Une lecture de Foucault avec Marx, à partir de Jacques Bidet

Foucault avec Marx

À propos de Jacques Bidet, Foucault avec Marx, La Fabrique, 2014, 242 p., 13 euros.

Il est fréquent d’étudier Marx en l’associant à quelque nom de philosophe institutionnellement mieux accepté. Certaines combinaisons ont durablement marqué le champ des études marxistes françaises, comme celles de « Marx et Husserl », de « Marx et Heidegger », ou encore de « Marx et Spinoza ». La combinaison « Marx et Foucault » est aujourd’hui tout particulièrement à la mode. Les lectures croisées de Marx et de Foucault ont fleuri depuis les années 2000. Livres et articles (E. Balibar, P. Dardot et C. Laval, I. Garo, S. Haber, S. Legrand, P. Macherey, R. Nigro, E. Renault, etc.,), numéros de revues (comme le n°36 d’Actuel Marx), colloques (comme celui de Nanterre en janvier 2015) : le dialogue de Marx et de Foucault est devenu un véritable champ théorique au sein de la philosophie sociale critique française. Un espace qui abrite néanmoins des projets parfois très éloignés les uns des autres tant d’un point de vue philosophique que politique. C’est dans cette conjoncture que s’insère Foucault avec Marx de Jacques Bidet, paru à La fabrique en novembre 2014. Contrairement aux apparences, cependant, le livre en question nous invite moins à une lecture de Foucault avec Marx qu’à une lecture de Foucault et de Marx avec Bidet. C’est là ce qui fait son originalité et sa difficulté.

Jacques Bidet est une figure importante de la philosophie marxiste contemporaine. Co-fondateur de la revue Actuel Marx et instigateur du Congrès Marx International, il a longtemps enseigné à l’Université de Nanterre. Son travail s’inscrit dans un courant formé dans les décennies 1980 et 1990 autour de la revue Actuel Marx et aux côtés de Gérard Duménil et Dominique Lévy, avec lesquels il collabore à plusieurs reprises. J. Bidet affiche une volonté de s’inscrire résolument dans l’héritage de Marx et du marxisme, tout en cherchant à confronter cet héritage aux pensées critiques contemporaines pour le faire évoluer à leur contact. A partir de ses ouvrages des années 1980, sa lecture critique et ses commentaires des œuvres économiques de Marx1 l’amènent à former le projet d’une refondation du marxisme. Refonder le marxisme requiert d’une part de l’actualiser, par un ajustement de notre compréhension de la modernité et une réflexion tournée vers les formes contemporaines de la vie sociale ; mais d’autre part, de l’élargir, par l’intégration de problématiques auxquelles le marxisme ne s’est traditionnellement pas – ou pas suffisamment – confronté, comme celles de la « race » et du genre. En 2007, J. Bidet explicite les bases de sa refondation critique à l’occasion d’un ouvrage publié avec Gérard Duménil, Altermarxisme, un autre marxisme pour un autre monde. En 2011, dans L’Etat-monde : libéralisme, socialisme et communisme à l’échelle globale2, il replace cet « altermaxisme » dans une théorie de l’histoire globale du monde, et s’adresse à un lectorat pluridisciplinaire (le plan de l’ouvrage correspond explicitement à une séparation disciplinaire entre sociologie, philosophie et histoire).

Dans Foucault avec Marx, J. Bidet s’installe en revanche dans le champ exclusivement philosophique, et donne à son propos un tour plus doxographique. L’auteur semble d’abord viser une synthèse philosophique entre deux pensées. Dans l’éventail des combinaisons possibles de Marx et de Foucault3, ce livre se caractérise par une volonté affirmée de montrer leur complémentarité. Il ne s’agit pas de discuter du marxisme ou du libéralisme de Foucault, ni même de son rapport à Marx, mais de s’interroger sur les moyens théoriques d’un usage combiné des pensées de Foucault et de Marx. Il s’agit de « chercher à établir à quelles conditions Marx et Foucault peuvent collaborer de façon rigoureuse, à l’opposé de tout argument éclectique » (p.9). En quelques points choisis, J. Bidet établit des parallèles, nuance certaines grandes oppositions entre les deux pensées, et désigne des zones d’articulation. Mais il s’agit surtout pour lui de « comprendre ensemble ces deux approches dans une même construction théorique : dans une « théorie générale de la société moderne » qu’elles contribueront à définir (p.11) », c’est-à-dire de faire coopérer leurs ressources conceptuelles respectives pour nourrir un cadre théorique et politique qui leur est extérieur.

Ce livre répond donc manifestement à un double projet. J. Bidet prend position dans l’espace du dialogue entre Marx et Foucault, et organise à son tour leur confrontation. En même temps, cette confrontation s’insère dans une stratégie de fondation philosophique de la théorie élaborée par J. Bidet au fil de ses livres, théorie qu’il qualifie de « métastructurelle ». Ce double projet fait toute l’originalité du livre, mais il en rend également la lecture plus complexe: il est difficile d’en saisir les enjeux sans une certaine connaissance de la problématique philosophique propre à son auteur.

