Quel vent nouveau souffle en Birmanie ?

Que se passe-t-il en Birmanie ? Le 12 janvier une amnistie présidentielle a permis la libération d’environ 300 prisonniers politiques. Un geste fort qui semble vouloir indiquer dans le pays et à la communauté internationale que la Birmanie prend le chemin de la démocratie. Cette annonce s’inscrit dans un contexte politique de changements significatifs à au moins trois niveaux : sur le terrain politique et les relations avec l’opposition, avec les groupes ethniques armés en guerre contre l’État et au niveau des relations internationales.

Ces changements sont révélateurs d’un tournant dans la situation du pays qui n’a connu entre 1962 et mars 2011 que des dictatures militaires. Mais alors qu’il y a encore un an, le pays était dirigé par une junte militaire prédatrice et l’un des pays les plus fermé au monde, il est difficile d’imaginer que les militaires birmans se soient convertis à la démocratie. Quelles sont alors les motivations qui les poussent à entamer des réformes qu’ils ont refusées pendant des décennies ? Quelles sont les perspectives réelles de démocratisation et d’amélioration des conditions de vie du peuple birman ?

 

Changements politiques et relations avec l’opposition

Les premiers changements politiques significatifs ont eu lieu avec les élections du 7 novembre 2010, présentées comme l’aboutissement d’une « feuille de route vers la démocratie » initiée par la junte militaire en 1993 et relancée en 2003. Loin d’un processus démocratique, les élections étaient étroitement contrôlées. Le principal parti d’opposition, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et plusieurs partis représentant des groupes ethniques avaient été dissous ou empêchés de présenter des candidats.

À la suite des élections, un gouvernement semi-civil a vu le jour en mars 2011. Il est composé d’un nombre important d’anciens militaires. Le nouveau Président Thein Sein était lui-même un général et le dernier Premier ministre de la junte avant d’occuper ses nouvelles fonctions.

Rompant avec les méthodes employées par la junte militaire lorsqu’elle était directement au pouvoir, le nouveau gouvernement a cherché à établir des relations avec l’opposition et en particulier avec Aung San Suu Kyi. Des rencontres officielles ont eu lieu au plus haut niveau de l’État. Deux premières rencontres ont eu lieu l’été dernier entre Aung San Suu Kyi et le ministre Aung Kyi. Les discussions entre les deux parties n’ont pas été dévoilées dans le détail mais il semble qu’Aung San Suu Kyi et Aung Kyi auraient discuté de la nécessité d’obtenir des aides humanitaires supplémentaires pour améliorer le sort de cette nation très appauvrie. Des questions plus conflictuelles comme le sort des prisonniers politiques ou la constitution de 2008 auraient aussi été abordées1. La deuxième rencontre a été suivie d’une déclaration commune faisant état de la volonté des deux partis « de coopérer en recherchant la stabilité et le développement national », « d’éviter les points de vue conflictuels et de coopérer sur une base réciproque »2. Un nouveau seuil a été franchi le 19 août 2011, lorsqu’Aung San Suu Kyi a été invité par le Président Thein Sein lui-même. La rencontre avait une portée hautement symbolique et les deux participants ont été photographiés sous un portrait d’Aung San, père de Suu Kyi et héros national de l’indépendance birmane.

À la suite de cette rencontre Suu Kyi a déclaré qu’elle croyait sincère la volonté du Président Thein Sein de démocratiser le pays et elle s’est dit prête à assumer un rôle dans le gouvernement après les élections partielles qui auront lieu le 1er avril 2012. Récemment, la LND a été réenregistrée officiellement après avoir été dissoute en 2010 et Aung San Suu Kyi a annoncé sa candidature lors des prochaines élections.

Les révoltes de 1988 et de 2007 ont conduit à des bains de sang et à une répression très dure. Dans un contexte où l’opposition birmane est très affaiblie, Suu Kyi semble faire le pari que de réelles évolutions sont possibles en soutenant les changements actuels, même s’ils sont encore très limités.

Parallèlement à la détente avec l’opposition, le gouvernement a évolué sur la question des droits humains et des libertés démocratiques. Les partis politiques et les syndicats sont maintenant autorisés ainsi que le droit de grève, même si cela ne se matérialise pas réellement dans la pratique. Le gouvernement a aussi mis en place une commission pour les droits humains, reconnaissant de ce fait qu’il y a des problèmes de cette nature en Birmanie. Une première.

