Pour une mobilisation communiste des retraité·e·s

Nous publions la conclusion du livre de Bernard Friot, dont une 2e édition augmentée est parue en mars de cette année : Le travail, enjeu des retraites, La Dispute, « Travail et salariat », Paris, 2019, 224 p.

Présentation de l’éditeur

Contrairement à une idée reçue, les trois quarts des retraites sont calculées en fonction du salaire et non pas des cotisations versées : elles sont le salaire qui se poursuit, et non un revenu différé dans le temps. Près de dix ans après le succès de L’Enjeu des retraites, les événements confirment la pertinence de ses analyses : faute de promouvoir la généralisation du droit au salaire des retraités, les opposants sont impuissants pour contrer des réformes qui nient ce droit et veulent le remplacer par le différé des cotisations.

Cette nouvelle version s’enrichit d’une longue introduction et d’une conclusion inédites qui, contre un dispositif de comptes à points, proposent d’unifier tous les régimes en assurant 100 % du meilleur salaire net, porté à 2300 euros minimum, quelle que soit la durée de la carrière. Le Travail, enjeu des retraites analyse le cœur du conflit des retraites : qu’est-ce que travailler ? Qui travaille ? Comment faire du salaire un droit politique de la personne, afin d’en finir avec le temps « après le travail » de la retraite, aussi contestable que le temps « avant le travail » de l’insertion des jeunes ou le temps « sans travail » du chômage ?

 

Pour une mobilisation communiste des retraités

La pension de retraite est calculée de sorte qu’elle remplace un salaire de référence selon la durée de carrière. Ce salaire continué, calculé sans tenir compte des cotisations (inexistantes au demeurant dans le régime qui a servi de modèle, celui de la fonction publique d’État), représente aujourd’hui, grâce aux conquis communistes du xxe siècle, les trois quarts des pensions: 240 milliards sur 320 milliards. Seule une petite minorité de régimes calculent la pension comme le revenu différé d’un cumul des cotisations. Contre ce « nous avons cotisé, nous avons droit » qui renvoie à la pratique capitaliste du travail, c’est un droit communiste au salaire libéré du marché du travail qui est donc en majorité garanti aux retraités. Mais il est resté impensé: en témoigne la surprise (quand ce n’est pas la dénégation) suscitée par le rappel que c’est comme droit au salaire et non comme différé des cotisations que notre système de retraite s’est construit! Et cet impensé met en péril l’affirmation d’un droit politique à la qualification de la personne, et du salaire à vie qui lui est lié.

Qu’il s’agisse en effet du salaire continué des retraités, du statut des fonctionnaires et des salariés de la Poste, de la SNCF, d’EDF, de la RATP, du droit au salaire des intermittents du spectacle entre deux cachets, du droit à carrière des métallurgistes ou des salariés de la chimie ou de la banque, c’est toute la construction en cours d’un salaire à la qualification personnelle qui est en cause. La lutte de classe sur les retraites est une pièce décisive de la lutte pour le statut d’un producteur qui, titulaire d’une qualification et donc d’un salaire à partir de 18 ans, n’a plus besoin de quémander à la bourgeoisie capitaliste sa reconnaissance comme travailleur, que ce soit comme indépendant voué à la prédation des capitalistes prêteurs, fournisseurs ou clients, ou comme employé d’un groupe capitaliste ou d’un sous-traitant. Ce combat pour le droit politique au salaire est inséparable de celui de tous les dissidents des entreprises alternatives qui refusent de produire pour le capital et sont décidés à maîtriser leur travail concret. Il est au cœur de la sortie de la folie écologique et anthropologique de la pratique capitaliste du travail.

L’impensé du salaire continué dans la pension se mesure à l’aveuglement sur l’opposition de classe entre un régime de revenu différé (comme l’Agirc-Arrco) et un régime de poursuite du salaire (comme le régime général ou celui des fonctionnaires et des autres salariés à statut). Cet aveuglement est cohérent avec la sous-estimation de l’immense conquis que sont les statuts et le régime général, dans lesquels les salariés sont payés pour leur qualification personnelle et non pas pour celle de leur poste. Alors que les luttes corporatives pour la défense des statuts sont vouées à la défaite, s’impose une action interprofessionnelle pour la généralisation à tous les travail- leurs du salaire à la qualification personnelle, qui est le fondement des statuts. En matière de pensions de retraite, le déni du salaire continué a conduit les opposants à la réforme à défendre la « répartition» alors que l’Agirc-Arrco est une répartition capitaliste indéfendable, et cela au nom de la « solidarité intergénérationnelle », alors que cette solidarité capitaliste est au cœur du « nous avons cotisé, nous avons droit » qui fonde la contre-révolution du travail. Celle-ci s’emploie à remplacer le salaire à la personne par les deux piliers de la solidarité capitaliste: le revenu universel de base, d’un côté, et des ressources très contributives de la rémunération à la tâche et du compte personnel d’activité (CPA), de l’autre. La pièce maîtresse du CPA sera le compte-retraite généralisé, si le projet de Macron n’est pas stoppé.

