Quelles perspectives pour l’économie politique ?

Les perspectives pour l’économie politique paraissent aussi incertaines, je le crains, que celles qui concernent le changement climatiquei.

Nous avons une certaine idée de ce qui s’est passé et pourquoi, ainsi qu’une idée de ce qu’il faudrait faire, voire même de la façon de le faire, des conditions nécessaires en termes de modification des rapports de force et de ce qui pourrait faire advenir tout cela. Au-delà, tout n’est que fragile spéculation ou vœux pieux. On pourrait en dire autant du socialisme, perspective tout à la fois urgente et incertaine, ou plutôt, complètement exclue de l’ordre du jour malgré les spectaculaires dysfonctionnements révélés par la crise économique en cours. On disait parfois du socialisme qu’il était bien beau en théorie mais qu’il ne marchait pas en pratique. Assurément, on peut en dire autant de l’hypothèse des marchés efficientsii. Les fonds publics utilisés pour le sauvetage du secteur financier ont dépassé de très loin les ressources nécessaires à l’élimination de la pauvreté dans le monde pour les cinquante prochaines années et, soit dit en passant, les recettes de l’ensemble des privatisations jamais réalisées (Fine, Hall, 2011). Dans le même temps, les déficits creusés pour sauver le système bancaire enfoncent toujours plus profondément le monde dans la récession et la pauvreté.

 

L’absurdité du cours des choses est évidente, mais on peut la voir de différentes façons. Stiglitz, dans ses publications, avance que les marchés ont des imperfections mais qu’on peut en améliorer le fonctionnement. Selon Krugman, Buiter, Solow et de nombreux autres auteurs, peut-être même Richard Posner dernièrementiii, les idées dominantes en économie se sont écartées du réalisme ; il convient désormais de chercher à combler cet écart, mais par une meilleure application des mêmes principes. A cet égard, je dois commencer par poser trois conclusions. Premièrement, aussi reconnus soient-ils, les « dissidents dominants » ont eu une influence négligeable sur les politiques publiques. Stiglitz, le plus énergique, n’en a eu aucune. Cela le conduit, dans ses efforts de rectification de la théorie vis-à-vis de la réalité, à considérer comme décisive la puissance des intérêts (financiers) dissimulés et des idéologies. Je pense qu’il a raison, mais on ne peut que se demander pourquoi ses travaux ne font qu’aboutir à ce point, et n’en font pas un point de départ, plutôt que de parler d’individus imparfaitement informés et coordonnés. Deuxièmement, lorsque les rapports entres les différentes forces sociales, mouvements et organisations permettront de mettre à l’ordre du jour des solutions progressistes, ces économistes dissidents auront probablement une influence limitative. Troisièmement, la principale tâche de l’économie politique aujourd’hui est de continuer à animer des traditions alternatives, pour elles-mêmes, mais aussi par anticipation des analyses plus profondes qui seront nécessaires dès que les excès de finance seront considérés comme un problème dû au capitalisme et non à la seule finance.

 

Mais je ne fais là qu’imaginer un monde futur car, dans l’immédiat, même si l’école de Chicago a connu un échec cuisant, elle continue à se défendre avec vivacité (quelle crise ? Les bulles n’existent pas)iv. C’est insensé, mais les perspectives qui s’offrent à elles sont plus favorables que celles de l’économie politique, à moins d’un changement radical des tendances actuelles et de leurs déterminants sous-jacents. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les relations entre science économique et économie politique. Cependant, comme nous le verrons dans la troisième partie de ce texte, les perspectives de l’économie politique sont considérablement meilleures, bien que tout aussi incertaines, dans l’ensemble des sciences sociales (économie mise à part) car celles-ci ont commencé à se retirer de deux grands extrêmes, le néolibéralisme et le postmodernisme, et s’efforcent davantage de saisir la nature du capitalisme contemporain (voir Fine, Milonakis, 2009, pour une discussion plus complète). Dans la deuxième partie de ce texte, je montre que l’économie politique s’est détachée de la science économique de telle façon et à tel point qu’elle n’a plus la possibilité de s’épanouir dans son cadre ou en s’y associant. L’annexe 1 vient illustrer cela en évoquant la montée des théories neuro-économiques. La conclusion suggère que la régénération de l’économie politique dépend de celle de forces progressistes, seules à même d’imposer d’autres politiques, et à terme, une transformation des rapports sociaux.

 

 

D’une science lamentable à une science paradoxale ?

Pour appréhender les perspectives qui s’offrent à l’économie politique, il est commode de commencer par analyser sa situation par rapport au courant dominant en économie à partir d’un double point de vuev. D’abord, il faut se demander quel est l’espace dont dispose l’économie politique au sein de l’économie en tant que discipline, c’est-à-dire son poids interne. Ensuite, il convient de situer l’économie politique en dehors du courant dominant, c’est-à-dire son poids externe. On peut débattre pour savoir jusqu’à quel point ces deux dimensions se superposent, notamment parce que s’il est une chose que les chercheurs en économie politique ont en commun, c’est justement une opposition (au moins partielle) au courant dominant. Cependant, comme Fred Lee (2010) l’a soutenu de manière convaincante, l’économie politique (hétérodoxe) a des traditions qui lui sont propres et qui soutiennent des approches et des analyses, indépendamment de toute relation au courant dominant. Des traditions qui, de plus, lui sont antérieures, en particulier dans le cas de l’économie politique marxiste et, dans une moindre mesure, pour l’école (néo)autrichienne.

 

Il est facile de décrire la place de l’économie politique au sein de l’économie dominante : elle est peu ou prou négligeable. En revanche, une question plus délicate et, dans une certaine mesure, plus controversée, est de savoir pourquoi et comment il en est ainsi. C’est pourtant un point crucial que je vais traiter en pointant une série de paradoxes qui traversent le courant dominantvi.

