De l’impérialisme à la mondialisation. Lénine comme boussole

Dans ce texte publié comme introduction à la réédition de l’un des grands livres de Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (Le Temps des cerises, 2001), Georges Labica rappelle les conditions dans lesquelles le révolutionnaire russe a travaillé à cet ouvrage, et restitue les dimensions fondamentales de ce qui constitue l’une des pièces maîtresses et centrales de la pensée léniniste : la théorie de l’impérialisme. Analyse du développement historique du capitalisme, imbrication de l’économique et du politique, tendance à l’autoritarisme et au militarisme, parasitisme du capital financier et partage du monde (colonialisme), c’est tout cela qui est au cœur du travail de Lénine.

Il montre en outre comment celui-ci peut permettre d’aborder les débats contemporains autour de la mondialisation capitaliste et du « nouvel impérialisme », sans dogmatisme mais en se débarrassant également de cette illusion persistante et fâcheuse selon laquelle les instruments théoriques du passé seraient par nature inadéquats pour saisir le présent. Il y aurait évidemment à revisiter l’analyse de la mondialisation que propose Georges Labica, au regard notamment des conséquences des guerres impérialistes menées par les États-Unis dans l’après-11 septembre, des épisodes de crise sévère du capitalisme (2007-2008 et actuellement) qui traduisent un processus de pourrissement, de la multiplication des conflits inter-impérialistes ou encore de la place nouvelle de la Chine dans le fonctionnement du capitalisme mondial (exportation de capitaux).

Reste que cet article donne à voir combien Lénine et sa méthode peuvent constituer pour nous une très utile – et très actuelle – boussole. 

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L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Essai de vulgarisation, qui paraîtra en 1917, a été écrit, nous dit Lénine, au printemps 1916 à Zurich [1]. Il répond à une urgence. Il faut penser la nature de la guerre mondiale en cours, afin d’en exposer les caractères et, partant, de déterminer l’attitude des socialistes à son égard. La guerre correspond à la nouvelle étape à laquelle est parvenu le capitalisme, elle est impérialiste et ses conditions objectives représentent « le prélude de la révolution socialiste ».

Telle est la thèse défendue. Elle est à la fois économique, car elle affirme que l’impérialisme  est le produit du développement du capitalisme (et non une « politique », qui lui serait opposable), et politique, car elle dénonce dans le ralliement à la bourgeoisie le social-chauvinisme qui ne trahit pas seulement le socialisme, mais s’avère incapable de comprendre que la guerre peut offrir au prolétariat une occasion de victoire. L’analyse repousse toute neutralité. Elle diagnostique, au contraire, une « scission du socialisme », en opposant les courants réformistes, symbolisés par la figure éminente de Karl Kautsky, chef de la social-démocratie allemande et légataire d’Engels, au courant révolutionnaire, dont l’intransigeance est représentée, en dépit de certaines bévues, par Rosa Luxemburg.

La théorie de l’impérialisme forme le point d’articulation d’une lutte multiforme, idéologique et stratégique, qui culminera avec la révolution d’Octobre. C’est dire qu’elle tient en faisceau l’ensemble des interventions de Lénine, qu’il s’agisse de la spécificité des guerres, de la question nationale et du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, des conditions de la révolution socialiste et de la « démocratie intégrale »[2], ou des « deux partis » qui divisent le monde[3] et de l’internationalisme. « Il va de soi qu’il ne saurait être question de porter une appréciation historique concrète sur la guerre actuelle si l’on ne fait pas reposer cette appréciation sur une mise en lumière complète de la nature de l’impérialisme, dans ses aspects à la fois économique et politique »[4]. G. Lukacs, le premier, assurera, en 1924 :

« La supériorité de Lénine consiste en ceci : avoir su, – et cela constitue un exploit théorique sans pareil – , relier concrètement et complètement la théorie économique de l’impérialisme à tous les problèmes politiques de l’actualité et faire du contenu de l’économie dans cette nouvelle phase le fil directeur de toutes les actions concrètes dans le monde ainsi organisé »[5].

La modestie du sous-titre de l’ouvrage, « Essai de vulgarisation », ne doit pas faire sous-estimer l’énorme travail de préparation auquel s’est attaché Lénine. Il est consigné dans les Cahiers de l’impérialisme auxquels sont consacrées les quelques 900 pages du tome 39 des Oeuvres et qui ne couvrent que la période 1915-1916. Ces cahiers de notes, numérotés de alpha à omicron, complétés par quelques cahiers thématiques (par exemple « Le marxisme et l’impérialisme » ou « Données sur la Perse ») et des « Notes diverses », renferment des extraits commentés de près de 150 ouvrages et 240 articles parus dans 49 périodiques différents, en allemand, français, anglais et russe, ainsi que d’amples listes bibliographiques établies principalement à partir des fonds de la bibliothèque de Zurich, où Lénine vivait alors[6].

À plusieurs reprises, Lénine y travaille le plan de L’impérialisme, stade suprême…[7], également celui de L’impérialisme et le droit des nations…[8] et celui de L’impérialisme et la scission du socialisme[9]. Il dépouille tout ce qui concerne les trusts (électricité, pétrole, charbon, fer, cinéma…), les luttes concurrentielles pour l’hégémonie, les banques, les divers impérialismes, le système colonial. Il apporte un soin particulier aux deux ouvrages qui sont ses principales sources : celui de J. A. Hobson, L’impérialisme, paru à Londres en 1902, auquel le cahier kappa consacre sa plus longue notice (pp.421-455). Il relève, en particulier, des exemples de « parasitisme » – l’Angleterre faisant faire en Inde la guerre par les indigènes (p. 435).

Il retient que l’Etat dominant s’emploie à corrompre les classes inférieures afin qu’elles se tiennent tranquilles ou que les « races blanches » se débarrassent du travail et se comportent « comme une aristocratie mondiale de l’exploitation des races inférieures » (p. 437), ou que « la Chine peut se réveiller » (p.446). Il note que le capital réussit beaucoup plus vite sa collaboration internationale que ne le font les travailleurs (p.447), que l’impérialisme utilise sa supériorité économique pour empêcher le développement des pays dominés (p.449), ou que les inégalités entre pays sont un atout de l’impérialisme (p.452).