 

Le cadre de la théorie métastructurelle

Les analyses de J. Bidet se déploient à partir d’un programme de recherche qu’il qualifie de « métastructurel ». Son idée centrale est qu’il est nécessaire de distinguer le concept de « métastructure » du concept classique de « structure ». La métastructure est à comprendre comme ce qui, d’un côté, est en deçà la structure et lui donne un contenu, mais d’un autre côté, existe grâce à cette structure. En retour, la structure présuppose sa métastructure tout en faisant exister cette métastructure. J. Bidet part d’une analyse de la relation entre marché et capital telle que Marx l’expose dans le livre I du Capital. Le marché peut être compris comme la métastructure du capital (qui correspond ici à la structure), en ce sens que le capitalisme présuppose les échanges marchands, tout en les produisant et en renforçant historiquement leur développement. Le marché est le présupposé du capital, mais il est en même temps historiquement engendré par la dynamique de marchandisation induite par le capital. Le marché est donc plus précisément le « présupposé posé » du capital, en ce sens que l’existence du marché est requise par le développement du capital (la société capitaliste est une société marchande capitaliste) sans être historiquement première par rapport à ce développement du capital. La relation capitaliste présuppose conceptuellement et historiquement la relation marchande, mais les rapports capitalistes réels « posent » les rapports marchands en faisant du marché le caractère général des rapports sociaux4. La relation métastructurelle entre deux éléments est ainsi d’abord une relation de « présupposition mutuelle réelle5 » entre ces deux éléments. L’étude d’une structure doit alors passer par l’analyse de ses métastructures : en l’occurrence, c’est des rapports marchands qu’il faut partir pour étudier le capitalisme.

D’un point de vue épistémologique, le projet de recherche métastructurel vise donc à dépasser plusieurs usages du concept de « structure ». Au sein du champ marxiste tout d’abord, J. Bidet en appelle à penser la « structure » hors du paradigme infrastructure-superstructure afin d’éviter de comprendre la vie sociale et politique en termes de superstructure6. Pour saisir l’articulation de cette vie sociale et politique à l’économie, le modèle d’une « relation de présupposé posé » entre les deux doit être substitué au modèle d’une « relation de correspondance ou autonomie ». De façon plus générale, si J. Bidet réaffirme la pertinence d’une analyse en termes de « structure », il actualise cette approche en articulant plus étroitement le collectif et l’individuel. La structure, qui ne doit pas être appréhendée comme un sujet, doit toujours être reconduite aux sujets individuels qui lui donnent sa consistance. Les rapports sociaux ne forment une réalité sociale que sur la base de certaines « relations » qui sont toujours à comprendre comme des relations entre individus singuliers. Le concept de métastructure sert à désigner une imbrication forte entre des rapports structurels globaux et des relations interindividuelles. A ce titre, les métastructures sont avant tout des médiations entre les individus et les structures sociales.

Si une structure sociale est un certain type de rapport social au sein duquel s’organise l’activité des individus, sa métastructure est à chercher au niveau des relations interindividuelles qui rendent possible ce rapport social tout en étant renforcées dans leur existence par ce même rapport social.

Parmi les structures de la société moderne, c’est principalement à la structure de classe que J. Bidet s’intéresse. Sa métastructure s’exprime ou s’incarne dans les facteurs de cette structure de classe, c’est-à-dire ce par quoi la société tend à se structurer en classes sociales, et ce que l’existence des classes renforce en retour. Ces facteurs, selon l’approche métastructurelle, sont donc à chercher au sein du processus de formation des classes sociales en tant qu’il se déroule d’abord au niveau des relations concrètes entre les individus. Or la métastructure de la structure de classe, pour J. Bidet, s’exprime en deux lieux : le marché, et l’organisation7. Dans les termes de l’auteur, il s’agit là des deux principaux types de coordination de la production à l’échelle de la société, qui permettent à chacun, selon leurs modalités propres, d’opérer un passage du niveau individuel au niveau collectif. L’organisation, dans la mesure où elle désigne une planification de la production sociale (à l’échelle d’une entreprise, d’un secteur ou d’un pays), correspond à une coordination a priori des activités individuelles de production. Le plan global est fixé avant l’accomplissement des activités individuelles, auxquelles une place est assignée dans la production globale. Le travail individuel est donc par avance compris comme travail social. Le marché désigne quant à lui un espace dont la configuration globale n’est pas déterminée avant la réalisation des échanges marchands particuliers ; s’il est subjectivement nécessaire d’anticiper la possibilité de vente ou d’achat d’un produit sur le marché, les individus qui réalisent l’échange le font sans connaissance précise du comportement à venir des autres sujets qui participent aux échanges marchands. En ce sens, le marché correspond à une coordination a posteriori des activités individuelles de production : c’est le moment de l’échange qui permet au travail individuel de devenir travail social à proprement parler.

