Histoire agraire et impérialisme. Entretien avec Utsa Patnaik

Max Ajl s’est entretenu avec l’économiste marxiste Utsa Patnaik sur l’histoire agraire et l’impérialisme. Les travaux de Patnaik sur l’histoire économique de l’Inde et d’autres pays sous domination coloniale montrent en quoi cette expérience a accentué l’insécurité alimentaire et le chômage, des tendances qui ont de nouveau émergé sous le néolibéralisme.

Cet entretien a été réalisé au sein de l’atelier « Agriculture and Imperialism », organisé par le Thimar Collective, en novembre 2018, à Beyrouth au Liban et a été initialement publié dans la Review of African Political Economy.

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Max Ajl : Bonjour et merci beaucoup pour votre présence parmi nous aujourd’hui. Pourriez-vous commencer par nous expliquer comment vous avez commencé à étudier l’économie et ce sur quoi portaient initialement vos recherches ?

Utsa Patnaik : J’ai commencé à m’intéresser à l’économie relativement tôt, car il y avait pas mal de littérature marxiste chez nous – Le Capital de Karl Marx, les volumes de Marx-Engels ainsi que les écrits de Lénine. Mon père, bien qu’ingénieur de profession, s’intéressait au marxisme. C’est parce que j’ai lu cette littérature lorsque j’étais adolescente que j’ai eu l’idée d’étudier l’économie. Je suis entrée à la Delhi School of Economics. Nous avions alors d’excellents enseignants, dont les Professeurs Sukhamoy Chakravarty, Amartya K. Sen et K.N. Raj. J’ai ensuite soutenu une thèse en économie à l’université d’Oxford, en Grande-Bretagne, sur la question du développement de l’agriculture capitaliste en Inde, où je suis retournée en 1973 pour enseigner à l’université Jawaharlal Nehru de Delhi, où j’ai fait cours pendant 37 ans, avant de prendre ma retraite en 2010.

 

M.A. : Vous avez développé une sévère critique de l’avancée du néolibéralisme en Inde. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont vous percevez ce processus ?

U.P. : La principale critique faite au néolibéralisme est qu’il détruit notre sécurité alimentaire et sape les moyens de subsistance des petits producteurs. L’histoire économique de l’Inde et d’autres pays sous domination coloniale a montré qu’il y a eu certaines tendances économiques alarmantes d’aggravation de l’insécurité alimentaire et du chômage à cette époque, qui faisaient leur retour sous le néolibéralisme. Si vous n’étudiez pas cette histoire et que vous vous contentez de regarder les politiques néolibérales contemporaines (de libre échange et de coupe dans les dépenses publiques, d’austérité) vous ne seriez pas capables d’identifier ces tendances. La plus importante de celles-ci était le rapport inverse sous le colonialisme libre-échangiste, où l’augmentation de l’exportation agricole a toujours réduit notre sécurité alimentaire. Le mécanisme en était la déflation salariale. La consommation de la paysannerie en Inde était drastiquement restreinte par de très importantes taxes et rentes de telle manière que les paysans étaient forcés de produire et de vendre leurs cultures à l’export. Les terres productrices de grains étaient détournées en cultures tropicales, exportées afin de satisfaire la demande métropolitaine qui était insatiable, car leurs terres froides ne peuvent produire qu’une seule récolte. Nos terres sont très productives, car nous pouvons faire pousser au moins deux récoltes par an et, dans certaines régions d’Inde, monter jusqu’à trois récoltes.

Il existe toujours une forte revendication, continue et unilatérale, du Nord sur nos terres, pour la simple raison que l’agriculture est soumise au climat et qu’elle est donc très différente de n’importe quel autre secteur. Vous pouvez produire des chaussures et du textile n’importe où dans le monde, mais aucune évolution technologique capitaliste ne permettra à l’Amérique du Nord de produire de la canne à sucre ou à l’Allemagne de produire du café. Ils ne pourront jamais trouver de substituts à l’importation de ces biens, mais cette réalité n’est jamais mentionnée dans leur littérature économique. Ils veulent une division internationale du travail dans laquelle nous nous spécialisons dans des cultures tropicales non céréalières afin qu’ils puissent l’importer, tandis qu’ils exportent vers nos pays les céréales qu’ils peuvent produire en grande quantité. Ce n’était pas le cas par le passé – la Grande-Bretagne était alors dépendante de l’Inde, même pour une partie de ses importations de blé. Si avec la productivité grandissante, l’Europe et l’Amérique du Nord ont désormais de larges surplus de grains et de produits laitiers, leurs populations riches ne veulent cependant pas se contenter de manger du pain et des produits laitiers ou bien ne manger des légumes frais qu’en été. Ils veulent du café, du thé et du cacao, ils veulent des produits tropicaux, des légumes et des fruits frais ainsi que des fleurs en plein hiver. Mais ils sont toujours incapables de diversifier leur propre production pour y inclure ces cultures-ci. Aujourd’hui, ils réclament donc les produits de nos terres, à une échelle bien plus importante encore qu’auparavant. Beaucoup de choses prennent tout leur sens une fois que vous comprenez cela – pourquoi ils ont toujours voulu et ont obtenu l’accès à nos terres, alors que nous n’avons pas besoin d’accéder aux leurs. C’est à cela que sert l’OMC, dont le mantra, qu’elle répète à l’envi, est : ouvrez votre agriculture.

