Capitalisme, théorie des ondes longues et technologie contemporaine

Dans cet article, l’économiste marxiste François Chesnais revient sur la conception du capitalisme proposée par Ernest Mandel en termes d’ « ondes longues ». Inspiré notamment par Kondratieff et Schumpeter, Mandel montre que des « révolutions technologiques » ont à plusieurs occasions contribué à relancer l’accumulation au cours de l’histoire du capitalisme. Se penchant sur les effets économiques des innovations contemporaines, Chesnais soutient qu’elles ne sont pas comparables à ces phénomènes passés, et qu’il ne faut pas s’attendre à une nouvelle phase d’expansion du capitalisme technologiquement déterminée.

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En juillet-août 2007, sous la forme de la fermeture passée presque inaperçue de filiales de placement à très fort risque de grandes banques, commençait la crise économique et financière mondiale de 2007-2009, qu’on nomme aux Etats-Unis et dans les pays anglophones la Great Recession. Plus de douze ans plus tard, l’économie capitaliste mondiale ne connaît toujours pas une reprise de l’accumulation, mesurée grossièrement par le niveau du produit intérieur brut (PIB) mondial. Les Etats-Unis ont connu, à la différence de la très grande majorité des économies européennes et du Japon, une courte hausse cyclique qui a fait illusion mais qui prend fin.

De ce côté de l’Atlantique la contraction du produit PIB allemand sur deux trimestres est considérée comme le signe annonciateur d’une récession dans la principale économie de la zone euro[1]. La projection la plus récente du FMI confirme un mouvement de baisse du taux de croissance du PIB pour les économies du G7 qui n’est plus compensée par les pays émergents (Chine incluse). Les années 2012-2016, où ceux-ci entraînaient tant bien que mal la croissance mondiale, ne sont plus qu’un souvenir.

Cet article délaisse la finance et la financiarisation. Il visite la théorie des ondes longues, dont il a été très brièvement question dans un précédent article dans A l’Encontre[2], en se centrant sur la place qu’y occupe la technologie. Le but est d’apprécier en quoi les caractéristiques des technologies dominantes contemporaines de l’informatisation et l’automatisation (TIC) peuvent contribuer à comprendre le moment actuel du système capitaliste mondial. L’article procède à une relecture des deux principaux auteurs qui se sont saisis de la théorie des ondes longues, Joseph Schumpeter et dans le cadre marxiste Ernest Mandel.

Dans son livre de 1995 Long Waves of Capitalist Development, A Marxist Interpretation, Mandel s’est demandé comment il se faisait que les marxistes qui avaient été à l’origine de la théorie s’en étaient désintéressés ensuite laissant le champ libre aux néo-schumpetériens[3]. Le faible écho de la publication très tardive de ce livre en français sous le titre Les ondes longues du capitalisme[4], accompagné d’une longue postface de Michel Husson[5], n’a pas apporté de réponse à sa question.

Ceci n’est peut-être pas sans rapport avec le désintérêt des économistes marxistes pour la technologie, marqué aujourd’hui par la quasi-absence de travaux économiques sur l’informatisation et l’automatisation. J’ai trouvé un seul article récent en anglais[6]. En 2015, dans un article qui effleurait le sujet, Henri Wilno a parlé de la pertinence potentielle des travaux sur les ondes longues et conclut qu’un vaste programme de recherche était potentiellement ouvert[7]. Les références aux livres de Mandel y étaient trop brèves pour inciter les lecteurs à s’y plonger. Ici on en citera des passages longuement, ainsi que ceux des chercheurs-militants qui ont commenté la grande édition française du Troisième âge du capitalisme.

 

La théorie des ondes longues

Commençons par l’origine marxiste vigoureusement revendiquée par Mandel. Il n’est pas sûr que la théorie marxiste des ondes longues serait née sans les commentaires que Trotsky a été amené à faire en 1923 à propos des travaux de l’historien économique russe N.D. Kondratieff (victime plus tard de la grande Terreur stalinienne)[8]. Selon Kondratieff le mouvement du capitalisme comportait des grands cycles (qu’il a repérés statistiquement) d’une cinquantaine d’années, où la phase de contraction résultant de l’épuisement des forces qui avaient porté l’expansion précédente était nécessairement suivie d’une reprise, dont le caractère était en quelque sorte automatique. La thèse de Kondratieff avait des implications pour l’appréciation de la situation économique et donc politique mondiale des années 1920 et donc pour la stratégie de la IIIe internationale[9]. Suite aux travaux d’un militant russe de la Seconde internationale, Parvus[10], Trotsky accepte l’idée de cycles longs (qu’il nomme ondes longues) à deux phases, une phase d’expansion et une phase de contraction. Son apport est de soutenir que si les causes de la fin de l’expansion sont endogènes au mouvement d’accumulation du capital, le passage à une nouvelle longue phase expansive ne peut résulter que de facteurs externes. Dans une courte lettre de 1923, La courbe du développement capitaliste, il en énumère trois, l’acquisition de nouveaux pays et de continents, la découverte de nouvelles ressources naturelles ainsi que les guerres et les révolutions.

« En ce qui concerne les segments de la courbe capitaliste de développement que le professeur Kondratiev propose de désigner également comme des cycles, leur caractère et leur durée sont déterminés non par le jeu interne des forces capitalistes, mais par les conditions externes qui font le lit de leur développement. L’acquisition de nouveaux pays et continents, la découverte de nouvelles ressources naturelles et, dans leur sillage, les événements d’ordre “superstructurels” d’importance aussi essentielle que les guerres et les révolutions, déterminent le caractère et la succession des phases ascendantes, stagnantes ou déclinantes du développement capitaliste. (…) A l’heure actuelle, il est impossible de prévoir jusqu’à quel degré telle ou telle section de l’histoire sera illuminée, et quelles seront les lumières jetées, par une investigation matérialiste procédant d’une étude concrète de la courbe capitaliste et de l’interrelation de cette dernière avec tous les aspects de la vie sociale»[11].

L’idée que l’acquisition de nouveaux pays et continents soit «externe» au mouvement du capitalisme a été corrigée par Trotsky lui-même dans la préface à l’édition française de La révolution permanente. Il y insiste sur la nécessité imposée aux pays capitalistes de se tourner vers le marché extérieur : « L’évolution du capitalisme (…) s’est faite de toute nécessité par une extension systématique de sa base. Au cours de son développement et, par conséquent, au cours de la lutte contre ses propres contradictions intérieures, chaque capitalisme national se tourne de plus en plus vers les réserves du “marché extérieur”, c’est-à-dire de l’économie mondiale». Les poussées extérieures du 19e siècle ont été aussi bien transocéaniques (l’Angleterre vers l’Inde, l’Argentine, etc.) que continentales (la «frontière» étatsunienne). Il y a « les guerres et les révolutions » classées comme externes. Le cas le plus clair est la phase d’expansion provoquée par la Seconde guerre mondiale qui a débuté aux Etats-Unis en 1942 et dans les autres pays après 1945-48. Il y a enfin la découverte de nouvelles ressources naturelles que Mandel a étendue à juste titre aux innovations technologiques majeures même si elles ne figurent pas dans la liste de Trotsky.