 

En premier lieu, il est remarquable d’observer qu’alors que le courant dominant occupe une position extrêmement solide sur le plan institutionnel – une forme de monopole, il est dans le même temps extraordinairement faible et fragile sur le plan intellectuel. Cela s’explique par le fait qu’il a eu besoin, pour se maintenir, d’exclure toute histoire de la pensée économique, toute réflexion critique sur la méthodologie, toute forme de débat avec les approches alternatives telles que l’économie politique, et tout réalisme (notion qui peut être interprétée de différentes manières mais qui implique, a minima, une salutaire relation avec des éléments empiriques pertinents, abondants et variés). Si ne serait-ce qu’une seule de ces questions était prise au sérieux, cela en serait fini du courant dominant dans sa forme actuelle. Et ce n’est certainement pas un hasard si, au cours des cinquante dernières années, ces problèmes ont été de plus en plus écartés de ce qui était considéré comme légitime par le courant dominant au fur et à mesure que celui-ci s’est constitué en monopole intellectuel. Bien entendu, il y a des exceptions à ces propositions extrêmes, avec par exemple le débat sur la science économique comme rhétoriquevii, mais ce ne sont que des exceptions qui confirment la règle hégémonique, sans la fragiliser de quelque manière que ce soit. En effet, la discussion intellectuelle au sein du courant dominant quant à sa propre véracité – qu’elle soit considérée via la question des origines du courant, de ses méthodes, des alternatives ou bien du rapport à la réalité – est tellement limitée qu’on ne peut même pas parler de tolérance répressive. Il s’agit de répression pure et simple.

 

Le second paradoxe est d’une certaine façon le corollaire du premier : la prétention du courant dominant à la rigueur et à la scientificité ne tient pas, même selon ses propres critères. Cela se joue à plusieurs niveaux. Le plus simple concerne le fait que les résultats obtenus par le courant dominant – par exemple l’existence d’un équilibre concurrentiel qui soit unique, stable et conforme à l’optimum de Pareto – dépendent très largement des hypothèses axiomatiques des modèles mathématiques. Des conditions extraordinairement exigeantes, voire ésotériques, sont simplement supposées vraies. On pourrait en dire autant des conséquences de la théorie de l’optimum de deuxième rang ou encore de l’idée très largement partagée que le libre-échange est une bonne chose et que les mesures de protection doivent être réduites (démonstration qui requiert seulement deux biens dans l’économie, pas d’intrants non-échangeables, pas de firmes multinationales, un risque également réparti entre des secteurs d’intensité capitalistique distincte, pas d’économies d’échelle ni de variété, etc. – Deraniyagala et Fine, 2001). Il est nécessaire de rappeler aux jeunes générations d’économistes les effets dévastateurs de la Critique de Cambridge, une controverse dont la plupart de mes nouveaux étudiants de troisième cycle n’ont jamais entendu parler, pas plus d’ailleurs que de la révolution marginaliste, de l’économie politique classique ou de la moindre considération méthodologique. En dépit des implications dévastatrices de la Critique pour la fonction de production à un secteur et pour la mesure de la productivité globale des facteurs, celles-ci restent des éléments typiques de la boite à outils néoclassiqueviii. Il en est de même pour l’économétrie qui, en pratique, est utilisée sans les précautions nécessaires – y compris du point de vue de se propres règles de l’art – afin d’écraser d’autorité des problèmes concernant les relations entre théorie et données empiriques, entre explications et causes. A un niveau plus profond, l’utilisation des mathématiques dans le cadre de modèles fondés sur l’individualisme méthodologique écarte d’emblée, et sans l’assumer, un traitement adéquat de variables sociales liées à la liquidité, à l’État et aux institutions notamment (Fine, 2007, b). Comment, par exemple, la nouvelle économie classique peut-elle conclure que l’État est inefficace alors même qu’elle n’a pas de théorie de l’État qui soit – ou puisse être – dérivée d’un comportement optimisateur des individus ?

 

Un troisième paradoxe tient au fait que le courant dominant est demeuré attaché de manière permanente et inconditionnelle à un cœur théorique constitué autour de la centralité de l’efficience, de la notion d’équilibre et des individus optimisateurs. Pourtant, ce courant a connu des développements très rapides : plus ça change, plus c’est la même chose. Son appareil technique (AT1) constitué de fonctions de production et d’utilité, d’une part, et, d’autre part, son architecture technique (AT2) qui dérive l’équilibre de ces fonctions sont des éléments de terminologie sacro-saints (Al-Jazaeri, 2008) qui demeurent inchangés au fil des évolutions techniques. Mais comment, et pour quelles raisons, ce qu’on peut appeler l’AT2 connaît-elle des usages extrêmement variables et changeants ? C’est une question de modes successives, caractéristique au plus des cinquante dernières années. Avant la révolution formaliste des années 1950 qui a tendu à placer la discipline sur une base axiomatique fondée sur l’AT2, il y avait des limites strictes à la vitesse et au champ de l’évolution de ce paradigme. Cela était due en partie au fait que l’AT2 était en train de s’établir à l’aide de la théorie de l’équilibre général et des conditions de Slutsky-Hicks-Samuelson ; l’attention était donc avant tout introspective et, plus précisément, centrée sur les possibilités de parvenir à un tel résultat, quel qu’en soit le coût en terme d’hypothèses, de méthodes et de pertinence empirique. Ces efforts, bien que sanctionnés au sein de la discipline, ne furent perçus que comme n’en concernant qu’un domaine étroit et spécialisé : le comportement individuel sur le marché confiné à l’offre et à la demande. Ce champ se distinguait de l’ancienne économie institutionnelle et de l’émergence, en parallèle, de la macroéconomie keynésienne. Enfin, une certaine attention était accordée à l’examen des contours et des limites de cette microéconomie naissante, préoccupation qui fut par la suite complètement abandonnée.

