Les européennes vues de Grèce. Entretien avec Aleksis Tsipras

Le moment est venu pour que la gauche radicale à travers l’Europe crie haut et fort « ça suffit, le capitalisme a fait son temps ! »

Photo d'Aleksis Tsipras

Aleksis Tsipras est président du Synapsismos, parti membre de la coalition SYRIZA.
 
Contretemps : La révolte de Décembre a été la première révolte en Grèce depuis le début de la crise économique internationale. Quelle est la signification de cette révolte pour la population grecque et pour la gauche ?

Pour nous, cet évènement était prévisible. Il y avait des signes avant-coureurs dans les mouvements sociaux de ces dernières années, au sein des mouvements contre la mondialisation néolibérale en particulier, avec de nouvelles formes d’organisation de la jeunesse, et surtout la colère de cette jeunesse qui a vécu et vit tous les jours l’exclusion économique, cette jeunesse qui est exclue de l’éducation aussi bien que du marché du travail. Pour le camp conservateur de la société grecque les évènements de décembre ont eu une grande importance. Certains se sont « réveillés », alors que d’autres sont devenus encore plus conservateurs. Et la Grèce était encore sous le choc des scandales successifs dûs à la corruption et aux politiques néolibérales qui depuis vingts ans sont de plus en plus dures. Il y avait deux voies possibles : soit le système construit depuis 1974 allait s’effondrer, soit il fallait lui trouver une « bouée de sauvetage ». Les partis qui ont ne serait-ce que refusé de s’opposer aux milliers de jeunes qui se trouvaient dans la rue, ont fait face à des attaques virulentes de la part du pouvoir. Ce qui comptait pour ce pouvoir ce n’était pas de comprendre ce qu’il se passait dans la rue mais de garder le système intact. Les évènements du mois de Décembre sont à l’origine de changements importants dans la gauche grecque et surtout ils nous imposent de voir les choses autrement. Si la gauche n’arrive pas à le faire elle perdra le pari de convaincre une jeunesse qui participe activement à la politique et aux actions collectives.

Contretemps : Les conséquences de la crise se font sentir partout en Europe, et les élections européennes approchent. La crise a des conséquences très dures en Grèce au niveau économique et politique. L’échec du néolibéralisme est flagrant. Pourtant le néolibéralisme est la pierre de touche de l’Union Européenne et des partis politiques qui y sont au pouvoir (aussi bien de droite que sociaux-démocrates). Quels sont les enjeux politiques pour SYRIZA ?

C’est le dilemme : construit-on l’Europe des citoyens ou bien l’Europe des banquiers ? La question c’est : est-ce qu’on va laisser faire la dictature du marché ou bien est-ce qu’on va prendre en compte les besoins des citoyens ? Déjà, les mécanismes idéologiques, qui depuis des années font l’apologie du néolibéralisme comme voie unique, préparent leur défense face à la société. Ils essayent de sortir de l’impasse, pour continuer à déconstruire l’État providence, à creuser les inégalités, l’insécurité dans le travail et la pauvreté. Ils essayent de sauver les firmes multinationales avec l’argent de l’État. Dans ce contexte, le caractère internationaliste de la gauche est primordial. L’Europe a toujours été un terrain de luttes sociales et de luttes de classes, et les idées de la gauche d’un pays influencent les idées de la gauche d’un autre pays. Le moment est venu pour que la gauche radicale à travers l’Europe crie haut et fort « ça suffit, le capitalisme a fait son temps ! ». Ils faut que nous luttions pour l’Europe de la démocratie, de l’éducation et du socialisme.

Contretemps : À votre avis, quels sont les perspectives de la gauche pour se construire au niveau européen et faire face aux attaques néolibérales ? Je pense en particulier au Parti de la Gauche Europeenne et à la Gauche Europeenne Anticapitaliste. Quelle est la relation pour cette gauche entre les luttes au niveau national et au niveau européen ? Quelles sont les différences avec la social-démocratie ? Quelles sont les leçons qu’en tirent SYRIZA ?

Nous nous sommes tous rencontrés à des manifestations européennes ou aux Forums Sociaux Européens. Nous savons que nous parlons la même langue, celle des travailleurs et de la jeunesse. Aussi bien le Parti de la Gauche Européenne que la Gauche Anticapitaliste Européenne ont été construits sur la confiance mutuelle, et ils font des actions en commun contre les politiques néolibérales. La coexistence de 12 organisations dans SYRIZA montre qu’au niveau national mais aussi au niveau européen il est possible de construire une réponse à la fois aux conservateurs et aux sociaux-démocrates. Notre slogan est « Dialogue, Unité, Action ».


Contretemps : Quelle est la situation, le paysage des mouvements sociaux en Grèce, aujourd’hui ? Comment Synapsismos et SYRIZA s’y intègrent-ils ?


SYRIZA existe parce que les mouvements sociaux existent. D’ailleurs se sont les mouvement sociaux qui ont été le point de départ de la création de SYRIZA. C’est au sein de ceux-ci que nous puisons des exemples de fonctionnement de démocratie directe, radicaux et originaux. Aujourd’hui en Grèce, il n’existe pas réellement d’action unitaire dans les mouvements sociaux, et au sein de la gauche en général. Mais dans chaque quartier, dans chaque ville on voit la création de collectifs pour défendre les droits économiques, politiques et civiques de tou-te-s, ou encore pour défendre l’accès libre aux plages ou même les espaces verts, ou du moins ce qu’il en reste. C’est une grande richesse et c’est important pour les luttes à venir.

 

Entretien réalisé par P. Chrysos le 2 juin 2009 et traduit en français par E. Agathos