Mais c’est du livre du marxiste R. Hilferding, Le capital financier, paru en 1912 à Moscou, que Lénine est le plus proche et auquel il doit le plus. Il y renvoie constamment. S’il en approuve notamment telle ou telle grande leçon , comme « La réponse du prolétariat à la politique économique du capital financier, à l’impérialisme, peut être non pas la liberté du commerce, mais seulement le socialisme » (p.349), il n’en souligne pas moins les « défauts » que son propre Impérialisme rectifiera, savoir : l’erreur théorique concernant l’argent ; la méconnaissance, presqu’entière, du partage du monde ; la méconnaissance de la corrélation entre le capitalisme financier et le parasitisme et de celle de l’impérialisme avec l’opportunisme[10].

En relation avec sa préoccupation centrale de l’impérialisme, Lénine revient aussi sur certains écrits de Marx et d’Engels, concernant l’Europe, la Russie, la question nationale, l’internationalisme, la Commune ou l’Irlande[11]. Bien entendu, parmi les marxistes dont les textes sont épluchés, Lénine réserve un sort à part à Kautsky, en préparant le plan de la brochure qu’il lui consacrera[12]. Hobson, dit-il, rend le service de « dévoiler la fausseté fondamentale du kautskysme » sur la question de l’impérialisme (p.113). Kautsky commet une double erreur. D’une part, il pense que l’on peut opposer au pillage par les monopoles bancaires et à l’oppression coloniale, un « capitalisme sain, pacifique », autrement dit un « réformisme petit-bourgeois pour un capitalisme bien propret, bien léché, modéré et ordonné » (ibid.), qui cesserait donc de voir dans l’impérialisme un stade économique (ibid., p. 277) ; d’autre part, avec sa thèse sur l’ultra-impérialisme, il entretient l’illusion d’un avenir pacifié grâce à l’union des capitalistes.

Bornons-nous ici à relever l’exemplarité de la méthode de travail de Lénine. Elle ne diffère en rien de celle qu’il mettait en œuvre, quelques années auparavant, pour préparer sa brochure L’Etat et la révolution. J’en écrivais :

« Activité pratique : lutte contre la guerre dans les conférences de Zimmerwald et de Kienthal. Activité théorique : thèses sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, sur le socialisme et la guerre, la faillite de la Deuxième Internationale, l’impérialisme stade suprême du capitalisme. Activité publique et activité de cabinet : ce propagandiste, ce militant, est un rat de bibliothèque, qui noircit cahier après cahier de notes de lectures… Analyse concrète de la situation concrète, tandis qu’ici la pratique politique léniniste forge les instruments scientifiques d’une transformation du monde, au sens le plus strict, où nous sommes toujours engagés, ailleurs le fracas d’autres armes, qui démasque la violence inhérente aux rapports capitalistes de production, emporte le mouvement ouvrier lui-même et frappe de cécité ses meilleures têtes »[13].

C’était déjà la leçon du Capital.

Une précision enfin, pour éviter une méprise devenue classique. Le terme « suprême », dans le titre de l’ouvrage de Lénine, ne doit pas être entendu comme « dernier » ou « ultime », au sens disons ontologique, c’est à dire le stade après lequel il n’y aurait plus d’autre développement. Il signifie simplement « contemporain » ou « actuel ». L’auteur l’a précisé lui-même à plusieurs reprises.  En proposant son titre, il écrivait « L’impérialisme, stade suprême (contemporain) du capitalisme » (cahier bêta, p. 206). Il dit ailleurs « actuel (contemporain, à son stade contemporain) » (p.236). Il reprend, de fait, le sous-titre du Capital financier : « la phase la plus récente du développement du capitalisme » (p. 345)[14]. Nous verrons qu’en ce sens la mondialisation peut-être considérée aussi bien comme appartenant au stade impérialiste ou comme en représentant une nouvelle expression. Lénine, dans un esprit analogue, a évoqué le « nouvel impérialisme » pour caractériser la période qu’il analyse, quand il recopie la phrase de Hobson :

« Le nouvel impérialisme se distingue de l’ancien, premièrement en ce qu’il substitue aux tendances d’un seul empire en expansion la théorie et la pratique d’empires rivaux guidés chacun par les mêmes aspirations à l’expansion politique et au profit commercial ; deuxièmement, en ce qu’il marque la prédominance des intérêts financiers ou relatifs aux investissements de capitaux » et qu’il l’annote d’un « NB : différence entre le nouvel impérialisme et l’ancien »[15].

Il en donne la chronologie, en suivant cette fois le livre de E. Ulbricht, Puissance mondiale et Etat national (Histoire politique 1500-1815) : le vieil impérialisme serait mort à Sainte-Hélène avec Napoléon ; le nouveau correspondrait à la fondation d’un nouvel empire mondial par la Grande-Bretagne, qui entraîne les autres nations et conduit à la compétition économique avec les autres peuples [16]. Quels sont les traits les plus marquants de l’impérialisme, selon Lénine ? Le tableau le plus explicite en est donné dans L’impérialisme et la scission du socialisme, qui peut servir de grille à la lecture des autres textes. En voici l’essentiel :

1° L’impérialisme est un stade historique particulier du capitalisme, le stade du capitalisme monopoliste, qui s’exprime à travers cinq phases principales :

a) cartels, syndicats (patronaux), trusts, lesquels sont des produits de la concentration de la production,

b) les grandes banques,

c) l’accaparement des sources de matières premières par les trusts et l’oligarchie financière ; – NB : le capital financier = le capital industriel monopolisé + le capital bancaire,

d) le partage économique du monde par les cartels internationaux ; – NB : à l’exportation des marchandises, caractéristique du capitalisme non monopoliste, a succédé l’exportation des capitaux,

e) le partage territorial du monde (colonies) est terminé.