Les personnes soutenant les politiques de libre-échange pourraient-être perplexes et rétorquer : « Qu’y a-t-il de mal à cela ? Vous bénéficiez des échanges internationaux en exportant plus, vos paysans ont davantage de revenus ! » Le problème qui leur échappe est que, bien que nos terres soient plus productives, elles sont limitées spatialement, nous ne pouvons donc satisfaire au gros appétit des populations des pays riches et avancés tout en nourrissant notre propre population. Ce n’est tout simplement pas possible. En étudiant l’histoire, j’ai constaté le rapport inverse et pas seulement dans la dynamique Inde–Grande-Bretagne. Si l’on observe Java sous domination néerlandaise, ou la Corée sous domination japonaise, on trouve le même rapport inverse. J’ai restitué ces données dans mon livre The Republic of Hunger (2007) pour Java et la Corée. Pour le peuple de Java, la disponibilité du riz a baissé drastiquement lorsque les Néerlandais ont détourné les terres vers des cultures tropicales destinées à l’exportation. De 1910 à 1945, la Corée était une colonie japonaise. Les Japonais se sont saisis de plus de la moitié de la production du riz coréen dans les années 1930 de telle manière que la paysannerie coréenne a été poussée à un niveau proche de la famine. Dans chaque pays en voie de développement, j’ai trouvé ce rapport inverse. En Inde, sur 205 kg de céréales alimentaires par tête et, après exportation, 197 kg de disponible pour la consommation (données moyennes pour la période s’étendant de 1909 à 1914), cette disponibilité est descendue à 159 kg (moyenne de 1933 à 1938) est a encore baissé pour atteindre 137 kg en 1946, notre pire année. Les apports en calories par tête ont chuté de 650 calories. Les céréales fournissaient encore un peu plus des trois quarts des apports quotidiens en calories et en protéines de l’Indien moyen en 2005 et la dépendance était plus forte encore auparavant. Les populations pauvres ne peuvent se payer assez de lait ou d’autres produits animaliers et dépendent fortement des céréales et des lentilles. Même au Liban, je trouve qu’en dehors des légumes, les personnes dépendent de denrées alimentaires basiques, comme les céréales, les lentilles et les haricots.

Si nous investissions beaucoup dans l’amélioration de notre productivité agricole, alors oui, en théorie, nous pourrions faire les deux, nous pourrions exporter tout en maintenant une production répondant à nos propres besoins. Mais le régime politique néolibéral repose sur les coupes gouvernementales des dépenses – c’est l’un des principaux piliers politiques, en dehors du libre-échange, qui est le second. Il existe une contradiction de base : on demande aux gouvernements (via les institutions financières internationales) de couper dans les dépenses, et pas seulement en Inde, tous les Etats en voie de développement ont coupé drastiquement dans leurs dépenses consacrées au développement rural et aux recherches liées aux nouvelles variétés de culture. En conséquence, on ne peut pas augmenter la productivité de la terre alors que, dans le même temps, on nous demande d’exporter toujours plus afin de remplir les rayons des supermarchés du Nord. Déflation des revenus et libre-échange – ces politiques coloniales sont reconduites sous de nouvelles formes modernes. Notre production de céréales alimentaires par tête était condamnée à baisser et les revenus collectifs ont également été comprimés par la déflation des revenus, ainsi, la demande par tête a chuté. Dès le début des années 1990, j’ai été la seule personne à avertir, de manière répétée, du fait que le libre-échange et les coupes dans les dépenses publiques sont dangereux, car notre sécurité alimentaire va en être durement affectée.

C’est exactement ce qui s’est passé, lorsque nous sommes passés de 182 kg de production par tête, 174kg disponibles après exportation, au début des années 1990 à 159 kg disponibles en 2008, le même niveau que dans les années 1930, sept décennies plus tôt !

 

M.A. : C’était une période d’avancée impérialiste dans le monde entier. Pourriez-vous lier ce qui s’est passé en Inde à votre macroéconomie de l’impérialisme ? Notamment celle que l’on trouve dans le récent livre que vous avez co-écrit ?

U.P. : C’est un phénomène complexe. Dans l’après-guerre, les politiques européennes et américaines étaient relativement différentes de ce qu’elles allaient devenir à partir des années 1970, qui ont vu un important tournant politique. L’Europe d’après-guerre était engagée dans la reconstruction, le discours théorique dominant était alors largement influencé par le keynésianisme. Le boom de la reconstruction d’après-guerre a été favorisé par l’aide américaine apportée à une Europe ravagée par la guerre. L’idée qu’il fallait rebâtir les emplois perdus et le pouvoir d’achat via des dépenses publiques prédominait. Ce n’est qu’après la crise pétrolière du début des années 1970 que cette politique a changé, l’argent du pétrole ouest-asiatique était déposé dans les banques du Nord, produisant une énorme quantité de liquidités et le pouvoir de la finance a grimpé d’un coup, très rapidement. Les intérêts financiers ont traditionnellement toujours eu un agenda très clair – un agenda de déflation des revenus.

