La Commune au jour le jour. Mardi 21 mars 1871

À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

Le combat pour Paris est engagé

Dans Paris, trois forces sont en présence.

Le comité central qui représente les ouvriers des quartiers populaires organisés dans la Garde Nationale, quelques bataillons réactionnaires et les hommes d’ordre, des bourgeois et journalistes partisans de Thiers ; enfin les républicains radicaux.  Ces derniers veulent éviter la guerre civile et mènent des négociations entre Versailles et Paris, en s’appuyant sur la crainte suscitée par la présence de l’armée prussienne en France jusqu’au paiement de deux des cinq milliards du tribut prévu par le traité de paix.

Le Comité Central prépare les élections, mais cherche toujours à avoir l’aval des élus, tout en maintenant qu’il ne quittera pas l’Hôtel-de-Ville avant d’être remplacé par les nouveaux représentants issu du vote. La préparation concrète des élections peut s’organiser dans les mairies des 17 arrondissements qui sont tenus par des partisans du Comité, mais il est compliqué de disposer des registres électoraux sans lesquels il est impossible de contrôler la procédure dans les trois arrondissements restants.

 

Les maires parisiens opposés au pouvoir du Comité Central s’organisent

Les quelques députés, maires, adjoints, qui refusent toujours l’autorité du Comité Central et qui demandent à l’Assemblée nationale [réunissant essentiellement le parti de l’ordre à Versailles] que Paris retrouve sa liberté municipale par des élections légales, haussent le ton. Ils exigent que les élections soient décidées par l’Assemblée, et se déclarent opposés à celles qui sont annoncées pour demain, qu’ils dénoncent comme illégales, tout en sabotant leur préparation matérielle.

Ils vont plus loin dans la remise en cause du pouvoir émanant du Comité Central, puisqu’ils donnent un chef militaire à la réaction en nommant l’Amiral Saisset général provisoire de la Garde Nationale. Celui-ci s’est empressé d’accepter sa nomination, et de la faire ratifier par le gouvernement. Il a établi son Quartier Général au Grand Hôtel. Les gardes nationaux réactionnaires se regroupent en se plaçant sous son commandement. Ils sont autour de 20 000 hommes armés qui occupent les II°, VI°, et VIII° arrondissements, et une partie des V°, VII°, IX° et X°. Les hommes de l’ordre accourent, un grand nombre d’officiers, de retour d’Allemagne, proposent de prendre leur commandement. Toutes ces troupes s’établissent solidement à la mairie du IXe. Elles se sentent même assez fortes pour réoccuper au sud, rive gauche, la mairie du VIe, et au nord pour déloger les fédérés de la gare Saint-Lazare. Elles gardent tous les abords des quartiers occupés et arrêtent les passants.

Il y a une ville dans la ville, qui coupe Paris en deux, placée entre l’Hôtel de ville où siège le Comité Central et la place Vendôme où est installé l’état-major de la Garde nationale.

Les maires qui constituent la direction politique de cette autre ville hostile au mouvement populaire sont installés dans la mairie du II° arrondissement.

Cette radicalisation de la position des maires hostiles au Comité conduit plusieurs adjoints, Meillet (adjoint au XIII°), Malon (adjoint au XVII°) et Dereure (adjoint au XVIII°) à prendre officiellement leurs distances avec les manœuvres de ces maires et à se rallier avec éclat au mouvement communal.

 

À Versailles, Thiers et l’Assemblée s’emploient à « comprimer la sédition »

Thiers, dans un télégramme envoyé dans toute la France menace une nouvelle fois toutes celles et ceux qui ne se rangeraient pas du côté de Versailles :

« Les nouvelles sont parfaitement rassurantes, les hommes de désordre ne triomphent nulle part. A Paris même, les bons citoyens se rallient pour comprimer la sédition. L’Assemblée et le Gouvernement avec une armée de 45 000 hommes dominent la situation…le gouvernement qui vous adresse ces nouvelles est un gouvernement de vérité…il est bien entendu que tout agent de l’autorité qui pactiserait avec le désordre sera poursuivi comme coupable de forfaiture ».