 

Une fois que l’AT2 fut bien établie, la situation devint tout autre, en particulier avec la mise en échec du keynésianisme dans les années 1970 et l’essor, qui en fut le corollaire, de la nouvelle économie classique consistant en une capture de la macroéconomie par une forme extrême de la microéconomie (agents représentatifs, marchés purs et parfaits, anticipations rationnelles, etc.). La propagation de ces principes au sein de l’économie ainsi que dans d’autres domaines fut d’une certaine manière irréfléchie, sans aucune considération pour les objets concernés, la méthodologie appropriée, les fondations inductives ou les traditions établies. Ce syndrome est patent dans la nouvelle théorie de la croissance, la (nouvelle) économie financière, mais aussi au sein de champs de recherche entiers tels que la nouvelle économie institutionnelle, la nouvelle histoire économique, la nouvelle économie géographique, la nouvelle économie du bien-être, etc. Je le reconnais, toutes les contributions à ces divers champs de la littérature ne sont pas strictement coupables des déficiences scientifiques que je pointe. En effet, comme nous allons le montrer, le fait d’outrepasser les limites étroites de l’AT² est une tendance endémique dans les récents développement de l’économie, même si elle reste fondamentalement paradoxale. Mais je maintiens cependant la justesse de la description faite de l’adoption de nouveaux objets de recherche par les économistes à partir de méthodes développées à des fins qui étaient toutes autres.

 

Précisément, parce qu’elle est devenue un ensemble de méthodes techniques et statistiques susceptibles d’être appliquées de manière universelle, l’économie est capable à la fois de flotter librement par rapport à ses origines et à son noyau théorique tout en demeurant indéfectiblement attachée à eux. Elle peut aller n’importe où sans ne jamais partir. C’est ce que montre bien l’essor de la neuro-économie en particulier (voir l’annexe 1) et, plus largement de l’économie saugrenue (freakonomics) qui présuppose qu’il peut y avoir une théorie économique de presque tout. Du point de vue d’une dialectique sommaire, on peut considérer que ces éléments, pris dans leur ensemble, illustrent un remarquable processus de « suspension ».

 

Ce phénomène est à son tour caractérisé et expliqué par trois paradoxes supplémentaires. Le quatrième dans notre liste est ce que Milonakis et Fine (2009) et Fine et Milonakis (2009) ont appelé la logique historique de l’impérialisme de l’économie (voir ci-dessous). Comme nous l’avons indiqué, l’AT² a été établie par le passage de la révolution marginaliste des années 1870 à la révolution formaliste des années 1950, qui a donné lieu à ce qu’on pourrait appeler une implosion autour d’un ensemble d’hypothèses et de méthodes extrêmes (déduction axiomatique, stabilité des préférences, comportement individuel guidé exclusivement par la maximisation de l’utilité, etc..). Mais, dans le contexte intellectuel de l’époque, les frontières séparant l’économie des autres disciplines étaient en train de se renforcer et, au sein même de l’économie, il était considéré que l’appareil technique avait vocation à être limité à l’étude des interactions entre l’offre et la demande sur le marché. Voilà pour l’histoire. Mais la logique qui en a découlé fut toute autre – comme avec la définition de l’économie par Robbins qui, lorsqu’elle a été formulée, n’était ni représentative ni acceptée ; les principes dérivés de l’appareil technique ont acquis une portée universelle et ne sont aucunement demeurés confinés à l’étude du marché. A la suite de la révolution formaliste, l’implosion initiale autour de l’AT² a débouché sur une explosion de son application, bien qu’à des rythmes qui lui furent propres et avec des tensions paradoxales entre l’historique et le logique qui devaient être résolues en faveur de l’un des deux.

 

Comme cinquième paradoxe, nous trouvons donc le fait que les méthodes et les techniques de l’économie dominante se sont dissociées de leurs origines historiques ainsi que de leur objet initial. En conséquence, l’économie déploie ses techniques de façon arbitraire et prélève des outils et des méthodes dans d’autres domaines de manière également plus ou moins arbitraire. Ceci favorise les phénomènes de modes et même des lubies, l’économie saugrenue (freakonomics) offrant la meilleure illustration de cette dynamique. Bien entendu, il ne s’agit pas de suggérer que chaque jour l’économie recommence tout depuis le début avec une série de techniques et de savoir-faire en main et d’autres potentiellement disponibles et qu’elle s’embarque alors dans n’importe qu’elle direction. Les traditions au sein de la discipline et des facteurs externes, intellectuels et autres, exercent une influence sur l’offre et l’utilisation de nouveaux outils. Ainsi, comme l’ont montré les paradoxes précédents, l’économie dominante est bien enracinée dans son passé mais, pour poursuivre la métaphore, elle est aussi capable de poser des greffes d’une immense variété sur son tronc initial.

 

Tout cela donne naissance à un sixième paradoxe concernant les relations entre l’économie et les autres sciences sociales, à savoir l’impérialisme de l’économie. Comme l’ont montré Fine et Milonakis (2009), la première phase de cet impérialisme, incarnée par Gary Becker, a consisté en une simple extension de la logique maximisatrice à des phénomènes hors du marché et a remporté un succès relatif. Cette première phase a été supplantée par une seconde, dont l’importance a été bien plus considérable. Toutes sortes de phénomènes, qu’ils relèvent ou non des marchés, ont été réduits à des problèmes d’imperfections de marchés. Inévitablement, à la lumière des paradoxes précédents, le contenu précis, la direction et l’impact de cet impérialisme de l’économie ont été très inégaux selon les disciplines et selon les sujets. Et il faut ajouter le facteur crucial qu’est la réception de cet impérialisme par les différentes disciplines concernées qui reposent elles-mêmes sur des méthodes, des traditions et des dynamiques tout à fait spécifiques (voire contradictoires avec lui). Au delà du rejet pur et simple, trois types (ou combinaisons) de conséquences peuvent être envisagées qui vont de l’acceptation au sein des discipline colonisées (par exemple la cliométrie) en passant par la coexistence (la nouvelle économie géographique) jusqu’à l’absorption au sein de l’économie (la nouvelle économie du développement, bien qu’elle exerce aussi une influence au sein du champ plus large des études du développement).

Les paradoxes qui traversent l’économie dominante – sa force institutionnelle mais sa faiblesse intellectuelle ; sa prétention fallacieuse à être une science rigoureuse ; les modes et les lubies qui se succèdent ; sa logique historique et sa boîte à outil, élargie ou non mais plus ou moins identique quel que soit le problème considéré – tendent ainsi à s’accentuer au fur et à mesure que l’économie déploie son impérialisme sur les autres sciences sociales.