Ajoutons qu’historiquement l’impérialisme a fini de se constituer entre 1898 et 1914 (repères : guerres hispano-américaines de 1898, anglo-boer de 1899-1902, russo-japonaise de 1904-1905, crise économique européenne de 1900).

2° L’impérialisme est un capitalisme parasitaire ou pourrissant.

NB : ces termes différents des premiers (cf.1°), en ce qu’ils paraissent exprimer un jugement de valeur, sont cependant aussi économiques, mais ils font déjà apparaître une conséquence politique de l’analyse. On a :

a) la bourgeoisie impérialiste, malgré le développement souvent rapide de certaines branches d’industrie, est pourrissante parce qu’elle est devenue de républicaine et démocratique qu’elle était (dans le capitalisme de libre concurrence), réactionnaire,

b) formation d’une vaste couche de rentiers vivant de « la tonte des coupons »,

c) exportation des capitaux qui est « parasitisme au carré »,

d) la réaction politique est le propre de l’impérialisme, elle est principe de vénalité, de corruption et produit « des Panamas de toute sorte »,

e) exploitation des nations opprimées : le monde « civilisé » vit en parasite sur le corps du monde non-civilisé ; – NB : ce qui est vrai aussi d’une couche privilégiée du prolétariat en Europe.

3° L’impérialisme est un capitalisme agonisant qui marque la transition vers le socialisme, à cause de la socialisation du travail qui est bien plus accentuée encore que sous le capitalisme.

Retenons encore quelques traits :

– L’impérialisme est un produit nécessaire du développement du capitalisme. On a :

Capitalisme = libre concurrence = démocratie

Impérialisme = monopolisme = réaction

On notera l’intime liaison des deux plans, économique (statut des forces productives) et politique (nature des rapports sociaux) qui, en l’occurrence, rend manifeste ce fait qu’entre l’impérialisme et  la démocratie il y a contradiction ; Lénine dégage lui-même une conséquence : séparer, écrit-il, la politique extérieure de la politique intérieure est antiscientifique, car, dans chaque cas, l’impérialisme consacre la triomphe de la réaction.

– « L’impérialisme est une superstructure du capitalisme » : on trouve cette formulation utilisée par Lénine dans « Rapport sur le Programme du Parti »(19 mars 1919)[17]. Voici le sens de la démonstration : reprenant le jugement de Marx quand il déclarait que la manufacture était une superstructure de la petite production de masse (Capital, Liv.I), il énonce trois propositions :

1. qu’il n’y a pas d’impérialisme sans capitalisme ancien ;

2. qu’avec l’effondrement de l’impérialisme « les fondations sont mises à nu » ;

3. qu’il faut, en conséquence, tenir compte d’un « immense sous-sol d’ancien capitalisme ».

Lénine s’était lui-même employé à cette démonstration, dans le cas de la Russie, dès son Développement du capitalisme en Russie et quand il analysait l’imbrication de différents modes de production comme caractéristique de la structure économique du pays. Le terme de « superstructure », de son côté vient spécifier la nature de l’impérialisme qui est bien, comme l’écrivait Henri Lefebvre, « en même temps qu’une forme du capitalisme (élément économique), une forme de l’activité de classe de la bourgeoisie (élément social) et une forme d’Etat (élément politique), le tout inséparablement »[18].

On ne s’engagera pas ici, car il s’agirait d’une autre affaire, dans l’exposition des  nombreux débats qui, à l’époque, eurent lieu à propos des traits de l’impérialisme et de sa définition. Chez les seuls marxistes les divergences ne manquèrent pas, y compris au sein de la « gauche », avec Boukharine, que Lénine malmène, bien qu’il ait préfacé sa brochure[19] ; avec Rosa Luxemburg pour son Accumulation du capital, même si c’est de façon indirecte[20] ; ou avec A. Pannekoek, qui « pose mal le problème du réformisme »[21].

Interrogeons-nous plutôt quant à la question de l’actualité des thèses léninistes, sans toutefois donner dans la coquetterie de différer une réponse que le lecteur aura déjà pressentie: notre mondialisation/globalisation n’est rien d’autre que le « nouvel impérialisme » de Lénine, parvenu à un stade de développement supérieur. N’en déplaise aux contempteurs post-modernes toujours pressés de qualifier de préhistorique tout langage qui ne reflète pas leur propre soumission à l’ordre dominant, il faut bien convenir qu’il est des vocables dont la capacité à appréhender le réel n’a rien perdu de son efficace.

Impérialisme est de ceux-là, qui continue à gouverner une constellation conceptuelle, où, de leur côté, capitalisme, exploitation, propriété, classes et lutte de classes, démocratie sociale, transition révolutionnaire gardent tout leur sens. Analogies et similitudes, qui traduisent une même essence, ne font pas défaut. Auprès de celles déjà remarquées, présentons-en quelques nouvelles. Les vives discussions d’aujourd’hui portant sur la définition et la périodisation de la mondialisation rappellent les argumentations qui ont accompagné, au début du siècle, la reconnaissance de l’impérialisme : rapports avec le capitalisme, traits déterminants, rôles réciproques de l’économie et de la politique, formes de compétition, apparition dans les années 60, plus tard ou plus tôt, et même bien plus tôt au point que certains refusent toute originalité à un phénomène qui serait co-extensif au capitalisme. Or, assurément le marché mondial se confond avec l’avènement des rapports capitalistes de production.

Marx et Engels le soulignent dès leur Manifeste[22]. Et Marx y revient dans Le Capital : « La production capitaliste crée le marché mondial » et la constitution de ce dernier est un des traits spécifiques du capitalisme[23]. Quant à la prédominance du capital financier, on sait que Marx déjà avait montré qu’ « avec le capital porteur d’intérêt, le rapport capitaliste atteint sa forme la plus extérieure », soit A-A’ ; c’est ce qu’il appelle « le fétiche automate », « valeur qui se met en valeur, argent engendrant de l’argent ». « L’argent acquiert ainsi la propriété de créer de la valeur, de rapporter de l’intérêt, tout aussi naturellement que le poirier porte des poires » : « c’est la mystification capitaliste dans sa forme la plus brutale »[24]. Alors que, dans tous les cas, – faut-il le rappeler ?, « c’est le profit, à partir du capital productif, qui est le terreau des profits du capital financier »[25].