Marché et organisation, en coordonnant la production à l’échelle sociale, ont pour fonction d’opérer au sein de la production la jonction entre le niveau interindividuel et le niveau proprement social. Ils sont donc bien des « médiations ». J. Bidet s’appuie notamment sur un passage des Grundrisse dans lequel Marx distingue deux façons pour le travail individuel de devenir du travail social. Concernant la « participation de l’individu singulier à la production universelle » :

Il faut naturellement qu’il y ait médiation. Dans le premier cas, qui part de la production autonome des individus singuliers – pour autant que ces productions autonomes se déterminent, se modifient post festum sous l’effet de leurs relations réciproques -, la médiation a lieu par l’échange des marchandises, la valeur d’échange, l’argent, qui sont tous des expressions d’un seul et même rapport. Dans le deuxième cas, c’est dans la présupposition elle-même que se tient la médiation ; c’est-à-dire qu’on présuppose une production collective, le caractère collectif comme base de la production. Le travail de l’individu est posé d’emblée comme travail social. (…) Dans le premier cas, le caractère social de la production n’est posé que post festum, que par la promotion des produits au rang de valeurs d’échange et par l’échange de ces valeurs d’échange. Dans le deuxième cas, c’est le caractère social de la production qui est présupposé et la participation au monde des produits, à la consommation, n’est pas médiatisée par l’échange de travaux ou de produits du travail indépendants les uns des autres8.

Marx identifie déjà deux médiations permettant à l’individu singulier de participer à la production universelle, c’est-à-dire de voir son travail individuel devenir du travail social : une médiation par l’échange des marchandises, où la production devient sociale après coup, et une médiation par l’organisation collective de la production, où celle-ci est par avance sociale. Mais J. Bidet concevra en outre ces médiations comme les deux facteurs principaux de la formation de classes sociales, et de ce fait comme deux « pôles » de la métastructure qui correspond à la structure de classe.

 

Les trois significations de la métastructure

Une fois précisé le sens de la relation métastructurelle de « présupposition posée » que l’approche métastructurelle a permis de mettre au jour, il nous faut encore comprendre où se manifeste le caractère métastructurel commun au marché et à l’organisation. Or, pour J. Bidet, qui s’appuie ici sur la théorie communicationnelle de Habermas, la métastructure prend racine dans les pratiques discursives des individus. Elle devient effective dans « la parole, lorsqu’elle se donne comme coordination de l’action en vue de l’entente9 », c’est-à-dire dans la mesure où les individus s’y déclarent et s’y reconnaissent réciproquement libres, égaux et rationnels. Alors que les structures sociales se reproduisent à travers de pratiques sociales, la métastructure se reproduit d’abord au sein de pratiques spécifiquement langagières. Marché et organisation, en tant que médiations sociales ou lieux principaux de coordination de l’action, mettent chacun en jeu des pratiques discursives spécifiques. Ils constituent les deux pôles de la métastructure en ce sens que c’est entre eux deux d’un côté, et la structure de classe de l’autre, qu’intervient la relation métastructurelle de « présupposition posée ».

La « bipolarité » de la métastructure nous semble alors recevoir au moins trois significations distinctes : économique, juridico-politique, et sociologique.

D’un point de vue économique, d’abord, marché et organisation constituent deux médiations efficaces et rationnelles pour la coordination sociale. Si marché et organisation sont des facteurs de classes, c’est parce qu’ils désignent deux niveaux de relations interindividuelles qui conditionnent les rapports de classe : le marché renvoie aux relations des individus « entre chacun » (par exemple au sein du couple vendeur/acheteur), tandis que l’organisation renvoie aux relations de tous « entre tous » (chaque individu s’inscrivant dans le plan global de la production qui engage l’activité de tous les autres individus). Le rapport de classe présuppose et renforce ces deux types de relations entre les individus. Considérés à l’échelle de la société tout entière, ces deux types de relations interindividuelles opèrent comme des moyens de coordonner l’activité de l’ensemble des individus. Ces modes de coordination se présentent comme étant les plus efficaces et les plus rationnels, c’est-à-dire les plus à même d’organiser par leurs logiques respectives un partage cohérent ou un équilibrage de l’activité de production au sein d’une société.

La métastructure renvoie ensuite, d’un point de vue juridique et politique, à des mécanismes producteurs de légitimité. La signification juridico-politique de la métastructure tient au fait que les relations dans lesquelles elle s’exprime se présentent comme raisonnables pour les individus. Cela se produit tout d’abord au niveau discursif, c’est-à-dire au sein des pratiques langagières par lesquelles nous nous déclarons rationnels. Mais les pratiques discursives par lesquelles nous coordonnons notre activité ne reposent pas seulement sur une reconnaissance implicite de notre égale rationalité : elles entretiennent en outre l’apparence d’un libre engagement de chacun et chacune dans les relations interindividuelles en question, en se donnant une forme contractuelle. Marx attribuait déjà au marché la prétention juridico-politique à constituer une médiation légitime et raisonnable entre les individus. Ainsi, la forme du contrat supposé libre donne de la légitimité au rapport marchand et au salariat, au sein des « relations entre chacun ». Mais pour J. Bidet, cela vaut tout autant pour l’organisation, ou au sein des « relations entre tous ». L’organisation possède ses propres mécanismes de production de légitimité, et de même que le marché est supposé libre, l’organisation est supposée concertée.