Vaincre Macron suppose de mener la bataille sur les retraites comme un élément de la bataille sur le droit au salaire, ce qui implique de mobiliser non pas la solidarité capitaliste, mais la solidarité communiste.

La solidarité capitaliste est celle de « ceux qui ont » vers « ceux qui n’ont pas ». Elle a deux piliers : l’assistance par l’impôt et la contributivité par la cotisation. Elle repose sur un postulat : la reconnaissance de la contribution à la production ne peut pas être un attribut de la personne, les personnes ne peuvent être rémunérées que pour leur temps ou leurs activités validés comme productifs. Cette acceptation de l’extériorité du travail aux personnes fonde l’acceptation qu’existent des temps dans leur vie adulte où elles sont niées comme productives. Celles qui « n’ont pas de travail » bénéficient alors de la solidarité de celles qui, pour un temps, « en ont ». Or « avoir du travail » ou « ne pas avoir de travail » n’a rien de naturel, il faut en construire les raisons et les institutions. Depuis quarante ans, l’exclusion de la production invoque l’âge des exclus, l’invocation du genre, courante jusqu’alors, étant devenue difficile du fait des combats féministes. Alors qu’il n’y avait aucun « jeune » dans les années 1960 sur le marché du travail, a été créé depuis les « mesures jeunes » de 1977 un sas d’insertion, qui peut durer très longtemps (par exemple, on pouvait être en « emploi-jeune » jusqu’à 35 ans), pendant lequel des personnes sont niées comme travailleuses, sans salaire donc, et doivent apprendre à « s’insérer » dans cet extérieur qu’est le travail, avec pour ressources un mixte de solidarité assistantielle et de solidarité contributive. La solidarité assistantielle s’exprime dans des allocations de « volontariat » ou de « service civique », ou dans une revendication (hélas portée à gauche) d’« allocation d’autonomie ». La solidarité contributive est faite de l’anticipation des gains futurs des étudiants dans un prêt à rembourser plus tard.

On observe exactement la même dérive de solidarité capitaliste à deux piliers en direction des retraités, qui sont pour les réformateurs des personnes étrangères au travail, sans droit au salaire. Cette contestation du droit au salaire entraîne un retour des vieux (cf. la création du Fonds de solidarité vieillesse financé par la CSG en 1994) alors qu’ils avaient commencé à disparaître dans les années 1970 avec l’entrée des catégories populaires dans la pension comme salaire continué. Et bien qu’il représente les trois quarts des pensions, ce salaire continué, parce qu’il est impensé comme reconnaissance du travail des retraités et non promu comme tel, est en danger d’être converti en deux piliers de revenu d’assistance et de revenu contributif sans référence au salaire. Le revenu minimum universel financé par la CSG constitue le premier pilier. Le second serait fait de la généralisation des comptes personnels Agirc-Arrco, dans lesquels les cotisations des actifs (« ceux qui ont » un travail productif) au bénéfice des retraités (« ceux qui n’ont pas » de travail productif) assurent le différé des cotisations qu’avaient mises au pot commun ces retraités quand ils étaient productifs : c’est la « solidarité intergénérationnelle », qui témoigne de la scandaleuse convocation de l’âge dans l’ordre de la valeur en remplacement de celle du genre.

