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Chez Lénine, la conception de la culture en général et de la presse en particulier est indissociable du projet révolutionnaire. Elle ne se comprend qu’à l’aune de la perspective d’un bouleversement pratique de l’ordre social. C’est en fonction de cette visée que celui qui s’occupa de plusieurs journaux a développé, et ajusté selon les circonstances, des lignes de réflexion et principes d’action concernant les rapports entre presse, culture, parti et révolution. Fabien Granjon, qui dirige le Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation (CEMTI) de l’Université Paris 8 Vincennes à Saint-Denis, y revient ici en détail.

 

« Nous avons dit ailleurs quelle puissance de l’unité fut celle de Lénine, homme bâti d’un seul bloc, voué tout entier, à tous les moments de sa vie, à une œuvre unique. Il ne faisait qu’un avec son parti et, par le Parti, avec le prolétariat ; il ne fit qu’un, à des heures décisives, avec tout le peuple travailleur de Russie, et, au-delà de frontières ensanglantées, avec les prolétaires et les opprimés de tous les pays. »
Victor Serge, « L’an I de la révolution russe – I ».

« Elle-même est devenue, la plus grande organisatrice-communiste, la mort d’Ilitch.
Et déjà, au dessus de la monstrueuse forêt de trompettes, des millions de mains, accrochées à la hampe, Place Rouge, un drapeau rouge s’élève d’une terrible saccade.
De ce drapeau, de chacun de ses plis, à nouveau, un Lénine vivant lance son appel :
– Prolétaires, formez les rangs, pour la dernière mêlée ! Esclaves redressez votre dos et vos genoux ! Armée des prolétaires, serre tes rangs ! Vive la révolution, joyeuse et rapide ! C’est l’unique grande guerre de toutes celles que l’histoire a connues. »
Vladimir Maïakovski, « Vladimir Ilitch Lénine ».

 

La conception « léninienne » (comme l’on parle d’une pensée « marxienne » selon la terminologie de Maximilien Rubel qui réserve cet épithète à la qualification de l’œuvre de Marx et non à celle de ses épigones « marxistes ») de la presse et de la culture est consubstantiellement liée au projet révolutionnaire. En tant que problèmes singuliers devant être inévitablement mis en regard d’une ligne de classe servant de boussole au changement social, les réponses à y apporter doivent, de facto, traduire les nécessités matérialistes en des pratiques concrètes. Chez Lénine, aucune élaboration théorique n’est ainsi détachée des exigences portées par la participation au bouleversement pratique de l’ordre social (Budgen, Kouvelakis, Žižek, 2007). Associées aux nécessités de la révolution prolétarienne, les contradictions spécifiques de la formation sociale russe de la période historique qui vont porter Lénine à se pencher sur la question de la presse et de la culture détermineront très directement la manière nuancée qu’il aura d’y répondre : « L’histoire de la presse ouvrière en Russie est indissociablement liée à l’histoire du mouvement socialiste et démocratique » (Lénine, 1972 : 5). Les conceptions qu’il développera de ces domaines pratiques superstructurels seront donc indexées aux impératifs du moment et du mouvement de la lutte pour la liberté concrète, en lien avec cette totalité qu’est la réalité du processus général d’évolution de la société russe :

« Le Journal est un excellent organisateur en toute période, mais il doit l’être surtout en 1899-1902 au moment de créer un parti. Il est toujours un moyen de propagande, mais particulièrement entre 1900 et 1917, lorsqu’il s’agit d’‘‘acclimater’’ l’idée de Révolution, toujours un moyen d’agitation, mais particulièrement en 1905 et 1917 au moment de passer à l’action ouverte. Nous avons donc pu définir pour chaque période ce que Lénine appelle les ‘‘déplacements du centre de gravité de la lutte’’. À chacune correspond une fonction nouvelle de la presse que Lénine explique en détail, sans juger utile de rappeler les autres. Lorsqu’une pensée est aussi explicitement historique, il serait absurde de lui donner l’atemporalité d’un dogme » (Worontzoff, 1975 : 13-14).

La pensée de Lénine est en cela fille de son temps et se présente comme un produit du mouvement historique et de la situation objective du prolétariat russe, à la charnière du XIXème et du XXème siècles. Aussi s’agit-il de ne pas la découpler, selon les propres termes de « l’homme de la Léna », « de la situation déterminée qui lui a donné naissance » :

« Chaque fois que le centre de gravité de la lutte change, une nouvelle fonction de la presse est définie et précisée, sans que la fonction précédente, qui passe dès lors à un niveau secondaire, ne soit jamais abandonnée. La théorie de la presse de Lénine est donc multiple ; elle est en même temps une théorie de la presse clandestine, de la presse d’opposition et de la presse socialiste […] dans les moments difficiles de la reconstruction nationale qu’il a vécu jusqu’à sa mort en 1924. Ainsi, le rôle donné aux moyens d’information pouvait être parfois central et à d’autres moments, complémentaire de celui d’autres moyens d’action » (Mattelart, 2015, à paraître).

