Une sociologie des Black blocs

Loin des nombreux clichés qui circulent à leur propos, l’ouvrage de Francis Dupuis-Deri, Les Black blocs – La liberté et l’égalité se manifestent, revient sur les questions que soulèvent la présence des "Blacks blocs" dans les manifestations.

 

A propos de Francis Dupuis-Deri, Les Black blocs – La liberté et l’égalité se manifestent – ,3e ed., Montreal, Coll. L’instinct de liberté, Lux, 2007, 247 pages, 14 euros.

            La troisième édition de l’ouvrage du politiste québécois Francis Dupuis-Deri, Les Black-blocs, constitue une version augmentée d’un précédent livre paru pour la première fois en 2003, puis réédité en 2005, avant de connaître une nouvelle édition en 2007. En particulier, l’étude a été complétée sur plusieurs points: réactualisation, critiques de ce genre de tactique, développements plus importants sur les expériences de black blocs hors du Canada. L’auteur part dans son introduction de la définition suivante: le black bloc est une tactique qui « consiste pour ces manifestants à manoeuvrer groupés de sorte à prendre l’apparence d’un bloc au milieu duquel chacun préserve son anonymat, le port d’habits noirs de pied en cap et d’un masque parachèvent l’anonymat de la posture » (p.13). L’ouvrage se divise en quatre chapitres portant respectivement sur: l’origine du phénomène, le rapport à la violence, les raisons de ce phénomène et les critiques faites à cette tactique d’action militante. L’enquête s’est appuyée entre autres sur des entretiens menés au Canada et France avec des militants ayant participé à des black-blocs, des discussions et des débats avec des militants, l’étude de documents écrits en particulier des brochures. 

            Francis Dupui-Deri accorde dans son ouvrage une grande importance à démonter la construction médiatique et policière erronée de ce que sont les black-blocs. Concernant l’origine de cette tactique, celui-ci rappelle en particulier qu’elle est apparue dans les milieux autonomes en Allemagne dans les années 80 dans le but de défendre les squats des expulsions policières. Il présente en outre des éléments importants concernant la composition et le fonctionnement des black blocs. Du point de vue sociologique, ceux-ci réunissent plutôt des militants jeunes et masculins. Les black-blocs, contrairement au fantasme policier, ne reposent pas sur des réseaux militants stables et clandestins, mais sur des petits groupes affinitaires dont le regroupement et l’action collective lors d’une manifestation peut être en partie spontanée: il suffit de s’habiller en noir pour pouvoir participer à un black-bloc. De nombreux participants à des black-blocs peuvent avoir des activités militantes dans des organisations stables par ailleurs: le black-bloc ne se constitue en tant que tel qu’à l’occasion d’une manifestation. Du point de vue de leur fonctionnement idéal-typique, les black-blocs sont constitués de groupes affinitaires qui agissent au consensus. Le corolaire au sein du mouvement altermondialiste des black-blocs est la notion de diversité des tactiques. Celle-ci consiste pour chaque participant à choisir le type d’action et le degrés de  confrontation physique qu’il est prêt à assumer. Cela a ainsi pu aboutir à la mise en place lors de certaines manifestations altermondialistes à un découpage militant en plusieurs zones, les black-blocs ayant alors leur espace d’intervention réservé.

            Francis Dupuis-Deri revient ensuite sur les controverses autour de l’usage de la violence suscité par l’action de ces black-blocs. Il analyse non seulement les discours médiatique sur ce sujet, mais aussi les discours militants comme par exemple les discours critiques de certaines personnalités membre d’ATTAC. Il rappelle en particulier comment, contrairement à l’image que l’on peut en avoir, que les black-blocs n’ont pas limité leur action à l’attaque d’enseignes symboles de la mondialisation capitaliste ou d’affrontement avec les forces de l’ordre, mais ont pu aussi par exemple protéger d’autres militants contre les charges policières. Il souligne aussi la difficulté et les limites de la mise en place de la diversité des tactiques. Il peut s’avérer que les actions des black-blocs puissent avoir des conséquences sur le degré de violence policière auxquels peuvent être confrontés les manifestants. Mais comme le souligne l’auteur, il ne faut pas oublier que les forces de l’ordre n’ont pas besoin des black-blocs pour déchainer une répression physique sur des manifestants pacifiques.     

            Le troisième chapitre de l’ouvrage s’attache à analyser le phénomène des blacks-blocs aux travers de divers aspects: motivations émotionnelles des participants, mais aussi politiques et économiques. L’auteur s’attache ici à montrer que les participants aux black-blocs ne sont pas des jeunes gens sans motivations autres que le plaisir de la violence, et que contrairement à ce qu’en dit le discours médiatique, on trouve dans leurs actions et leurs discours des motivations politiques et économiques.

            Enfin, le dernier chapitre est certainement l’un des plus intéressants dans la mesure où il ne consiste pas seulement à confronter les black-blocs aux critiques médiatiques ou des organisations politiques réformistes, mais aussi à celles d’autres militants de la gauche révolutionnaire.

 

            L’ouvrage de Francis Dupuis-Deri est marqué par une réelle volonté de comprendre le phénomène des blacks-blocs sans porter un jugement normatif négatif. L’auteur y applique le principe épistémologique de charité qui consiste à analyser les actions humaines en leur présupposant le maximum de rationalité. Il serait même possible de lui faire le reproche d’aller jusqu’à justifier le point de vue des participants à ce genre de tactique. Mais l’auteur se montre conscient de cette objection en faisant la recension des critiques opposées aux black-blocs.  

            Pour ma part, je souhaite revenir sur un exemple analysé par Francis Dupuis-Deri dans son ouvrage qui permet de montrer les différences de point de vue argumentatif que génère ces questions dans les disputes militantes. En 2003, lors du sommet du G8, les organisations libertaires françaises décident d’organiser un cortège « rouge et noir ». Elles prennent la décision que le service d’ordre de ce cortège a pour consigne d’empêcher que le cortège « rouge et noir [puisse] servir de point de départ ou de point de repli – de porte avions –  » (p.94) aux manifestants qui souhaitent se constituer en black-blocs. Francis Dupuis-Deri rappelle ainsi que cette décision conduisit certains manifestants à traiter le service d’ordre de ce cortège de « policiers libertaires » (p.96). Pour connaître, pour ma part, certains des arguments qui sont ceux des militants de ces organisations libertaires, je ne peux que regretter que l’auteur ne les mentionnent pas dans le cadre de cet exemple. En effet, cette décision avait été prise à ma connaissance pour assurer la sécurité de manifestants qui se joindraient au cortège libertaire,  et qui n’auraient pas été prêt à se trouver confrontés à une répression physique de la part des forces de l’ordre qui auraient pu poursuivre les participants au black-bloc à l’intérieur du cortège. On voit comment cet exemple pose la question du respect par chaque fraction de manifestant du principe des diversités des tactiques: droit à constituer des black-blocs, mais aussi droit pour chaque militant qui le désire à pouvoir manifester pacifiquement.

            Mis à part la critique que nous faisons de cet exemple, l’ouvrage de Francis Dupuis-Deri permet de faire le tour des questions et des controverses concernant les black-blocs et de réfléchir de nouveau à la question de l’usage tactique de l’action violente dans une perspective militante anticapitaliste.