Le gouvernement a aussi levé l’interdiction de certains sites internet et de radios d’opposition comme The Irrawaddy, la BBC, Democratic Voice of Burma, Radio Free Asia. Ils sont maintenant accessibles depuis la Birmanie même si cela reste épisodique. Après vingt-trois ans de censure, Suu Kyi a été autorisée à publier un article dans le journal Pyithu Khit News et le journal The Messenger a fait sa une avec une interview de la lauréate du prix Nobel de la paix.

Enfin, la libération de 651 prisonniers a retenu l’attention au niveau international. C’est une des conditions imposées par les puissances occidentales pour la levée des sanctions économiques. Des figures importantes de l’opposition comme le dirigeant de Génération 88, Min Ko Naing, le dirigeant ethnique Shan U Khun Tun Oo et le dirigeant des moines U Gambira en ont bénéficié.

Mais selon l’Association d’Assistance aux Prisonniers Politiques Birmans (AAPPB), seuls 272 des 651 prisonniers libérés seraient des prisonniers de conscience. Leur libération s’est faite « en vertu de l’article 401 (1) du code de procédure pénale, qui implique que ces libérations sont sous conditions. Selon cet article, les peines des prisonniers sont suspendues mais pas annulées. Ils peuvent donc à tout moment être arrêtés de nouveau et forcés à purger le reste de leur peine initiale »3. Les prisonniers politiques n’ont reçu aucune excuse du nouveau gouvernement pour les injustices dont ils ont été victime, certains ayant été emprisonnés plus de vingt ans. Il resterait environs 1 000 prisonniers politiques en Birmanie, non reconnu comme tels par les autorités birmanes.

 

Vers un règlement des conflits ethniques ?

La situation politique birmane est cependant bien plus complexe qu’un jeu entre le gouvernement et les militaires d’un côté, l’opposition démocratique birmane de l’autre. Pratiquement depuis l’indépendance en 1948, la Birmanie a été affligée par des conflits armés entre des minorités ethniques et l’État dirigé par des Birmans. Les groupes ethniques revendiquaient le droit à l’autonomie et s’opposaient aux nationalistes birmans dont le but était l’établissement d’un État unitaire centralisé. Certains conflits entre des groupes ethniques et la Tatmadaw (armée birmane) n’ont pas cessé depuis plus de 60 ans, causant des pertes en vies humaines immenses et empêchant le développement économique de régions entières.

Au début des années 1990, la junte militaire a signé une série de cessez-le-feu avec dix-sept groupes ethniques parmi les plus importants et de nombreuses factions. La situation s’améliora dans certaines zones mais, les cessez-le-feu ne furent jamais suivis de pourparlers qui auraient conduit à une paix durable. Les revendications des minorités ethniques à la base des conflits ne furent jamais discutées.

La situation avec les groupes armés ethniques s’est à nouveau considérablement détériorée en 2009. Alors que la junte se préparait à opérer sa mutation en gouvernement civil, les militaires ont voulu imposer aux groupes armés d’intégrer une nouvelle force de gardes frontaliers qui les auraient placés sous le commandement de l’armée régulière. La plupart des groupes armés refusèrent et en représailles, la junte déclara nuls tous les cessez-le-feu antérieurs.

Dans les mois qui ont suivi, des conflits reprirent y compris dans des zones où un cessez-le-feu avait été respecté depuis de très nombreuses années. Depuis la mise en place d’un gouvernement civil, la situation sur le terrain ne s’est en rien améliorée, le nombre de personnes déplacés à cause d’attaques ou d’abus dans les zones de conflits a doublé, passant d’une moyenne annuelle de 70 000 à presque 150 000.

Au mois de septembre 2011, la situation a pris un tour nouveau. Le Président a reconnu l’importance de la question ethnique et offert d’ouvrir le dialogue avec l’ensemble des groupes armés. Il a en particulier abandonné l’intégration des groupes dans les forces frontalières comme condition préalable à tout accord4. Trois principaux groupes ethniques ont depuis signé un accord de cessez-le-feu et des contacts ont été établis avec la plupart des groupes ethniques armés. Sur le terrain la situation reste cependant conflictuelle. Les groupes armés restent très méfiants et sceptiques sur les réelles intentions du gouvernement. Ce n’est pas la première fois que des accords de cessez-le-feu ont lieu et aucun n’a jamais conduit à une paix durable.

Aucun État démocratique ne verra le jour en Birmanie sans que soient prises en comptes les demandes spécifiques des groupes ethniques qui représentent environ un tiers de la population du pays. Les minorités, ethniques ou religieuses mais aussi les populations d’origine indienne ou chinoise, subissent des discriminations et ne sont pas traitées à l’égal de la majorité birmane. Une paix durable ne pourra se faire sans que soient prises en compte leurs revendications qui portent sur l’égalité des droits, l’autonomie et le développement économique et la question du fédéralisme de l’État birman.