Organe du Parti, la presse révolutionnaire va notamment être envisagée comme un espace d’éducation populaire et de modification des niveaux de conscience du mouvement ouvrier donnant, d’une part, une visibilité et une mémoire aux luttes sociales ; relayant, d’autre part, les analyses matérialistes permettant la compréhension fine des conditions sociales d’existence des masses et des stratégies politiques ; structurant enfin la lutte contre le gouvernement absolutiste, mais devant également organiser le parti révolutionnaire lui-même. Lénine appliquera cette vision complexe aux nombreux organes de presse dont il s’occupera, s’inscrivant par là, pour partie, dans la lignée des journaux ouvriers du XIXème siècle : La Nouvelle Gazette Rhénane créée par Karl Marx, Le Vorwärts (« En avant ») du Parti social-démocrate des travailleurs d’Allemagne, Le Nothern Star des Chartistes britanniques, La Poliarnaïa Zvezda (« L’étoile polaire ») ou Le Kolokol (« La Cloche ») d’Aleksandr Herzen, etc., mais aussi d’ancêtres plus lointains comme Le Tribun du peuple d’un Gracchus Babeuf dont l’objectif était de « tout dire au peuple ». Toutefois, la presse révolutionnaire, selon Lénine, n’est pas, comme chez Marx, un instrument de publicisation de « l’Esprit du peuple » (1982 : 314), c’est-à-dire « le moyen central à travers lequel se constitue le peuple en tant que peuple, dans le procès même qui le conduit vers l’État » (Kouvelakis, 2000), mais plutôt une médiation singulière d’autoconstitution du Parti. L’un et l’autre de ces processus sont à l’évidence concomitants, mais chez Lénine, sous les conditions d’une révolution prolétarienne qu’il estime proche, le journal doit d’abord jouer un rôle d’« organisateur collectif » du Parti, lequel se trouve lui-même au cœur des conditions de possibilité de la révolution sociale. Lénine théorisera donc la nécessité d’un « Parti-organe de presse » dont l’intrication, plus ou moins forte selon la nature de la période, ouvre une politique de la représentation finalement bien éloignée de celle de la sphère publique bourgeoise (bürgerliche Öffentlichkeit). Le fondement de la théorie léninienne du « Parti-organe de presse » s’appuie sur la distinction entre le Parti et la classe, lesquels, pour être dialectisés (passer « la représentation du social dans la politique » et la représentation politique dans le social – Bensaïd, 1997), doivent précisément faire l’objet d’un travail de médiation duquel participe le journal qui doit s’adapter à l’évolution des formes d’organisation politique. Le journal doit représenter le Parti.

 

Lénine, le Parti et la presse

On ne peut donc rendre pleinement compte des éléments théoriques que Lénine développe quant au rôle pratique que doit jouer la presse, sans rappeler a minima deux choses qui ont notamment été consignées dans l’article « Les objectifs immédiats de notre mouvement » (Iskra,n° 1, 11 décembre 1900). Lénine y affirme ceci : « À l’origine, les social-démocrates russes se sont bornés à la propagande dans des cercles. En absorbant ensuite l’agitation parmi les masses, nous n’avons pas toujours su éviter de tomber dans l’autre extrême. […] Militant en ordre dispersé dans de petits cercles ouvriers locaux [les social-démocrates] n’ont pas prêté assez d’attention à la nécessité d’organiser un parti révolutionnaire en coordonnant toute l’activité des groupes locaux et permettant d’organiser un travail révolutionnaire régulier » (Lénine, 2009 : 26). Le premier point important tient donc au fait que « la mission historique du prolétariat est de se détacher de toute entente idéologique avec les autres classes et de trouver sa claire conscience de classe fondée sur la spécificité de sa situation de classe et sur l’autonomie de ses intérêts de classe qui en découlent » (Lukács, 1965 : 47). Il s’agit donc pour le prolétariat de développer « une vision claire de la réalité en vue de l’action », car « seule la conscience de classe du prolétariat devenue conscience pratique » (Lukács, 1960 : 258-252) possède une fonction transformatrice. Aussi, la théorie léninienne de la presse est un pan, parmi de nombreux autres, d’une science révolutionnaire qui, d’une part, « s’associe aux luttes du prolétariat en pleine conscience de cause » (Löwy, 2012 : 106) mais aussi, d’autre part, élabore théoriquement la manière dont la presse doit participer à porter la conscience du prolétariat jusqu’à la connaissance des causes. L’un des buts de cette presse révolutionnaire est donc de repousser les limites de la connaissance de la réalité sociale depuis le point de vue spécifique de la lutte du prolétariat et de travailler ainsi à l’établissement d’une conscience de classe en capacité de saisir la totalité sociale. La presse révolutionnaire aurait donc un rôle à jouer dans la rencontre de l’« objectif » et du « subjectif » en produisant des ressources pour l’établissement d’une conscience de classe politique véritablement révolutionnaire, dépassant notamment la seule « conscience syndicale », et envisagée comme l’élément central de la dynamique révolutionnaire de masse. En d’autres termes, cette conscience de classe doit être un soutien aux pratiques concrètes cherchant à faire en sorte, comme le proposait Karl Marx, que les idées s’emparent des masses et deviennent forces matérielles. La presse révolutionnaire est alors conçue comme un soutien à la structuration d’une unité entre la théorie et la pratique, laquelle est indispensable à la construction de cette conscience de classe dans le prolétariat en tant qu’il est un sujet historique constitué d’être sociaux ayant justement vocation à avoir conscience de leur historicité et de leur devenir révolutionnaire. Si la conscience de classe est l’enjeu de la lutte, alors la presse révolutionnaire est l’un des ses moyens dans la mesure où elle offre des ressources critiques afin de contrer les affres que « la pensée subit [du fait de la prégnance] des catégories fétichistes et réifiées des apparences » (Brohm, 1965 : 14). Sans en être l’articulation principale, la presse révolutionnaire peut concourir à faire se rencontrer « prise de conscience » et « action », à briser le monde du pseudo-concret, de la praxis fétichisée (Kosik, 1988), et ainsi établir les conditions de possibilité d’une transformation pratique radicale, d’une praxis révolutionnaire :

