Western picaresque

à propos de l’album de Nicolas Dumontheuil, Big Foot, 3 tomes, Futuropolis

 

 Pourquoi une BD de cow-boys et d’Indiens ? As-tu l’impression de déconstruire le mythe ?

 

            Tout simplement parce que j’ai toujours aimé ça. C’est un rêve de gosse que je ne pensais pas réaliser un jour ! Graphiquement, c’est un sujet agréable à traiter, car on a déjà intégré par exemple tout l’imaginaire du décor : saloons, villes. C’est un univers très graphique, vachement visuel. La simple évocation d’un paysage immense, d’une silhouette sur un cheval, il y a un souffle incroyable. C’est fascinant pour des gens qui racontent une histoire et qui dessinent. C’est une régression agréable de se plonger dans le western, pour moi qui a été élevé à la Dernière séance d’Eddy Mitchell. Je suis parti d’un roman, Le Monstre des Hawkline de Richard Brautigan, mais je m’en suis écarté, ce n’est pas la même histoire. Le roman a été un détonateur, un déclencheur, car j’ai apprécié son ton ironique, sa distance par rapport à la réalité. Je suis parti de la situation de départ du roman dans le premier tome de ma trilogie : deux tueurs à gage contactés pour une mission par une fille délurée, qui a une sœur jumelle. Mais je m’écarte complètement de l’histoire originelle dans les deuxième et troisième tomes. Je crois en avoir quand même respecté le ton.

            Pour imaginer cette histoire, j’ai repensé à tous les vieux westerns et j’ai été sans doute guidé par toute une série de réminiscences. Quand j’ai revu Impitoyable, de Clint Eastwood, ça ma frappé bien sûr, je me suis dit « Mais oui bien sûr moi aussi ça résonne avec mon histoire d’un tueur qui n’arrive plus à tuer ». Cela dit je pense que le western est un mythe tellement solide que même quand tu le casses, tu es toujours dedans. Tu le tords dans tous les sens, tu casses la morale, mais tu peux pas t’empêcher de rester dedans. Et plus tu tapes, plus ça renforce le mythe. On ne peut rien y faire !

 

Tes personnages sont quand même plutôt décalés ?

 

            Mon histoire se passe en 1905. Tout le côté « héroïque » de la conquête est fini, les Indiens ont été définitivement vaincus et sont parqués, les bisons sont morts. Mes personnages sont donc sur la fin : le méchant est un  tueur de moutons, parce qu’il n’y a plus de bisons à tuer ! En même temps ce type de personnage a vraiment existé, ils étaient à la solde des gros éleveurs contre les petits fermiers. Mes personnages se sont construits au fur et à mesure. Par exemple dans le roman l’un des tueurs a un TOC. Dans la BD, ce cow-boy noir compte compulsivement tout ce qui lui passe sous les yeux. L’autre cow-boy, celui qui n’arrive plus à tuer, découvre au fil de l’aventure qu’il est à moitié indien. Je me suis amusé aussi à développer de manière implicite, derrière cette impossibilité à tuer, l’impuissance sexuelle. Par contraste, ce cow-boy se prend d’affection pour un vieux pépé pendu qu’il décroche et adopte comme son père. Derrière, il y a le thème du braquemart. Je construis donc l’histoire comme ça, à partir de situations qui m’amusent et qui fournissent tout un bazar psychanalytique. Je trouvais rigolo ce personnage de cow-boy qui a des problèmes existentiels, mais n’a pas vraiment les moyens intellectuels de faire son introspection et qui se retrouve largué. Ce sont de tels décalages qui créent des situations comiques. 

            Au départ, je devais faire deux albums de 60 pages. Mais finalement j’ai développé davantage l’histoire au fil de mon imagination. Je me suis attaché à l’histoire de ces deux cow-boys métèques, un noir et un demi-indien, qui restent ensemble et qui tuent pour se faire respecter. Je ne savais pas complètement où j’allais mais je n’ai pas eu peur, car je savais que tout allait s’emboîter. J’ai fait un premier jet de scénario puis des retours en arrière. Dans ces cas-là, construire une BD c’est comme une enquête, c’est jubilatoire : on cherche le truc scénaristique qui va faire que tout se déroule, se met en place. On dit souvent dans les écoles de scénario qu’il faut commencer par la fin, ce n’est pas mon cas. Il m’arrive parfois de bloquer : j’ai toujours été fasciné par l’histoire du baron Empain, ce riche industriel kidnappé, qui après sa libération change du tout au tout et rompt avec son milieu d’origine. Mais je ne suis jamais parvenu à en faire une histoire.

 

Que peux tu dire sur tes personnages féminins et sur les Indiens ?

 

            Dans les mauvais westerns, les personnages féminins sont dominés. Dans mon album, ce ne sont pas elles qui ont le plus de place, même si elles comptent, car ce sont elles qui mènent le jeu. Mais finalement elles changent peu entre le début et la fin, alors que les deux cow-boys sont profondément transformés. Les deux sœurs jumelles ne m’ont pas posé de problème de cohérence : elles agissent comme bon leur semble, prenant un maximum de plaisir. Elles couchent avec les deux tueurs qui sont bien contents de l’aubaine. Dans ces scènes sexuelles, j’ai pensé aux Valseuses de Blier, notamment une scène avec Depardieu et Miou-Miou. Comme quoi les références se mélangent !

            En ce qui concerne les Indiens, dans ma BD ils sont dans leur réserve, déprimés. C’est la fin de la culture indienne, ils ne sont plus très nombreux, malades. J’ai voulu les représenter comme le serait actuellement un camp de gitans : ils sont vus par les Blancs dans mon album comme des voleurs, des feignants, toute une série de stéréotypes. C’est fini pour eux, ils n’ont plus vraiment de place. J’ai voulu que ce soit triste à ce niveau là. J’ai voulu aussi montrer la dimension de conquête et de mort des Blancs occidentaux. La culture occidentale a fait beaucoup de mal selon moi : le regard qu’elle pose sur l’autre est destructeur. Il y a un fond de racisme tout au long de l’album. Les Blancs ont toujours peur de l’autre dans cette BD : c’est le sauvage. J’ai voulu aussi évoquer, dans une sorte de clin d’œil, l’écologie, la consommation effrénée qui nous mène aujourd’hui dans le mur. Je pense qu’on vit la fin de l’empire américain, en quelque sorte ! J’ai forcé un peu le trait là-dessus avec la vision prophétique des Indiens sur le monde des Blancs. Ca m’est venu de textes indiens aussi, notamment Pieds sur la terre sacrée, un recueil de textes de personnalités indiennes. C’est très émouvant, ils comprennent que c’est fini pour eux. Ils ont l’impression qu’ils ne peuvent rien faire contre une culture de mort, mais ils en pressentent la part autodestructive. Je n’ai pas fait un pamphlet mais j’ai voulu finir sur un souffle un peu apocalyptique.

 

Comment travailles tu les dessins ?

 

            Je me suis beaucoup amusé à travailler à la plume. C’est très précis, on sent le papier. On ne peut pas se planter, il faut choisir, c’est différent du pinceau où on peut davantage rattraper. J’avais peur de cette précision de la plume pendant longtemps. Mais c’est très riche, en fait. On peut être davantage expressif dans le dessin, rendre ça vivant, dynamique. Je n’ai pas envie de faire des dessins réalistes, je veux des personnages libres, énergiques, proches de la caricature. Isabelle Merlet, qui a fait les couleurs, est parvenue à donner un côté un peu rétro avec des jaunes, des aplats, plus chaleureux que par ordinateur.

 

 

Propos recueillis par Sylvain Pattieu