Premièrement, ils ont un agenda ciblant l’inflation et pour ce faire, ils mettent en place un agenda de diminution des revenus. Je pense qu’il n’est pas trop difficile, même pour des non-économistes, de comprendre que ceux qui gagnent de l’argent en prêtant de l’argent à d’autres, ce que font les financiers, ont des intérêts différents de ceux qui gagnent leur argent en investissant dans la production, comme l’expliquait Karl Marx il y a longtemps déjà. Un industriel capitaliste veut un marché en expansion ainsi que des crédits à taux réduits pour perpétuer la production et pour investir – les capitalistes veulent emprunter à des taux d’intérêt bas. Le financier veut exactement le contraire, il veut des taux d’intérêt élevés, car il gagne son argent grâce aux intérêts des prêts qu’il accorde et non pas en produisant quoi que ce soit. Toutefois, le taux d’intérêt nominal n’est pas ce qui intéresse les financiers, ils veulent s’assurer que les taux d’intérêt réels sont élevés. Si le taux d’inflation grimpe, leur vrai taux de rendement va chuter.

Pour illustrer cela, supposons que le taux d’intérêt soit de 5 % et le taux d’inflation de 5 % également, alors pour la personne prêtant l’argent, le taux d’intérêt réel est de zéro. Le taux d’intérêt doit être plus élevé que le taux d’inflation. Afin de maximiser le taux d’intérêt réel, ils veulent toujours que le taux d’inflation soit très bas. C’est pour cela que l’on entend parler de cibles d’inflation à longueur de temps, lorsque la finance domine l’industrie. Mais il existe plus d’une façon de cibler l’inflation. La meilleure manière est d’augmenter la production, notamment dans l’agriculture, aussi rapidement que la progression de la demande, ainsi les prix ne grimperont pas et cette méthode sera bénéfique et ne fera pas de mal aux gens. Mais la voie choisie par les intérêts financiers consiste toujours à restreindre la demande pour un niveau de production donné – ils ne veulent pas que la demande de masse augmente. Même lorsqu’il y a du chômage, ils conseillent toujours aux gouvernements de ne pas dépenser plus, mettant en avant des arguments fallacieux. Mais la véritable raison est que des dépenses publiques plus importantes activeraient le multiplicateur keynésien, en retour les revenus de masse augmenteraient, la demande aussi donc, l’inflation pourrait augmenter, notamment pour des biens primaires et ils détestent l’inflation, car elle implique une baisse de leur retour sur investissement. Un industriel voudrait que le prix de sa production augmente relativement au prix de ses apports, car il en tirerait profit. Mais le financier déteste véritablement l’inflation et lorsque la finance domine l’industrie, on se retrouve avec ces politiques de déflation des revenus qui affectent durement les gens, uniformément appliquées par le FMI et la Banque Mondiale à travers le monde sous la forme de « mesures d’austérité ».

Dans beaucoup de pays, ils ont fait pression pour imposer des législations empêchant les gouvernements de dépenser plus, ils diront d’abord qu’il faut maintenir le déficit fiscal en dessous des 3 % et les pays ont opéré des coupes pour descendre à 3 %. Ensuite, ils diront qu’il faut équilibrer le budget, ce qui signifie couper encore plus dans les dépenses, afin que le déficit fiscal soit égal à zéro. Puis, ils voudront sans doute un budget excédentaire, c’est-à-dire un déficit fiscal négatif ! Il est évident que cet agenda déflationniste d’« austérité » a été désormais porté avec succès par les intérêts financiers aux quatre coins du monde. Et il a eu un impact désastreux sur l’emploi et les conditions de vie de la masse de la population active.

En Inde aussi, la responsabilité fiscale et le Budget Management Act ont été adoptés en 2004, sous la pression des intérêts financiers mondiaux. Il y a un objectif supplémentaire pour ceux-ci, à savoir restreindre la demande de masse pour que la terre et les ressources soient détournées de la consommation locale afin de répondre aux demandes de consommation des pays avancés.

 

M.A. : Votre théorie de l’impérialisme perçoit cela comme s’appliquant diversement, particulièrement vis-à-vis de l’abaissement des prix des produits agricoles tropicaux.