« La société paraît régie par des lois naturelles, immuables, éternelles, auxquelles il est impossible et même dangereux de se soustraire. L’économie paraît avoir la structure empirique des choses inertes et les relations humaines semblent condamnées à la pétrification. La société capitaliste qui domine et écrase les hommes apparaît comme le seul ordre possible et l’État bourgeois se manifeste comme le molosse inébranlable de l’Ordre. Le prolétariat subissant cette aliénation profonde ne conçoit sa situation qu’à travers l’idéologie dominante : qu’à l’intérieur du cadre bourgeois ; sa conscience réifiée est fausse. […] Or la conscience de classe juste brise théoriquement les cadres bourgeois rigides et dissout la réification. Par elle, le prolétariat se saisit à la fois comme nié par la société, mais en même temps comme la négation de l’ordre en place. Par elle, il prend conscience de sa mission et se constitue en classe révolutionnaire, se libérant ainsi des formes de pensée et d’action bourgeoises. Mais l’apparition de cette figure historique autonome qu’est la conscience de classe signifie que le voile de l’empirie se déchire et que derrière les apparences immédiates et atomisées de l’édifice capitaliste se profile la révolution. Celle-ci devient ‘‘visible’’ dans toutes les tendances qui poussent à l’écroulement de la société. Les « faits » idolâtrés par les révisionnistes et qui, aux yeux de la pensée positiviste momifiée, témoignaient du caractère inébranlable de l’entourage immédiat deviennent mouvants et leur séparation mécaniciste se fluidifie. Le réel devient à présent un entrecroisement de processus révolutionnaires ou contre-révolutionnaires. Dès lors, la raison dialectique saisit chaque événement en fonction de cette totalité concrète qu’est la révolution. Celle-ci n’est plus un but final lointain objet de culte et de sermons dominicaux, bref une utopie, mais bien plutôt une force motrice réelle impliquée dans chaque démarche pratique. Elle devient la catégorie régulatrice de l’action. L’actualité de la révolution signifie alors que désormais les ‘‘faits’’ sont saisis par la médiation du Tout. L’apparence phénoménale des choses est brisée et les ‘‘faits’’ apparaissent ‘‘dans un processus de révolution ininterrompue’’ » (Brohm, 1965 : 14-15-16).

En contrepoint de ce travail consistant à déconstruire les « formes idéologiques de la praxis fétichisée et de son mouvement » (Kosik, 1988 : 2) et à prendre la pleine mesure du fait que le prolétariat ne peut, ex abrupto, « idéologiquement se pénétrer […] de sa vocation révolutionnaire selon une ligne de classe » (Lukács, 1965 : 47), il faut également rappeler que si « le processus de la révolution est, à l’échelle historique, synonyme du processus d’évolution de la conscience de classes prolétarienne, […] le porteur et l’agent de cette conscience de classe est le parti, l’avant-garde révolutionnaire » (Brohm, 1965 : 17). Pour Lénine, a contrario par exemple de Rosa Luxemburg (qui estime que le Parti est le produit de la révolution), le Parti n’a pas vocation à être le reflet des luttes ouvrières, mais doit être envisagé comme la principale médiation permettant une lutte contre la fausse conscience, la facticité, les représentations spontanées. Il se présente à ce titre comme l’instrument du rétablissement d’une objectivité défétichisée qui, par son organisation et sa discipline devant être sans faille, peut conduire à une « volonté totale consciente » (Axelos, 1960 : 7) et à l’émancipation ouvrière (Löwy, 2009). Chez Lénine, précise Franz Jakubowsky, « le parti est essentiellement le producteur de la conscience de classe vraie » (1971 : 192). Celui-ci est donc la pièce maîtresse de la stratégie révolutionnaire prolétarienne (Bensaïd, Rossi, Udry, 1987). Aussi, n’est-il pas si curieux de constater que, pour « le Vieux », la presse, elle aussi révolutionnaire, a vocation à être l’organe du Parti : « Tant que nous n’aurons pas conquis la liberté politique – il faut un journal révolutionnaire, sans lequel nous ne pouvons absolument pas organiser sur une vaste échelle l’ensemble du mouvement ouvrier » (Lénine, cité in Marie, 2004 : 68). La presse doit prendre part à la médiation consciente de la théorie et de la pratique. Celle-ci revêt donc une dimension organisationnelle (i.e. d’organisation pratique et intellectuelle du Parti) et doit être le fait d’une avant-garde éclairée, organisée, centralisée, composée de révolutionnaires professionnels parmi les plus conscients (Lénine préconise sur ce point, « la plus grande centralisation possible »), dont la vocation n’est pas de provoquer la révolution de toute pièce, mais de s’appuyer sur les ferments présents de cette dernière pour la faire advenir : « Avant de nous unir et pour nous unir, il faut d’abord nous délimiter résolument et délibérément » (Lénine, cité in Marie, 2004 : 65). Catalyseur de la transformation sociale, la presse-Parti (puis le Parti-presse) est l’instrument directeur et autonome de la lutte des classes dans les périodes où le révolution semble poindre, car « c’est seulement dans un tel contexte qu’il devient vital pour le prolétariat de voir matérialisées à travers son parti [et sa presse] de manière bien visible et claire la pensée et l’action qui correspondent vraiment à sa situation » (Lukács, 1965 : 53).

Cette double vue est, selon les termes de Georg Lukács, « une double rupture avec le fatalisme mécaniste : celui qui conçoit la conscience de classe du prolétariat comme un produit mécanique de sa situation de classe, et celui qui ne voit dans la révolution elle-même que l’effet mécanique des forces économiques se déclenchant comme par fatalité et conduiraient presque automatiquement le prolétariat à la victoire lorsque les conditions objectives de la révolution seraient ‘‘mûres’’ » (1965 : 56). C’est bien cette perspective posant la nécessité d’une lutte politique devant passer par l’organisation de la conscience de classe via la presse-Parti qui se trouve au principe de la fondation de l’Iskra (« l’Étincelle »), premier organe de presse pré-bolchévique auquel participe activement Lénine, lequel a naturellement pour objectif d’ourdir la révolution, c’est-à-dire « d’une part, essayer d’accélérer la maturation des tendances qui conduisent à la révolution […] [et] d’autre part, préparer le prolétariat à l’action » (Lukács, 1965 : 57). L’Iskra sera donc pensée comme un guide pour les luttes des masses : un guide « théorique » permettant d’armer intellectuellement les ouvriers, de donner de la visibilité au mouvement révolutionnaire embryonnaire, de faire remonter les événements venant de la base et ainsi se trouver en capacité de produire des analyses concrètes des situations concrètes, mais aussi d’organiser pratiquement le parti d’avant-garde, c’est-à-dire en constituer le foyer : « Nous [devons] nous assigner pour objectif immédiat la mise sur pied d’un organe du parti paraissant régulièrement et étroitement lié à tous les groupes locaux. […] La création du Parti – s’il n’est pas représenté convenablement par un organe déterminé – demeurera dans une grande mesure lettre morte » (1899 – Lénine, s.d. : 23). « Publication de combat politique » et « organe marxiste du parti prolétarien en construction », l’Iskra est d’abord, pour Lénine, l’outil majeur d’unification des luttes sociales, « l’instrument direct de l’action révolutionnaire » (Trotsky, 1970 : 64 et 60), seul capable de « créer des traditions et une continuité d’action dans le parti […], à la généraliser, à la renforcer, à la systématiser » (1899 – Lénine, s.d. : 24).