Sur la base de ses travaux statistiques Kondratieff a proposé une périodisation du premier et du second cycle et de la phase ascendante du troisième qui a porté son nom. Elle a été acceptée avec de légères corrections par Schumpeter dans Business Cycles ainsi que par Ernest Mandel dans Le troisième âge du capitalisme[12] puis dans Les ondes longues du capitalisme[13]. Francisco Louça a proposé un moyen terme entre différentes périodisations dans le tableau suivant.

Source: Francisco Louça, Introduction à l’édition française de Les ondes longues du développement capitaliste, Syllepse 2014

Le point d’interrogation en bas de la colonne de droite correspond à la question posée par Mandel en 1995, à laquelle nous revenons plus loin : « si on peut déduire de la théorie des ondes longues qu’une nouvelle onde longue expansionniste succédera à l’actuelle longue dépression »[14]. Si l’on se tourne aujourd’hui vers les « facteurs externes » énumérés par Trotsky on ne voit pas lequel pourrait être à l’origine d’une cinquième onde. Dans les années 1990 la Chine a offert très passagèrement au capital une dernière frontière avant qu’elle ne se tourne à son tour vers le marché extérieur, en l’occurrence vers un marché mondial en très faible croissance, champ d’une concurrence exacerbée. Malgré les très grandes tensions au Moyen Orient, une guerre n’est pas à l’ordre du jour et sauf dérapage elle n’aurait en tout état de cause pas l’ampleur destructive pour propulser le début d’une nouvelle onde longue. Reste l’hypothèse explorée par Mandel qu’une « révolution technologique » pourrait éventuellement porter une phase d’expansion. La progression de l’automation l’a porté à répondre négativement et c’est plus vrai que jamais. Faisons d’abord un détour par Marx et par Schumpeter.

 

Marx : le « machinisme », de la science et la technologie à la formation d’un système technique pénétrant toutes les activités

Dans la première section du célèbre chapitre du livre premier du Capital sur le machinisme et la grande industrie on trouve une analyse de la genèse et puis de la « prise de pouvoir totale » d’un système technique qui peut aider à comprendre celle de l’informatique au cours des quatre-vingts dernières années. Je vais en commenter des extraits[15].

Marx souligne d’abord le rôle joué par la science et de technologie :

(….) les premiers éléments scientifiques et techniques (de la grande industrie) furent peu à peu développés pendant l’époque des manufactures. Les filatures par métiers continus (throstle mills) d’Arkwright furent, dès leur origine, mues par l’eau. Mais l’emploi presque exclusif de cette force offrit des difficultés de plus en plus grandes. Il était impossible de l’augmenter à volonté ou de suppléer à son insuffisance. Elle se refusait parfois et était de nature purement locale. Ce n’est qu’avec la machine à vapeur à double effet de Watt (double-acting steam-engine) que fut découvert un premier moteur capable d’enfanter lui-même sa propre force motrice en consommant de l’eau et du charbon et dont le degré de puissance est entièrement réglé par l’homme. Mobile et moyen de locomotion, citadin et non campagnard comme la roue hydraulique, il permet de concentrer la production dans les villes au lieu de la disséminer dans les campagnes. Enfin, il est universel dans son application tech­nique, et son usage dépend relativement peu des circonstances locales. Le grand génie de Watt se montre dans les considérants du brevet qu’il prit en 1784. Il n’y dépeint pas sa machine comme une invention destinée à des fins particulières, mais comme l’agent général de la grande industrie. Il en fait pressentir des applications, dont quelques-unes, le marteau à vapeur par exemple, ne furent introduites qu’un demi-siècle plus tard. Il doute cependant que la machine à vapeur puisse être appliquée à la navigation. Ses successeurs, Boulton et Watt, exposèrent au palais de l’industrie de Londres, en 1851, une machine à vapeur des plus colossales pour la navigation maritime.

Le second thème est celui de l’autonomisation de la machine :

Une fois les outils transformés d’instruments manuels de l’homme en instruments de l’appareil mécanique, le moteur acquiert de son côté une forme indépendante, complètement émancipée des bornes de la force humaine. La machine-outil isolée, telle que nous l’avons étudiée jusqu’ici, tombe par cela même au rang d’un simple organe du mécanisme d’opération. Un seul moteur peut désormais mettre en mouvement plusieurs machines-outils. Avec le nombre croissant des machines-outils auxquelles il doit simultanément donner la propulsion, le moteur grandit tandis que la transmission se métamorphose en un corps aussi vaste que compliqué.

Le système de machines proprement dit ne remplace la machine indépendante que lorsque l’objet de travail parcourt successivement une série de divers procès gradués exécutés par une chaîne de machines-outils différentes mais combinées les unes avec les autres. (…) Les outils spéciaux des différents ouvriers dans une manufacture de laine par exemple, ceux du batteur, du cardeur, du tordeur, du fileur, etc., se transforment en autant de machines-outils spéciales dont chacune forme un organe particulier dans le système du mécanisme combiné.

Ainsi émerge le « grand automate » :

Un système de machinisme forme par lui-même un grand automate, dès qu’il est mis en mouvement par un premier moteur qui se meut lui-même. Le système des machines-outils automatiques recevant leur mouvement par transmission d’un automate central, est la forme la plus développée du machinisme productif. La machine isolée a été remplacée par un monstre mécanique qui, de sa gigantesque membrure, emplit des bâtiments entiers. Sa force démoniaque, dissimulée d’abord par le mouvement cadencé et presque solennel de ses énormes membres, éclate dans la danse fiévreuse et vertigineuse de ses innombrables organes d’opération.

Le système «devient objectif, c’est-à-dire émancipé des facultés individuelles de l’ouvrier; le procès total est considéré en lui-même, analysé dans ses principes constituants et ses différentes phases, et le problème qui consiste à exécuter chaque procès partiel et à relier les divers procès partiels entre eux, est résolu au moyen de la mécanique, de la chimie, etc., ce qui n’empêche pas naturellement que la conception théorique ne doive être perfectionnée par une expérience pratique accumulée sur une grande échelle. »

La dépendance initiale des capitalistes à l’égard des ouvriers spécialisés

Les grandes inventions de Vaucanson, d’Arkwright, de Watt, etc., ne pouvaient être appliquées que parce que la période manufacturière avait légué un nombre considérable d’ouvriers mécaniciens habiles. (….) A part la cherté des machines fabriquées de cette façon et cela est affaire du capitaliste industriel – le progrès d’industries déjà fondées sur le mode de production mécanique et son introduction dans des branches nouvelles, restèrent tout à fait soumis à une seule condition, l’accroissement d’ouvriers spécialistes dont le nombre, grâce à la nature presque artistique de travail, ne pouvait s’augmenter que lentement.

Il fallait s’en affranchir :

Les dimensions croissantes du moteur et de la transmission, la variété des machines-outils, leur construction de plus en plus compliquée, la régularité mathématique qu’exigeaient le nombre, la multiformité et la délicatesse de leurs éléments constituants à mesure qu’elles s’écartèrent du modèle fourni par le métier et devenu incompatible avec les formes prescrites par leurs fonctions purement mécaniques, le progrès du système automatique et l’emploi d’un matériel difficile à manier, du fer, par exemple, à la place du bois – la solution de tous ces problèmes, que les circonstances faisaient éclore successivement, se heurta sans cesse contre les bornes personnelles dont même le travailleur collectif de la manufacture ne sait se débarrasser. En effet, des machines, telles que la presse d’impression moderne, le métier à vapeur et la machine à carder, n’auraient pu être fournies par la manufacture.