À l’Assemblée versaillaise, Picard lit une adresse au peuple et à l’armée, pleine de faussetés et d’injures contre Paris. Millière se permet de dire qu’elle contient des mots malheureux ; il est hué.

Les Républicains radicaux Clémenceau, Brisson et Louis Blanc adjurent l’Assemblée d’examiner immédiatement leur projet de loi municipale, pour l’opposer aux élections annoncées pour le lendemain. Thiers répond : « Laissez-nous le temps d’étudier la question, Paris ne peut être gouverné comme une ville de trois mille âmes ». Thiers, en même temps qu’il maintient ses menaces contre celles et ceux qui « pactiseraient avec le désordre », promet d’étudier l’organisation que pourrait se mettre en place dans une grande ville comme Paris : « Je le répète, nous perdrons le moins de temps possible, mais ne perdez pas de vue qu’une loi légèrement conçue ne serait pas sérieuse et qu’elle ne serait pas durable. Donnez-nous très peu de jours, et Paris sera en possession de lui-même ; mais avant, il faut qu’il ne soit plus en possession des factieux. (Très bien ! Très bien!) ».

Puis, Jules Favre se lance dans un discours d’une heure et demie.  Il y montre Paris aux mains d’une « poignée de scélérats, mettant au-dessus des droits de l’Assemblée je ne sais quel idéal sanglant et rapace », et dénonce violemment «ces nouveaux docteurs [qui] affichent la prétention de séparer Paris de la France. Mais, que l’émeute le sache bien. Si nous avons quitté Paris, c’est avec l’esprit de retour pour la combattre résolument ». Il ajoute enfin :

« est-ce que ce n’est pas la guerre civile, ouverte, audacieuse, accompagnée du meurtre, lâche, et du pillage dans l’ombre, est-ce que nous ne savons pas que les réquisitions ont commencé, que les propriétés privées vont être violées ? ».

 

La pression monte à Paris

La presse bourgeoisie dénonce violemment la Garde Nationale et le pouvoir du Comité Central. Elle se répand en descriptions de pillage de caisses et de propriétés privées.

Dans la journée, une trentaine de journaux publient et affichent une déclaration commune contre les élections préparées par le Comité Central pour le lendemain :

DÉCLARATION DE LA PRESSE

AUX ELECTEURS DE PARIS

Attendu que la convocation des électeurs est un acte de souveraineté nationale.

Que l’exercice de cette souveraineté n’appartient qu’aux pouvoirs émanés du suffrage universel.

Que par suite, le comité qui s’est installé à l’Hôtel-de-Ville n’a ni droit ni qualité pour faire cette convocation ;

Les représentants des journaux soussignés regardent la convocation, affichée pour le 22 courant, comme nulle et non avenue, et engagent les électeurs à n’en pas tenir compte.

Le Journal des débats, le Constitutionnel, le Moniteur universel, le Figaro, le Gaulois, la Vérité, Paris-Journal, la Presse, la France, la Liberté, le Pays, le National, l’Univers, le Temps, la Cloche, la Patrie, le Bien public, l’Union, l’Avenir libéral, Journal des Villes et des Campagnes, le Charivari, le Monde, la France nouvelle, la Gazette de France, le Petit Moniteur, le Petit National, l’Électeur libre, la Petite Presse 

Une foule indignée ayant envahi les bureaux du Gaulois et du Figaro, le Comité déclare qu’il ferait respecter la liberté de la presse « espérant que les journaux se feraient un devoir de respecter la République, la vérité, la justice ».