 

De l’Iskra au Proletari : de l’étincelle jaillira la flamme… de la révolution (1900-1905)

En tant qu’organe central du Parti social-démocrate, l’Iskra tend évidemment d’abord à répondre au problème interne que le Parti rencontre à cette période (le premier numéro sortira le 11 décembre 1900), c’est-à-dire, en l’occurrence, son fractionnement (notamment entre le « groupe Plékhanov », la Ligue des social-démocrates russes à l’étranger et l’Union des social-démocrates russes qualifiés d’économistes1 et dont les organes étaient le Rabotchéié Diélo – « La cause ouvrière » – et le Rabotchaïa Mysl – « La pensée ouvrière ») et sa grande faiblesse organisationnelle. Durant ses trois premières années (1900-1903), l’Iskra fut ainsi un « substitut » du Parti, avec à sa tête « l’homme de la Léna » qui, comme le signale Léon Trotsky dans son Lénine (1970), en était assurément le directeur politique. La rédaction de l’Iskra, mais aussi de Zaria (« L’aurore » autre revue révolutionnaire russe – premier numéro paru en avril 1901) était constituée par une petite équipe de militants professionnels exilés à Munich, Genève et Londres (pour certains depuis 1881) : Gueorgui Valentinovitch Plékhanov (fondateur en 1877 du mouvement marxiste russe, admiré de Lénine, mais en conflit ouvert avec lui : cf. par exemple « Comment l’Iskra faillit s’éteindre » – septembre 1900 –, in Lénine, 1975a : 319-341), Pavel Axelrod, Vera Ivanovna Zassoulitch, Julius Martov, Alexandre Nikolaïevitch Potressov et Vladimir Ilitch Oulianov (Lénine), rédaction à laquelle il faut ajouter à la suite du deuxième congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR, Bruxelles/Londres, 19032 – fondé au printemps 1898), Trotsky alias « Pero » (« La Plume » – recommandé quelques mois auparavant à Lénine par Gleb Krjijanovski, alias « Clair », alors responsable de l’organisation intérieure de l’Iskra, mais qui resta dans l’histoire comme responsable du Gosplan sous Staline), sans oublier l’indispensable Nadejda Konstantinovna Kroupskaïa, épouse de Lénine, qui s’occupera sans relâche du secrétariat de rédaction et notamment des tâches liées à la diffusion du journal, lequel s’appuyait alors sur un réseau de militants clandestins russes dispersés et de correspondants iskristes plutôt désorganisés, que Lénine qualifiait d’« artisanal ». Celui-ci y voyait d’ailleurs là une grande faiblesse dans la mesure où, du fait de cette dispersion, il ne peut se constituer réelle de tradition ni même de cohésion dans l’action social-démocrate : « Il est indispensable que des membres ou des groupes du Parti se spécialisent dans les divers domaines de son activité : reproduction des textes, introduction en Russie des publications éditées à l’étranger, transport à travers la Russie, distribution dans les villes, organisation de logements clandestins, collectage des fonds, transmission du courrier et de tous les renseignements sur le mouvement, organisation des liaisons, etc. » (Lénine, 1975b : 52). C’est seulement par ce biais que le mouvement révolutionnaire peut échapper au « praticisme étroit, coupé de la théorie qui éclaire le mouvement dans son ensemble » (Lénine, s.d. : 38). Mais malgré les nombreuses difficultés (manque d’argent, accords sans lendemain avec le Bund et l’Ouvrier du Sud quant à la diffusion du journal, saisies par la police, etc.), l’Étincelle « pénétra très rapidement en Russie et eut dans le milieux révolutionnaires un grand retentissement » (Walter, 1950 : 82). L’Iskra réussit à devenir le centre de production d’une littérature politique commune à tous les membres du Parti :

« Vladimir et Nadia fichent tous les lecteurs du journal dans la mesure du possible ; ils exigent des membres du réseau de l’Iskra des rapports méticuleux sur leurs activités, leurs rencontres, le climat psychologique qui les entoure. […] C’est ainsi que toute la Russie, puis la Sibérie elle-même, se couvrent en filigrane d’un quadrillage de plus en plus serré. Pour y parvenir, Lénine utilise toutes les bonnes volontés (socialistes révolutionnaires aussi bien que marxistes) car, à cette époque, tous les opposants au tsarisme s’entraident et les réseaux de l’Iskra tendent à devenir l’organisation technique unificatrice de la résistance » (Marabini, 1962 : 149).

L’organe du Parti, dans sa mission d’unification, doit traiter des problèmes théoriques, des informations sur le mouvement ouvrier, son histoire, son état et doit inévitablement s’intéresser aux questions politiques tant intérieures qu’internationales. Tous les problèmes quotidiens doivent par ailleurs constituer une matière première devant recevoir la plus grande attention. Le journal doit être un guide général susceptible d’apporter un répertoire étendu de réponses aux camarades lecteurs et de forger ainsi une unité idéologique qui sera renforcée par l’élaboration d’un programme du Parti.