Puis il y a le thème du processus obligatoire de la diffusion :

Le bouleversement du mode de production dans une sphère industrielle entraîne un bouleversement analogue dans une autre. On s’en aperçoit d’abord dans les branches d’industrie, qui s’entrelacent comme phases d’un procès d’ensemble, quoique la division sociale du travail les ait séparées, et métamorphosé leurs produits en autant de marchandises indépendantes. C’est ainsi que la filature mécanique a rendu nécessaire le tissage mécanique, et que tous deux ont amené la révolution mécanico-chimique de la blanchisserie, de l’imprimerie et de la teinturerie. De même encore la révolution dans le filage du coton a provoqué l’invention du gin pour séparer les fibres de cette plante de sa graine, invention qui a rendu possible la production du coton sur l’immense échelle qui est aujourd’hui devenue indispensable.

La révolution dans l’industrie et l’agriculture a nécessité une révolution dans les conditions générales du procès de production social, c’est-à-dire dans les moyens de communication et de transport. (Ceux-ci) étaient complètement insuffisants pour subvenir aux besoins de la production manufacturière, avec sa division élargie du travail social, sa concentration d’ouvriers et de moyens de travail, ses marchés coloniaux, si bien qu’il a fallu les transformer. (…) les moyens de communication et de transport légués par la période manufacturière devinrent des obstacles insupportables pour la grande industrie avec la vitesse fiévreuse de sa production centuplée, son lancement continuel de capitaux et de travailleurs d’une sphère de production dans une autre et les conditions nouvelles du marché universel qu’elle avait créé. (…) le service de communication et de transport fut peu à peu approprié aux exigences de la grande industrie, au moyen d’un système de bateaux à vapeur, de chemins de fer et de télégraphes. Les masses énormes de fer qu’il fallut dès lors forger, braser, trancher, forer et modeler exigèrent des machines monstres dont la création était interdite au travail manufacturier.

Telle est sous l’appellation de révolution industrielle, la révolution technologique correspondant au premier cycle Kondratieff et à la première onde du tableau de Louça.

 

Schumpeter : l’innovation et non la science et la technologie comme force motrice des cycles longs

La première formulation du rapport entre technologie et cycles longs est Schumpeter. Dans le gros livre Business Cycles qu’il publie en 1939, il fait des cycles longs un élément central de sa théorie du développement du capitalisme en longue période ou théorie de l’évolution (titre de son premier livre de 1912[16]) Il cherche l’appui de Marx: « nous tenons (à cet égard tout à fait d’accord avec Marx) que le progrès technologique est de l’essence même de l’entreprise capitaliste et ne peut donc pas en être séparé »[17]. A la différence qualitative près que Marx a examiné le progrès technique en relation avec la production de la plus-value et vu dans le machinisme « la capture de l’ensemble des sciences au service du capital »[18], alors que Schumpeter introduit une distinction forte entre l’innovation et l’invention, allant jusqu’à écrire qu’il « est absolument indifférent qu’une innovation implique ou non une nouveauté scientifique. Bien que la plupart des innovations puissent être attribuées à une certaine conquête dans le domaine des connaissances théoriques ou pratiques, il y en a beaucoup qui ne le peuvent pas »[19]. Ecrivant en 1939 il aurait fallu surtout parler de celles pour lesquelles c’est le cas. C’était le moment où les grandes percées scientifiques des années 1900-1910 (la relativité générale d’Einstein et la physique quantique de Max Planck) trouvaient leur application en Allemagne et aux Etats-Unis dans le domaine militaire aboutissant à la fission nucléaire.

La définition de l’innovation de Schumpeter est très large, puisqu’elle inclue « les changements technologiques dans la production de produits déjà utilisés (c’est moi qui souligne), l’ouverture de nouveaux marchés ou de nouvelles sources d’approvisionnement, la taylorisation du travail, l’amélioration de la manutention des matériaux, la création de nouvelles organisations commerciales telles que les grands magasins, bref, toute “façon de faire différente” dans le domaine de la vie économique »[20]. Le rapport de ces formes de changement avec les cycles Kondratieff tient en ce qu’elles ne restent pas des événements isolés et ne sont pas réparties uniformément dans le temps. Elles « ont tendance à venir en grappes, (deux mots sont employés, cluster et bunch) d’abord parce que certaines, puis la plupart, des entreprises suivent dans le sillage d’innovations réussies ; ensuite parce que les innovations ont tendance à se concentrer dans certains secteurs et leur proximité.»[21] Les séries statistiques qui servent à corroborer en les corrigeant un peu la périodisation de Kondratieff, privilégient nettement les Etats-Unis et il en va de même des innovations étudiées. Ainsi la construction des chemins de fer, qui en s’étendant sur un cycle et demi (soit quelque quatre-vingts ans) perd sa qualité d’innovation – au sens de nouveauté – pour conserver celle de vecteur de très importants investissements servant en quelque sorte d’épine dorsale de l’accumulation étatsunienne sur une très longue période. De même, si aux Etats-Unis l’introduction de la taylorisation du travail date du troisième Kondratieff, il faut attendre après la seconde guerre mondiale, soit le quatrième pour que son adoption se fasse en Europe. Les effets de grappe doivent se faire sur une échelle telle que « les perturbations (disturbances) sont “importantes” (big), en ce sens qu’elles perturbent le système existant, ne peuvent pas être absorbées en douceur et entraînent un processus spécifique d’adaptation »[22]. Les perturbations auxquels la société est forcée de s’adapter sont pilotées par les industriels qui en bénéficient : « la voiture n’aurait jamais acquis son importance actuelle et devenue un “réformateur” de la vie quotidienne si elle était restée ce qu’elle était il y a trente ans et si elle n’avait pas réussi à façonner les conditions environnementales — les routes, entre autres — nécessaires pour son propre développement»[23].

Soulignons que Schumpeter à l’instar de ce qu’écrira Mandel plus tard insiste qu’il «est de la plus haute importance d’être parfaitement maîtres de l’histoire économique de l’époque, du pays ou de l’industrie (….) avant de tirer une inférence du comportement des séries chronologiques. L’histoire générale (sociale, politique et culturelle), l’histoire économique, et plus particulièrement l’histoire industrielle sont non seulement indispensables, mais en réalité les plus importants contributeurs à la compréhension de notre problème. Tous les autres matériaux et méthodes, statistiques et théoriques, ne sont que soumis à eux et pire qu’inutile sans eux »[24]. C’est ainsi que Schumpeter désigne le premier [cycle de] Kondratieff du nom de « bourgeois » en ce que « les intérêts et les attitudes des classes industrielles et commerciales ont contrôlé les politiques et toutes les expressions culturelles plus que pour aucune période antérieure ou ultérieure »[25]. « L’étiquette » néo-mercantiliste est utilisée pour caractériser le second Kondratieff qui voit des « changements de deux types : l’un représenté par des symptômes tels que la recrudescence de la protection (aux Etats-Unis le Dingley tariff de 1897) et l’augmentation des dépenses d’armement, l’autre par des symptômes tels que le nouvel esprit de la législation fiscale et sociale (en Allemagne les assurances sociales ont atteint 1,1 billion de marks en 1913), la marée montante de la politique, radicalisme et socialisme, la croissance et l’évolution des attitudes du syndicalisme, etc.»[26] Schumpeter n’a pas trouvé de nom pour le troisième Kondratieff (la troisième onde longue dans le tableau de Louça).