 

 

Les sciences sociales contre-attaquent ?

Il faut insister sur le fait que l’impérialisme de l’économie a fait l’objet de contestations. Deux éléments ont marqué les sciences sociales au cours des deux dernières décennies. Le premier est le renoncement aux formes extrêmes de postmodernisme – la focalisation sur la subjectivité, la créativité, l’auto-construction et la dé-construction de l’individu, l’attention au sens et à l’interprétation du monde pour mieux ignorer – ou même nier – ses caractéristiques matérielles. Il est intéressant de constater qu’au cours des premières décennies du néolibéralisme, le postmodernisme a prospéré parallèlement à l’économie dominante. Mais ils étaient totalement incompatibles. D’un côté, celui de l’économie dominante, on a l’individu optimisateur doté de préférences portant sur des biens donnés ; de l’autre, celui du postmodernisme, on trouve la subjectivité, la créativité et le sens comme principales préoccupations. Je me réjouis de ce renoncement aux formes extrêmes de postmodernisme, non en raison de sa mise en question salutaire des concepts, mais parce qu’il est indispensable d’accrocher cette mise en question aux réalités matérielles du capitalisme contemporain.

 

Mais une seconde caractéristique des sciences sociales au cours des dernières décennies a été l’abandon des formes extrêmes de néolibéralisme – même si à mon sens, il s’agit d’une seconde phase du néolibéralisme plutôt que de sa fin. La première phase était celle lors de laquelle le capital était soutenu inconditionnellement par l’État, et se déchaînait sur le monde sous la forme d’une thérapie de choc qui alla bien au-delà, et même précéda, les politiques mises en œuvre en Europe de l’Est. Pendant cette phase, on chercha à élargir la sphère du capital privé et de la finance, sans se préoccuper des conséquences qui en résulteraient. La seconde période du néolibéralisme cherche à corriger les dysfonctionnements et les inégalités caractéristiques de la première, par des interventions ponctuelles visant à corriger les imperfections du marché. Mais, et c’est le plus important, cette seconde phase persiste à promouvoir l’expansion du secteur financier (de manière systématique et appuyée, dans le cadre des réponses indéniablement néolibérales à la crise actuelle).

 

Cette réaction interne face aux formes extrêmes du néolibéralisme et la montée en puissance d’un nouvel ordre du jour de politiques économiques sont illustrées par l’émergence de deux concepts : la mondialisation et le capital social. La littérature portant sur la mondialisation, et le mot lui-même, n’existaient pas avant 1990. Il s’agissait de toute évidence d’une idée néolibérale : l’État était en train de disparaître, et c’était une bonne chose. Par la suite, la littérature académique a pris une autre tournure. Elle s’est efforcée de définir le capitalisme contemporain comme un système-monde ; elle a admis l’importance persistante de l’État ; et sans nier l’existence de la mondialisation, elle a reconnu en elle un phénomène complexe, induisant des conséquences diverses selon les régions, les époques et les domaines. En somme, l’émergence de la mondialisation comme concept témoigne de cette réaction contre le néolibéralisme dans les sciences sociales, qui a pris la forme d’un rejet de l’idée de départ selon laquelle la disparition de l’État est à la fois réelle et souhaitable. Après tout, le néolibéralisme consiste depuis toujours en une intervention de l’État destinée à promouvoir les intérêts du capital privé, en particulier dans le contexte de son internationalisation (avec la financiarisation aux avant-postes dans la période actuelle).ix

 

L’émergence tout aussi rapide du concept de capital social est nettement moins positive. Une brève liste de ses déficiences inclut notamment les éléments suivants : l’homogénéisation de contextes différents ; l’impasse faite sur l’économie, la politique (à l’exception de sa dimension électorale), les syndicats, l’État, le pouvoir et le conflit, le genre, la « race », et la classe ; la tentative de dissimuler les origines de ce concept dans la sociologie du choix rationnel ; l’idéalisation de l’initiative individuelle qui est élevée au rang de principe collectif ; l’absence de prise en compte de la dimension mondiale et du fonctionnement des élites ; l’utilisation qu’en a faite la Banque mondiale comme élément de réponse aux critiques de ses politiques économiques et socialesx.

 

Ce que nous comprenons en examinant ces deux concepts, c’est que les réponses à la situation actuelle peuvent être très différentes. Les perspectives de l’économie politique paraissent bien plus favorables si l’on considère la notion de mondialisation plutôt qu’un concept comme celui de capital social. Mais, même si la situation est ambivalente, les perspectives pour l’économie politique paraissent bien plus favorables dans les autres sciences sociales qu’en économie, ce qui s’explique précisément par ce double renoncement au postmodernisme et au néolibéralisme. Ce double renoncement témoigne d’un véritable intérêt pour la dimension matérielle du monde dans lequel nous évoluons. Par conséquent, on constate dans les sciences sociales une véritable volonté de comprendre les réalités du capitalisme contemporain ; en revanche, cet objectif n’intéresse pas véritablement l’économie dominante ce qui met cruellement en lumières ses insuffisances.

 

 

Passer des paradoxes au progrès ?

En bref, du strict point de vue intellectuel, la discussion qui précède suggère que les perspectives de l’économie politique comme secteur de l’économie académique demeurent très sombres, et bien que certains pensent le contraire, elles se sont même dégradées. La critique de la discipline économique du point de vue d’une économie politique localisée à l’extérieur ne promet pas davantage de contribuer à la dissolution de la discipline et à sa transformation. Ceci ne signifie pas qu’il n’est pas intéressant, pour d’autres raisons, de s’engager dans une critique de l’économie dominante : on peut, par exemple, chercher à susciter des conversions (ou bien à éviter qu’elles ne soient nécessaires) ; il importe aussi de s’efforcer de comprendre l’économie et son idéologie afin d’en faire un repoussoir. Il s’agit là de tâches potentiellement, si ce n’est à coup sûr, très utiles, mais qui comportent néanmoins certaines difficultés. En effet, les possibilités de se former à la fois à la compréhension et à la prise de distance critique par rapport à l’orthodoxie sont devenues de plus en plus limitées. C’est l’une des conséquences de l’institutionnalisation de l’économie autour de l’orthodoxie, dont l’américanisation de la discipline est la principale cause, phénomène aggravé par rapport à d’autres sciences sociales du fait de son poids et de son homogénéitéxi.