Vladimir Ilitch Oulianov signe, pour la première fois publiquement, « Lénine » dans le numéro 2-3 de la revue Zaria (décembre 1901) et c’est sous ce pseudonyme qu’il sortira, quelques mois plus tard (mars 1902), l’une de ses plus fameuses brochures (en fait un livre), Que faire ?, dont il reprend le titre d’un ouvrage (littérairement médiocre) de Nikolaï Tchernychevski, auquel il voue une grande admiration3. Que faire ? se présente comme le fondement des thèses que Lénine établira pour le programme du Parti, notamment, quant à son mode de structuration et d’organisation qui devait reposer sur l’homogénéité de ses membres (militants professionnels dévoués à la cause), le centralisme démocratique et s’opposer de la sorte au « dilettantisme artisanal » dont il estimait qu’il caractérisait, hélas, la social-démocratie russe de cette époque. Ces éléments avaient d’ailleurs donné lieu à des articles destinés à la Rabotchaïa Gazéta  (« Journal ouvrier » – « Notre tâche immédiate », « Une question urgente », « Projet de programme pour notre parti » – 1899) ou publiés dans l’Iskra (« Les objectifs immédiats de notre mouvement » –n° 1, décembre 1900 ; « Par où commencer ? » –n° 4, mai 1901) : « Il faut un journal révolutionnaire, sans lequel nous ne pourrons absolument pas organiser sur une vaste échelle l’ensemble du mouvement ouvrier. […] Le mot d’ordre pratique de notre travail est la formule de Liebknecht, vétéran de la social-démocratie allemande : ‘‘Studieren, propagandieren, organisieren’’ – apprendre, propager, organiser. Et le pivot de cette activité ne peut et ne doit être que l’organe du parti » (Lénine, 1975b : 50). De facto, Lénine « se considérait d’ores et déjà entré dans la phase du combat révolutionnaire effectif. […] Fermement convaincu que seul un parti étroitement uni et puissamment organisé peut, en prenant la tête du mouvement révolutionnaire assurer son succès, Lénine consacre tous ses efforts à créer ce parti » (Walter, 1950 : 92-93), Parti qui n’est autre, à ce stade, que l’Iskra.

Tout comme le Parti social-démocrate lui-même, l’organe du Parti avec lequel il se confond doit ainsi « rendre conscient et relier à la totalité des luttes révolutionnaires ce que les masses ont inventé spontanément grâce à leur juste instinct de classe ; il doit, pour employer les mots de Marx, expliquer aux masses leur propre action non seulement afin d’assurer la continuité des expériences révolutionnaires du prolétariat, mais aussi d’activer consciemment le développement ultérieur de ces expériences » (Lukács, 1965 : 57). Aussi, à la sortie du deuxième congrès du POSDR qui voit, suite à un désaccord sur l’organisation du parti et la qualité de membre de ce dernier, se scinder les Iskristes en fractions menchévique et bolchévique (partisans de Lénine), Lénine démissionne de la rédaction de l’Iskra. Plus d’un an plus tard, ildécide alors de préparer un nouveau journal de la majorité à l’étranger, destiné à combattre la « nouvelle Iskra » et le menchévisme (« la racaille néo-iskriste »), mais surtout à porter le développement d’un parti centralisé dont il continue à penser, malgré les dissensions internes, qu’il est la seule voie sérieuse vers le socialisme : « Dans les conjonctures actuelles, ce journal pour nous, c’est tout » (Lénine, cité in Walter, 1950 : 134), c’est-à-dire qu’il est le nouvel instrument pour réaliser la jonction du socialisme scientifique et du mouvement ouvrier, de faire ainsi se rencontrer théorie et praxis et assurer le passage de la connaissance à l’action. Lénine estime qu’il est un devoir pour le parti révolutionnaire de prendre en charge cette dialectique essentielle et d’assurer l’intrication de la production scientifique marxiste et de la pratique des luttes ouvrières. Une critique sans sujet de la praxis serait pur verbiage, tandis qu’une pratique des luttes sans théorie n’aurait qu’une efficace partielle. Pour Lénine, le journal Vperiod (« En avant ! ») doit donc remplacer l’ancienne Iskra et devenir, à son tour, l’organe central du Parti, « en liaison indissoluble avec le mouvement du prolétariat » : « Le journal social-démocrate doit être l’œuvre de tous les social-démocrates. À tous, et surtout aux ouvriers nous demandons de correspondre. Donnons aux ouvriers la plus large possibilité d’écrire dans notre journal, de nous parler d’absolument tout, d’écrire le plus possible au sujet de leur vie quotidienne, de leurs intérêts et de leur travail ; sans cette documentation-là un organe social-démocrate ne vaudra pas un rouge liard et il ne méritera pas d’être appelé social-démocrate » (1904 – Lénine, s.d. : 137).

Le premier numéro sort le 4 janvier 1905 et comprend notamment un article intitulé « Il faut en finir », où Lénine affirme : « Le moment est venu d’annoncer ouvertement et de confirmer par des actes que le Parti cesse tous les rapports avec ces messieurs [les mencheviks] » (cité in Walter, 1950 : 137). À la veille de la sortie du troisième numéro, apprenant, à Genève, de la bouche d’Anatoli Lounatcharski l’existence des événements révolutionnaires en Russie (le 9 janvier le tsar fait mitrailler des manifestants devant le Palais d’Hiver), « le Vieux » rédige en catastrophe ceci :

« La classe ouvrière, qui pendant longtemps, semblait se tenir à l’écart du mouvement de la bourgeoisie dirigé contre le gouvernement, vient de faire entendre sa voix. Les grandes masses laborieuses ont atteint avec une rapidité foudroyante le niveau de leurs camarades social-démocrates conscients. Le mouvement ouvrier à Pétersbourg a marché ces jours-ci à pas de géant. Les revendications économiques ont cédé la place aux revendications politiques. La grève devient général et aboutit à une manifestation colossale dont l’ampleur dépasse toute imagination. Le prestige du tsar est détruit à jamais. L’insurrection commence. Force contre force. La bataille des rues fait rage, les barricades se dressent, la fusillade crépite, le canon tonne. Des ruisseaux de sans coulent, la guerre civile pour la liberté s’allume. Moscou et le Midi, le Caucase et la Pologne sont prêts à se joindre au prolétariat de Pétersbourg. La liberté ou la mort, telle est désormais la devise des ouvriers. […] Chacun doit se tenir prêt à remplir son devoir de révolutionnaire et de social-démocrate. Vive la Révolution ! Vive le prolétariat insurgé ! » (Lénine, cité in Walter, 1950 : 139).