Prendre acte de la bipolarité de la métastructure nous amène alors à reconnaître l’existence d’un obstacle supplémentaire pour la construction d’une véritable démocratie. Ces deux prétentions métastructurelles sont résumées par l’auteur sous la forme d’un « carré métastructurel de la modernité10 » (qui constitue le point de départ explicite du livre Foucault avec Marx). Chacun des deux « pôles » de la métastructure (marché et organisation) possède une « face » économique et une « face » juridico-politique. A la « face » économique correspond une prétention à la rationalité et à l’efficacité, et à la « face » juridico-politique, une prétention à la légitimité. C’est donc sur la base de ces prétentions d’ordre métastructurel que la structure de classe existe et se maintient.

La thèse métastructurelle reçoit enfin une signification socio-politique. Les deux pôles de la métastructure renvoient à deux types de pouvoir distincts : le pouvoir marchand d’une part, le pouvoir organisationnel et culturel d’autre part. Si le pouvoir marchand requiert la propriété, le pouvoir organisationnel et culturel repose quant à lui sur l’autorité reconnue et la compétence (au sens de Bourdieu). Le caractère bipolaire de la métastructure signifie que ces deux types de pouvoir constituent deux facteurs de classe à part entière. Plus encore, c’est au croisement du marché et de l’organisation que la domination de classe s’exerce. Les deux pôles de la métastructure se retrouvent au sein même de la classe dominante, et correspondent à deux types de domination de classe. La classe dominante se divise ainsi entre propriétaires marchands, et en experts ou compétents. La refondation critique du marxisme passe donc par une complexification de notre compréhension de la société moderne et des dominations qui la traversent, et l’approche métastructurelle veut contribuer à cela par la construction d’une nouvelle théorie des classes sociales.

 

La double erreur de Marx

L’auteur puise le concept de métastructure dans l’analyse par Marx des médiations de la production sociale, mais il en change donc sensiblement le statut. A partir d’une étude du contenu et du plan du livre I du Capital, J. Bidet critique ainsi à de nombreuses reprises11 la différence de traitement que Marx réserve au marché et à l’organisation. S’il évoque le fait que marché et organisation constituent deux types de médiation de l’activité sociale, il commet néanmoins, selon J. Bidet,

un péché conceptuel originel, soit une double erreur. Celle de concevoir le cours de l’histoire comme allant du marché à l’organisation. Celle, corrélative, de concevoir l’organisation comme le lieu possible de l’immédiation (Unmittelbarkeit) de la concertation discursive transparente12.

L’erreur de Marx est donc double. D’une part, il ne conçoit la question de l’organisation que du point de vue de son inscription dans la dynamique historique de la société, dans la mesure où marché et organisation ne sont compris que comme deux moments historiques distincts et successifs. Concentré sur la succession de l’organisation au marché, il sous-estime leur contemporanéité. Le rapport entre le marché et l’organisation n’est donc pas suffisamment examiné. En échouant à articuler les deux pôles de la métastructure, Marx en arrive à briser la modernité en deux moments historiquement séparés (« capitaliste » et « socialiste »), et se prive des moyens de penser leurs points de contacts et imbrications. D’autre part, sa conception de l’organisation est trop optimisme, dès lors qu’il la pense comme un espace de concertation sans déformation, autrement dit comme une médiation parfaite et sans défaut. Au-delà de l’analyse du rapport historique entre marché et organisation, c’est donc l’analyse du concept même d’organisation qui présente des limites. Marx étudie les effets aliénants qui résultent d’une médiation de la production sociale par le marché, tandis que l’organisation est essentiellement conçue comme le dépassement futur et espéré du marché. Or, dans la mesure où l’organisation et le marché sont des médiations de la concertation sociale, un relais pour le passage de l’activité individuelle à l’activité collective, ils tendent l’un comme l’autre à entraîner un accès inégalitaire aux informations et une participation inégalitaire aux décisions qui concernent cette activité collective. L’organisation, loin d’être un lieu de concertation immédiate, a des effets aliénants au même titre que le marché. Autrement dit, l’organisation peut tout autant que le marché constituer un facteur de classe. Chaque médiation de la production sociale doit ainsi être analysée eu égard aux obstacles qu’elle peut engendrer. La double erreur de Marx repose donc sur une mauvaise compréhension du rapport entre médiations de la production sociale et structuration de la société en classe. Il est nécessaire de corriger la conception du rapport entre marché et organisation, et pour cela, d’affiner la compréhension de l’organisation elle-même.

L’analyse a tout d’abord une conséquence politique évidente : le marché n’étant pas l’unique facteur de classe, substituer l’organisation planifiée au marché concurrentiel ne suffit pas pour libérer l’activité sociale. L’insistance sur le caractère bipolaire de la métastructure de classe va de pair avec le renforcement d’une critique économique de l’organisation et des déformations qui lui sont propres en tant que médiation pour la production sociale. Il s’agit alors de proposer un nouveau concept d’organisation fondé sur la prise en compte des aliénations qui, au XXe siècle, étaient tout autant organisationnelles que marchandes, comme en témoigne le phénomène de bureaucratisation. Le concept d’organisation acquiert alors un rôle analytique central, et non plus seulement un rôle historique, pour l’étude de la formation et de l’évolution des classes.