Toutefois la spécificité de ce nouvel impérialisme qu’est la mondialisation ne saurait être sous-estimée, quelles que soient les nuances que l’on apporte à sa définition ou à sa périodisation. Sans doute, les traits déjà dégagés par les premiers théoriciens – Hobson, Hilferding, Lénine – se trouvent-ils reconduits, mais ils sont accentués par la conjonction accélérée de trois phénomènes récents: la prédominance du capital financier/spéculatif, les révolutions technologiques, singulièrement dans le domaine de l’information et la communication, et l’effondrement des pays dits socialistes.

Sans doute, les flux de capitaux jouaient-ils un rôle dès le début du siècle, mais ils en sont venus à provoquer une intégration systémique permettant aux monopoles de considérer le monde comme un champ global au service de leurs intérêts, relayés qu’ils sont en cela par des institutions internationales, sous leur contrôle, qui remplissent la fonction d’un gouvernement planétaire (F.MI., Banque mondiale, O.MC., etc.). La fin de toute compétition entre « blocs » antagonistes, quelles qu’aient été son régime et ses formes, laisse, d’autre part, le champ libre, à une seule superpuissance, celle des Etats-Unis d’Amérique, dont l’hégémonie s’exerce dans tous les domaines, – économique, militaire, stratégique, politique, juridique, scientifique, technologique, linguistique et culturel.

Dotés d’une omnipotence jamais atteinte par aucune nation auparavant, les Etats-Unis occupent désormais la place tenue autrefois par la Grande-Bretagne. Tout en relevant le rôle de cette dernière, Lénine pressentait la passation de pouvoir quand il voyait en 1915 déjà dans les E.U. « le pays d’avant-garde du capitalisme moderne…sous de nombreux rapports, ce pays constitue donc le modèle et l’idéal de notre civilisation bourgeoise »[26]. Il n’est pas jusqu’à l’ancien partage du monde qui ne soit l’objet d’un repartage[27], avec cette différence que les impérialismes en concurrence, ceux de la « triade » (E. U. , Europe, Japon), ne sont pas dans un rapport d’égalité, mais bien dans une relation de subalternité majeur/mineurs, l’ex-puissance dominante, par exemple, n’occupant plus qu’une fonction de sous-traitante, complètement vassalisée[28]. Ainsi, mondialisation se confond avec américanisation, ou plutôt, – tant pis pour le barbarisme, etatsunisation[29].

A ce chapitre des analogies complémentaires, gardons-nous d’oublier les ordres du politique et de l’idéologique. Quelques brèves remarques suffiront, tant les choses sont devenues évidentes, depuis ces lendemains de la chute du mur de Berlin où le libéralisme chantait une victoire dont les jours étaient comptés.

Pour le premier, trois éléments  seraient à considérer :

a) La « réaction », qui, loin, mais sous couvert, de constater un recul des prérogatives étatiques, met l’Etat au service des besoins des multinationales, qu’il s’agisse de privatiser, de flexibiliser, de dégraisser, de financer, par de constants allégements de charges, et de procéder aux abandons de souveraineté nécessaires aux concentrations économiques (compétitivité) et politiques (Union Européenne). La destruction des services publics, mais également le démantèlement du droit du travail et l’effacement des autonomies culturelles, de « l’exception française », en matière de cinéma, à la « mal bouffe », en sont le prix consenti.

b) Le ralliement des social-démocraties et, plus récemment, de partis communistes à la gestion du capitalisme, qui, loin, mais sous couvert, de préserver les « acquis sociaux », se dévouent sans compter à la quête des consensus « citoyens ». Kautsky n’en croirait pas ses yeux.

c) La défaite, suivie de la décomposition du mouvement révolutionnaire (ouvrier, socialiste), sous le double impact de la mondialisation et de l’effondrement du « camp socialiste », qui ne semblent même plus autoriser une « scission » offensive du socialisme, comme dans les années 15-16, mais bien signer la mort d’une espérance.

Quant au second, – l’idéologique, il met en avant et la démocratie, « tout court », offerte comme « modèle », en particulier aux pays de l’Est européen, – dont on sait ce qu’ils en ont fait, et assimilée au marché, et le discours du droit, – Etat de droit, Droits de l’Homme, Droit international, récemment agrémenté du « droit d’ingérence », dont le seul objectif est l’inculcation du règne de TINA (There Is No Alternative), la déesse thatchérienne, de la soumission à la fatalité du néolibéralisme. Le revers de la médaille, qui n’est de fait que sa réplique, a nom abstentionnisme politique, replis religieux et nationalitaires, affirmations identitaires et communautaires, pour ne rien dire du creusement quotidien des inégalités n’épargnant aucun domaine, des revenus à l’éducation et à la santé.

Évidemment le paquet-cadeau qui enveloppe le tout a une autre allure, celle de la « mondialisation heureuse », comme l’assure un sycophante patenté, garantissant au moins de façon virtuelle (c’est la mode) la croissance pour tous, le respect des différences, la promotion du social, le libre accès à l’information, et la circulation sans entraves dans le « village planétaire ». Au point que certains, de bonne ou de mauvaise foi, se prennent à penser, et vont jusqu’à soutenir, qu’un choix, puisque rien n’est encore joué, demeurerait possible entre mauvaise et bonne mondialisation. Il suffirait de « peser dans le bon sens » et « d’ancrer à gauche » des gouvernements, après tout encore indécis[30].