 

Les technologies porteuses de la seconde révolution industrielle

Sans prendre position sur la théorie de Schumpeter, l’économiste historien Robert Gordon a travaillé dans son sillon. Il a étudié dans le cas des Etats-Unis les technologies qui sont nées dans la phase déclinante de la seconde onde du tableau de Louça avant de se déployer tout au long de la troisième. Il a d’abord publié une étude retentissante pour le National Bureau of Economic Research sur le fléchissement de l’innovation étatsunienne[27], avant d’en faire un livre[28]. Il a ensuite synthétisé les conclusions de ses recherches dans une nouvelle étude de réponse aux critiques qu’il a reçues[29]. Elle contient une partie sur la seconde révolution industrielle et une autre sur la troisième, celle actuellement en cours des technologies de l’informatique et de la communication (TIC). Avec des décalages temporels et des spécificités nationales son analyse vaut pour les pays d’Europe occidentale.

Pour Gordon « les trois “technologies à usage général” les plus fondamentales de la seconde révolution industrielle qui ont fait naître des dizaines d’inventions qui ont changé la vie » ont été l’électricité, le moteur à combustion interne et le téléphone sans fil. Edison produisait la première ampoule électrique en 1879 et distribuait l’électricité à des clients dans le Bas Manhattan en 1882, une révolution qui rendait possible les ascenseurs, les bâtiments de grande hauteur, les outils électriques fixes et portables, les appareils ménagers, mais aussi la climatisation qui ont transformé la vie et le travail des Américains. Karl Benz produisait le premier moteur à combustion interne fiable en Allemagne, son premier brevet datant de 1886, la première usine étatsunienne Oldsmobile ouvrant en 1896. Enfin le téléphone sans fil inventé en 1879 par un Anglais du nom de Hughes, mais breveté par Marconi à partir de 1897 permit aux Etats-Unis d’être reliés à l’Europe en 1901.

Aux Etats-Unis l’électricité a eu peu d’impact avant 1900, sauf dans les grands magasins. Mais après 1900, l’utilisation de l’électricité a décollé à une telle vitesse qu’en 1929, pratiquement toutes les habitations urbaines étaient connectées à l’électricité. Le premier gratte-ciel (Woolworth) a été terminé en 1913 et la majeure partie de Manhattan était devenue verticale en 1929. Entre 1890 et 1930, les ménages américains ont bénéficié progressivement de l’électricité, du gaz, du téléphone, de l’eau courante et des conduites d’égout. L’eau courante et les égouts ont contribué à la première phase de la libération des femmes, mais ont également permis la baisse de la mortalité infantile dans la première moitié du XXe siècle. Dans le cas de l’automobile, il y a eu une période de gestation le temps que des inventions permettent de combiner la puissance du moteur à combustion interne avec la structure initiale fragile inspirée des voitures tirées par cheval en développant les transmissions, les freins et d’autres composants essentiels. Partant de zéro en 1900, en 1929 le rapport des véhicules automobiles au nombre de ménages américains avait atteint 89 pour cent. La même année 93% des agriculteurs de l’Iowa possédaient un véhicule à moteur. Il ne faut pas oublier le rôle de la Seconde Guerre mondiale, Gordon souligne les effets « d’apprentissage à haute intensité par la pratique » des dépenses militaires. La Seconde Guerre mondiale a donné aux Etats-Unis leur premier avion à réaction (le Bell P-59), la pénicilline produite industriellement et l’énergie nucléaire. Plus important encore, des usines comme les chantiers navals d’Henry Kaiser ont appris aux managers et aux ouvriers comment accélérer radicalement la production.

Selon Gordon trois aspects de la deuxième révolution industrielle sont à souligner. Le premier est sa nature multidimensionnelle. Contrairement dit-il au caractère unidimensionnel de la révolution des TIC (examinée plus loin), les innovations de la deuxième révolution industrielle se sont ajoutées les unes aux autres: l’électricité et ses retombées; l’eau courante et les égouts; les véhicules automobiles et leurs inventions complémentaires telles que les autoroutes, les déplacements personnels et les supermarchés; les divertissements du phonographe à la radio, à la télévision et au cinéma; la santé publique et réduction de la mortalité; et une révolution dans les conditions de travail qui a éliminé le travail des enfants et changé la vie au travail de travail de quelque chose de brutal et court à quelque chose de moins physiquement exigeant, au moins dans la forme. Le deuxième aspect notable est que tout s’est passé tout à la fois. Lorsque toutes ces transformations sont superposées les unes sur les autres, elles existaient à peine en 1880 mais étaient presque terminées en Amérique urbaine en 1929. Le troisième aspect est que jusqu’en 1972 le progrès économique a consisté principalement dans la consolidation des aspects incomplets de la deuxième révolution industrielle au moyen de nombreuses inventions subsidiaires et complémentaires: diffusion d’appareils ménagers dans les années 1950, invention de la télévision pour compléter la radio et le cinéma, extension de la climatisation du cadre commercial au cadre résidentiel, construction du réseau routier inter-États entre 1958-72, et enfin développement du transport aérien civil de son aire initiale minuscule en 1940 à son usage professionnel et personnel se terminant par le plein équipement en avions à réaction de l’aviation civile que Gordon place en 1972.

 

Les révolutions technologiques dans Le troisième âge du capitalisme

L’association étroite des ondes longues avec les changements technologiques majeurs dans le cadre théorique marxiste est le fait de Mandel. Il endogènise à l’instar de Trotsky leur phase de contraction et ajoute dans les facteurs de reprise et d’expansion les changements scientifiques et technologiques. Dans leur postface au Troisième âge, Jésus Albarracin et Pedro Montes ont écrit que son travail sur les ondes longues peut être considéré comme le « principal apport de Mandel au marxisme contemporain »[30]. On trouve chez Engels et plus tard les grands théoriciens révolutionnaires des années 1910-1925, le constat de changements de période ou de phase : celle des années 1880-1890 commentée par Engels avec le rôle majeur joué par les communications dans l’extension du marché mondial; celle du passage du capitalisme de libre concurrence à celui des monopoles dont Lénine a formulé les traits dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Selon Albarracin et Montes l’apport de Mandel tient à ce qu’il offre une solution au problème théorique suivant :

« dans la littérature marxiste traditionnelle, la dynamique du capitalisme se trouvait définie par deux mouvements différents. D’un côté, le cycle vital en tant que régime social, déterminé par les lois de développement du mode de production (croissance de la composition organique du capital, formation de l’armée de réserve industrielle, chute tendancielle du taux de profit, progrès technologique). De l’autre, les mouvements à court terme, déterminés par les crises périodiques. Pour Marx, les deux mouvements n’étaient pas indépendants et, surtout, ne pouvaient se concevoir comme des phénomènes mécaniques. À long terme, la chute du taux de profit était inévitable, mais une série de facteurs (l’augmentation du taux d’exploitation, l’impérialisme, l’augmentation de la vitesse de rotation du capital, etc.) pouvait contrecarrer cette chute pendant un certain laps de temps, de sorte que les lois de développement capitaliste ne pouvaient être utilisées telle une “pierre philosophale” pour comprendre le capitalisme à chaque période historique. (….) Il n’était donc pas possible de formuler une “théorie générale des crises industrielles périodiques” servant aussi bien pour le capitalisme de la première moitié du XIXe siècle, par exemple, que pour celui postérieur à la Seconde Guerre mondiale »[31].