Sur les boulevards élégants de l’ouest parisien, les réactionnaires se manifestent de plus en plus bruyamment, demandant le retour à l’ordre et au travail. C’est autour de la Bourse qu’ils se sont retrouvés. Bien que le gouvernement versaillais ait donné l’ordre de ne pas ouvrir celle-ci, les agents de change ont décidé à l’unanimité qu’elle ouvrirait comme d’habitude. Vers une heure, une centaine de manifestants ont fait le tour du bâtiment, drapeau en tête, et débouché sur le boulevard aux cris de : « Vive l’Assemblée!, A bas le Comité! ». Le commandant de la place, Bergeret, a essayé de négocier avec des délégués, en pure perte : les manifestants ont refusé de désigner des représentants. Les fédérés ont fini par faire évacuer la place. Les manifestants sont alors partis en promettant de se retrouver le lendemain devant le nouvel Opéra.

 

Au Comité des 20 arrondissements de Paris

Toute la journée, on y a discuté ferme, en critiquant même le Comité Central. Certains défendent la prise de mesures révolutionnaires, pas des élections, et pensent que l’urgence est la création d’un comité de salut public, en adjoignant les représentants des comités de vigilance au Comité Central. Après de longues discussions, ils sont mis en minorité, Hamet et Régère du V°, Briosne et Vallès font finalement approuver l’appui total au Comité Central et le maintien des élections.

On propose même des candidats pour ces élections.

Vallès et d’autres défendent aussi la menée de négociations avec le pouvoir exécutif. Ils sont convaincus que si les « républicains sincères » se prononcent franchement contre Versailles, Thiers s’arrêtera. Ils participent donc à une délégation avec Roullier, Langevin, Lefrançais, qui rencontre des représentants de l’Union républicaine qui les ont convoqués pour trouver les moyens de mettre fin à la guerre civile. Mais les Républicains demeurent dans l’expectative : la réunion ne débouche sur aucun résultat pratique.

 

Le comité central travaille d’arrache-pied

Le Comité Central de la Garde nationale et le Comité de la fédération républicaine fusionnent dans la Fédération Républicaine de la Garde Nationale qui adopte le report des élections d’un jour. Le débat est vif, les révolutionnaires les plus déterminés craignent que de report en report, on ne fasse le jeu de Versailles, qui cherche à gagner du temps pour organiser la contre-offensive. Il est précisé que « les électeurs voteront sur présentation de la carte qui leur a été délivrée pour l’élection des députés à l’assemblée Nationale, le 8 février 1871, et dans les mêmes locaux ». Il est également décidé que le vote se fera « d’après le mode ordinaire ».

Pour se consacrer entièrement « à l’œuvre du moment », le service de la télégraphie est suspendu dans Paris. Par ordre du gouvernement de Thiers, aucun objet de correspondance originaire de Paris ne doit être acheminé ou distribué, et il est même indiqué que tous les objets de cette origine qui parviendraient dans le service postal en dépêches closes de Paris ou autrement devront être invariablement expédiées sur Versailles.

En outre, les journaux n’entrent plus dans la ville, ce qui ne permet pas aux prolétaires de la capitale de se rendre compte de l’horreur qu’ils inspirent à la province, lisible dans les diatribes de toute la presse régionale.

Trois publications importantes dans l’Officiel

Mise au point sur la mort des généraux Lecomte et Thomas

Tous les journaux réactionnaires publient des récits plus ou moins dramatiques sur ce qu’ils appellent « l’assassinat » des généraux Lecomte et Clément Thomas.

Sans doute ces actes sont regrettables.

Mais il importe, pour être impartial, de constater deux faits :

1° Que le général Lecomte avait commandé à quatre reprises, sur la place Pigalle, de charger une foule inoffensive de femmes et d’enfants ;

2° Que le général Thomas a été arrêté au moment où il levait, en vêtements civils, un plan des barricades de Montmartre.

Ces deux hommes ont donc subi la loi de la guerre, qui n’admet ni l’assassinat des femmes ni l’espionnage.