Alors, l’actualité ? Au sens de l’Empire, qui valait déjà pour Rome[31], comme au sens du « nouvel impérialisme » de notre siècle, – début, fin et suite, la leçon paraît à coup sûr délivrée. Ce n’est assurément pas un Zbigniew Brzezinski, qui « mange le morceau », avec l’arrogance du maître, qui prétendra le contraire. Ramassons quelques pépites, offertes à ciel ouvert : « La défaite et la chute de l’Union soviétique ont parachevé l’ascension rapide des Etats-Unis comme seule et, de fait, première puissance mondiale réelle » ; « l’Amérique incarne un peu partout l’avenir et une société exemplaire qu’il faut imiter » ; « Dans la terminologie abrupte des empires du passé, les trois grands impératifs géostratégiques se résumeraient ainsi : éviter les collusions entre vassaux et les maintenir dans l’état de dépendance que justifie leur sécurité ; cultiver la docilité des sujets protégés ; empêcher les barbares de former des alliances offensives » ; « gérer l’émergence de nouvelles puissances mondiales de façon à ce qu’elles ne mettent pas en péril la suprématie américaine » ; « L’élargissement de l’Europe et de l’OTAN serviront les objectifs aussi bien à court terme qu’à plus long terme de la politique américaine »[32]. Or, « la mondialisation…n’est que le vocable mystificateur de l’impérialisme »[33], « la diffusion inégalitaire du capitalisme au niveau planétaire »[34].

Non seulement les spécialistes, soucieux d’analyser le réel de notre temps, n’hésitent pas à  recourir au terme d’impérialisme[35], mais nombreux sont ceux qui font expressément référence aux thèses léninistes. S. de Brunhoff et W. Andreff soulignent l’actualité de la loi d’inégal développement[36]. D. Collin écrit :

« Le néolibéralisme n’est pas l’expression d’une revitalisation du capitalisme libre concurrentiel du siècle précédent, il est d’abord la théorisation et la légitimation de ce qu’il faut bien appeler l’impérialisme au sens de Hilferding et de Lénine »[37].

A. Catone, de son côté, note :

« tous les aspects caractéristiques de l’impérialisme relevés par Lénine ont connu un énorme développement : les monopoles, les cartels, les trusts sont devenus mégamonopoles »[38].

Renâclera-t-on devant le « parasitisme » ?

« Quant au développement tentaculaire d’une oligarchie financière largement parasitaire, il n’est pas besoin de lire le Lénine de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme pour s’en convaincre ; Georges Soros, le célèbre spéculateur, l’explique lui-même dans ses ouvrages »[39].

S’offusquera-t-on de la « putréfaction » ? Elle est pourtant évidente dans « les pays riches en capital », déclare G. de Bernis, où l’on constate un freinage du progrès technique, où l’on trouve de nombreux rentiers vivant toujours de « la tonte des coupons », où les « Etats rentiers » oppriment les « Etats débiteurs » ;

« il n’est pas étonnant que…les manifestations actuelles du « pourrissement » du capitalisme soient plus nombreuses, plus profondes, que celles que Lénine observait à la fin d’une période de stabilité (relative) du capitalisme »[40].

Ne ratons pas une allusion à notre beau pays, quand Lénine recopie la formule suivante de M. Sembat :

« L’histoire financière de la France contemporaine, si elle était écrite avec franchise, serait l’histoire de toute une série de pillages particuliers rappelant la mise à sac d’une ville conquise ! »[41].

Il convient malheureusement de faire un pas de plus, dans cette caractérisation, et d’avancer que la situation engendrée par notre « nouvel impérialisme » est pire que celle qui prévalait dans les années 1910. On vient de le voir, on pouvait alors évoquer une stabilité relative, qui n’est plus de mise dans la crise actuelle, et qui empêchait Lénine de parler de chômage ou de misère de masse. En outre, non seulement le phénomène des multinationales ne présentait pas « cette ubiquité qu’il a acquise aujourd’hui »[42], mais bien d’autres traits se sont considérablement accentués et aggravés, qu’il s’agisse de l’Etat, dont les fonctions de régulation sociale n’ont cessé de s’amoindrir, et de l’Etat-nation, qui n’est plus ce qu’il était encore au lendemain de la Première guerre mondiale, des concentrations et fusions d’entreprises, de la circulation des capitaux et du rôle des Bourses[43].

Une lecture possible de mise à jour du texte de Lénine consisterait à substituer aux données qu’il avance celles dont nous disposons. Le résultat serait éclairant sur « l’étouffement par les monopoles de ceux qui ne se soumettent pas à leur joug » (224), sur « les rapports de domination et la violence qu’ils [les monopoles] comportent » (225), sur les « combinaisons », sur les banques, sur les interpénétrations du capital bancaire et du capital industriel (241), sur les oligarchies financières, les sociétés par actions et l’illusion de leur « démocratisation » (247), sur la contamination du politique et des autres domaines par le capital monopoliste (256), sur l’exportation des capitaux, sur la dette (261-263), sur la course aux matières premières (281), sur la dépendance de pays en principe indépendants (284), sur les rivalités inter-impérialistes, sur le projet des Etats-Unis d’Europe[44], sur « l’accroissement de l’immigration, vers ces pays [impérialistes], d’ouvriers venus des pays plus arriérés, où les salaires sont plus bas (305) ou sur la défense de l’impérialisme par « les savants et publicistes bourgeois » (308).

Ajoutons que le chiffrage de ces données selon nos statistiques les plus officielles ferait apparaître des écarts proprement stupéfiants ; un seul exemple concernant le capital spéculatif, au centre, comme on le sait, de la scène « globalisée » : après l’abandon des accords de Bretton Woods et la fin du système monétaire fondé sur l’étalon or, les 50 milliards d’euromonnaies de 1969, déjà considérés comme inquiétants, sont devenus 8000 milliards, i.e. « une faible part de la finance mondiale »[45]. Si enfin on tient compte des éléments ignorés de l’ancien « nouvel impérialisme », parce qu’ils n’existaient tout simplement pas, du moins, pour quelques-uns à pareille échelle, tels le poids de la dette sous contrôle des institutions monétaires internationales, qui conduit à la ruine un continent entier (l’Afrique), je ne vois rien de suspect :  la menace des armements nucléaires, les dangers encourus par l’environnement, la pénurie prévisible d’eau potable, la marchandisation généralisée qui s’étend à la vente des organes et à la prostitution massive des enfants, on ne craindra pas de parler d’une véritable « criminalisation de l’économie mondiale »[46].