U.P. : Il y a plusieurs niveaux de contradictions. D’un côté, la domination de la finance signifie que les gens ordinaires du monde avancé sont également frappés par celle-ci, car il y a une hausse du chômage. La montée de la droite dans le monde avancé est due au fait que la gauche n’a pas compris l’agenda de la finance et ne s’est pas suffisamment opposée à ses politiques néolibérales. Dans une très large mesure, elle a été hégémonisée intellectuellement par toutes les théories fallacieuses que les intérêts financiers ont mises en avant. Tout ce battage médiatique sur la mondialisation, l’efficacité, le libre-échange – elle y a succombé. Lorsque les progressistes n’ont pas de perspective théorique claire quant au fait que l’austérité imposée par la finance frappe de plein fouet les intérêts de la classe ouvrière, alors dans les pays avancés aussi vous verrez la montée d’éléments fascistes comme dans le cas classique de l’Allemagne des années 1920 et 1930 (où les créanciers de l’Allemagne ont insisté sur la déflation). La gauche y était alors très forte, mais n’a pas eu la sagesse de s’unir avec d’autres pour organiser une opposition théorique comme pratique à la montée du fascisme. Ces forces fascistes arrivent et disent aux gens qu’ils sont au chômage ou qu’ils perdent de l’argent. Et qui est à blâmer ? C’est l’immigré qu’il faut blâmer, ou la minorité religieuse. Ils détournent la colère du peuple vers la mauvaise voie – ciblant les minorités, les immigrés, etc. C’est exactement ce que fait Trump. C’est précisément ce qui se passe au Brésil et en Inde. Je pense que l’opposition théorique au néolibéralisme a été trop faible du côté de la gauche progressiste. Elle aurait dû s’y opposer plus fortement et sans compromis, mais ils étaient tous pris dans ce battage autour d’une mondialisation positive.

La globalisation ne représente en fait rien d’autre qu’une nouvelle phase de domination du capital financier au sein des pays du Nord, mais aussi une re-colonisation économique du Sud global. Il y a de la grogne et du chômage dans les pays avancés. Leurs gouvernements et la finance globale tentent de déplacer autant que possible de fardeau vers les pays en développement. On leur demande constamment de dévaluer leur monnaie, de manière à ce que leurs produits soient ainsi moins chers pour le Nord. Malgré leur pauvreté, leur propre marché public et la distribution en grains visant à assurer une certaine sécurité alimentaire sont désormais la cible des attaques de l’OMC afin que le surplus de grains du Nord puisse pénétrer leurs marchés. Ils sont mis sous pression afin de réduire les dépenses publiques au développement. De telles mesures de déflation des revenus et d’augmentation du chômage entrainent des conséquences bien pires pour ces derniers, car le niveau initial de revenu lui-même est bien plus bas. Les pays capitalistes avancés débutent avec des niveaux de revenus bien plus élevés, ils ont quelques prestations de chômage et des schèmes de sécurité sociale. La finance tente de s’y attaquer, mais en Grande-Bretagne, les médecins se sont mobilisés contre le démantèlement du National Health Service qui était quasiment gratuit et qui avait été mis en place par le gouvernement travailliste après la Seconde Guerre mondiale. Il existe tout de même une certaine protection.

Mais dans les pays en développement où la population a un aussi bas niveau de revenus, si vous dites que vous ne pouvez pas avoir de dépenses pour le développement et que l’éducation et la santé doivent être privés et coûter cher, que l’énergie ainsi que les entrées des paysans sont alignées sur les prix du marché, que vous devez également éliminer tous types de soutien aux prix pour les paysans et ainsi les exposer à la volatilité mondiale des prix, alors le résultat est désastreux. Nous n’avions jamais entendu parler de suicides de paysans dus à la dette avant les années 1990 en Inde, ce n’est qu’à partir de 1997, lorsque l’offensive néolibérale contre les paysans a pris effet que l’on a entendu parler de suicides dus aux dettes, dont le nombre dépasse désormais les 300 000. Le plus triste c’est que c’est notre propre gouvernement qui en est l’instrument – nos ministres des Finances, nos économistes, qui sont tellement hégémonisés par les théories les plus fausses colportées par la finance mondiale qu’ils attaquent les intérêts de leur propre peuple en mettant en œuvre de telles politiques. Peut-on imaginer plus tragique que cela ?

Je trouve que cela souligne également l’importance de la résistance théorique. Nous devons mettre au jour les erreurs de ces théories qui sont acceptées de manière acritique. C’est ce que j’ai essayé de faire, dans une certaine mesure, en critiquant les théories erronées qui justifient la mondialisation passée et présente. La théorie des avantages comparatifs de Ricardo, par exemple, affirme qu’il y a toujours un bénéfice à tirer de la spécialisation et du commerce pour les deux pays impliqués dans l’échange, mais c’est une théorie dont la logique est fausse. Ricardo lui-même était un courtier ayant reçu peu d’éducation, mais très intelligent. C’était un homme très modeste, vous savez. Il disait : « Je ne suis pas aussi érudit qu’Adam Smith. Je n’ai pas étudié la philosophie, je n’ai pas étudié l’histoire. » Si on lit Ricardo, on s’aperçoit qu’il avait de très bonnes raisons d’être modeste ! Car s’il avait étudié la philosophie, ce qui inclut l’étude de la logique, il n’aurait pas pu avancer la théorie des avantages comparatifs, qui suppose que les deux pays s’engageant dans le processus commercial pourraient produire tous deux la marchandise. C’est une erreur matérielle très simple, à savoir une affirmation incorrecte des faits puisque le pays de Ricardo ne pourrait jamais produire de produits tropicaux, dont le « coût de production » ne saurait pas même être défini dans son pays. Sa supposition de base ne pouvant être vraie pour aucun pays du Nord, la conclusion des bénéfices mutuels n’est donc pas vraie, comme je l’ai montré avec de nombreux exemples à l’appui dans mon texte « Ricardo’s Fallacy » (dans K.S. Jomo (dir.), The Pioneers of Development Economics).