Comme chez Schumpeter, l’analyse de Mandel part du cycle décennal avec ses crises assez régulières attribuées par Marx pour partie à la durée de vie moyenne des machines. Le degré de sévérité de ces crises va dépendre de la phase dans laquelle elles se produisent du mouvement plus long, celui de longues ondes dont la phase d’expansion se présente comme « une période d’accumulation du capital brusquement accélérée » qui suit « une période d’innovation technique radicale »[32]. Ainsi « l’histoire du capitalisme apparaît non seulement comme une succession de cycles industriels de 7-10 ans, mais aussi de périodes plus longues de cinquante ans » dont la chronologie est montrée dans le tableau de Louça. Elles correspondent chacune à une « révolution technologique »: la révolution industrielle marquée par le remplacement de l’énergie hydraulique par la machine à vapeur; la révolution technologique du moteur à vapeur produit mécaniquement (les machines-outils); la révolution technologique de la chimie, de l’électricité et du moteur à explosion; enfin la révolution technologique en cours au moment où Mandel écrit (qu’il nomme la troisième) de « la commande généralisée au moyen de machines à appareillage électronique »[33].

A chaque période, la révolution technologique qui commence va provoquer une « hausse soudaine du taux de profit due à quatre causes dans diverses combinaisons : baisse soudaine de la composition organique moyenne du capital; élévation soudaine du taux de plus-value suite à une défaite radicale de la classe ouvrière; baisse soudaine du prix de certains éléments du capital constant ; raccourcissement soudain du cycle de renouvellement du capital constant»[34]. Le passage de la phase d’expansion à la phase de contraction se fait au moment où la hausse de la composition organique du capital conduit à la baisse du taux de profit moyen, puis de l’investissement. Le « sous-investissement » qui suit a pour conséquence « la mise en jachère du capital » auquel il sera fait appel lorsque la révolution technologique suivante commence. Mandel n’envisage pas que le capital en jachère soit capté par les banques et que l’accumulation financière se dresse bientôt contre l’accumulation réelle. Il ne mesure pas les conséquences de l’endettement du Tiers monde à partir de 1978. Il faut attendre la postface d’Albarracin et Montes dans l’édition de 1997 du Troisième âge du capitalisme pour qu’il soit question de « l’hypertrophie financière »[35].

En revanche consacrer dès 1972 un chapitre entier à la pénétration dans la production de « la commande généralisée au moyen de machines à appareillage électronique », de « procès de production actionnés sans l’intervention de la main de l’homme »[36], soit l’automation dans ses formes initiales, était le fait de quelqu’un qui suivait l’évolution des technologies de très près. Analysant les traits de la « troisième révolution technologique », Mandel montre que les processus informatisés ont leur origine dans le secteur militaire, d’une part le nucléaire où « ils prennent la forme d’une nécessité physiologique absolue », de l’autre la défense aérienne qui exige « l’accumulation de données pour en tirer des conclusions quasi instantanées »[37]. Aux Etats-Unis puis ensuite en Europe et au Japon l’application industrielle du « traitement électronique des données » a été introduite dans l’industrie chimique puis dans un nombre croissant d’industries dans lesquelles la réduction des coûts salariaux directs par « élimination radicale du travail vivant du procès de production est devenue pour le capital un objectif central ». Ainsi General Motors a commencé à utiliser des robots dans ses usines dès 1961.

Il n’est pas possible de parler ici de l’ensemble des traits et conséquences de la troisième révolution technologique identifiés par Mandel. Je suis obligé de renvoyer les lecteurs au livre. Mais il y a une dimension qui lui semble d’une telle importance qu’il en parle en 1981 dans sa préface à l’édition anglaise du livre III du Capital : « l’extension de l’automatisation au-delà d’un seuil donné conduit, inévitablement, d’abord à une baisse du volume total de la valeur produite, puis à une baisse du volume total de la plus-value produite. » Il en tire des conclusions extrêmement pessimistes : « La barbarie, comme résultat possible de l’effondrement du système, est aujourd’hui une perspective beaucoup plus concrète et précise qu’elle ne l’était dans les années vingt et trente. Même les horreurs d’Auschwitz et d’Hiroshima apparaîtront légères par rapport aux horreurs avec lesquelles une dégradation continue du système confrontera l’humanité. Dans ces circonstances, la lutte pour une issue socialiste prend l’importance d’une lutte pour la survie même de la civilisation humaine et de la race humaine.»[38]

 

Les ondes longues du capitalisme : informatisation, automatisation, croissance et profit

Dans le livre de 1995 (qui paraît en français en 2015) Mandel poursuit l’analyse des effets de l’informatisation et de l’automatisation (qu’il nomme le robotisme) en posant les questions de façon moins dramatique. Il se demande si « malgré le déclin historique du système capitaliste, celui-ci peut encore répéter son “miracle” de 1940(48) et, après une longue période de “nettoyage” au long des années 1970, 1980 et 1990, ouvrir une nouvelle période d’expansion accélérée comparable à celle de la période 1893-1913, si ce n’est celle de la période 1948-1968 ? » Ou au contraire si « l’explosion violente (que Mandel situe lors de la crise en deux temps des années 1970) des contradictions internes du mode de production capitaliste après une longue période au cours de laquelle elles ont été réprimées implique que la nouvelle longue vague de stagnation relative ou de faible croissance est là pour rester pour une période indéterminée »[39]. La réponse est oui : les chiffres étatsuniens dont la fiabilité est supérieure à tous les autres, montrent que c’est bien le cas. La phase descendante de la quatrième onde du tableau 1 commence en 1978. La baisse du rythme de l’accumulation exprimée approximativement par le taux de croissance est d’abord contrecarrée par les mesures coordonnées par Paul Volker en 1980-1982 avant qu’un rythme de 5% ne s’installe, malgré les effets d’entraînement des investissements directs à l’étranger des groupes industriels et commerciaux étatsuniens en Chine, malgré les investissements liés à la « nouvelle économie », et malgré le recours massif à l’endettement qui a permis de repousser la crise jusqu’en 2007-2008. Dix ans après la fin de la Great Recession, telle que la comptabilité nationale étatsunienne la définit le taux croissance dépasse tout juste les 4%.

