Kurt Palm est un écrivain, metteur en scène et réalisateur autrichien. Son dernier roman s’intitule Strandbadrevolution (Deuticke Verlag, Vienne, 2017). Il a notamment réalisé Kafka, Kiffer und Chaoten (2014). Il revient pour Contretemps sur la réception de Brecht en Autriche
Kurt Palm : Ce qui m’a intéressé avant tout était l’aspect politique de ce que l’on a nommé le boycott de Brecht (Brecht-Boykott) dans les années cinquante et soixante-dix. Et puis, bien sûr, l’obtention de la nationalité autrichienne par Brecht en avril 1950, accordée par le gouvernement régional de Salzburg.
Dans les années 1920, Brecht a beaucoup travaillé à Munich et à Berlin avec des gens de théâtre qui ont eu une influence importante sur lui. Il a rencontré Karl Kraus à Vienne, où ce dernier l’a soutenu, néanmoins Brecht a été par la suite irrité, pour le dire modérément, par l’attitude ambivalente de Kraus vis-à-vis de l’austrofascisme et du national-socialisme montant.
À l’époque, beaucoup d’expérimentations étaient possibles dans les théâtres, autant en Allemagne qu’en Autriche, c’était une époque d’espoirs et de nombreux théâtres se percevaient comme participant du mouvement politique, dirigé contre le national-socialisme naissant, alors en cours. Les pièces de Brecht étaient d’une signification cruciale dans ce contexte.
C’était très étrange, car Brecht, qui vivait encore en exil à Los Angeles à l’époque, se prononça fermement contre cette représentation au théâtre de la Josefstadt. Brecht voulait même faire interdire la représentation. Il y avait deux raisons à cette attitude rigoriste de Brecht : premièrement, il était furieux que ce soit précisément Paula Wessely, qui avait tourné dans de nombreux films de propagande nazis, qui joue le rôle principal. Deuxièmement, il craignait que ses théories sur le théâtre ne soient pas encore connues à Vienne. Il pensait que cette représentation arrivait trop tôt.
La « Scala » était un théâtre soutenu par les autorités soviétiques et qui a donc obtenu très rapidement la réputation de « théâtre communiste ». Il est vrai que dans ce théâtre, travaillaient de nombreux metteurs en scène, actrices et acteurs, qui étaient membres du Parti Communiste ou qui en étaient proches. Il était donc logique que des pièces de Brecht aient également été jouées à la « Scala ». Brecht y a, par ailleurs, mis en scène sa pièce La mère avec Helene Weigel dans le rôle principal.
Lorsqu’il revint en Europe en 1974 après son exil, Brecht était apatride. Il s’arrêta d’abord en Suisse, plus tard, il alla à Berlin-Est, car on lui avait proposé la direction d’un théâtre sur place. Alors qu’il constatait à quel point il était difficile de se déplacer en Europe en étant apatride, il fit la rencontre du compositeur Gottfried von Einem à Salzburg, qui voulait amener Brecht à travailler avec lui dans le cadre du festival salzbourgeois. Brecht devait écrire, pour Salzbourg, une nouvelle version du Jedermann de Hugo von Hofmannstahl, et Brecht ne souhaitait pas être payé pour ce travail, au lieu de quoi il demandait à recevoir un passeport autrichien. Le 12 avril 1950, la nationalité autrichienne fut accordée à Brecht par le gouvernement régional de Salzburg.
C’était l’époque de la guerre froide et l’anticommunisme était, pour ainsi dire, doctrine d’État en Autriche. En tant que communiste, Brecht était particulièrement surveillé. De là, il semblait évident d’interdire plus ou moins la représentation de ses pièces en Autriche.
À partir de 1963, les boycotteurs de Brecht ne pouvaient plus que se tourner en ridicule sur la scène internationale. Pour cette raison, certains gens de théâtre ont décidé de ne plus boycotter Brecht. Néanmoins, il était déjà presque trop tard et le mal fait au théâtre autrichien était presque irréparable.
Pour moi, Brecht était et reste un point de référence important pour mon travail, peu importe que je mette en scène des opéras que je tourne des films ou que j’écrive des romans. Mais je ne suis pas un partisan dogmatique de Brecht, je prends ce qui me semble utile pour la période actuelle chez Brecht. En ce sens, j’ai un rapport très détendu à celui-ci.