Le trafic de drogue – autre élément ignoré – vient en tête du commerce mondial, les stupéfiants étant la marchandise dont les profits sont les plus élevés. Partant, ce ne sont pas seulement des réseaux économiques qui se mettent en place, du type « paradis artificiels » et établissements bancaires spécialisés dans le blanchiment, c’est l’ensemble du système  qui se trouve rongé de l’intérieur. En dépit de leurs dénégations morales et de leurs faux-semblants répressifs (destruction des plantations), les pays développés, i.e. riches et puissants, protègent les circuits dont ils sont les grands bénéficiaires, la manne se trouvant légalement intégrée dans les activités les plus officielles. L’argent dit « sale » ne peut dès lors plus être distingué de l’argent dit « propre ». De marginale, la corruption pénètre tous les rouages dirigeants du corps social, singulièrement la politique, qui rencontre là un des motifs de son discrédit[47].

Ultime question : qu’en est-il de la relation établie par Lénine entre impérialisme et transition au socialisme ? N’est-ce pas là le point qui rend caduque toute la théorie, quand on sait de sûre science historique que le procès révolutionnaire engagé en 1917 n’a pas tenu ses promesses et qu’il a même sombré avec le système soviétique en 1989 et que, d’autre part, le capitalisme, faisant la preuve d’une vitalité insoupçonnée, a réussi à surmonter ses crises et à rétablir avec sa globalisation un équilibre tel qu’il lui permet d’accomplir son essence, en lui conférant une maîtrise géostratégique totale sans équivalent. L’argument néanmoins ne paraît pas pouvoir être retenu, au regard d’une série de raisons étroitement liées entre elles.

On évoquera tout d’abord ce constat notoire que la mondialisation est un processus en cours, que sa carrière n’est nullement achevée et difficilement prévisible ; que ledit processus, de l’avis général, est contradictoire, sous l’effet des « surprises » bien connues des marchés qui déroutent les économistes, « la main invisible » faisant, au bout du compte, ce qu’elle veut (de la crise mexicaine à la crise asiatique et au krach du Nasdaq) ; sous l’effet également, moins des rivalités au sein de la triade, que de ce qui peut advenir avec les pays dits « émergents », – du Brésil à la Chine[48]. Z. Brzezinski, en personne, n’envisage guère le règne de la « nation indispensable » que sur « au moins une génération » et il n’écarte pas « qu’une véritable situation prérévolutionnaire soit en train de prendre forme »[49].

S’il est vrai, d’un autre côté, que Lénine attend beaucoup  de la socialisation que l’impérialisme accélère, par rapport au vieux capitalisme de la concurrence entre petites et moyennes entités économiques, s’il en attend, non sans dures luttes, l’ouverture d’une période révolutionnaire, à la faveur du conflit mondial[50], s’il témoigne même d’une faiblesse, vite rectifiée, pour le mot d’ordre politique des Etats-Unis d’Europe[51], ce ne peut être uniquement assignable à quelque prédisposition à l’optimisme de son tempérament, mais bien à la conjoncture dans laquelle il vit, à la « situation concrète » qui est la sienne.

Là gît la différence. Lénine était encore un homme des Lumières, plus proche en cela de ses maîtres à penser, que nous ne le sommes, témoins et héritiers d’un siècle de sang, de massacres et de ruines, dont il n’a vu que les prémisses, que nous osons à peine nommer « modernité » et qui nous a imposé de renoncer à toutes les formes d’inéluctabilité, fussent-elles révolutionnaires. Il n’en demeure pas moins que ce pessimisme, si l’on veut l’appeler ainsi, s’ancre lui aussi dans un contexte. Il est le reflet de cet impérialisme de la désespérance qu’est la mondialisation, car, les virtualités positives ont beau se laisser discerner, l’attention lucide se trouve confisquée par l’extraordinaire puissance du négatif inhérente au système.

Mais c’est pourquoi, par un apparent paradoxe, le diagnostic léniniste conserve sa pertinence, y compris dans sa conclusion alternative. Car, c’est bien d’un système qu’il s’agit et ce système – le capitalisme – est demeuré le même, quant à sa nature, depuis Le Capital jusqu’à ses avatars impérialistes, lesquels, à travers et au rythme des bouleversements considérables qu’ils ont véhiculé et qui ont changé nos façons de voir le monde, n’ont fait que confirmer sa nuisance, au point de placer sous le signe de l’urgence, en vérité vitale, la nécessité de le changer. La nouveauté n’est pas à chercher ailleurs. Et elle est radicale. Si mal en point, si désassemblées, pour de semblables raisons conjoncturelles, que soient les forces contestataires, elles n’en ont pas moins affaire à la même tâche. Les symptômes les plus récents se multiplient qui donnent à penser que vont se produire, que sont en train de s’opérer, des convergences, dont le programme n’est assurément pas disponible, mais dont la finalité est indiscutable.

La mondialisation elle-même, celle dont tout internationaliste a rêvé, n’aurait-elle pas à y gagner ? Le jugement de Rosa Luxemburg, pour laquelle l’impérialisme n’avait pas non plus de secrets, nous arrive comme un poing levé : le capitalisme n’est pas en mesure de réaliser la mondialisation, car ses contradictions internes le dévoreront avant. Seul le socialisme peut y parvenir[52].

 

Mai 2000.

 

Notes

[1] Nous reproduisons ici le texte paru au t. XXII des Oeuvres, p.201-327 (Paris-Moscou, 1960). Les références sont celles de la présente édition.