 

Mais qu’en est-il de l’impact d’événements extérieurs comme source potentielle d’évolutions plus favorables pour l’économie politique ? L’histoire nous offre deux exemples clairement opposés – l’émergence du keynésianisme dans le sillage des années 1930, et celle de la nouvelle économie classique en réponse à la stagflation des années 1970. Comme je l’ai déjà dit, les réponses orthodoxes actuelles à la crise ne sont pas à la hauteur : Chicago est demeuré la référence ; sa défense vigoureuse s’est agrémentée d’un appel à davantage de réalisme concernant les hypothèses (comportementales) et les faits empiriques. Il serait donc surprenant que le keynésianisme et l’analyse des imperfections de marché ne bénéficient pas d’un regain d’intérêt. Cependant, ces approches n’ont qu’un lien ténu avec l’économie politique. Ainsi Joseph Stiglitz – qui est une figure de proue de cette sensibilité du fait de ses fonctions académiques aussi bien que non académiques – persiste à arrêter ses analyses là où elles devraient en fait commencer (et où elles contredisent tout ce qu’il a dit auparavant). Dans son adresse présidentielle à l’Eastern Economic Association, il affirme qu’ « Il y a des batailles politiques à venir. Les intérêts particuliers essaieront de bloquer nombre de réformes. L’avenir de notre nation dépendra en bonne partie de l’issue de ces batailles. » (Stiglitz (2009, p. 281).

Cette déclaration est une invitation à analyser les intérêts particuliers, les relations de pouvoirs et les conflits qui en découlent. En effet, Stiglitz affirme « comprendre l’enthousiasme débridé pour les arguments en faveur de la dérégulation de ceux qui grâce à elle voient leurs profits augmentés ». Cependant, il poursuit en affirmant : « Je comprends moins bien ce qui motive tant d’économistes », p. 293. Ce qui est clair, en revanche, c’est ce qu’il souhaiterait voir motiver leur compréhension par la prise en compte de l’ « irrationalité » et de l’ « inconsistance intellectuelle », « des mouvements hautement corrélés dans les prix de l’immobilier », « une distribution des revenus très inégale », « de nouvelles asymétries d’information », « des incitations perverses », « des banques trop grosses pour faire faillite ». Autant d’éléments – pour m’en tenir à la p. 294 – qui conduisent à la conclusion que « notre système financier a échoué dans ses principales missions – l’allocation du capital et la gestion des risques », p. 296, et, un peu plus loin, que « La gauche comprend désormais les marchés et le rôle que les marchés devraient et pourraient jouer dans l’économie […] La nouvelle gauche s’efforce de faire fonctionner les marchés » Stiglitz (2008, p. 2). Ces déclarations se situent loin de la substance de l’économie politique, elle ne pourrait, tout au plus, qu’en constituer un point de départ. En passant, on peut d’ailleurs signaler qu’en économie l’asymétrie d’information est systématiquement en défaveur des économistes politiques, qui sont contraints de maîtriser l’orthodoxie, sans réciprocité. Mais le pouvoir au sein de la discipline est orienté dans l’autre sens. Les intérêts particuliers et l’idéologie ne sont affaire ni d’information asymétrique, ni d’imperfections de marché, que ce soit dans l’économie réelle ou dans l’économie comme discipline.

 

De la même façon, les perspectives de l’économie politique n’ont de chances de s’améliorer que lorsqu’elles seront sous-tendues par des modifications dans la nature et l’équilibre des intérêts particuliers et des idéologies au sein de la société. Et ce qu’il y a de plus frappant encore que l’échec de la crise à changer l’économie comme discipline, c’est l’échec de l’économie à changer les politiques menées. Tout comme la théorie des externalités la plus élémentaire suffit à justifier une intervention massive pour gérer le changement climatique, de même le prix Nobel Jim Mirrlees (2010), peut conclure, après un discours concernant les vertus de l’économie mathématique en général et de l’équilibre général en particulier, qu’un « très grand nombre d’actifs devraient être éliminés ». Or une telle mesure est absolument inconcevable en l’absence d’un énorme changement de la situation en faveur des forces progressistes et de l’économie politique.

 

On ne sera pas surpris d’apprendre que, de mon point de vue, les problèmes de méthodologie, de réalisme, et ainsi de suite, qui devraient accabler le courant dominant, et doivent nous conduire à intégrer les spécificités historiques du capitalisme, ne peuvent être traités adéquatement que dans le cadre de la théorie de la valeur de Marx. Mais celle-ci doit être enrichie par un dialogue avec d’autres écoles de pensée et d’autres approches, par la confrontation avec les faits empiriques, et même, parfois, en prenant l’orthodoxie comme point de départ. Car il serait erroné de percevoir la relation entre l’économie politique et l’économie (dominante) comme unidimensionnelle, avec, par exemple, l’équilibre général à un extrême, et un marxisme idéalisé à un autre extrême. Il n’est pas plus adéquat de concevoir la relation entre l’économie politique et l’économie (dominante) comme une relation multidimensionnelle qui serait marquée par une amélioration graduelle, un mouvement progressiste qui résulterait de l’incorporation, petit à petit, du réel, du social, de l’histoire, etc. En fait, les relations entre ces multiples dimensions sont fracturées, fluides, mouvantes, aussi bien sur le plan intellectuel que pour ce qui relève du rapport au monde réel, des mobilisations, de l’idéologie et des débats politiques.