Les événements de 1905 précipitèrent la tenue du troisième congrès du Parti à Londres, qui aura lieu du 25 avril au 10 mai. Ce fut notamment le moment de reposer la question des statuts du Parti et de son organisation. Contrairement au congrès précédent, les débats sur ce point ne furent pas des plus animés et la proposition de Lénine de supprimer le Conseil du Parti au profit d’un Comité central tout puissant fut acceptée, en vue de préparer l’insurrection. Aussi, « L’Iskra cessait d’être le journal officiel du parti [de « l’orthodoxie militante »]. Le Vperiod prenait sa place, quitte à s’appeler désormais Proletari (‘‘Le Prolétaire’’). [Le premier numéro paraît le 21 août 1905] (Walter, 1950). Et Trotsky de témoigner de ce qui s’était déjà passé en préparation du deuxième congrès du POSDR :

« Dans les réunions préparatoires, on donna beaucoup de soins à l’élaboration des statuts ; un des moments les plus importants dans les débats sur le schéma d’organisation fut celui où l’on discuta les rapports mutuels du journal central et du Comité central. J’étais venu à l’étranger avec cette pensée que le journal central devait se ‘‘subordonner’’ au Comité central. Telle était la disposition d’esprit de la majorité des « Russes » de l’Iskra, sans que toutefois cette opinion fût bien nette et tenace.
– ça ne marchera pas, me répliquait Vladimir Iliitch. La répartition des forces ne se présente pas ainsi. Voyons, comment feront-ils pour nous diriger du fond de la Russie ? ça ne marchera pas… Nous formons un centre stable et c’est nous qui dirigeons d’ici.
Il était dit, dans un des projets, que l’organe central serait tenu de publier les articles des membres du Comité central.
– Même contre le journal central ? demandait Lénine.
– Bien entendu.
– À quoi bon ? Cela n’a pas de raison d’être. Une polémique entre deux membres de l’organe central pourrait être utile dans certaines conditions ; mais une polémique des « Russes » du Comité central (c’est-à-dire de ceux des membres qui résidaient en Russie) contre l’organe central serait inacceptable.
– Alors, c’est la complète dictature du journal central ? demandai-je.
– Et qu’y voyez-vous de mal ? répliqua Lénine. C’est ainsi qu’il doit en être dans la présente situation » (Trotsky, 1970 : 46-47).

 

Que faire ?

Outre une critique particulièrement vive de l’économisme, Que faire ? contient les pages les plus explicites quant à la conception léninienne de la formation de la conscience socialiste et, par conséquent, les pages également les plus précises s’agissant du Parti et de la presse, notamment dans le chapitre v, intitulé « ‘‘Plan’’ d’un journal politique pour toute la Russie ». Répétons-le une nouvelle fois, Lénine estime que la mission centrale des militants révolutionnaires est de développer l’organisation politique qui donnera pleine conscience au prolétariat en tant que sujet historique apte à faire aboutir la révolution. Le Parti doit ainsi être l’élément fondamental, la pièce maîtresse de la mobilisation car il est seul susceptible « de donner à chaque ‘‘militant parcellaire’’ de la cause révolutionnaire, le sentiment de marcher ‘‘dans les rangs’’, conscience que son travail est directement nécessaire au Parti » (1899 – Lénine, s.d. : 29). Il ne doit verser ni dans une forme de blanquisme conspirationniste coupé de la classe ouvrière, à l’exemple de Narodnaïa Volia (« La volonté du peuple », organisation anarchiste commettant des attentats), ni rétrécir « le contenu et l’ampleur de la propagande, de l’agitation et de l’organisation politiques […] à des moments exceptionnels », ni encore se contenter de luttes extrêmement locales, partielles, « économistes », sans se penser obligé de les porter « au niveau d’une lutte systématique et résolue du parti ouvrier révolutionnaire contre l’autocratie » (Lénine, 2009 : 28). Autrement dit, le Parti, en tant que forme supérieure de l’organisation de classe du prolétariat, « ne peut régler sa conduite sur les mouvements accélérés et inattendus [i.e. l’opportunisme spontanéiste], mais doit toujours persévérer dans son travail systématique d’organisation et d’éducation du prolétariat » (Cervetto, 2009 : 12) :

« Organisez-vous non seulement en sociétés de secours mutuel, en caisses de grève et en cercles ouvriers, mais aussi en un parti politique, organisez-vous pour la lutte résolue contre le gouvernement autocratique et contre toute la société capitaliste. Sans cette organisation, le prolétariat est incapable de s’élever à une lutte de classe consciente ; sans cette organisation, le mouvement ouvrier est condamné à l’impuissance, et, avec simplement des caisses, des cercles et des sociétés de secours mutuel, la classe ouvrière ne remplira jamais la grande mission historique qui lui incombe et qui est de s’affranchir elle-même et d’affranchir tout le peuple russe de son esclavage politique et économique. Aucune classe dans l’histoire n’est parvenue à la domination sans avoir trouvé dans son sein des chefs politiques, des représentants d’avant-garde capables d’organiser le mouvement et de le diriger » (Lénine, 2009 : 28-29).