[2]  « Ce serait une erreur capitale de croire que la lutte pour la démocratie est susceptible de détourner le prolétariat de la révolution socialiste ou d’éclipser celle-ci, de l’estomper, etc. Au contraire, de même qu’il est impossible de concevoir un socialisme victorieux qui ne réaliserait pas la démocratie intégrale, de même le prolétariat ne peut se préparer à la victoire sur la bourgeoisie s’il ne mène pas une lutte générale, systématique et révolutionnaire pour la démocratie » (« La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », 1916, Oeuvres, t. 22, p.156)

[3]  « Dans le monde entier, il existe en fait, actuellement deux partis. En fait, il y a maintenant deux internationales. » (« Scission ou putréfaction ? », 1916, ibid., p.196)

[4]  Cf . « Préface à la brochure de N. Boukharine L’économie  mondiale et l’impérialisme », 1915, ibid., p.109). Voir infra…..

[5]  Cf. Lénine, Paris, E.D.I., 1965, p. 68.

[6]  Cf. également « Impérialisme et socialisme en Italie », où Lénine examine les ouvrages de R. Michels et de T. Barboni (Oeuvres, t.21, p.370 et suiv.)

[7]  Cf., entre autres passages : p. 114, 236 suiv., 803.

[8]  Ibid., p.778-786.

[9]  Ibid., p. 799. A noter que le vol. 39 donne toutes références aux ouvrages du tome 22, qui contient les principales interventions sur l’impérialisme.

[10]  Ces « défauts » sont mentionnés au cahier bêta, où sont énumérés les thèmes  « A propos de l’impérialisme » (ibid., p.206). L’analyse proprement dite de l’ouvrage de Hilferding se trouve en tête du cahier theta, p. 345 et suiv. ; voir également  « Hilferding (conceptions de Kautsky) », p. 641-643.

[11]  Sur ces deux dernières questions, dont l’intérêt est évident, Lénine établit lui-même la relation avec sa propre réflexion sur Le marxisme et l’Etat (Le Cahier bleu) ; cf. ibid., p.630.

[12]  Cf. « La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky », 1918, Oeuvres, t. 28 ; mais Kautsky est régulièrement pris à parti dans tous les ouvrages de la période précédente.

[13]  Cf. Vladimir Lenine, Le Cahier bleu (Le marxisme quant à l’Etat), Ed. établie par G. L., trad. du russe par B. Lafite, Bruxelles, Complexe, 1977, p. 5.

[14]  Cf. également :  « contemporain », p. 438, et la Préface à la brochure de Boukharine, ouvr. cit., t. 22, p. 109 ; et infra…

[15]  Cahiers de l’impérialisme, ouvr. cit., p. 446  (c’est Lénine qui souligne); aussi L’impérialisme, stade suprême…, t. 22, p. 290, et infra…

[16]  Cf. ibid. Cahiers…, p. 634.

[17]  Dans « Le VIIIème Congrès du P. C. (b) R. », tome 29, pp. 166-167.

[18]  Cf. Pour connaître la pensée de Lénine, Paris, Bordas, 1957, p. 236.

[19]  A peine un an après, Lénine est amené à critiquer Boukharine (« A propos de la tendance naissante de l’ « économisme impérialiste »,août-sept. 1916, apud Oeuvres, t. 23, p.9 et suiv.) Voir aussi, pour plus de détails in Oeuvres, t.29, p. 166 ; t. 35, p. 589 ; t.43, p. 229 et la correspondance de la période avec Zinoviev

[20]  Cf. G. L. « Dialogue marxiste : Lénine et Luxemburg », apud Commune, n° 18, Paris, mai 2000.

[21]  Cf. Cahiers de l’impérialisme, ouvr. cit., p. 279 ; il s’agit de l’ouvrage « Le problème de la couverture des dépenses publiques et l’impérialisme », paru dans la Neue Zeit, en 1913-1914. A l’inverse, Lénine semble faire son profit du livre de Paul Louis, Essai sur l’impérialisme, paru à Paris en 1904 (Cahiers…, p. 257). Sur les conceptions de l’impérialisme, je rappelle deux publications sans doute introuvables aujourd’hui, mais qui montraient déjà la continuité de l’impérialisme de Lénine à nos jours : L’impérialisme, Colloque d’Alger 21-24 mars 1969, Alger, SNED, 1970 et la Journée d’étude sur l’impérialisme, Paris, Cahiers du C.E.R.M. I et II, 1970.

[22] Cf. Marx, Engels, Manifeste du Parti communiste, Paris, Ed. sociales, 1972, p. 37, p. 41-43, p. 223; et G. L. « Les leçons du Manifeste », apud Le Manifeste communiste aujourd’hui (extrait), Paris, Ed. de l’Atelier, 1998 et Realitat, n° 53-54, Barcelona, 1999 (en espagnol).

[23]  Cf. Le Capital, Paris, Ed. sociales, III, 1, p. 278 et 341 ; le marché mondial est la base du capitalisme (ibid., p. 344) ; il est toujours présent à l’esprit du capitaliste (344) ; la production pour le marché mondial est la condition préalable de la production capitaliste (III, 3, p. 166).

[24]  Cf. Capital, éd. cit., III, II, p. 55-56.

[25]  S. de Brunhoff, Mondialisation, Paris, Espaces Marx éd., 1999, p.141.

[26]  Cf. Oeuvres, ouvr. cit., t. 22, « Nouvelles données sur les lois du développement du capitalisme dans l’agriculture. Premier fascicule, Capitalisme et agriculture aux E.U.A. », p. 13.

[27]  Lénine cite une phrase de l’ouvrage de G. F. Steffen, La guerre mondiale et l’impérialisme, paru en 1915 : « Actuellement le monde est presque entièrement « partagé ». Mais l’histoire nous apprend que les empires ont tendance à se partager les uns les autres après s’être plus ou moins réparti les terres « sans maître » dans toutes les parties du globe », et il commente, en marge : « bien dit ! » (Cahiers, ouvr. cit., p. 267).

[28]  « On peut dire,-remarque, par exemple, G. de Bernis, sans être excessif que le capital anglais, totalement inféodé au capital américain, a quitté l’Angleterre » (Mondialisation, ouvr. cit., p. 72).

[29]  C’est un effet complètement intériorisé et banalisé de l’hégémonie de désigner les U.S.A. par le terme d’Amérique et ses nationaux par celui d’Américains, ces vocables condamnant au mépris, sinon à l’inexistence l’ensemble des autres nations de ce continent.