Bidet défend en outre l’idée d’une forte co-imbrication de ces deux pôles au sein la société moderne : marché et organisation peuvent être conceptuellement distingués, mais ils sont aujourd’hui inséparables. Ce n’est même que par cette co-imbrication que ces deux médiations présentent la rationalité et l’efficacité auxquelles elles prétendent. Les effets aliénants du marché et de l’organisation sont en partie des effets conjoints, dès lors qu’ils n’existent pas de façon séparée dans la société moderne. En outre, pour J. Bidet, cette co-imbrication est asymétrique : il y a une primauté de l’organisation sur le marché, en ce sens que toute interaction présentée comme libre et rationnelle entre deux individus suppose une approbation commune entre tous et n’est possible que sur fond d’une telle approbation. D’un point de vue économique, il est donc doublement problématique de faire primer la critique du marché sur la critique de l’organisation.

 

Foucault avec Marx : l’explicitation des métastructures

Dans Foucault avec Marx, J. Bidet poursuit cette analyse du rapport de la structure de classe à sa métastructure. Mais il s’agit maintenant de donner un contenu plus précis aux deux pôles de la métastructure, en puisant pour l’un et l’autre dans des corpus philosophiques différents. La thèse principale de J. Bidet réside dans l’affirmation d’une complémentarité de Marx et de Foucault au sein de la théorie métastructurelle. Alors que l’œuvre de Marx nous permet de penser le marché, de comprendre sa logique et ses effets aliénants, l’œuvre de Foucault est la plus à même de nous fournir les outils conceptuels nécessaires à une analyse de l’organisation. L’introduction de l’ouvrage se donne pour point de départ explicite le « carré métastructurel » par lequel l’auteur expose le caractère « bipolaire » et « bifacial » de la métastructure (p.16).

Le premier chapitre vise à « mesurer l’étendue du ‘’différend‘’ » (p.20) qui sépare Marx et Foucault. Ce premier moment de l’ouvrage a pour fonction explicite d’indiquer les difficultés qu’une synthèse de Marx et de Foucault devra affronter. On y trouve (p.38) un tableau des analogies entre l’étude de la société capitaliste chez Marx, et celle de la société disciplinaire chez Foucault (à partir de Surveiller et punir, publié en 1975). Les parallèles sont nombreux : là où Marx nous permet de penser le pouvoir d’exploitation, Foucault nous permet de penser le pouvoir de contrôle ; les disciplines examinées par Foucault jouent le rôle de l’infrastructurel chez Marx, et le niveau juridico-politique, celui du superstructurel. Mais l’écart reste marqué entre « société disciplinaire » et « société de classe », de même qu’entre « gouvernementalité » et « Etat ». Deux points de divergence intéressent tout particulièrement l’auteur, dès lors qu’elles indiquent en creux deux insuffisances politiques d’une position strictement foucaldienne. D’une part, Foucault ne s’intéresserait pas au rapport qui constitue la structure de classe ainsi qu’à la reproduction de ce rapport, mais aux relations par lesquelles un individu exerce un pouvoir de classe sur d’autres individus, à travers certains dispositifs. D’autre part, il présenterait un perspectivisme l’amenant à insister sur le caractère créateur de l’économie politique plutôt qu’à en faire la critique. En montrant les limites d’une approche strictement foucaldienne de la société, l’auteur montre la nécessité théorique et politique d’une reconstruction théorique combinant Foucault et Marx, ou plutôt la nécessité de lire Foucault avec Marx.

Le deuxième chapitre se propose de mettre en perspective deux modes de pouvoir, relatifs pour l’un au marché et pour l’autre à l’organisation : le pouvoir-propriété d’un côté, et le pouvoir-savoir de l’autre. Ce chapitre puise dans les deux corpus des moyens de penser la bipolarité du pouvoir et la notion de classe, en saisissant le potentiel aliénant à la fois du marché et de l’organisation. En focalisant sa critique des médiations aliénantes sur le marché, Marx n’examine que le pouvoir-propriété. Ce dernier a une signification essentiellement économique et ne permet d’identifier qu’un des deux pôles dont la classe dominante est constituée, à savoir celui des « propriétaires ». Foucault, dans son étude de la société disciplinaire, fournit quant à lui des outils conceptuels pour penser l’organisation et les effets d’aliénation qui lui sont propres. La discipline est alors rapportée à un type de pouvoir distinct du pouvoir-propriété sur lequel repose le marché : le pouvoir-savoir. Ce dernier peut être défini comme la « possession et mise en œuvre d’un savoir reconnu » (p.61), ou comme le « privilège de diriger autrui au nom de compétences acquises, reçues, conférées » (p.86). Il nous permet d’identifier le second pôle de la classe dominante, celui des « dirigeants et compétents ». L’articulation de Foucault et de Marx nous permet ainsi de distinguer deux forces sociales dominantes, imbriquées mais hétérogènes. En réponse au premier chapitre du livre, on voit qu’une approche cette fois strictement marxiste de la société de classe ne remplit pas les exigences de la théorie métastructurelle, dans la mesure où elle ne rend pas compte de la place et des effets de l’organisation au sein de la société moderne. La reprise de Marx ne serait pertinente qu’au prix d’un élargissement foucaldien de la notion de classe. Sur la base de cette reconstruction théorique, J. Bidet propose une redéfinition du rapport de classe : ce dernier ne désigne pas des groupes sociaux déterminés, mais un « processus actif de clivage », un « diviseur » (p.86).

