Smith, 1985, qui précisent se soucier des “Future Generations of all Creatures, Rocks and Trees” (p. 120), sans insister plus avant. Voir aussi, Holmes Rolston III, « The River of Life : Past, Present and Future », in Partridge, op. cit., p 123-137… qui n’emploie pas une fois l’expression ‘générations futures’ !

[39] Ou existeraient d’une manière bien inhumaine, comme Cormac McCarthy l’a exemplairement montré dans La route, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Hirsch, Paris, Le Seuil, points, 2007.

[40] Je fais référence ici à l’hypothèse scientifique proposée dans les années 70 par James Lovelock et Lynn Margulis, postulant que la Terre est un ‘être vivant’. Cette hypothèse suggère que la biosphère, les océans, l’atmosphère et la Terre sont liés, qu’ils appartiennent à une même co-histoire. Gaïa désignerait un gigantesque écosystème composé d’interactions entre différents écosystèmes. Elle rompt avec l’idée d’une terre imaginée comme matière inerte à laquelle on peut tout faire subir. Longtemps ridiculisée, elle commence à être prise au sérieux par un grand nombre de scientifiques, mais aussi à intéresser des économistes et des philosophes, ces derniers essayant de problématiser ce qu’implique la prise en compte, politique et morale, de ce nouvel être. Il s’agit notamment de passer de l’idée que la Terre serait en danger à celle selon laquelle nous serions en danger. Gaïa nous oblige à faire attention à elle, car elle peut changer de façon telle que les possibilités de vivre pour les humains comme pour les autres mammifères soient impossibles ou du moins très dégradées. James Lovelock, La terre est un être vivant. L’hypothèse Gaïa, Paris, Flammarion, coll. « Champs », traduit de l’anglais par  Paul Couturiau et Christel Rollinat, 1993 (1979) ; Lynn Margulis, The Symbiotic Planet, a new look at evolution, Phoenix, London, 1999. Voir aussi, Isabelle Stengers, « Faire avec Gaïa : pour une culture de la non-symétrie », Multitudes, n° 24, Printemps 2006, http://multitudes.samizdat.net/Faire-avec-Gaia-pour-une-culture,2351.


 

 

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