Le drame est que les opposants à la réforme adhèrent massivement à cette pratique capitaliste de la solidarité et à l’hétéronomie du travail, d’où leur vulnérabilité fondamentale à la thèse de la solidarité intergénérationnelle. La solidarité communiste, au contraire, récuse la violence sociale de la désignation de personnes comme « n’ayant pas », elle récuse l’existence d’adultes non productifs, qu’ils soient déclarés « jeunes » avant le travail, « chômeurs » pendant le travail ou « retraités » après le travail. Elle refuse que le travail, au cœur de notre existence comme espèce et comme personnes, soit quelque chose qu’on puisse « avoir » ou « ne pas avoir », qu’il faille « en chercher », qu’il faille « le tenir » à n’importe quel prix car on risque de « le perdre », qu’il faille se réjouir d’en être « libéré » ! La solidarité communiste ne désarme pas devant l’extériorité du travail dans le capitalisme, ce château fort chasse gardée d’une bourgeoisie qui entend garder le monopole de la définition, de la production et de la distribution de la valeur. La solidarité communiste est une solidarité d’égaux, tous reconnus comme producteurs par une qualification (et le salaire qui va avec) de 18 ans à la mort. Et il en faut de la solidarité entre égaux pour mener la lutte difficile pour que le travail soit sorti de son extériorité capitaliste ! Le salaire doit devenir un droit politique ; la définition, la production et la distribution de la valeur, dirigées par les travailleurs eux-mêmes, doivent être fondées sur une pratique du travail vivant cohérente avec une vie harmonieuse de notre espèce sur la planète.

Cet ouvrage a proposé un volet de cette conquête de la souveraineté sur le travail à base de solidarité communiste. La poursuite de la mutation communiste de la retraite reposerait sur l’attribution à toute personne, à 50 ans, d’un salaire à la qualification personnelle dont le plancher pourrait être le salaire moyen, quelle que soit la carrière antérieure, avec progression en qualification possible jusqu’à la mort dans la limite maximum de 5 000 euros mensuels nets par exemple. L’urgence écologique est telle que ces salariés expérimentés et libérés de tout chantage à l’emploi ou à la performance marchande, qu’ils soient fonctionnaires, indépendants ou dans des entreprises, pourront être les vecteurs de l’auto-organisation des travailleurs en vue de la libération de la production de la folie capitaliste. Cette mobilisation communiste des retraités sera en particulier soutenue par – et au cœur de – la multiplication de sécurités sociales sectorielles s’inspirant de la Sécurité sociale des soins de santé.

Nous avons vu en effet qu’un des résultats majeurs de la construction du régime général de Sécurité sociale par les communistes en 1946 a été de rendre possible une production de soins libérée de la valeur capitaliste. Dans les années 1960, l’assurance maladie a opéré une mutation de l’hôpital en finançant de très lourds investissements à l’aide de subventions, et cela grâce à une hausse du taux de cotisation, qui a doublé entre 1945 et la fin des années 1970. La cotisation s’est substituée à la centralisation du profit dans des portefeuilles de titres qui vont nourrir le crédit capitaliste. Subventionner l’investissement, permettre ainsi une propriété patrimoniale non lucrative de l’outil de travail par des collectivités qui le remettent en propriété d’usage aux collectifs de travailleurs qui l’utilisent, voilà une manière concrète de rompre avec le capitalisme en supprimant le régime de propriété lucrative qui en est le cœur. Ajoutons que, pour produire les soins, le régime général a également supprimé le marché du travail, autre institution majeure du travail abstrait capitaliste, et l’a remplacé par le salaire à la qualification personnelle des fonctionnaires hospitaliers et par la convention entre les soignants libéraux et la caisse d’assurance maladie. Au lieu de forger leurs chaînes en travaillant pour rembourser au capital une dette d’investissement, les soignants ont travaillé pour soigner, et leur maîtrise du travail concret était d’autant plus possible qu’ils étaient libérés du chantage à l’emploi.

Toutefois, faute d’avoir organisé l’autogestion collective de leur travail concret, qui n’était pas à l’ordre du jour de leurs organisations, ils n’ont pas pu s’imposer comme seuls producteurs de la valeur et donc propriétaires d’usage de leur outil de travail lorsque, à compter des années 1980, les gouvernements successifs ont engagé la contre-révolution capitaliste du travail abstrait en s’appuyant sur le gel du taux de cotisation (qui, pour l’assurance maladie, n’a pas bougé depuis 1979). En réponse à la pression sur leur travail concret liée à l’endettement hospitalier et au non-recrutement de fonctionnaires, les soignants se sont engagés dans un épuisant débordement individuel du travail prescrit, jusqu’au burn-out. Autre limite de ces prémices communistes: la production du matériel médical et du médicament n’a pas été soustraite au capital, et la solvabilisation des consommateurs de soins a offert un marché public fabuleux à la prédation de Sanofi et d’autres groupes capitalistes qui ont, pour le pire, largement formaté la pratique soignante.