Figure 2 Taux de croissance du PIB des Etats-Unis 1930-2017

Source: https://www.multpl.com/us-gdp-growth-rate

Dans le récapitulatif théorique placé au début du livre de 1995, Mandel écrit qu’une « véritable révolution technologique implique une refonte radicale des techniques de base dans tous les domaines de la production et de la distribution capitalistes, y compris les transports et les télécommunications »[40]. Comme on l’a vu plus haut cette refonte a commencé dès les années 1940. Ce qui débute en 1995 est « un nouveau bond en avant qualitatif dans l’automatisation (c.-à-d., une transition massive de semi-automatisation à l’automatisation) » ajoutant que « de même les techniques de génie génétique peuvent conduire à des innovations radicales dans l’agriculture, la pharmacie, l’équipement scientifique, et une vingtaine d’autres branches de l’industrie. » Son hypothèse est la suivante :

« une substitution radicale des machines pour les hommes (la nouvelle vague d’automatisation peut être qualifiée de « robotisme ») impliquerait presque inévitablement une réduction massive de l’emploi productif total. Une telle réduction radicale du travail productif impliquerait très probablement une forte baisse de la masse de la plus-value, même si une nouvelle progression de la productivité du travail et une tendance à la stagnation ou même à la baisse des salaires réels devraient fortement augmenter le montant de la plus-value relative (la fraction de la semaine de travail totale au cours de laquelle les travailleurs produisent l’équivalent des biens qu’ils achètent avec leur salaire). Dans de telles conditions, une augmentation du taux de la plus-value ne peut être que relative, en aucun cas proportionnelle aux nouvelles dépenses énormes nécessaires au financement du robotisme. Le taux de profit ne subirait pas une forte augmentation », mais pour les travailleurs

« le résultat global d’un bond qualitatif en avant dans l’automatisation (en fait, la transition de semi-automatisation à l’automatisation) serait une augmentation radicale du chômage permanent, (…) l’application généralisée des micro-processeurs serait la suppression radicale des emplois dans le travail de bureau, l’administration, les télécommunications, et même l’enseignement. Des professions entières comme celles des comptables, des concepteurs techniques et des employés de banque seraient dévastées sinon complètement supprimées ».[41]

Voyons ce qu’il en a été d’abord de la progression de l’automatisation et de la destruction d’emplois et ensuite de l’évolution du taux de profit. L’une des premières études menée par deux chercheurs de l’université d’Oxford en 2013[42] estimait que 47% des métiers aux États-Unis pourraient être exercés par des machines automatisées. Cette étude a été suivie de nombreuses autres. Les conclusions diffèrent un peu de l’une à l’autre mais vont toutes dans le même sens. Le rythme en est plus lent qu’un « bond en avant qualitatif ». L’étude publiée en 2017 par McKinsey estime que 55% des emplois japonais, 46% des emplois étatsuniens et 46% des emplois des cinq plus grandes économies européennes disparaîtront en raison de l’informatisation du travail d’ici à 2030[43]. La plus récente et la plus conservatrice est celle publiée par l’OCDE en avril 2019, où l’informatisation et la robotisation feraient disparaître 14% des emplois d’ici à vingt ans. L’OCDE définit les emplois à « haut risque d’automatisation » (en jaune dans la figure 4) comme ceux qui ont au moins 70% de chances d’être robotisés. Les emplois encourant un risque de « changement significatif » sont ceux qui ont entre 50 et 70% de chances d’être automatisés. Les principaux secteurs d’emploi concernés sont ceux que l’OCDE définit comme « moyennement qualifiés, dont la nature routinière rend assez facile la codification en une série d’instructions qu’une machine peut accomplir ». Autrement dit, les ouvriers qualifiés, opérateurs de machines, travailleurs sur des chaînes d’assemblage, ou encore les salariés remplissant des tâches de secrétariat.

Figure 3: Effets de l’automatisation des emplois dans les pays de l’OCDE

L’étude de l’OCDE comprend aussi la figure suivante sur la production (ce qui signifie aussi l’utilisation) de robots industriels. La croissance en a été très lente avant de s’accélérer d’abord en 2011 et surtout à partir de 2014.

Figure 4: Nombre de robots industriels produits annuellement, en milliers d’unités (2000-2017)

La question du rythme du mouvement de robotisation est abordée par Moody[44]. Je la développe plus pleinement : la décision d’une entreprise de recourir aux robots dans ses usines, ou dans les secteurs de services d’introduire des techniques informatisées très performantes et donc de réduire le nombre de ses salariés dépend d’un ensemble de facteurs : le niveau des salaires, l’intensité de la concurrence, la profitabilité escomptée de l’investissement. Ces facteurs sont façonnés par la mondialisation du capital. Ainsi il peut être plus avantageux pour une entreprise de délocaliser une usine vers un pays à bas salaire plutôt que d’y investir en robots. De même l’accentuation de la précarisation du travail avec ses effets sur les salaires est de nature à ralentir l’informatisation de certains emplois de service.

Les effets sur le taux de profit du recours déjà fait aux processus informatisés et automatisés sont de nature à ralentir la progression de leur adoption. En revenant au schéma théorique de Mandel, la progression de l’informatisation et de l’automation donne en tendance 1) une hausse de la composition organique moyenne du capital; 2) une hausse effective du taux de plus-value suite à la mondialisation de l’armée de réserve industrielle suite à la mondialisation et déréglementation du capital; 3) une baisse du prix d’éléments du capital constant et 4) un raccourcissement du cycle de son renouvellement. Il se peut que les derniers ne contrecarrent pas à eux trois les effets de la hausse de la composition organique.

Husson a sa propre façon de mesurer le taux de profit et de conclure à sa hausse[45]. Ici comme dans Finance Capital Today je me rangerai du côté des économistes anglophones, dont Michael Roberts (jugé sévèrement par Wilno dans l’article de 2015) à qui est empruntée la figure suivante.

Figure 5: Mouvement du taux de profit aux Etats-Unis (ensemble de l’économie 1949-2015)

Pour reprendre le commentaire de Roberts sur cette figure, « le taux de profit correspond à la formule de Marx s/c+v, soit la plus-value rapportée au capital constant et au capital variable, le capital constant étant mesuré aux prix historiques et aux prix courants. La période comporte quatre phases : l’âge d’or de l’après seconde guerre mondiale qui atteint son zénith en 1965; la crise de profitabilité des années 1970 qui atteint son point le plus bas en 1980-1982; puis la période néolibérale de récupération et de stabilisation de la profitabilité; enfin la période encore en cours de volatilité et légère baisse». Le grand inconvénient du taux de profit moyen est de cacher l’écart qui s’est creusé entre la profitabilité des entreprises prises dans leur ensemble et celle des groupes cotés en bourse au Standard & Poor 500, qui bénéficient d’être à la fois en position de commandement dans les chaînes de valeur mondiales et en mesure de placer les profits non-réinvestis avantageusement sur les marchés financiers. Ces groupes sont eux-mêmes hiérarchisés. Ainsi en 1975 les cent premiers groupes cotés au Standard & Poor 500 distribuaient 50,1% du total des dividendes et en 2015 68,7%[46].

Roberts est le seul à proposer une estimation du mouvement de la composition organique du capital. Dans la figure 6 ce sont les estimations pour les deux dernières sous-périodes qu’il faut comparer. Les estimations tendent à corroborer la position de Mandel à laquelle Roberts ne fait pas référence.