Le troisième chapitre expose et discute l’opposition souvent admise entre un « structuralisme marxien » et un « nominalisme foucaldien ». A travers celle-ci, Bidet vise essentiellement l’opposition entre une pensée des structures et une pensée des dispositifs, entre un réalisme holiste et un nominalisme individualiste. Il nuance doublement cette opposition. Premièrement au niveau des corpus eux-mêmes, en évoquant par exemple chez Foucault la coexistence d’un « nominalisme fort de principe » et d’un « holisme (faible) » (p.129). Deuxièmement, au niveau des thèses nominalistes et structuralistes mêmes, en affirmant qu’il est nécessaire de les combiner pour parvenir à une compréhension fine de la société contemporaine. Bidet défend la possibilité d’une articulation entre le « concept structuraliste marxien de ‘’rapport’’ social » et le « concept nominaliste foucaldien de ‘’relation’’ singulière » (p.106). L’obstacle principal d’une reconstruction théorique combinant Marx et Foucault est ainsi levé. Mais il défend aussi la nécessité de cette articulation : une conciliation du nominalisme foucaldien et du structuralisme marxien coïncide précisément avec la redéfinition métastructurelle de la notion de classe proposée précédemment par J. Bidet (p.112). Ce troisième chapitre vise ainsi à articuler relations et rapport de classes : il donne un fondement à l’idée que les rapports de classe, ou la structure moderne de la classe, reposent sur des médiations qui opèrent au niveau des relations interindividuelles.

Le quatrième chapitre éclaire les « horizons d’ontologie historique » qui se dessinent chez Marx et chez Foucault. L’un étudie le mode de production, l’autre le mode de gouvernement, l’un vise la dynamique du capitalisme, l’autre la rationalité du libéralisme. Si Foucault a « tourné la page du marxisme » (p.183) et s’intéresse plus au « gouvernement » qu’à la « classe », Jacques Bidet soutient l’importance de prendre en compte les analyses foucaldiennes de la gouvernementalité libérale pour étudier la structure moderne de la classe. Il s’agit ici de se réapproprier de façon critique la problématique biopolitique, en l’intégrant dans le cadre de la théorie métastructurelle.

Enfin, la conclusion résume l’élargissement mené au fil de l’ouvrage : J. Bidet propose de refonder la compréhension de la classe dominante à partir d’une prise en compte des deux pôles imbriqués mais distincts qui la constituent (marché et organisation). La combinaison de Foucault et de Marx aboutit à une articulation entre relation et rapport de classe, c’est-à-dire à l’idée que la structure moderne de classe n’existe que par la médiation de certains types de relations interindividuelles d’ordre métastructurel.

 

Structure et système

L’entreprise métastructurelle de J. Bidet s’inscrit également dans le champ d’une réflexion plus large sur le rapport entre des niveaux de domination différents : une domination d’ordre structurel, au niveau de l’État-nation, et une domination d’ordre systémique, qui se déploie à l’échelle du monde :

« La domination, l’exploitation et la violence modernes présentent une autre dimension, qui n’est pas celle du rapport « structurel » de classe, mais celle du monde dans son ensemble géographique, « systémique », en tant qu’il est fait de sociétés territoriales distinctes, idéalement en forme d’États-nations. Ce rapport de domination ne relève pas de l’appropriation des moyens de production ou de savoirs-pouvoirs par une classe dominante, mais l’appropriation de territoires par des communautés, ethniques ou étatiques. » (Foucault avec Marx, p.212)

Pour J. Bidet, la domination est irréductible à son mode d’existence structurel, en ce sens que la violence et l’aliénation de la société moderne ne sont pas uniquement le résultat du rapport de classe. La structure de classe moderne s’inscrit dans des limites territoriales déterminées et présente un ancrage étatique national. C’est à l’échelle de l’État-nation seulement que les métastructures peuvent être étudiées de façon pertinente. Pour étudier le fonctionnement et l’interférence des deux médiations de la structure de classe, il faut donc les réinscrire dans le cadre de l’État-nation. L’auteur mobilise ici des analyses antérieures à Foucault avec Marx, tout particulièrement celles qu’il avait proposées dans L’État-Monde. Dans ce livre paru en 2011, J. Bidet développait en effet sa thèse métastructurelle en l’installant dans une histoire globale tendue vers ce qu’il appelle l’ultimodernité, étape chronologiquement dernière du déploiement de la modernité :

« non pas une fin de l’histoire, mais le terme structurel-territorial d’un processus historique qui va de l’État-cité à l’État-nation et finalement à l’État-monde » (L’État-monde, p.10).