On nous raconte que l’exécution du général Lecomte a été opérée par des soldats de la ligne et celle du soldat Clément Thomas par des gardes nationaux.

Il est faux que ces exécutions aient eu lieu sous les yeux et par les ordres du comité central de la garde nationale. Le comité central siégeait avant-hier rue Onfroy, près de la bastille, jusqu’à l’heure où il a pris possession de l’Hôtel de Ville ; et il a appris en même temps l’arrestation et la mort des deux victimes de la justice populaire.

Ajoutons qu’il a ordonné une enquête immédiate sur ces faits.

Un article intitulé « La Révolution Nouvelle » y commente la nature du mouvement en cours. Il est signé « le délégué ». A-t-il été écrit par Longuet, le membre de l’internationale, ou Moreau, Rogeard et Longuet ? Nous n’avons pu le savoir. L’article analyse la situation d’un point de vue socialiste, estimant que le mouvement de défense républicaine est devenu une révolution sociale parce que les ouvriers ont pris en main leurs destinées en dirigeant les affaires publiques. La bourgeoisie doit donc comprendre que l’heure de l’émancipation du prolétariat est arrivée.

Paris, le 20 mars 1871.

La Révolution du 18 mars.

Les journaux réactionnaires continuent à tromper l’opinion publique en dénaturant avec préméditation et mauvaise foi les événements politiques dont la capitale est le théâtre depuis trois jours. Les calomnies les plus grossières, les inculpations les plus fausses et les plus outrageantes sont publiées contre les hommes courageux et désintéressés qui, au milieu des plus grands périls, ont assumé la lourde responsabilité du salut de la République.

L’histoire impartiale leur rendra certainement la justice qu’ils méritent, et constatera que la Révolution du 18 mars est une nouvelle importante dans la marche du progrès.

D’obscurs prolétaires, hier encore inconnus, et dont les noms retentiront bientôt dans le monde entier, inspirés par un amour profond de la justice et du droit, par un dévouement sans borne à la France et à la République, s’inspirant de ces généreux sentiments et de leur courage à toute épreuve, ont résolu de sauver à la fois la patrie envahie et la liberté menacée. Ce sera là leur mérite devant leurs contemporains et devant la postérité.

Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en mains la direction des affaires publiques.

Ils ont usé du pouvoir que le peuple a remis entre leurs mains avec une modération et une sagesse qu’on ne saurait trop louer.

Ils sont restés calmes devant les provocations des ennemis de la République, et prudents en présence de l’étranger.

Ils ont fait preuve du plus grand désintéressement et de l’abnégation la plus absolue. À peine arrivés au pouvoir, ils ont eu hâte de convoquer dans ses comices le peuple de Paris, afin qu’il nomme immédiatement une municipalité communale dans les mains de laquelle ils abdiqueront leur autorité d’un jour.

Il n’est pas d’exemple dans l’histoire d’un gouvernement provisoire qui se soit plus empressé de déposer son mandat dans les mains des élus du suffrage universel.

En présence de cette conduite si désintéressée, si honnête et si démocratique, on se demande avec étonnement comment il peut se trouver une presse assez injuste, malhonnête et éhontée pour déverser la calomnie, l’injure et l’outrage sur des citoyens respectables, dont les actes ne méritent jusqu’à ce jour qu’éloge et admiration.

Les amis de l’humanité, les défenseurs du droit, victorieux ou vaincus, seront toujours les victimes du mensonge et de la calomnie ?

Les travailleurs, ceux qui produisent tout et qui ne jouissent de rien, ceux qui souffrent de la misère au milieu des produits accumulés, fruit de leur labeur et de leurs sueurs, devront-ils donc sans cesse être en butte à l’outrage ?

Ne leur sera-t-il jamais permis de travailler à leur émancipation sans soulever contre eux un concert de malédictions ?