Dans « Par où commencer ? », article publié en mai 1901, dans le quatrième numéro de l’Iskra, Lénine met en avant le lien organique entre le Parti et son journal (« politique pour toute la Russie »), ce dernier devant constitué le fil conducteur permettant de bâtir une organisation efficace, rassemblant et organisant toutes les forces révolutionnaires. Lénine évoque, à cet égard, la nécessité d’établir, précisément par la réalisation d’un journal commun, produit d’une œuvre commune, une « liaison effective » entre tous les « collaborateurs », permettant de construire la médiation pratique incitant « à progresser constamment dans toutes les voies nombreuses qui mènent à la révolution » (Lénine, 2009 : 214) et actualisant l’unité effective du Parti :

« À notre avis, le point de départ de notre activité, le premier pas concret vers la création de l’organisation souhaitée, le fil conducteur enfin qui nous permettrait de faire progresser sans cesse cette organisation en profondeur et en largeur, doit être la fondation d’un journal politique pour toute la Russie. Avant tout, il nous faut un journal, sans quoi toute propagande et toute agitation systématiques, fidèles aux principes et embrassant les divers aspects de la vie, sont impossibles. C’est pourtant la tâche constante et essentielle de la social-démocratie, tâche particulièrement pressante aujourd’hui, où l’intérêt pour la politique et le socialisme s’est éveillé dans les couches les plus larges de la population. Jamais encore on n’avait senti avec autant de force qu’aujourd’hui le besoin de compléter l’agitation fragmentaire par l’action personnelle, les tracts et les brochures édités sur place, etc., par cette agitation généralisée et régulière que seule la presse périodique permet. On peut dire sans crainte d’exagération que la fréquence et la régularité de parution (et de diffusion) du journal permettent de mesurer de la façon la plus exacte le degré d’organisation atteint dans ce secteur vraiment primordial et essentiel de notre activité militaire. Ensuite, il nous faut, très précisément, un journal pour toute la Russie [comme le fût la Rabotchaïa Gazeta durant la période 1896-1898]. Si nous n’arrivons pas et tant que nous n’arriverons pas à unifier l’action que nous exerçons sur le peuple et sur le gouvernement par la presse, ce sera une utopie de penser coordonner d’autres modes d’action plus complexes, plus difficiles, mais aussi plus décisifs. Ce dont notre mouvement souffre le plus, sur le plan idéologique et sur celui de la pratique, de l’organisation, c’est de la dispersion, du fait que l’immense majorité des social-démocrates est à peu près totalement absorbée par des besognes purement locales qui réduisent à la fois leur horizon, l’envergure de leurs efforts, leur accoutumance et leur aptitude à l’action clandestine. C’est dans cette dispersion qu’il faut chercher les racines les plus profondes de cette instabilité et de ces flottements dont nous avons parlé plus haut. Le premier pas à franchir pour échapper à ce défaut, pour faire converger plusieurs mouvements locaux en un seul mouvement commun à toute la Russie, doit être la fondation d’un journal pour toute la Russie. Enfin, il nous faut absolument un journal politique. Sans journal politique, dans l’Europe moderne, pas de mouvement qui puisse mériter la qualification de politique. Sans cela, impossible de venir à bout de notre tâche : concentrer tous les éléments de mécontentement et de protestation politiques pour en féconder le mouvement révolutionnaire du prolétariat » (Lénine, 2009 : 36-37-38).

Le journal social-démocrate est la voix du Parti et offre au mouvement ouvrier une tribune dont Lénine estime qu’elle est réclamée par les masses. Il ne s’agit donc pas du projet « hors-sol » d’une avant-garde, mais la réponse des dirigeants révolutionnaires à une demande qui émane du peuple. Et « par l’entremise du prolétariat, le journal pénétrera parmi la petite bourgeoisie des villes, les artisans des campagnes et les paysans et deviendra ainsi un véritable organe politique populaire » (Lénine, 2009 : 38). Si la presse « pose théoriquement toutes les questions essentielles de la révolution » (Lénine, 1970 : 11), elle ne saurait, pour autant, être seulement un instrument de diffusion idéologique, d’éducation socialiste et politique des ouvriers, de propagande, d’agitation et de recrutement. Le journal « n’est pas seulement un propagandiste collectif et un agitateur collectif ; il est aussi un organisateur collectif [souligné par nous] » (Lénine, 2009 : 38), notamment quand les exigences de la période pré-insurrectionnelle sont à la construction du parti prolétarien : « Le journal peut et doit assumer la direction idéologique du parti et développer les vérités théoriques, les principes tactiques, les idées générales d’organisation, les tâches générales de l’ensemble du parti à tel ou tel moment » (« Lettre à un camarade sur nos tâches d’organisation – 1902 – Lénine, 2009 : 242). Autrement dit, l’organe central est un moyen d’organiser le Parti révolutionnaire par le biais d’un réseau de diffusion (une « poste rouge », une « poste socialiste russe ») qui se confond alors avec la structure dudit parti en ce qu’il a notamment pour vertu de renforcer au travers de tâches pratiques, les relations politiques entre les militants. La presse révolutionnaire se présente comme la structure nécessaire à l’édification d’une organisation permanente de portée générale, précisément en ce qu’elle nécessite de créer un réseau d’agents locaux que l’on ne peut détruire facilement, qui sera « la carcasse de l’organisation qui nous est nécessaire » (Lénine, 2009 : 39) et qui, au-delà des tâches directement liées au journal (impression, diffusion, etc.), constituera la base d’une « armée régulière » de révolutionnaires instruits, devant laquelle « doit absolument s’effacer toute distinction entre ouvriers et intellectuels » (Lénine, 2009 : 156) : « moins des hommes de lettres que des militants » (Worontzoff, 1975 : 41), « une armée permanente de lutteurs éprouvés » d’où « nous verrons sortir du rang, non seulement les plus habiles propagandistes, mais encore les organisateurs les plus avertis, les chefs politiques les plus capables du Parti, qui sauront à point nommé lancer le mot d’ordre de la lutte finale et en assurer la direction. […] Et nous, Parti de lutte […] nous pouvons et devons trouver, rassembler, instruire, mobiliser et mettre en marche cette armée d’hommes omniscients » (Lénine, 2009 : 40 et 193). La presse-Parti doit donc bien être un organisateur composé de militants professionnels de l’action révolutionnaire, dont le but est de « rapprocher et fusionner en un tout la force destructive spontanée de la foule et la force destructive consciente de l’organisation des révolutionnaires » (Lénine, 2009 : 220) :