Figure 6: Mouvement de la compoition organique aux Etats-Unis (1946-2015)

(OCC = composition organique du capital, ROSV = taux de plus-value, ROP = taux de profit)

 

La « troisième révolution industrielle » et la productivité

Il est crucial de bien distinguer la profondeur de la pénétration de l’informatique sous la forme du recours à des logiciels de plus en plus performants et l’effet qu’elle a sur la reproduction élargie et la croissance mondiales. Sous le titre « maîtres du monde », l’édition du 5 octobre 2019 de l’hebdomadaire de la City The Economist s’inquiète du rôle qui sera bientôt prépondérant des logiciels dans les décisions de placement financier sur un nombre croissant de marchés. Mais en même temps le taux de croissance du PIB est atone. A la fin des années 1980, l’économiste américain très connu Robert Solow a déclaré qu’on « voit des ordinateurs partout, sauf dans les indicateurs de productivité », remarque connue ensuite du nom de « paradoxe de Solow ». L’accélération de la croissance lors de la « nouvelle économie » de la seconde moitié des années 1990 lui a apporté un démenti provisoire, mais ensuite les chiffres lui ont donné raison. La figure 7 portant sur cinq pays montre comment la croissance cesse aux alentours de 2004 sauf pour la Corée du Sud. Deux plateaux se succèdent, le premier jusqu’en 2007 pour les quatre « vieux pays industriels », le second situé plus bas que le premier après 2008 pour tous les pays y compris la Corée.

Figure 7 : Un moteur de croissance crachotant

Source: Noah Smith https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2018-12-04/maybe-we-have-the-economic-growth-equation-backward

Patrick Artus a exprimé la perplexité partagée par beaucoup : « On ne comprend pas bien pourquoi, malgré le développement du digital, l’effort de recherche et d’innovation, les gains de productivité diminuent et la croissance de long terme devient donc faible, bref on ne sait plus analyser la situation à long terme des économies »[47]. Précisons que le taux de productivité dépend du montant de travail employé, du montant investi en machines et en équipements informatiques ainsi que d’un facteur dit « résiduel » résultant de l’efficacité avec laquelle travail et capital physique combinés sont employés. On doit encore une fois à Roberts une figure qui montre cette décomposition pour différentes sous-périodes aux Etats-Unis, dont la dernière qui voit une chute spectaculaire de la productivité.

Figure 8: États-Unis, contribution à la production hors agriculture des trois composantes

Dans son analyse de « la troisième révolution industrielle » Gordon en donne pour les Etats-Unis une explication que je résume ici[48]. La croissance de la productivité de la seconde moitié des années 1990 a été une parenthèse due à une baisse sans précédent et jamais répétée du coût de la vitesse et de la capacité de mémoire des ordinateurs, ainsi qu’à une augmentation jamais égalée de la part du PIB consacrée à l’investissement dans les TIC. Celle-ci a diminué avec le krach boursier de 2000-2002, mais la croissance de la productivité a continué à être forte jusqu’en 2004 en raison du décalage entre la production et l’achat d’équipements informatiques et la courbe d’apprentissage permettant de les utiliser de manière efficace et productive[49]. L’effet Internet des années 1996-2004 n’a donc donné qu’un coup de pouce temporaire à la croissance de la productivité. La crise de 2007 ouvre la période de forte baisse calculée par Roberts. Les technologies introduites – depuis le bond en avant de la miniaturisation (micropresseur) et des volumes de calcul et de transfert de données –  au cours des années 1980 du Troisième âge intègrent 1) l’ordinateur personnel avec ses multiples possibilités, 2) la numérisation de codes-barres, 3) les guichets automatiques bancaires, 4) la télévision par câble et par satellite, 5) l’Internet, le courrier électronique, la communication sur le Web, 6) le e-commerce (avec ses effets sur de multiples systèmes de distribution), les divers réseaux sociaux, 7) les téléphones mobiles, les téléphones intelligents, 8) les divers systèmes de réservation en ligne, de gestion des chaînes d’approvisionnement, les multiples plateformes de mise en relation (du taxi à la livraison de repas en passant par des pans de l’administration dite publique, y compris les catalogues numérisés des bibliothèques).

Autant de technologies dont les effets macroéconomiques sont difficiles à dépasser. Les controverses sur l’impact des nouvelles avancées portent sur les petits robots, l’intelligence artificielle, l’impression 3D et les véhicules sans conducteur. La mise sur le marché aux Etats-Unis d’un petit robot bon marché $25,000 (le Baxter) a fait grand bruit. La position de Gordon sur les robots est la même que celle des études citées plus haut. Ce sera un processus long et graduel avant que les robots, en dehors de secteurs manufacturiers (le lien entre l’automatisation de la génomique et la pharma ne doit pas être exclue de ce secteur au sens large) et les entrepôts de groupes comme Amazon, remplacent l’emploi dans les secteurs des services ou de la construction.

L’impression 3D est une innovation qui vaut pour des opérations ponctuelles, telles que la production d’une couronne dans un cabinet dentaire au lieu d’avoir à envoyer un moule à un spécialiste externe. L’impression 3D relève de la production personnalisée plutôt que la production de masse. Elle peut accroître la productivité dans les laboratoires de conception qui créent des modèles de nouveaux produits, mais elle n’aura pas d’incidence macroéconomique. Pour ce qui est du Big Data la plupart des usages sont des jeux à somme nulle. La quantité de données électroniques augmente de façon exponentielle depuis des décennies. Mais le net ralentissement de la croissance de la productivité américaine a coïncidé avec l’introduction des smartphones et des iPads qui traitent d’énormes quantités de données.

La voiture sans conducteur offre des avantages vraiment mineurs par rapport à l’invention de la voiture elle-même, ou aux améliorations de la sécurité qui ont réduit par trois les décès par véhicule-mile depuis 1950. On peut distinguer entre les voitures et les camions. Les gens sont dans leur voiture pour aller de A à B. Par rapport aux possibilités déjà offertes en téléphonie, Internet et musique, on pourra regarder un écran d’ordinateur et faire son e-mail. Les camions sans conducteur pourraient accroître la productivité par rapport à la toute petite catégorie d’emplois aux États-Unis des camionneurs (quelque 3,5 millions). Cependant, conduire d’un endroit à l’autre n’est que la moitié du travail des camionneurs. Les chauffeurs d’UPS sautent du camion, trouvent les colis et les livrent aux entreprises et aux résidences, sachant s’il faut placer les paquets sur le porche avant ou une cachette de porche arrière. Les camions de gros arrivent dans les supermarchés et s’arrêtent aux arrière-quais de déchargement. Les chauffeurs sont responsables de charger leurs palettes. Et Gordon de terminer en notant que nonobstant la révolution informatique le rangement des produits sur les étagères est fait par des humains et non par des robots.

 

Pour conclure

En ce qui me concerne la réponse à la question de Mandel est qu’une « nouvelle longue vague de stagnation relative ou de faible croissance » s’est définitivement installée. Roberts est plus circonspect : « La phase descendante du cycle capitaliste mondial est toujours en cours. Donc, il peut y avoir une vie pour le capitalisme mondial, même s’il est en “régime bas” en ce moment »[50]. Wilno concluait son article de 2015 en disant qu’un vaste programme de recherche était potentiellement ouvert. Il faudrait y inclure la tentative de dessiner la configuration technique, économique et géopolitique de la production de l’informatique mais aussi de son utilisation à des fins de contrôle social. La collecte et le traitement de données en masse fournissent au capital et aux Etats une capacité sans précédent de contrôle politique, le parti communiste chinois semblant largement en tête. Aujourd’hui enfin ce n’est pas de la baisse du volume total de la plus-value produite que vient la menace de barbarie qui hantait Mandel. C’est au plan du changement climatique et de l’épuisement de ressources naturelles vitales que « la lutte pour une issue socialiste prend l’importance d’une lutte pour la survie même de la civilisation humaine et de la race humaine »[51]. Celle-ci commence par le combat théorique principiel continu contre les forces politiques, fussent-elles bien intentionnées, qui brouillent les lignes quant au fondement capitaliste de l’anthropocène, donc au caractère nécessairement radicalement anticapitaliste de la lutte sur le terrain des conditions éco-sphériques de la reproduction sociale.