La bourgeoisie, leur aînée, qui a accompli son émancipation il y a plus de trois quarts de siècles, qui les a précédés dans la voie de la révolution, ne comprend-elle pas aujourd’hui que le tour de l’émancipation du prolétariat est arrivé ?

Les désastres et les calamités publiques dans lesquels son incapacité politique et sa décrépitude morale et intellectuelle ont plongé la France devraient pourtant lui prouver qu’elle a fini son temps, qu’elle a accompli la tâche qui lui avait été imposée en 89, et qu’elle doit sinon céder la place aux travailleurs, au moins les laisser arriver à leur tour à l’émancipation sociale.

En présence des catastrophes actuelles, il n’est pas trop du concours de tous pour nous sauver.

Pourquoi donc persiste-t-elle avec un aveuglement fatal et une persistance inouïe à refuser au prolétariat sa part légitime d’émancipation ?

Pourquoi lui conteste-t-elle sans cesse le droit commun ; pourquoi s’oppose-t-elle de toutes ses forces et par tous les moyens au libre développement des travailleurs ?

Pourquoi met-elle sans cesse en péril toutes les conquêtes de l’esprit humain accomplies par la grande révolution française ?

Si depuis le 4 septembre dernier la classe gouvernante avait laissé un libre cours aux aspirations et aux besoins du peuple ; si elle avait accordé franchement aux travailleurs le droit commun, l’exercice de toutes les libertés, si elle leur avait permis de développer toutes leurs facultés, d’exercer tous leurs droits et de satisfaire leurs besoins ; si elle n’avait pas préféré la ruine de la patrie au triomphe certain de la République en Europe, nous n’en serions pas où nous en sommes et nos désastres eussent été évités.

Le prolétariat, en face de la menace permanente de ses droits, de la négation absolue de toutes ses légitimes aspirations, de la ruine de la patrie et de toutes ses espérances, a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir.

C’est pourquoi il a répondu par la révolution aux provocations insensées et criminelles d’un gouvernement aveugle et coupable, qui n’a pas craint de déchaîner la guerre civile en présence de l’invasion et de l’occupation étrangères.

L’armée, que le pouvoir espérait faire marcher contre le peuple, a refusé détourner ses armes contre lui, elle lui a tendu une main fraternelle et s’est jointe à ses frères.

Que les quelques gouttes de sang versé, toujours regrettables, retombent sur la tête des provocateurs de la guerre civile et des ennemis du peuple, qui, depuis près d’un demi-siècle, ont été les auteurs de toutes nos ruines nationales.

Le cours du progrès, un instant interrompu, reprendra sa marche, et le prolétariat accomplira, malgré tout, son émancipation !

Le délégué au Journal officiel

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Blanqui, arrêté le samedi 18 mars, est aujourd’hui emprisonné. Il a fait parvenir cette proclamation d’ardente défense républicaine.

PROCLAMATION DE BLANQUI

Citoyens,

Le 4 septembre, un groupe d’individus qui, sous l’Empire, s’étaient créé une popularité facile, s’était emparé du pouvoir. À la faveur de l’indignation générale, ils s’étaient substitués au gouvernement pourri qui venait de tomber à Sedan. Ces hommes étaient pour la plupart les bourreaux de la république de 1848. Cependant, à la faveur du premier moment de surprise, ils se sacrèrent arbitres de la destinée de la France. Les vrais républicains, ceux qui sous tous les gouvernements avaient souffert pour leurs croyances, virent avec douleur cette usurpation des droits de la nation.

Pourtant, le temps pressait, l’ennemi approchait ; pour ne pas diviser la nation, chacun se mit de toutes ses forces à l’œuvre de salut. Espérant que l’expérience avait appris quelque chose à ceux qui avaient été pour ainsi dire les créateurs de l’Empire, les républicains les plus purs acceptèrent sans murmurer de servir sous eux, au nom de la République.