Ceci rend les dichotomies simplistes entre l’économie politique et l’orthodoxie intenables et entretient un certain flou entre ces deux mondes, même si une masse amorphe de théories orthodoxes se trouve définitivement du mauvais côté de la frontière. De la même manière, il y a beaucoup de théories hétérodoxes qui, bien qu’ayant enjambé la frontière, finissent par ne plus se situer du même côté que l’orthodoxie tant est grand le potentiel pour des déviations même marginales mais destructives pour l’économie dominante. En fin de compte, il y a un besoin d’unité entre la critique de l’orthodoxie et la construction d’approches alternatives. Et ce qui est sûr, c’est que s’il est une chose aussi contreproductive qu’un économiste dominant, c’est un économiste politique qui est certain d’avoir raison contre tout le monde. Celles et ceux qui sont engagés dans l’économie politique doivent donc apprendre les uns des autres, y compris par la critique mais sans se tirer dans les pattes.

 

Traduction : Mathieu Bonzom, Cédric Durand et Razmig Keucheyan

 

 

Annexe 1 : L’économie greffée au cerveau, ou De La Liberté du choix… aux « réponses motrices à la chimie du cerveau »xii

 

Les difficultés du courant dominant n’ouvrent pas nécessairement plus d’espace pour l’économie politique à l’intérieur de l’économie comme discipline. C’est même exactement le contraire qui semble se passer tandis que l’orthodoxie occupe le terrain que le hétérodoxes ont habituellement trouvé plus accueillant, et s’intéresse à des considérations qui leur sont traditionnellement associées. Ce point de vue est cependant controversé dans son contenu comme dans ses implications stratégiques. Certains commentateurs, l’énergique David Colander en tête, estiment non seulement que les paradoxes que j’ai indiqués sont le signe d’une révolution autour de la science économique, qui tire sa force des marges de la discipline, mais aussi qu’ils ouvrent la voie à une plus grande influence de l’hétérodoxie, même si celle-ci devra peut-être commencer par adopter les conditions imposées par l’orthodoxie dans un premier temps, pour ensuite l’influencer et la transformer. Je considère pour ma part que cette analyse est irréaliste et s’apparente à un vœu pieux, même si l’on peut toujours trouver quelques exemples d’évolution dans ou autour de la discipline étayer de telles idées. Il semble en effet qu’un tel optimisme ne confonde la « suspension » de l’analyse économique à son noyau, avec une révolution dans ou autour de ce même noyau.

 

Je propose d’examiner brièvement un exemple, celui des théories neuro-économiques, qui peut-être considéré comme appartenant au champ de l’économie comportementale, courant dont le développement est lui-même considéré comme un signe du déclin du courant dominant. Mais commençons par remarquer la rapidité de la montée en puissance de ce champ d’étude. Comme le souligne McCabe (2008, p. 348) :

 

Alors que ce texte était en cours de rédaction la « Société de Neuro-économie » (Society for Neuroeconomics) s’est réunie à New York pour annoncer la parution prochaine du « Manuel de Neuro-économie ». La neuro-économie a dix ans à peine ; le congrès a pourtant rassemblé plus de 600 personnes.

 

Le texte en question est l’un des seize publiés dans un numéro spécial de la revue Economics and Philosophy (vol. 24, n°3, 2008) consacré au débat sur l’importance de ce nouveau champ. Il a été suivi par un numéro spécial, comportant onze articles, du Journal of Economic Methodology (vol. 17, n°2, 2010), visant le même objectif. On pourrait considérer que ces deux revues se situent à la limite entre orthodoxie et hétérodoxie, voire même appartiennent à cette dernière. Y trouve-t-on la moindre trace d’économie politique ? J’ai eu recours au procédé, certes grossier mais simple, de chercher dans le texte de ces articles les occurrences de concepts-clés de l’économie politique. Celui de « capital* » n’apparaît pas une fois dans le JEMxiii. Il apparaît seulement à quelques reprises dans E&P. La plupart des occurrences sont auto-référentielles (on pourrait presque que c’est de l’auto-dérision !) puisqu’il s’agit en fait d’appliquer à la neuro-économie elle-même les théories néoclassiques : en effet, les recherches dans ce domaine exigent l’utilisation d’équipements onéreux de type scanner pour mesurer l’activité cérébrale. Pour reprendre les remarques de Harrison (2008, p. 338)xiv :

 

Du point de vue des économistes, la littérature neuro-économique semble avoir appliqué une fonction de production à partir d’un mix non-optimal de capital humain et de capital physique, toute à sa fascination émue pour les joujoux des neurosciences.

 

Par ailleurs, dans l’ensemble des contributions, les références au capital sont tout à fait orthodoxes, exprimant une allégeance à la théorie du capital humain – dont le « capital cérébral » est une composante, d’après Schipper (2008, p. 512) – accompagnée de l’affirmation surprenante : « J’ai pensé que nous disposions d’une théorie du capital humain et de la compensation des différentiels de revenus selon les sujets qui fonctionnait assez bien » (p. 308), une théorie qui semble bien faire abstraction de presque tous les aspects socialement déterminés des inégalités de rémunération en fonction de la « race », du genre, etc.

 

Le « travail » n’est pas traité plus favorablement dans ces contributions puisqu’il n’apparait que très rarement, et uniquement pour désigner le travail du neuro-économistexv, ou par un fétichisme extraordinaire, le « travail » du cerveau lui-même, puisque son activité (comme aiguillon de l’action) est comprise en ces termes, comme dans l’idée de « travail cognitif » par exemple. Ainsi, pour Guala et Hodgson (2010, p. 152) :

 

La division du travail entre complexe amygdalien [une région limbique du cerveau appartenant au système dopaminergique] et OFC [cortex orbitofrontal] est importante dans l’interprétation par Damasio du « test du jeu de l’Iowa » (« Iowa Gambling Task »), une expérience de prise de décision qui constitue la source principale de données pour la SMH [hypothèse des marqueurs somatiques] (nous soulignons).

 

Le « profit » brille également par son absence dans l’ensemble des textes et n’apparaît, une fois de plus, que dans des considérations auto-référentielles sur la rentabilité de la neuro-économie elle-même, en tant qu’entreprise demandant des investissements importants, ou dans le cadre d’une remise en cause passagère du profit comme unique motif du comportement dans le monde des affaires. « Financ* » renvoie principalement à des questions de choix individuels, ainsi qu’à la disponibilité et à l’usage des financements de recherche à l’intérieur de la neuro-économiexvi.