À vrai dire, Karl Marx s’était déjà attaqué à Ricardo sur la question de la rente, dans Théories de la plus-value, Marx se montre en fait assez cinglant quant aux erreurs de logique de Ricardo concernant la théorie de la rente. Marx, en philosophe avisé, aurait également critiqué la théorie commerciale de Ricardo, sauf qu’il n’a jamais mené à terme son projet intellectuel. Il avait l’intention d’étudier « le capital, la propriété foncière, le travail salarié, l’État, le commerce extérieur, le marché mondial ». Il expose ce projet dans la préface à la Contribution à la critique de l’économie politique, publiée en 1859. En lisant son plan de travail, on réalise qu’il a achevé moins de la moitié de son projet intellectuel et n’a jamais formellement discuté « l’État, le commerce extérieur, le marché mondial ». Je n’ai aucun doute sur le fait que s’il avait analysé le commerce mondial, il aurait débusqué l’erreur de Ricardo et aurait montré que sa théorie était fallacieuse. Il est toujours très important de critiquer les théories fausses qui ont dominé nos programmes, qui sont toujours enseignées aujourd’hui à nos étudiants, les induisant complètement en erreur. Cette critique doit être faite constamment.

 

M.A. : Pourrions-nous aller un peu plus loin dans la pensée de Marx ? Dans A Theory of Imperialism, vous abordez la manière dont Marx a analysé le colonialisme d’une manière empirique et journalistique. Mais la tradition ultérieure du marxisme occidental ne l’a que très partiellement transmis – vous indiquez, par exemple, le fait que Lénine et Luxemburg avaient avancé des analyses qui étaient sans doute incomplètes, mais qui prêtaient certainement une attention aiguë à l’impérialisme.

U.P. : Comme je l’ai dit précédemment, il y a un problème fondamental qui est que le projet théorique de Marx lui-même n’a jamais été mené à terme. Il a largement écrit sur le colonialisme dans ses articles de journaux, pour le New York Daily Tribune, mais les universitaires du Nord ne prennent pas ces articles au sérieux, les économistes en particulier ne s’intéressent qu’aux trois volumes du Capital (seul le premier volume a été publié de son vivant) qui ne traitent pas du tout du commerce mondial – Marx n’a jamais ouvert son modèle fermé dans le Capital au commerce international bien qu’il ait sans doute eu l’intention de le faire. Il y a donc un problème fondamental avec l’inachèvement de son modèle rigoureux du capitalisme, dans le projet même de Marx. Les marxistes devraient comprendre qu’il s’agissait d’un projet inachevé et que l’on ne peut donc traiter le Capital comme une production achevée – Marx n’a jamais souhaité en faire un système fermé, il y a été contraint par l’endettement et la maladie qui a entraîné sa mort prématurée. Il a eu une vie très difficile – que peut-on attendre d’un seul homme après tout ! Son projet inachevé aurait dû être poursuivi par d’autres. Mais il faut être un véritable marxiste pour continuer son projet et, hélas, la plupart de ceux qui se définissent comme marxistes dans les universités du Nord n’ont, selon moi, rien de marxiste. Ils voient dans les travaux publiés de Marx une sorte de Bible et traitent ceux-ci de manière assez étroite et scolastique plutôt que de tendre vers la réalisation du grand projet d’émancipation humaine de Marx. L’humanité ne s’arrête pas aux frontières de l’Europe ou de l’Amérique. Les contributions de Lénine comme de Rosa Luxemburg sont d’une valeur inestimable, car ils appliquent la méthode marxiste à des domaines sur lesquels Marx lui-même ne s’est pas penché. Vers la fin de sa vie, Marx a compris que sa vision originelle de la révolution prolétarienne en Europe n’allait pas se concrétiser. Et pour quelles raisons ? Parce que la bouée de sauvetage du capitalisme européen était l’immigration. Ils ont simplement exporté leurs chômeurs vers le nouveau monde. En conséquence de quoi les contradictions sociales et économiques potentiellement explosives en Europe ont été désamorcées. Marx a compris cela et vers les années 1870, il s’est tourné vers la Russie, il a étudié le cas de la Russie et a correspondu avec des révolutionnaires russes. Ce qu’il voulait voir était la révolution et l’émancipation humaine, où qu’elles surviennent. Si la révolution était sapée en Europe par l’émigration et les rentrées de richesses coloniales, il souhaitait la voir éclater ailleurs. Lénine s’est inscrit dans cette vision et a, pour la première fois, intégré le rôle de la paysannerie au marxisme, tout comme le rôle des peuples colonisés et opprimés. Luxemburg aussi a fait cela de manière assez explicite dans l’Accumulation du capital. C’est la seule à avoir traité de l’exploitation coloniale à partir d’exemples très spécifiques, qui incluaient l’Inde et l’Égypte.