[30]  C’est la thèse, on l’aura deviné, du Parti communiste français à son dernier congrès ; voir Pierre Lévy, Bastille, République, Nation, La mutation du PCF : cette étrange défaite, Préface de G.L., Paris, Ed. Michalon, 2000.

[31]  Cf. l’allusion de Lénine apud Cahiers…,p. 634

[32]  Le grand échiquier, sous-intitulé L’Amérique [sic] et le reste du monde, Paris, Bayard, 1997 ; la Préface due à G. Chaliand s’intitule « Le dernier empire universel » ; les citations, qui ne représentent qu’un succinct florilège,  proviennent, dans l’ordre, des p. 23, 33, 68, 253, 255. L’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie vient d’infliger une nouvelle preuve de cette hégémonie (cf. Maîtres du monde? Ou les dessous de la guerre des Balkans, Paris, Ed. Le Temps des cerises, 1999).

[33]  Cf. Bernard Gerbier apud Mondialisation et citoyenneté, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 47

[34]  Cf. J.-P. Michiels et D. Uzunidis, ibid., p. 11. Erna Bennet note, de son côté, que les inégalités actuelles accrues « ont déjà été décrites par Lénine dans son livre de &917 sur l’impérialisme » (« Where do we go from Kosovo? », Australian marxist review, n° 41, nov. 1999)

[35]  Cf., par exemple, J. Magniadas, Mondialisation et citoyenneté, ouvr. cit., p. 117 ; F. Chesnais ; S. Amin, ou P. Bourdieu (cf. P. Bourdieu et L. Wacquant, « La nouvelle vulgate planétaire »,  apud Le Monde diplomatique, mai 2000).

[36]  Cf. Mondialisation, ouvr. cit., p. 142 et p. 216.

[37]  Cf. « Néolibéralisme ou keynésianisme rénové : la fausse alternative » apud L’Homme et la Société, Paris, N° 135, 2000/1, p.51.

[38]  Cf. « Ridiscutere di imperialismo », apud L’Ernesto, Novara, N°1/2000, Dossier Impérialisme, p.3.

[39]  Cf. D. Collin, ouvr. cit. ibid.

[40]  Cf. « Aspects économiques de la mondialisation », apud Nord-Sud XXI, Genève, N°13 (1) 1999, p. 60 et suiv.

[41]  Il s’agit de l’ouvrage de Marcel Sembat, Faites un roi, sinon faites la paix, paru en 1913 (Cahiers…, p.457 ; Lénine en marge écrit « NB »).

[42]  Cf. W. Andreff, Mondialisation, ouvr. cit., p.206.

[43]  A noter que Lénine considère que la substitution des monopoles au « vieux capitalisme » entraînera une « diminution de l’importance de la Bourse » (236).

[44]  La question ne peut être ici qu’évoquée. Lénine est hostile à une telle perspective, qui provoquerait la mise en place, prévue par Hobson, d’une aristocratie exploitant le reste du monde (Cf. Cahiers…, p. 448 ; aussi, contre Kautsky, p. 398 ; contre Bauer, p.647). Il retient toutefois, de façon quasi prophétique une des tâches attribuées aux E.U. d’Europe notamment par G. Hildebrand de lutter contre « le grand courant islamiste » (cf. Cahiers…, p. 109, repris dans L’impérialisme…, p.303 et infra………). Voir également « A propos du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe », 1915, apud Oeuvres, éd. cit., t. 21, p. 350-355

[45]  Cf. G. de Bernis, revue cit., p. 31.

[46]  L’expression se rencontre, entre autres, chez Jacques Chonchol, Hacia dondé nos lleva la globalizacion ? Reflexiones para Chile, Santiago, Universidad Arcis éd., 1999, p. 22. En Amérique latine, nous apprend le même auteur, la politique « d’ajustement structurel » a fait passer, dans les années 8O, le nombre de pauvres de 136 à 196 millions. De son côté, Jean-Louis Levet écrit : « cette criminalisation de l’économie devient une des épines dorsales du système économique et du système monétaire international(…) un outil de régulation du système économique mondial »  (Mondialisation, ouvr. cit., p. 356).

[47]  Pour plus de détails et pour l’information la plus récente, on se reportera au dossier du Monde diplomatique de mai 2000 sur la question, « Dans l’archipel planétaire de la criminalité financière », en particulier à l’étude de Christian de Brie, dont le titre seul, « Etats, mafias et transnationales comme larrons en foire », donne un parfait résumé des processus en cours.

[48]  Sur les contradictions qui minent le néolibéralisme de l’intérieur, au point de l’empêcher de tenir ses propres objectifs, on se reportera aux savoureuses et indiscutables démonstrations auxquelles se livre Susan George, dans son dernier ouvrage récemment paru, Le rapport Lugano  (trad. fçse, Paris, Fayard, 2000).

[49]  Cf. ouvr. cit ., p. 250 et 251.

[50]  Ce sentiment est présent dans L’impérialisme…. Il représente peut-être un écho de l’enthousiasme du Manifeste face à la révolution permanente des rapports de production sous le capitalisme et donc  une vision encore téléologique du progrès.

[51]  Cf. « A propos du mot d’ordre… », art. cit. supra.

[52]  «Ayant tendance à devenir une forme mondiale, il [le capitalisme] se brise à sa propre incapacité d’être cette forme mondiale de la production. Il offre l’exemple d’une contradiction historique vivante ; son mouvement d’accumulation est à la fois l’expression , la solution progressive et l’intensification de cette contradiction. A un certain degré de développement cette contradiction ne peut être résolue que par l’application des principes du socialisme , c’est à dire par une forme «économique qui est par définition une forme mondiale, un système harmonieux en lui-même, fondé non sur l’accumulation mais sur la satisfaction des besoins de l’humanité travailleuse et donc sur l’épanouissement de toutes les forces productives de la terre » (L’Accumulation du capital, Paris, F. Maspéro, 1967, t. II, p.135).