Syriza, ou le « miracle grec »

Ce miracle s’est-il d’abord produit ? Certes, Syriza a raté, à 2,5 points derrière la Nouvelle Démocratie (droite), la première place et la majorité relative. Un gouvernement pro-Mémorandum s’est formé, qui associe la droite, les débris du PASOK et, dans l’indispensable rôle de l’alibi de « gauche », la dite « Gauche Démocratique », à savoir l’ancienne aile droite de Syriza qui a quitté le parti il y a deux ans. Cette victoire s’explique avant tout par un climat d’hystérie et de peur entretenu par les médias grecs et les forces systémiques tel que le pays n’en avait pas connu depuis la période qui a suivie la guerre civile. Les dirigeants européens, Hollande et Merkel en tête, n’ont pas hésité à prêter main forte aux partis pro-mémorandum et à intervenir ouvertement dans la campagne électorale grecque, brandissant le spectre de l’expulsion de la Grèce l’eurozone en cas de victoire de la gauche radicale.

Face à cette formidable conjonction de forces hostiles, internes et externes, Syriza a tenu seul, crucialement dépourvu d’alliés, même critiques, sur sa gauche. Sa proposition d’un gouvernement unitaire des forces de gauche anti-austérité s’est heurtée au refus catégorique du PC grec (KKE), qui a axé sa campagne sur la dénonciation de Syriza et des « illusions » créées par son « opportunisme ». Il n’en a pas été autrement de la coalition d’extrême-gauche Antarsya, qui n’a eu de cesse de dénoncer le radicalisme supposé insuffisant des propositions de Syriza et de mettre en avant la sortie de l’eurozone et de l’UE comme objectifs immédiats d’une issue « anticapitaliste » à la crise. Ces deux formations ont certes été humiliées dans les urnes, perdant respectivement la moitié et les deux-tiers de leur électorat1, mais le mal était fait. Et la leçon est claire : même si la force la plus unitaire se voit massivement récompensée, et le sectarisme lourdement sanctionné, la division des forces populaires ne peut que conduire à multiplier les occasions ratées.

Le scrutin du 17 juin a prolongé et radicalisé les tendances apparues lors de celui du 6 mai. Il laisse apparaître un pays coupé en deux, la polarisation politique recoupant largement le clivage de classe. Syriza vient largement en tête sans les quartiers populaires des grandes villes ainsi que, dans une moindre mesure, dans les villes de province aux traditions anti-droite. Dans les zones ouvrières, Syriza approche les 40% des voix, et accentue sa percée de mai, tout en confortant sa première place dans toutes les classes d’âge de moins de 55 ans et toutes les catégories de la population active (chômeurs inclus) à l’exception des agriculteurs et des indépendants-patrons de l’industrie et du commerce. La droite, si elle obtient au niveau national le deuxième score le plus faible de son histoire (le record négatif étant celui de mai dernier), remonte de façon spectaculaire dans les quartiers de classes moyennes et aisées, ainsi que dans les aires conservatrices des provinces.  Sa campagne de peur anti-Syriza, agrémentée d’une forte dose de discours raciste et sécuritaire, lui a permis de regrouper l’électorat conservateur qui s’était dispersé lors du scrutin de mai dans de multiples petits partis néolibéraux ou d’extrême-droite, à l’exception des néo-nazis d’Aube Dorée, qui ont retrouvé à l’identique leur score du mois dernier.

Cette victoire de la droite et de ses alliés pro-mémorandum risque pourtant de s’avérer une victoire à la Pyrrhus. Avec 27% des suffrages, et une dynamique conquérante, Syriza constitue désormais une force d’opposition qui est en mesure de rendre la vie difficile à l’actuel gouvernement. Un gouvernement qui n’a pas d’autre choix que de poursuivre dans la voie du désastre et de mettre en œuvre de nouvelles mesures d’austérité et de démantèlement de ce qui reste d’Etat – pas seulement social mais d’Etat tout court. Les tâches qui attendent la formation centrale de la gauche radicale n’en sont pas moins redoutables : surmonter le hiatus considérable entre sa réalité organisationnelle –limitée et largement tournée vers la jeunesse et le salariat diplômé – et son audience électorale, construire des liens durables avec les secteurs ouvriers et populaires qui ont placé en elle ses espoirs, engager un processus surmontant l’actuelle division entre composantes au sein de la coalition, structurer une opposition dynamique dans les mobilisations et les réseaux de solidarité et d’entraide qui essaiment dans une société qui lutte quotidiennement pour la survie. Enfin, dépasser ses limites actuelles en construisant un rapport politique productif avec les autres forces de la gauche radicale, ouvrant ainsi la voie à une sortie par le haut à la grave crise interne dans laquelle leur sectarisme les a entraînés.

Quoi qu’il arrive par la suite, on peut d’ores et déjà affirmé que Syriza a remporté une victoire de portée historique. Sa percée a montré qu’ en un sens « tout était possible » pour la gauche radicale, plus exactement qu’il était possible pour une force qui regroupait jusqu’à récemment autour de 5% de l’électorat de devenir l’expression majoritaire des couches ouvrières et populaires et de postuler au pouvoir gouvernemental. C’est en cela que consiste le vrai « miracle » de Syriza, dans la démonstration que l’horizon de la radicalité de gauche n’est pas celui de l’éternelle « résistance », du « contre-pouvoir » ou de la préparation d’un mythique « grand soir » mais celui d’une voie concrète vers la conquête du pouvoir et le changement social.  Les expériences latino-américaines, de l’Unité Populaire chilienne au MAS bolivien, rattrapent le Vieux Continent, plaçant la gauche de transformation dans une nouvelle étape de son histoire, celle où, pour les classes subalternes, la victoire est à nouveau à l’ordre du jour. Pour elles, le XXIe siècle vient peut-être seulement, enfin, de commencer.

 

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1 Le KKE est passé de 8,5% en mai à 4,5% et Antarsya de 1,2% à 0,3%.