 

M.A. : Lénine affirme que l’une des constituantes de l’impérialisme est l’exportation du capital. Mais certains de vos travaux ainsi que d’autres, comme ceux d’Amiya Kumar Bagchi, montrent comment l’exportation de capitaux était, en fait, fondamentalement différente lorsqu’ils étaient exportés vers des colonies en comparaison avec leur exportation vers d’autres endroits.

U.P. : Lénine avait raison concernant l’importance générale des exportations de capitaux, en s’appuyant sur des données de J.A. Hobson. Mais les informations académiques auxquelles ils avaient accès il y a un siècle étaient extrêmement limitées. On ne peut attendre d’un individu comme Lénine qu’il mène une révolution en Russie et qu’il fasse des recherches détaillées sur l’exploitation coloniale dans le même temps ! Plus tard, un ensemble de données historiques des Nations Unies, liées au commerce, compilées en 1942 et en 1962, ont montré que c’était les colonies tropicales qui avaient d’importants surplus commerciaux et gagnaient de l’or et des échanges internationaux du monde. Si l’on regarde plus en détail, on découvre qu’en fait les métropoles ont saisi l’intégralité des gains des colonies et que cela a permis aux métropoles d’exporter des capitaux vers des régions de peuplement européen. Les producteurs coloniaux des biens exportés n’ont jamais été payés pour leurs exportations, car le « paiement » provenait des taxes perçues auprès de ces mêmes producteurs.

Une fois qu’on l’explique, ce mécanisme apparaît comme relativement simple, mais avant qu’il ne soit expliqué, il n’était pas si aisé à comprendre. Ce n’est qu’à travers l’étude intensive des données liées au commerce indien et britannique, sur de nombreuses années, que j’ai pu voir émerger les tendances réelles. La question que je me suis posée portait sur le fait que s’il y avait un excédent en Inde, qui était énorme comparé à la Grande-Bretagne, qui était très petite en termes de ressources, cela aurait dû ressortir quelque part dans les statistiques britanniques. Mais alors pourquoi aucun historien de l’industrialisation britannique, pas même Eric Hobsbawn qui était marxiste, ne fait jamais référence, même dans une note de bas de page, à la littérature indienne sur le drainage des richesses ?

Je me suis rendu compte que les estimations des historiens britanniques concernant le commerce de leur propre pays étaient fausses. Phyllis Deane et W.A. Cole ont publié en 1967 leur étude British Economic Growth 1688-1959, qui était une lecture standard pour quiconque souhaitait s’y connaître en histoire économique de la Grande-Bretagne. Pourtant, ils ont utilisé une mauvaise définition de « commerce », une définition qui ne se trouve dans aucun manuel de macroéconomie – qui n’est utilisé ni par la Banque Mondiale, ni par la CNUCED ou le FMI, les organismes qui présentent les données commerciales pour chaque pays. Deane et Cole ont totalement laissé de côté les réexportations et n’ont mesuré qu’une partie et non la totalité du commerce britannique. Ils y ont ajouté les importations utilisées au sein de leur pays et les exportations de leurs propres biens. Mais la définition correcte inclut la totalité des importations plus le total des exportations, y compris les importations réexportées. J’ai retravaillé les données utilisées par Deane et Cole pour les XVIIIe et XIXe siècles. En 1800, le commerce réel était de 82 millions de livres, mais le chiffre que nous donnent Deane et Cole est 51 millions de livres ! Le taux correct de commerce relatif au PIB était de 56 % à cette date et non 34 % comme ils l’affirment. Il est très important, pour nous, de regarder ce que font les universitaires du Nord avec leurs propres données, mais nous restons intellectuellement colonisés et nous prenons cela pour acquis : puisqu’ils sont professeurs à Cambridge, c’est qu’ils doivent avoir raison, mais très souvent ce n’est pas le cas.

Ce que la Grande-Bretagne recevait de ses colonies, indiennes ou autres, était un pouvoir d’achat international en prenant ces biens comme l’équivalent d’une taxe. C’était un système très intelligent. Mais les producteurs eux-mêmes ne réalisaient pas qu’ils n’étaient pas payés, car l’agent gouvernemental qui leur achetait leur production différait de l’agent qui percevait l’argent de leurs impôts et les transactions avaient lieu à des moments différents, ils n’ont donc pas fait le rapprochement entre les deux et n’ont pas réalisé qu’une partie de leur propre argent leur revenait, ce qui impliquait qu’ils n’étaient, dans les faits, pas payés, mais étaient taxés de leurs biens. Supposons que vous êtes un fermier au Liban et que je suis la puissance étrangère qui prend 100 livres de taxes. J’utilise 50 de ces livres pour acheter vos fruits à l’exportation. Vous pensez qu’il s’agit d’une transaction marchande tout à fait normale puisque vous recevez de l’argent pour vos fruits tout comme vous en recevriez d’un acheteur local. Mais il ne s’agit en fait pas d’une transaction normale, car, en réalité, vous n’êtes pas payés. Une partie des taxes que vous avez payées en argent est simplement convertie en biens.