Qu’arriva-t-il ? Après avoir distribué à leurs amis toutes les places où ils ne conservaient pas les bonapartistes, ces hommes ses croisèrent les bras et crurent avoir sauvé la France. En même temps, l’ennemi enserrait Paris d’une façon de plus en plus inexorable, et c’était par de fausses dépêches, par de fallacieuses promesses que le gouvernement répondait à toutes les demandes d’éclaircissement.

L’ennemi continuait à élever ses batteries et ses travaux de toute sorte, et à Paris, 300 000 citoyens restaient sans armes et sans ouvrage, et bientôt sans pain, sur le pavé de la capitale.

Le péril était imminent, il fallait le conjurer. Or, au gouvernement issu d’une surprise, il fallait substituer la Commune, issue du suffrage universel. De là le mouvement du 31 octobre. Plus honnêtes que ceux qui ont eu l’audace de se faire appeler le gouvernement des honnêtes gens, les républicains n’avaient pas ce jour-là l’intention d’usurper le pouvoir. C’est au peuple, réuni librement devant les urnes électorales, qu’ils en appelaient du gouvernement incapable, lâche et traître.

Au gouvernement issu de la surprise et de l’émotion populaire, ils voulaient substituer le gouvernement issu du suffrage universel.

Citoyens,

C’est là notre crime. Et ceux qui n’ont pas craint de livrer Paris à l’ennemi avec sa garnison intacte, ses forts debout, ses murailles sans brèche, ont trouvé des hommes pour nous condamner à la peine capitale.

On ne meurt pas toujours de pareilles sentences. Souvent on sort de ces épreuves plus grand et plus pur. Si l’on meurt, l’histoire impartiale vous met tôt ou tard au-dessus des bourreaux qui, en atteignant l’homme, n’ont cherché qu’à tuer le principe.

Citoyens, Les hommes ne sont rien, les principes seuls sont immortels. Confiant dans la

grandeur et dans la justice de notre cause, nous en appelons du jugement qui nous frappe au jugement du monde entier et de la postérité. C’est lui qui, si nous succombons, fera, comme toujours, un piédestal glorieux aux martyrs de l’échafaud infamant élevé par le despotisme ou la réaction.

Vive la République !

Blanqui

 

Situation militaire

Il y a encore 800 000 Prussiens en France et 60 000 soldats prisonniers en Allemagne sont sur la route du retour.

A l’ouest de Paris, l’imprenable forteresse du Mont Valérien, qui avait joué un rôle si important durant le siège avec la puissance de feu de ses canons, a été réoccupée ce matin par les troupes versaillaises.

Pendant trente-six heures, elle est restée vide. Le 18 au soir, après l’ordre d’évacuation envoyé par M. Thiers, n’y restaient qu’une vingtaine de fusils et les chasseurs de Vincennes internés pour avoir manifesté à la Bastille. Ces internés avaient brisé les serrures des poternes et étaient rentrés à Paris.

Si la Garde nationale parisienne ne s’occupait pas de cette place militaire décisive, les généraux et certains députés suppliaient M. Thiers de faire réoccuper le Mont-Valérien depuis le 19. Il a refusé jusqu’à hier soir, au moment où Vinoy a réussi à lui arracher un ordre, à une heure du matin.

Une colonne a immédiatement été expédiée et à midi, un millier de soldats ont occupé la forteresse.

 

Nouvelles du Havre

La sous-préfecture publie la proclamation de l’Assemblée Nationale de Versailles :

« Citoyens et soldats : le plus grand attentat qui puisse se commettre chez un peuple qui veut être libre, une révolte ouverte contre la souveraineté nationale ajoute en ce moment comme un nouveau désastre à tous les maux de la patrie.