L’ultimodernité se caractérise par la formation d’un « État-monde », c’est-à-dire d’un État dont le territoire s’étend à l’échelle du monde, dans le cadre d’un système-monde – concept que Wallerstein élabore à partir des analyses braudeliennes de l’ « économie-monde ». Ce concept d’État-monde désigne plus précisément une structure étatique à l’échelle du monde et imbriquée dans le système monde, mais construite sur le modèle de l’État-nation. Il nous permettrait de

« concevoir la société capitaliste moderne dans son ensemble et notamment dans sa dimension coloniale, centres-périphéries. Ce à quoi une théorie des classes sociales et de l’État ne peut suffire. » (« Le marxisme face à l’histoire globale », Actuel Marx, n°53, 2013).

Il s’agissait dans cet ouvrage d’articuler structure (étatique-nationale) et système (monde). Cette articulation répondait à un double objectif : d’une part, distinguer nettement ce qui relève d’une domination structurelle (la classe, à l’échelle de la structure de l’État-nation) et ce qui relève d’une domination systémique (la « race », à l’échelle du système-monde et de l’impérialisme international) ; d’autre part, penser la dynamique de l’ « ultimodernité », c’est-à-dire l’émergence contemporaine d’un État-monde. Mais si la formation d’un État-monde caractérise selon Bidet une période de l’histoire globale (celle de l’ « ultimodernité »), elle coïncide également avec la tentative par l’idéologie impérialiste de se donner une légitimité. La création d’une « étaticité » mondiale doit aller de pair avec l’extension des pôles de la métastructure (organisation et marché) à l’échelle du monde. L’ouvrage de 2011 mettait en lumière une interférence entre d’un côté la configuration de l’État-nation moderne, avec la structure de classe qu’il produit, et de l’autre cet État-monde en formation, qui émerge dans le cadre du système-monde.

 

Conclusion

La lecture croisée que J. Bidet propose de Marx et de Foucault fournit indéniablement l’occasion de synthèses courtes et utiles sur les deux auteurs, et cela dans un style clair et pédagogique. Elle s’applique également à nuancer certaines grandes oppositions (comme celle d’un nominalisme foucaldien et d’un structuralisme marxien) qu’on établit fréquemment entre ces deux auteurs. Mais pour parvenir à s’orienter dans le fonds théorique explicitement ou implicitement mobilisé par J. Bidet, il nous semble nécessaire de recourir à un contenu externe au corps du livre. Dès l’introduction, les notes sont nombreuses et renvoient souvent aux précédents livres de l’auteur. Il s’avère délicat de saisir l’enjeu des analyses sans les replacer très précisément dans l’entreprise théorique métastructurelle – une entreprise que l’introduction ne permet pas à elle seule de ressaisir. Le statut de ce livre est ainsi marqué par une certaine ambiguïté, entre la volonté de proposer une présentation éclairante des auteurs, et l’utilisation de ces auteurs pour donner un contenu et un référent doctrinal aux deux pôles de la métastructure. On peut également estimer que les analyses tendent parfois à forcer le trait des bipartitions et des dualités que l’approche métastructurelle se propose chaque fois de concilier. Une tendance peut-être imputable à la fonction de ce recours à Foucault et Marx pour la construction de la théorie métastructurelle.

Du point de vue politique, J. Bidet qualifie sa position de « métamarxisme » :

« Qu’on n’y cherche pas un postmarxisme, qui tournerait la page. Ni un simple néomarxisme, une nouvelle variante du marxisme. Mais plutôt un « métamarxisme », une refondation, qui n’implique pas seulement le marxisme ». (Foucault avec Marx, p.19)

Nous avons vu que la problématique « métastructurelle » visait à complexifier l’analyse structurelle par une meilleure saisie de l’intrication entre rapports sociaux et relations interindividuelles. Par la synthèse qu’il propose de Marx et de Foucault, J. Bidet réaffirme la pertinence d’une réflexion en termes de « structure » de classe, tout en affinant le sens de la « structure » à partir de la conceptualité foucaldienne. En effet, au-delà de la critique des concepts marxiens de marché et d’organisation, l’approche métastructurelle vise à provoquer une ré-articulation générale du rapport entre les niveaux d’analyse de la théorie sociale. On a vu que la métastructure existait d’abord au sein des pratiques discursives d’une part, et au niveau des relations interindividuelles d’autres part. Substituer la distinction métastructure/structure à la distinction (infra-)structure/superstructure a donc pour double conséquence, d’un côté, d’orienter l’analyse vers des causes infra-économiques de la réalité sociale13, et de l’autre, de rattacher l’étude des processus sociaux globaux à une analyse partant de l’individu.