 

On l’aura compris, le propos de ces recherches, amplement confortées par la lecture des contributions proprement dites, est de démontrer à quel point la neuro-économie a peu de choses à dire sur les concepts les plus simples de l’économie politique, à quel point elle demeure fidèle à l’orthodoxie, et ce même au prisme des auteurs qui critiquent le nouveau champ, et qui travaillent dans le cadre de revues plus favorables à l’hétérodoxie du fait de leur attachement à la méthodologie et à la philosophie. Évidemment, au moment où ces numéros spéciaux sont parus, la crise mondiale avait déjà éclaté. Nulle trace de « récession », de « crise », ou (plus surprenant ?) de « dépression » dans les articles. Tandis que le courant dominant s’emploie à découvrir les secrets de l’économie capitaliste en disséquant l’activité cérébrale, Wilcox (2008, p. 524) affirme, même si tout cela est formulé en termes cognitifs, que « Cette histoire de croissance économique est l’histoire d’une marginalisation progressive des cerveaux individuels et d’une montée en puissance de la cognition socialement distribuée ». Et il conclut, p. 531 :

 

Je pense que la théorie économique néoclassique ne dit pratiquement rien de certains problèmes économiques importants […]. Et je commence à me méfier de l’idée que les formes les plus importantes de cognition économique se manifestent uniquement dans des machines qui ne révèlent leurs secrets qu’à des instruments médicaux. Il s’agit d’une critique de notre obsession pour la cognition individuelle en général, et la neuro-économie n’est que l’une de ses manifestations.

 

Il y a là une brutale objection à l’idée que la neuro-économie puisse représenter une possibilité pour l’économie politique de trouver une place au sein de l’économie dominante. Une cuisante objection de la part d’un auteur qui est néanmoins disposé à « considérer la théorie économique néoclassique comme une composante nécessaire d’une science cognitive rigoureuse et complète ».

 

 

 

 

Annexe 2 : nos anciennes hypothèses

 

Hypothèse 1 : L’économie n’est PAS rigoureuse mathématiquement, et encore moins sur le plan conceptuel.

 

Hypothèse 2 : L’économie progresse en définissant des limites qu’elle n’a de cesse d’ignorer.

 

Hypothèse 3 : Les fonctions d’utilité et de production, c’est puissant, on a compris.

 

Hypothèse 4 : Les fondements de la révolution formaliste sont dictés par des considérations d’ordre technique.

 

Hypothèse 5 : Avant la révolution formaliste, l’hypothèse de la rationalité économique des agents est confinée dans une partie seulement de la discipline.

 

Hypothèse 6 : La montée de la rationalité en économie l’éloigne des autres sciences sociales.

 

Hypothèse 7 : La tendance de la rationalité économique à voir sa portée réduite s’inverse après la révolution formaliste.

 

Hypothèse 8 : L’idée d’étendre la portée de la rationalité économique a suscité dans un premier temps une forte résistance…

 

Hypothèse 9 : …Celle-ci a affecté le contenu et le rythme de progression du formalisme.

 

Hypothèse 10 : Au fil du temps, les limites de la rationalité économique sont moins bien mises en évidence, et plus vite et plus complètement écartées.

 

Hypothèse 11 : Les théories de l’information intégrées à l’approche économique favorisent l’impérialisme de la science économique.

 

Hypothèse 12 : Les conséquences de l’impérialisme de l’économie sont multiples, et se multiplient encore.

 

Bibliographie

Al-Jazaeri, H. (2008) “Interrogating Technical Change through the History of Economic Thought in the Context of Latecomers’ Industrial Development: The Case of the South Korean Microelectronics, Auto and Steel Industries”, University of London, unpublished Phd Thesis.

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Lee, F. (2010) “Heterodox Economics and Its Critics”, paper to be presented to EAEPE Conference, 28-30 October, 2010, Bordeaux.

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Milonakis, D. and B. Fine (2009) From Political Economy to Economics: Method, the Social and the Historical in the Evolution of Economic Theory, London: Routledge.

Mirrlees, J. (2010) “Mathematics and Real Economics”, presentation to the INET Inaugural Conference at King’s College, Cambridge, April 8-11, the Institute for New Economic Thinking, video available at http://ineteconomics.org/initiatives/conferences/kings-college/proceedings

Ortmann, A. (2008) “Prospecting Neuroeconomics”, Economics and Philosophy, vol 24, no 3, pp. 431-48.

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Schipper, B. (2008) “On an Evolutionary Foundation of Neuroeconomics”, Economics and Philosophy, vol 24, no 3, pp. 495-513.

Stiglitz, J. (2008) “Turn Left for Sustainable Growth”, The Economists’ Voice, vol 5, Issue 4, Article 6, pp. 1-2, available at http://www.bepress.com/ev/vol5/iss4/art6

Stiglitz, J. (2009) “The Current Economic Crisis and Lessons for Economic Theory”, Eastern Economic Journal, vol 35, no 3, pp. 281-96.

Wilcox, N. (2008) “Against Simplicity and Cognitive Individualism”, Economics and Philosophy, vol 24, no 3, pp. 523-32.