Des criminels, des insensés, au lendemain de nos revers, quand l’étranger s’éloignait à peine de nos champs ravagés, n’ont pas craint de porter dans ce Paris qu’ils prétendent honorer et défendre, plus que le désordre et la ruine : le déshonneur. Ils ont taché d’un sang qui soulève contre eux la conscience humaine en même temps qu’il leur interdit de prononcer le mot noble de République, qui n’a de sens qu’avec l’inviolable respect du droit et de la liberté. Déjà, nous le savons, la France entière repousse avec indignation cette entreprise odieuse. Ne craignez pas de nous ces faiblesses morales qui aggravent le mal en pactisant avec les coupables ».

Le conseil général de Seine Inférieure publie une déclaration :

« la France est lasse de subir les Révolutions de Paris et veut que sa volonté soit enfin obéie …il invite les maires et les députés du département à n’exécuter d’autres ordres que ceux du gouvernement de l’Assemblée Nationale ».

Celle-ci n’est pas signée par les conseiller généraux havrais, qui s’abstiennent.

 

De Grande Bretagne, le Daily News

« Une fois de plus la canaille a conquis Paris. À l’occupation Prussienne a succédé une humiliation plus honteuse encore : le Drapeau Rouge flotte sur l’Hôtel de Ville… Le gouvernement de M. Thiers eût pu faire des miracles, n’eut été qu’il est par trop débonnaire. Une seule chose l’a empêché de faire hacher les canonniers de Montmartre par une charge comme à Blaklava, c’est sa tendresse pour les insurgés, son espoir qu’ils pourraient encore se repentir de leur mauvaiseté, et revenir au droit et à la légalité… les classes respectables de la France ne peuvent que regretter amèrement les bénédictions de l’Empire, perdues sans retour aujourd’hui …. l’émeute qui vient d’éclater soudain c’est l’hallucination d’une révolution en délire, c’est absurde, intangible, monstrueux autant qu’un cauchemar …. Samedi dernier toute cette engeance s’est enivrée de passion politique, elle s’est démenée par la ville comme des bandes de gorilles échappées du Jardin des Plantes…

 

En débat : où se trouve la légitimité populaire ?

Dans un premier temps, le Comité Central n’a pas reconnu l’insurrection, la nature révolutionnaire du pouvoir acquis, il a éludé le problème. Il n’a pris en charge les fonctions qu’acculé par les circonstances, la situation, le vide, les pressions. Craignant l‘illégalité, le Comité central s’affirme seulement mandaté pour rétablir la légalité républicaine, les élections municipales à Paris, même s’il déborde rapidement ce cadre à son corps défendant, en se référant plus ou moins clairement à l’idéologie du fédéralisme, celle pour laquelle le seul programme est la tenue d’élections municipales.

Si le Comité central de la fédération républicaine de la Garde Nationale en reste à ce niveau, c’est à la fois qu’il estime que son mandat est de représenter la Garde Nationale, pas la totalité du peuple, et qu’il n’a pas eu les débats politiques pour avancer de manière démocratique sur les questions qui se posent.

Du point de vue de la légitimité, indiscutablement le Comité central est représentatif du peuple ouvrier armé, des volontaires et des hommes âgés de plus de 20 ans et de moins de 45 ans, donc du moins des deux tiers de la garde nationale qui y sont engagés, soit environ 200 000 hommes. Ceux qui n’en sont pas membres ont fait le choix de ne pas s’insérer dans une structure indépendante du gouvernement, qui instaure une force armée sous la seule direction de ses membres. Notons, qu’il y eu moins de 300 000 votants.

Tant les débats qui irriguent les compagnies de la garde que le système démocratique mis en place permettent de dire que le comité central est la forme de représentation du peuple de Paris la plus large qui existe à ce moment, qui organise l’essentiel des quartiers ouvriers. Il y a bien sûr des absences très importantes dans cette représentation, celle des femmes, celle des travailleurs qui sont toujours en activité.

Il est donc juste de rendre le mandat, d’organiser des élections communales, mais restera ouverte la question du lien entre l’organisation à la base du peuple ouvrier et les futurs élus.