Phyllis Deane a écrit un livre intitulé The First Industrial Revolution, en 1965, dans lequel elle consacre un chapitre entier à l’importance des réexportations en ce qu’elles ont permis à la Grande-Bretagne d’acheter des biens stratégiques d’Europe continentale et d’Amérique du Nord. Puis, en 1967, deux ans après, elle publiait le livre coécrit avec Cole, dans lequel cette analyse était totalement occultée, les réexportations avaient été supprimées de la série de données, fournissant ainsi de fausses estimations. Cela a-t-il été délibéré ou s’agissait-il simplement d’une confusion conceptuelle ? Nous ne le saurons jamais. Peu importe, mais le fait est qu’il s’agit d’une fausse estimation.

Toutes les analyses sur la croissance économique britannique ignorent complètement le drainage des richesses des colonies. Ces analyses sont donc incomplètes d’un point de vue théorique et analytique. En fait, la qualité du travail universitaire sur la croissance économique britannique est elle-même assez pauvre selon moi, car celui-ci est incapable d’expliquer pourquoi ce pays a été le premier à s’industrialiser. Naturellement, car le fait qu’il avait déjà le plus grand empire au monde n’est pas pris en compte. Depuis le milieu du XIXe siècle, après la grande rébellion de 1857-59 en Inde, la gouvernance indienne est passée de l’East India Company à la couronne britannique. Ils ont mis en place un mécanisme d’apparence plus compliqué pour s’emparer de nos revenus, mais qui restait en réalité très simple, en utilisant des lettres de change. Le ministre en charge des affaires indiennes en Grande-Bretagne était nommé secrétaire d’État pour l’Inde. À cette époque, les produits indiens étaient directement envoyés aux quatre coins du monde. Le secrétaire d’État pour l’Inde a dit, en conseil, aux importateurs étrangers de produits indiens qui devaient payer leurs importations : « Vous me remettez votre or ou vos livres sterling ou votre propre monnaie à Londres, en échange d’une lettre d’une valeur équivalente en Roupies que vous pouvez envoyer aux exportateurs indiens afin qu’ils l’encaissent en Roupies en Inde. » Ainsi, tout l’or et toutes les devises étrangères qu’avaient gagnés les producteurs indiens, le pouvoir d’achat international, sont allés sur le compte du secrétaire d’État à Londres, afin d’être utilisés par la Grande-Bretagne. Les exportateurs en Inde recevant des lettres d’échange les déposaient dans les banques afin qu’elles soient émises en Roupies, mais pas de la manière ordinaire – les Roupies pour encaisser les lettres étaient payées aux banques par le Trésor de l’Inde, sur le budget. Environ un tiers du budget allait à l’encaissement des lettres, une utilisation tout à fait anormale des fonds du budget que l’on ne voit dans aucun pays souverain. Disons que j’exporte, dans l’Inde indépendante d’aujourd’hui, pour 1000 $ de marchandises vers les États-Unis. Les dollars arrivent à la Reserve Bank of India (RBI) qui conserve bien évidemment les dollars, qu’elle ajoute à la capacité d’achat international de l’Inde. Mais au taux d’échange actuel de 70 Rs. par dollar, la RBI me fait gagner 70 000 roupies qui ne sont en aucune manière liées au budget. Mais dans l’Inde coloniale, nos gains de l’étranger ne revenaient jamais au pays, de plus la valeur de la Roupie n’était en fait jamais payée aux producteurs puisqu’ils étaient floués par l’utilisation du paiement de leurs propres taxes pour se rembourser sur le budget. C’est pour cela que le surplus à l’exportation était une juste mesure du transfert massif de nos gains réalisés à l’étranger vers la Grande-Bretagne, et nos producteurs sont devenus de plus en plus pauvres au fur et à mesure qu’ils exportaient puisqu’ils étaient alors taxés de manière encore plus forte.

Supposons que nous ayons reçu ne serait-ce qu’un quart des sommes massives gagnées grâce aux échanges internationaux. Nous aurions ce surplus d’exportation depuis le premier jour, depuis 1765. Alors nous aurions pu importer la technologie nécessaire afin de mettre sur pieds une structure industrielle moderne des décennies avant que le Japon ne commence à le faire, après la restauration Meiji de 1867. Mais pas un seul dollar, pas une seule livre sterling des revenus du surplus d’exportation n’a pu revenir. C’est la beauté du système avec lequel la Grande-Bretagne a opéré depuis son propre point de vue et grâce auquel ils ont obtenu cet important pouvoir d’achat international. Selon les données de l’ONU des trois décennies se terminant en 1928, l’Inde avait gagnéle deuxième plus grand surplus d’exportation au monde, derrière les États-Unis.