 

Cet article a été publié initialement par la revue À l’Encontre.

 

Notes

[1] www.lemonde.fr/economie/article/2019/08/14/le-pib-allemand-se-contracte-de-0-1-au-deuxieme-trimestre-conformement-aux-attentes_5499271_3234.html.

[2] https://alencontre.org/economie/de-nouveau-sur-limpasse-economique-historique-du-capitalisme-mondial.html.

[3] Ernest Mandel, Long Waves of Capitalist Development, A Marxist Interpretation, Second Edition, Verso, London, 1995, p.1.

[4] Ernest Mandel, Les ondes longues du capitalisme, Editions Syllepse, Paris, 2014.

[5] www.contretemps.eu/a-lire-la-postface-de-les-ondes-longues-du-developpement-du-capitalisme-de-ernest-mandel/.

[6] Kim Moody, High Tech, Low Growth: Robots and the Future of Work, https://brill.com/view/journals/hima/26/4/article-p3_1.xml.

[7] C’est le cas de l’article d’Henri Wilno de 2015, www.npa2009.org/idees/tenter-de-comprendre-la-phase-actuelle-du-capitalisme-un-retour-sur-les-ondes-longues.

[8] Nicolai Dimitrievitch Kondratieff était directeur dans les années 1920 de l’Institut de conjoncture de l’URSS à Moscou. Il a été arrêté en 1930 sous l’accusation d’introduire des méthodes bourgeoises dans la planification et de saboter l’agriculture. Il a passé huit ans en camp de concentration avant d’être fusillé en 1938. Voir Nicolai Kondratieff, Les grands cycles de la conjonture, édition organisée et présentée par Louis Fontvielle, Economica, Paris 1992.

[9] Francisco Louça rend compte de ce débat dans son introduction au livre de Mandel de 1995.

[10] Sur Parvus voir Mandel, Le troisième âge du capitalisme, traduction française de Spätkapitalismus (1972), Les Editions de la Passion, Paris, 1997, pp.101-102 et l’introduction de Francisco Louça du livre Les ondes longues du capitalisme.

[11] https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1923/04/lt19230421.htm

[12] Ernest Mandel, Le troisième âge du capitalisme, traduction française de Spätkapitalismus (1972), Les Editions de la Passion, Paris, 1997, p.107-109.

[13] Ernest Mandel, Long Waves of Capitalist Development, op. cit., p.82

[14] Ernest Mandel, Long Waves of Capitalist Development, op. cit., p.6.

[15] Extraits de la première section du Capital livre premier, Editions Sociales t. 2, p. 63 à 69. L’analyse minutieuse de l’organisation de l’exploitation et la maximisation de la plus-value produite et appropriée par le capital est faite dans la section III.

[16] Pour la traduction française voir Joseph Schumpeter, La théorie de l’évolution économique, Dalloz, Paris, 1935 avec une introduction de François Perroux.

[17] Joseph Schumpeter, Business Cycles, A Theoretical, Historical and Statistical Analysis of the Capitalist Process, 1939 dans la version abrégée avec une introduction de Rendigs Fels, p.16. http://classiques.uqac.ca/classiques/Schumpeter_joseph/business_cycles/schumpeter_business_cycles.pdf

[18] « L’invention devient un métier et l’application de la science à la production immédiate devient elle-même pour la science un point de vue déterminant et qui la sollicite ». Marx, Manuscrits de 1857-58, dits les “Grundrisse”, Editions Sociales, Paris, 2011, p. 660

[19] Schumpeter, Business Cycles, p.82

[20] Schumpeter, Business Cycles, p.82

[21] Schumpeter, Business Cycles, p.98

[22] Ibid.

[23] Schumpeter, Business Cycles, p.174

[24] Schumpeter, Business Cycles, p.20

[25] Schumpeter, Business Cycles, p.243

[26] Schumpeter, Business Cycles, p.294

[27] Robert J. Gordon “Is U. S. Economic Growth Over?  Faltering Innovation Confronts the Six Headwinds,” NBER Working Paper 18315, August 2012.

[28] Robert J. Gordon, The Rise and Fall of American Growth: The U.S. Standard of Living Since the Civil War. Princeton University Press. 2016.

[29] Robert J Gordon, The Demise of U.S. Economic Growth: Restatement, Rebuttal, and Reflections, NBER Working Paper No. 19895, February 2014. https://www.nber.org/papers/w19895.pdf

[30] Jésus Albarracin et Pedro Montes, Postface de 1996, p .519.

[31] Albarracin et Montes, Postface, p .516

[32] Le troisième âge du capitalisme, p .95.

[33] Le troisième âge du capitalisme, p .100.

[34] Le troisième âge du capitalisme, p .96

[35] Albarracin et Montes, Postface, p.529.

[36] Le troisième âge du capitalisme, p.155.

[37] Ibid.

[38] Mandel, Introduction au livre III du Capital, Penguin, Londres, 1981, pp. 87-89.

[39] Long Waves of Capitalist Development, A Marxist Interpretation, p.83. Toutes les citations sont traduites de l’édition anglaise disponible en PDF. https://libcom.org/files/ernest-mandel-long-waves-of-capitalist-development-a-marxist-interpretation.pdf

[40] Long Waves of Capitalist Development, A Marxist Interpretation, p.19.

[41] Long Waves of Capitalist Development, A Marxist Interpretation, p.83-85

[42] https://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/The_Future_of_Employment.pdf

[43]https://www.mckinsey.com/~/media/mckinsey/featured%20insights/Digital%20Disruption/Harnessing%20automation%20for%20a%20future%20that%20works/MGI-A-future-that-works-Executive-summary.ashx

[44] Voir Kim Moody, High Tech, Low Growth.

[45] Voir son article de 2010 dans Inprécor http://hussonet.free.fr/debaprof.pdf ainsi que que sa recension de Finance Capital Today https://www.contretemps.eu/husson-chesnais-capital-financier-limites-capitalisme/

[46] Voir l’article intéressant et peu cité de Kathleen Kahle and René Stulz, Is the US Public Corporation in Trouble? Journal of Economic Perspectives, Vol.31, N°3, 2017 //pubs.aeaweb.org/doi/pdfplus/10.1257/jep.31.3.67

[47] Cité par Michel Husson dans son article de mars 2018 (http://alencontre.org/economie/economie-politique-penser-et-mesurer-la-stagnation-seculaire.html)

[48] Gordon, The Demise of U.S. Economic Growth, 2014 op.cit.

[49] Erik Brynjolfsson and Andrew McAfee, The Second Machine Age, New York, Norton, 2014.

[50] https://thenextrecession.wordpress.com/2016/02/14/robert-j-gordon-and-the-rise-and-fall-of-american-capitalism/

[51] Mandel, Introduction à l’édition anglaise du livre III du Capital, op.cit.