Instruits de cet exemple majeur, avec ses points forts et ses points faibles, que pouvons-nous proposer pour pousser plus loin le mode de production communiste par des sécurités sociales sectorielles, et quelle pourrait être la responsabilité des retraités ? Prenons l’exemple d’une sécurité sociale de l’alimentation.

Il y a urgence écologique, et double opportunité, à créer une telle sécurité sociale. La première est que la sensibilité populaire à la malbouffe produite par l’agrobusiness est plus forte que, par exemple, la conscience de la folie qu’il y a à mettre sur la route le fret ferroviaire. La seconde est que c’est une filière dans laquelle, de la production d’intrants et d’outils réparables à la distribution de produits bruts ou transformés, en passant bien sûr par leur production, une multitude d’alternatives à l’agrobusiness se sont construites avec des professionnels mobilisés pour la maîtrise de leur travail concret. L’enjeu est de les sortir de la marginalité ou de la récupération par la création d’outils macroéconomiques du travail abstrait. Une cotisation-alimentation interprofessionnelle de par exemple 8 % de la valeur ajoutée marchande générerait les 120 milliards permettant l’attribution de 150 euros par mois et par personne[1] pour achat en libre choix de produits alimentaires bruts ou élaborés par des paysans, des artisans boulangers ou autres, des commerçants, des restaurateurs qui seraient conventionnés (comme le sont les soignants libéraux ou les hôpitaux), étant entendu que les entreprises capitalistes seraient interdites de convention et n’auraient donc pas accès à la production et à la distribution de ces produits alimentaires solvabilisés. Ce marché de 120 milliards permettrait aux caisses de sécurité sociale de l’alimentation de verser aux professionnels un salaire à la qualification personnelle et aux entreprises et indépendants conventionnés d’investir sans faire appel au capital (ce qui serait une condition mise à leur conventionnement). Les critères du conventionnement seront en effet décisifs pour entraîner une dynamique reposant sur des entreprises de l’alimentation qui soient propriété d’usage de leurs salariés et qui pratiquent une recherche de la productivité par affirmation, et non pas élimination, du travail vivant. Ces critères, publics, seront décidés par les caisses de sécurité sociale de l’alimentation, qui seront gérées par les usagers et les professionnels.

Il y a une telle volonté, et capacité, d’organiser la maîtrise collective du travail concret chez tous les travailleurs aujourd’hui engagés dans l’alternative à l’agrobusiness qu’il est possible d’y éviter la dépossession qu’a connue le travail concret de soins de santé. Mais cette capacité resterait orpheline sans les outils de maîtrise du travail abstrait que la mobilisation syndicale a su construire, d’où la socialisation de la valeur à l’échelle interprofessionnelle dans une cotisation-alimentation gérée par les intéressés au plus près des possibilités et besoins territoriaux. C’est ici que la forte sensibilité populaire à la nécessité de sortir de l’agrobusiness et de la grande distribution alimentaire sera un atout, à condition qu’elle soit politisée. Car la hausse des salaires par création d’une cotisation inter- professionnelle de 8 % de la valeur ajoutée affectée à une consommation alimentaire possible exclusivement auprès de professionnels conventionnés suppose une détermination politique. Cette cotisation nouvelle ne sera réalisable que si, à même hauteur de 8 % de leur valeur ajoutée, les entreprises ne versent pas de dividendes et ne remboursent pas leurs dettes d’investissement. On mesure toute la bataille politique qu’il faudra mener, entreprise par entreprise, pour rendre populaire la possibilité de financer l’investissement sans prêteurs ni actionnaires, en remplaçant la soumission à la dette par la responsabilité de produire à l’échelle nationale la valeur nécessaire à la somme des subventions. C’est un ethos communiste qu’il s’agit de construire, dans la maîtrise, on le voit, tant du travail concret que du travail abstrait.

Nous allons reprendre la main sur nos vies en la reprenant sur le travail. Ce que nous venons d’évoquer pour l’alimentation vaut évidemment pour des quantités d’autres secteurs dans lesquels une sécurité sociale pourrait être le vecteur du remplacement de la production capitaliste par une production communiste.