 

Évolution des relations internationales

Les réformes ont aussi eu des conséquences sur les relations de la Birmanie avec ses voisins et en premier lieu avec la Chine. La junte militaire a toujours maintenu des liens très forts avec Pékin. La Chine a investi des milliards de dollars dans le pays en infrastructures et en contrats d’achats des matières premières sans que la population birmane n’en tire de bénéfice. Parmi les grands projets, Pékin avait entrepris en 2009 la construction du gigantesque barrage de Myitsone sur la rivière Irrawaddy, dans l’État Kachin. 90 % de la production devait être acheminé dans le Yunnan dans le sud de la Chine. Dès la signature du contrat en 2006, le projet a rencontré une opposition très forte, en particulier parmi les Kachin. Mais avec la libéralisation en cours, les critiques ont eu un écho au niveau national. Devant la force de l’opposition, le Président a préféré suspendre sine die la construction du barrage sans même prévenir Pékin. Cette décision semble aussi indiquer une volonté du gouvernement d’élargir ces soutiens au niveau international et de ne pas rester trop dépendant de Pékin.

Les relations de la Birmanie au sein de l’Asean sont aussi en pleine évolution. Le gouvernement a obtenu la présidence tournante de l’Asean en 2014, deux ans avant son tour. Cette position internationale devrait lui permettre d’asseoir sa légitimité en Birmanie avant des élections générales qui doivent se tenir en 2015.

 

Un marché économique convoité

L’amnistie des prisonniers de conscience, le dégel des relations avec les opposants politiques et les évolutions sur le terrain des libertés démocratiques ont été salués comme des « avancées majeures » aussi bien par des opposants dans le pays que par la communauté internationale.

Les réformes du gouvernement, encore impensables il y a un an ne sont cependant pas le résultat d’une conversion à la démocratie. Le Président Thein Sein recherche en priorité la levée des sanctions économiques qui permettraient le retour des investissements occidentaux dans le pays. Les changements entrepris par le nouveau gouvernement interviennent dans un contexte économique très dégradé. La junte au pouvoir n’a eu d’autre vision pour le pays que son enrichissement personnel, pillant et détournant les richesses de ce  pays riche d’abondantes ressources naturelles. Après soixante ans de dictatures militaires, le pays est exsangue et parmi « les moins développés au monde » (source Nations Unies). L’arriération économique est telle qu’il est sans doute maintenant impossible de continuer à s’enrichir sans entamer de réelles réformes économiques.

De leur côté, les grandes puissances occidentales enregistrent chaque nouvelle mesure aussi limitée soit-elle, comme une avancée vers la démocratie pour justifier leur retour dans le pays. Le développement de la Birmanie est un marché potentiel immense qui aiguise les appétits des multinationales. La Birmanie est riche de ressources naturelles (bois de construction, minerais, pierres précieuses, gaz et pétrole entre autres), elle est située à un carrefour stratégique entre l’Inde et la Chine avec un accès à l’Océan Indien. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi on assiste à un défilé de représentants des puissances occidentales (États-Unis, Australie, Union Européenne, Grande-Bretagne, France, Norvège…) qui font les VRP des grandes entreprises nationales et multinationales.

Les militaires semblent vouloir assurer une transition politique qui les maintiendraient aux commandes de l’économie et des affaires, tout en présentant un visage enfin acceptable par les puissances occidentales susceptibles d’investir dans le pays. Mais le passage d’une dictature militaire à une démocratie (de façade) n’est pas chose aisée. Le Président Thein Sein a passé un accord avec Suu Kyi pour pouvoir mener des réformes sans bouleversements de la rue. Il donne des gages aux puissances occidentales qui n’attendent que la levée des sanctions pour investir dans le pays. Mais le mouvement social qui s’est développé autour du barrage de Myitsone semble indiquer que la chose pourrait ne pas être aussi aisée.

 

Cet article a été précédemment publié sur le blog de Danielle Sabai.

références

références
1 Aung Zaw, « The Eye of the Storm », The Irrawaddy Magazine, vol. 3, septembre 2011.
2 International Crisis Group, « Myanmar: Major Reform Underway », Asia Briefing n° 127, 22 septembre 2011, p. 3.
3 « Update : Amnistie du 12 janvier 2012 », Info Birmanie, 16 janvier 2012.
4 Pdf : International Crisis Group, « Myanmar: A New Peace Initiative », Asia Report n° 214, 30 novembre 2011.