 

 

Notes

i Ben Fine est professeur au département d’économie de la SOAS. Cet article est basé sur le texte et la présentation réalisés pour la Première conférence internationale de l’Initiative Internationale pour la Promotion de l’Économie Politique (« International Initiative for Promoting Political Economy », IIPPE), organisée en Crète en septembre 2010 : « Au-delà de la crise » (« Beyond the Crisis »), http://www.iippe.org/wiki/First_International_Conference_in_Political_Economy

Pour une discussion plus approfondie des positions prises ici, et de concepts fondamentaux comme la mondialisation, le néolibéralisme, la financiarisation, l’impérialisme de l’économie, etc., voir les références réunies sur la page : http://www.soas.ac.uk/staff/staff30940.php

ii Connu (et tristement célèbre, à des degrés divers) pour avoir été Secrétaire du Trésor (Ministre des Finances) des États-Unis, Chef économiste de la Banque Mondiale, et Président de l’Université de Harvard, Larry Summers a donné une description de l’hypothèse des marchés efficients, citée par Davidson (2008) :

 

Les fonctions sociales essentielles [assumées par les marchés financiers – NDT ]sont la diffusion des risques, l’orientation du capital rare vers l’investissement et le traitement et la dissémination de l’information détenue par les divers acteurs du marché. […] Les prix sont toujours le reflet de valeurs fondamentales. […] La logique des marchés efficients est implacable.

iii Voir http://www.newyorker.com/online/blogs/johncassidy/2010/01/interview-with-richard-posner.html

iv Voir http://www.newyorker.com/online/blogs/johncassidy/chicago-interviews/

v Je n’inclus pas l’ « économie politique » du courant dominant dans ma définition de l’économie politique. Elle en partage le nom mais n’est rien de plus que l’application à la politique des théories économiques dominantes, généralement (pas exclusivement) dans le cadre de la théorie du choix rationnel, ce qui n’a rien à voir avec l’économie politique telle que je l’entends et qui se caractérise par une analyse systémique de l’économie (capitaliste, en un sens historiquement délimité) par tous les moyens et toutes les entrées possibles.

vi Ceci suit les hypothèses reproduites dans l’annexe (2) et reprises de Fine (2007a).

viiL’auteur fait ici référence à la critique de McCloskey http://en.wikipedia.org/wiki/McCloskey_critique (NdT)

viii Comme Schiffman (2004: 1091) l’a indiqué : « il est possible d’obtenir un doctorat en économie sans jamais avoir entendu parler de l’instrumentalisme Friedman (le degré de réalisme des hypothèses n’est pas une question pertinente), de la controverse marginaliste, du problème de l’agrégation de la demande, de la controverse de Cambridge sur la nature du capital, des doutes concernant la pertinence des rendements d’échelles constants, de la courbe moyenne en U ou encore de l’analyse IS-LM. ».

ix Voir le dernier chaptitre de B. Fine and A. Saad-Filho, Marx’s ‘Capital‘, London, Pluto Press, fifth edition, 2010.

xVoir Fine (2001 et 2010a). Le travail de Bourdieu offre une perspective clairement différente mais il a été largement ignoré ou neutralisé dans la litérature sur le capital social, et il a des limites qui lui sont propres.

xi L’influence considérable de l’économie dominante s’appuie sur le déclin de sa propre hétérodoxie et sur l’intégration de l’hétérodoxie à l’orthodoxie, institutionnellement et intellectuellement. Le rôle de Chicago est ici considérable. Voir Fine (2010b, p. 585) pour un indice de cela :

 

Selon le site web de l’université de Chicago, cette université serait liée d’une manière ou d’une autre à 25 des 64 prix nobel d’économie. A titre de comparaison, cette connection ne concerne que 3 nobels en littérature et 16 en chimie mais, pour ces deux derniers domaines, la période considérée est de 108 années contre 40 pour l’économie : http://www.uchicago.edu/about/accolades/nobel/

Pour le Prix Nobel de la paix, Chicago n’affiche qu’une connection : Barack Obama !

Concernant les critères, il est bien connu que Ostrom est la première femme a avoir obtenu le Nobel ; d’autre part, 60% des prix ont concerné des américians tandis que 4 seulement ont été accordé à des lauréats qui, de naissance ou par naturalisation, viennent d’autres régions que les États-Unis ou l’Europe de l’Ouest – Arthur Lewis, Leonid Kantorovich, Amartya Sen and Robert Mundell avec les implications correspondantes en terme de composition raciale.

xii Voir Hands (2010), p. 644 : « Milton et Rose Friedman ont intitulé leur livre célèbre La Liberté du choix (1990), pas  »chimie du cerveau et réflexes moteurs », ni  »le réflexe conditionné sur le marché » ».

xiii J’ai cherché le mot « capital ». L’astérisque (*) indique que cette recherche aurait aussi fait apparaître les occurrences de « capitalisme », etc.

xiv Il est aussi fait référence aux coûts d’entrée élevés de ces recherches, p. 338, « pour l’acquisition du capital humain et le temps de mesure » (Ortmann (2008, p. 442). Cette « émotion » ou « fascination » inviterait à employer les outils de la neuro-économie sur le neuro-économiste, mais un tel retour réflexif sur les origines plus profondes des idées est notoirement absent même si McCabe (2008, p. 348) suggère qu’il s’agit là de la fascination exercée depuis longtemps par le cerveau, dont on peut désormais examiner les rouages internes.

xv Harrison (2008, p. 313) révèle crument les raccourcis empruntés entre mesures cérébrales et interprétation :

 

La VBM (Voxel-Based Morphometry) constitue indubitablement une architecture puissante qui permet d’éviter le recours à une segmentation du travail fondée sur l’expertise mais débouche, pour l’instant, sur un autre problème difficile, celui de l’interprétation et de la validation, qui en réduit significativement l’efficacité.

xvi Marx apparaît tout de même deux fois dans l’ensemble. La première est un avertissement contre les malentendus. Selon Harrison (2008, p. 336) :

 

Il nous faut être prudents sur ce point, puisque l’histoire de la pensée économique nous apprend que Keynes n’avait rien d’un keynésien ; même Marx aurait informé ses propres partisans que « Ce qu’il y a de certain c’est que moi, je ne suis pas marxiste » [en français dans le texte – NDT] (http://www.marxists.org/archive/marx/works/ 1882/letters/82_11_02.htm).

 

L’autre, de façon révélatrice, le remet à sa place dans l’Association Américaine d’Économie (AEA) :

 

Sous prétexte qu’un article peut manquer de précision technique, […] on ne peut mettre en accusation un champ de recherche entier. Le fait que des économistes marxistes puissent entrer à l’AEA et participer à ses congrès annuels ne signifie pas que l’on doive critiquer la profession économique pour « son » marxisme.