Comme l’a montré Pierre Rimbert dans Le Monde diplomatique[2], une cotisation pourrait garantir la production d’une presse d’information payante (et donc librement choisie par l’acheteur du journal ou l’abonné à sa version numérique) entièrement débarrassée de la publicité et d’actionnaires capitalistes et donc produite à la seule initiative des travailleurs concernés, journalistes, informaticiens, kiosquiers, imprimeurs et autres. La sécurité sociale du logement, rendue possible par une cotisation-logement, pourrait elle aussi solvabiliser une libre demande de logement dont la production et la distribution seraient le fait exclusif d’architectes, de maçons, d’artisans de second œuvre, de commerciaux, de producteurs d’engins et de matériaux, travaillant dans des entreprises dont ils seraient propriétaires d’usage et passant convention avec une caisse du logement qui ne conventionnerait aucune entreprise capitaliste. Même chose évidemment pour la solvabilisation de l’accès aux vêtements, aux outils, à la culture, à l’énergie ou aux transports produits sur un mode communiste : la liste des sécurités sociales sectorielles financées par une cotisation sociale interprofessionnelle est infinie tant il y a une aspiration à sortir le travail des griffes du capital.

Quelle sera la responsabilité des retraités ? Titulaires de leur qualification et donc de leur salaire à partir de 50 ans, ils pourront intervenir de deux façons.

D’une part, toutes celles et ceux qui aujourd’hui s’ennuient ou souffrent dans des travaux inutiles, dangereux, antidémocratiques, désastreux pour notre survie comme espèce, les quitteront (puisqu’ils seront titulaires de leur salaire) et pourront mettre leur expérience au service des entreprises et indépendants de l’alimentation conventionnés. Ces conventionnés en auront grand besoin pour faire face à la demande générée par la solvabilisation des usagers. Ces entreprises pourront ainsi grandir sans avoir à payer directement cet afflux de travailleurs puisqu’ils le seront par la caisse des retraites, charge à elles de cotiser comme toutes les autres entreprises. Ce propos vaut bien sûr pour toutes les productions qui, outre l’alimentation, seraient mises en sécurité sociale.

D’autre part, celles et ceux des retraités qui resteront dans leur entreprise ou leur service public auront la responsabilité, soutenue par le service public de la qualification, par les syndicats, par des protections légales, de réaliser l’auto-organisation des travailleurs dans le refus du management capitaliste et la mise en place de nouveaux critères et pratiques du travail. En particulier, et pour en rester à l’alimentation, les retraités restés dans les entreprises de l’agrobusiness, qu’il s’agisse de la production, de la formation des producteurs, de la distribution, seront un canal décisif pour y imposer des modalités de propriété de l’outil, de salaire, de choix de production telles qu’elles puissent être à leur tour conventionnées. Enfin dotés d’un salaire à la qualification personnelle, des agriculteurs coincés dans des productions discutables avec appel à une main-d’œuvre sous-payée, qu’ils désapprouvent, pourront s’en libérer et engager une conversion au bio dans des conditions de respect du droit du travail rendant possible leur conventionnement. Les retraités restés salariés des chambres d’agriculture ou du Crédit agricole y impulseront la mise sur pied de directives de production libérées du lobbying de Bayer ou le retour de la banque à un réel fonctionnement coopératif. Ce sont là des exemples que je mets en débat. En tout cas, jointe à des sécurités sociales sectorielles, la conquête du salaire à la qualification personnelle pour tous à 50 ans permettra de sortir les luttes de la défensive, et donc de la défaite, et d’honorer, en les actualisant et les généralisant, les conquis communistes. Au travail !

 

Notes

[1] Ces chiffres indiquent un objectif de moyen terme auquel parvenir selon un calendrier à instaurer. De même que le doublement de la cotisation maladie ne s’est pas fait en un jour, on peut prévoir des étapes dans le taux de cotisation-alimentation, étant entendu que dès le départ le niveau doit être suffisamment élevé pour éviter l’impuissance. Par ailleurs, le débat est ouvert sur l’usage de cette cotisation. Le choix, ici, est de solvabiliser la demande de biens demeurés marchands. On peut aussi, compte tenu de l’insuffisance de départ de l’offre alternative, consacrer 40 milliards (en plus des 10 milliards de la PAC, désormais attribués à l’actif et non plus à l’hectare) à payer les producteurs à la qualification personnelle, à leur distribuer de la terre préemptée et sortie du marché foncier (comme étape vers sa disparition au bénéfice d’un foncier devenu bien commun) et à subventionner leurs investissements. Dans ce cas, les usagers ne recevraient que 100 euros mensuels.

[2] Pierre Rimbert, « Projet pour une presse libre », Le Monde diplomatique, décembre 2014.