Cette problématique « métastructurelle », en tant qu’elle se fonde sur une réélaboration critique de certaines hypothèses fondamentales du marxisme, se décline politiquement en métamarxisme. La redéfinition de la classe dominante modifie la carte des rapports sociaux : la scission des dominants en propriétaires d’un côté et en dirigeants et compétents de l’autre, ouvrirait la possibilité d’une stratégie d’alliance entre la classe fondamentale ou populaire, et la partie de la classe dominante qui possède le pouvoir organisationnel et culturel. Mais dans Foucault avec Marx, il est clair que J Bidet vise avant tout une refondation critique théorique du marxisme. En insistant sur le rôle et les dérives de l’ « organisation », comprise au sens très large de médiation pour la coordination sociale, l’auteur veut renouveler conceptuellement la critique des expériences passées de « socialisme réel ». En complétant sa théorie métastructurelle, livre après livre14, J. Bidet entend compenser la focalisation de l’analyse marxiste sur la domination par le marché : la critique classique de la bureaucratie est refondue dans la critique plus englobante d’une « domination organisationnelle ».

 

Notes

1 Pour les ouvrages principaux de J. Bidet : Que faire du « Capital » ? : Matériaux pour une refondation, Paris, Klincksieck, 1985 ; 2e éd., Presses Universitaires de France, « Actuel Marx confrontation. Série Philosophie », 2000. John Rawls et la théorie de la justice, avec la collaboration d’Annie Bidet-Mordrel, Paris, Presses Universitaires de France, « Actuel Marx confrontation », 1995. Théorie de la modernité, suivi de Marx et le marché, Paris, Presses Universitaires de France, « Questions », 1990. Théorie générale : théorie du droit, de l’économie et de la politique, Paris, Presses Universitaires de France, « Actuel Marx confrontation », 1999. Dictionnaire Marx contemporain, avec Eustache Kouvélakis, Paris, Presses universitaires de France, « Actuel Marx confrontation », 2001. Explication et reconstruction du Capital, Paris, Presses Universitaires de France, « Actuel Marx Confrontations » Série « Philosophie », 2004. Altermarxisme : un autre marxisme pour un autre monde, avec Gérard Duménil, Paris, Presses Universitaires de France, « Quadrige. Essais, débats », 2007. L’État-monde, Libéralisme, Socialisme et Communisme à l’échelle mondiale, Refondation du marxisme, Presses Universitaires de France en novembre 2011. Depuis Foucault avec Marx, un nouveau livre de J. Bidet est paru : Le Néolibéralisme, Un autre grand récit, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2016.

2 Bidet, Jacques, L’Etat-monde. Libéralisme, socialisme et communisme à l’échelle globale, PUF, « Actuel Marx », 2011.

3 Nous renvoyons ici à la typologie proposée par Etienne Balibar dans l’ouvrage collectif issu du colloque de janvier 2015 à Nanterre (« L’anti-Marx de Michel Foucault », in Marx & Foucault. Lectures, usages, confrontations, La Découverte, 2015, p.102), et enrichie par Razmig Keucheyan dans l’article qu’il y consacre sur Contretemps.

4 Bidet, Jacques, Théorie générale, PUF, 1999, p.46-48.

5 Ibid., p.50.

6 Les distinctions (infra-)structure/superstructure et métastructure/structure ne se recoupent pas. Cette seconde distinction a vocation à avoir une portée bien plus large, grâce à sa définition d’abord logique par la relation métastructurelle de « présupposition posée ».

7 J. Bidet réfère les concepts de marché et d’organisation, tout comme le modèle de la relation de « présupposition posée », au livre I du Capital : le marché intervient dès la section 1, tandis que l’ « organisation » renvoie d’abord à l’organisation matérielle du travail dont Marx parle au chapitre XIV de la section 4.

8 Marx, Karl, Grundrisse, t.1, p.108-109, trad. sous la dir. de J.-P. Lefebvre, Editions sociales, 1980.

9 Bidet, Jacques, Théorie générale, PUF, 1999, p.13.

10 Bidet, Jacques, Marx avec Foucault, p.16, pour le « carré métastructurel » sous forme de tableau. Voir également Bidet, Jacques, L’Etat-monde. Libéralisme, socialisme et communisme à l’échelle globale, Op. cit., p.55, pour une présentation plus précise.

11 Voir notamment Bidet, Jacques, Que faire du « Capital » ? : Matériaux pour une refondation ; Théorie de la modernité ; Explication et reconstruction du « Capital ».

12 Bidet, Jacques, « Le marxisme face à l’histoire globale », Actuel Marx, n°53, 2013.

13 J. Bidet présente ainsi son approche métastructurelle comme une « dialectisation » de la théorie de Marx. Il souligne notamment le caractère circulaire des rapports de causalité qui relient la structure à sa métastructure, visant sans doute à rendre caduque une compréhension trop mécaniste du rapport entre infrastructure et superstructure. Bidet, Jacques, Théorie générale, Op. cit., §142.

14 Dans son livre suivant, Le néolibéralisme, un autre grand récit (2016), J. Bidet conserve la double filiation de Marx et de Foucault mais déploie ses analyses à un étage supérieur de la théorie métastructurelle. Son étude du néo-libéralisme est alors l’occasion de revenir sur la façon dont s’articulent les niveaux structurel et systémique de la société, ou encore ceux de l’Etat-nation et de l’Etat-monde en formation.