J’ai estimé que le drainage des richesses de l’Inde vers la Grande-Bretagne pour la période s’étendant de 1765 à 1938 s’élève à 9,2 milliards de livres (ce qui équivaut à 45 milliards de dollars) en utilisant les revenus du surplus d’exportation d’Inde comme mesure avec une capitalisation à un taux d’intérêt bas de 5 %. (Mon texte intitulé « Revisiting the drain, or transfers from India to Britain in the context of global diffusion of capitalism » a été publié dans un livre que j’ai co-dirigé en 2017, intitulé Agrarian and Other Histories – Essays for Binay Bhushan Chaudhuri).

En utilisant son contrôle politique pour se saisir des importants revenus du surplus d’exportation de l’Inde et de ses autres colonies pour son propre usage, la Grande-Bretagne pouvait devenir le plus grand exportateur de capitaux au monde et permettre le déploiement de l’industrialisation capitaliste à des régions de colonialisme de peuplement européen. Pendant les cinquante années ayant suivi 1870, elle a importé bien plus que ce qu’elle n’a exporté depuis le continent européen et l’Amérique du Nord – c’est-à-dire qu’avec ces régions, les comptes courants étaient en déficit. Pourtant, elle exportait de vastes capitaux vers ces mêmes régions pour développer les infrastructures, donc les comptes courants étaient aussi en déficit avec eux. (Rappelez-vous que les exportations de capitaux, contrairement aux exportations de biens, sont un élément négatif et, en temps normal, un pays devrait avoir un excédent de la balance des opérations courantes afin de pouvoir exporter des capitaux, car la balance des paiements doit toujours être équilibrée). Le déficit de la balance des paiements, qui augmentait rapidement, avec l’Europe et l’Amérique du Nord, n’était possible que parce qu’elle s’est saisie de tous les revenus de ses colonies afin de payer ces déficits. Ainsi, la totalité du monde industrialisé avancé d’aujourd’hui a bénéficié, de manière parasitaire, des richesses drainées depuis les colonies.

 

M.A. : Pourriez-vous parler un peu de la réception de vos travaux sur l’impérialisme dans les sphères intellectuelles indienne et occidentale, notamment dans le marxisme occidental ? Y a-t-il seulement eu réception de ceux-ci ?

U.P. : En Inde oui, ils ont été assez largement lus et ailleurs dans le monde, ils ont reçu une certaine attention – je pense qu’une raison à cela est qu’Akeel Bilgrami a insisté sur le fait que nos arguments devaient être commentés. Initialement, il a demandé à plusieurs personnes de faire part de leurs commentaires, y compris Noam Chomsky, qui lui a répondu que notre livre aurait nécessité une lecture attentive, ce qui demanderait davantage de temps que ce qu’il avait prévu au départ. Sur les trois ou quatre personnes sollicitées, David Harvey a accepté d’apporter ses retours. Cela a été utile, car comme de nombreux marxistes des universités du Nord, il n’a jamais eu affaire au débat, vieux de plus d’un siècle, du drainage des richesses sous le colonialisme. Ainsi, se confronter à notre projet spécifique était sans doute difficile et impliquait de s’engager sur un nouveau terrain pour lui. Nous avons été en désaccord avec les points qu’il a soulevés, mais le fait qu’il ait pris la peine de lire le livre et de formuler ses critiques n’en restait pas moins positif. Désormais, je commence à penser que notre raisonnement peut commencer à se diffuser, car les livres ne sont pas lus immédiatement, pas plus que les idées ne se disséminent très rapidement, surtout si elles n’entrent pas dans le moule conventionnel.

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Cet entretien est une version abrégée d’un entretien co-publié par Thimar et roape.net.

Utsa Patnaik a enseigné l’économie à l’université Jawaharlal Nehru, en Inde, de 1973 jusqu’à sa retraite en 2010. Elle a écrit, dirigé et co-dirigé plusieurs ouvrages, dont Agrarian Relations and Accumulation – the Mode of Production Debate (1991), The Agrarian Question in Marx and his Successors (en deux volumes : 2007 et 2011), The Agrarian Question in the Neoliberal Era (2013), avec le défunt Sam Moyo, et plus récemment A New Theory of Imperialism (2016).

Max Ajl a récemment soutenu une thèse au département de sociologie du développement de l’université Cornell aux États-Unis. Ses travaux s’intéressent surtout à la question de la justice environnementale, au changement agraire, à la planification et à la pensée sociale arabe/nord-africaine hétérodoxe. Contributeur régulier de Jacobin, il a publié des textes dans Viewpoint, la Review of African Political Economy et le Middle East Report. Il fait partie du comité éditorial de Jadaliyya et s’occupe notamment des pages consacrées à l’économie politique et à la Palestine.

 

Traduit de l’anglais par Sophie Coudray et Selim Nadi.