« Le parti ouvrier révolutionnaire est composé d’intellectuels révolutionnaires, en ce sens que les ouvriers qui deviennent communistes perdent leur qualité d’ouvrier pour devenir intellectuels révolutionnaires, c’est-à-dire militants intégrés pleinement dans le Parti comme ‘‘intellectuel collectif’’. De même, les intellectuels cessent d’être de purs intellectuels pour devenir membres d’une organisation révolutionnaire, c’est-à-dire des ‘‘travailleurs’’ d’un type particulier, des ‘‘professionnels’’ de l’organisation, de l’agitation et de la propagande communistes. C’est cette nouvelle fusion des intellectuels et des ouvriers en un bloc intellectuel-ouvrier qui constitue le parti communiste en tant que ‘‘travailleur collectif’’ » (Brohm, 1971 : 20).

Le Parti est le lieu où, à l’aune du combat révolutionnaire, idées et pratiques, théorisation politique et vie sociale et militante doivent n’avoir de cesse de s’alimenter mutuellement. Viser concrètement une transformation radicale, c’est aussi pénétrer la réalité concrète, la matière politique, par un travail scientifique susceptible d’armer intellectuellement et de déboucher sur des connaissances pratiques. La presse-Parti doit être une organisation unique, portée par un même élan devant dépasser les luttes locales et porter le combat à son niveau de globalité le plus haut. Aussi, les journaux locaux ne sauraient remplacer l’organe politique central qui seul est en mesure de mettre en perspective le processus révolutionnaire depuis un point de vue qui est celui de la classe tout entière. Moteur idéologique du Parti, il est fondé sur le principe du centralisme démocratique et toutes les publications de moindre envergure doivent à ce titre y prendre leurs repères et y trouver un modèle ainsi que leurs principaux contenus. En mai 1917, la demande du comité de Pétersbourg de lancer un journal populaire fera rappeler par Lénine que : « La tâche d’un organe populaire est d’amener le lecteur à comprendre l’organe dirigeant du Parti ». Et d’insister sur le fait que « L’organe populaire ne doit pas avoir un caractère local » (Lénine, s.d. : 268). Il sera alors décidé d’éditer deux journaux à Pétrograd : l’organe central et un journal populaire, mais devant partager le même comité de rédaction : « Ma conviction est qu’en principe il n’est pas nécessaire que le Comité de Pétrograd ait un journal à part. La capitale doit posséder, en raison de son rôle dirigeant dans le pays, un seul organe du parti, précisément l’organe central, le journal populaire, rédigé en termes tout à fait accessibles aux masses, devant être placé sous la même direction » (Lénine, s.d. : 271). Les journaux locaux doivent ainsi reprendre les mots d’ordre de l’organe central en les adaptant si nécessaire, mais en servant avant tout de courroie de transmission. Si l’appropriation à la base de l’information révolutionnaire est une nécessité, elle doit plutôt s’organiser autour de l’entretien de liens directs entre la masse et l’organe central plutôt qu’au travers de publications autonomes : « Le moyen pratique de cette collaboration, ce sont les correspondances » (Worontzoff, 1975 : 46). « Un organe sera vivant et viable, lorsque pour cinq publicistes dirigeant et écrivant de façon régulière, il y aura cinq cents – cinq mille collaborateurs qui ne seront point des écrivains » (Lénine, cité in Worontzoff, 1975 : 46).

Cela définit-il pour autant une logique de symétrie entre les militants et les rédacteurs ? Tout dépend de la période. À l’époque de Que faire ?, les camarades à la base doivent d’abord être considérés comme des correspondants, des témoins qui certes font remonter des renseignements utiles, mais auxquels il n’est pas  question de confier le contrôle des imprimeries, ni même celui de l’information, et ce, au motif des impératifs d’organisation dictés par la période. Ceux-ci appellent une césure provisoire mais nécessaire, entre, d’une part, l’avant-garde révolutionnaire professionnelle, minorité agissante dont la tâche historique est de remédier au désordre social en prenant en charge l’édification d’une forme supérieure de société et, d’autre part, la masse prolétarienne et paysanne, produit des circonstances, mais qui constitue toutefois la matière vivante de la révolution et du changement de ces circonstances. Au commencement était donc le Parti et l’organe central. Aussi, « n’est ce pas du donquichottisme, se demande Lénine, de dire, comme la Svoboda (n° 1, p. 68 [organe des socialistes-révolutionnaires, parti créé en 1902]) lorsqu’elle ‘‘traite spécialement la question du journal’’ : ‘‘À notre avis toute agglomération ouvrière un peu considérable doit avoir son journal ouvrier à elle. Son propre journal à elle, et non apporté du dehors’’ » (Lénine, 2009 : 190). Et d’ajouter : « Quand il s’agit d’un ‘‘journal’’, il nous faut révéler non pas tant les ‘‘menus faits’’ que les vices essentiels, particuliers à la vie d’usine, dénonciations portant sur des exemples saillants et susceptibles, par conséquent d’intéresser tous les ouvriers et tous les dirigeants du mouvement, d’enrichir véritablement leurs connaissances, d’élargir leur horizon, d’amorcer l’éveil d’une nouvelle région, d’une nouvelle catégorie professionnelle d’ouvriers » (Lénine, 2009 : 191). La prédominance de la presse locale sur le journal central est pour Lénine, « une marque d’indigence ou d’opulence » qui en aucun cas ne permet de mener correctement le travail impératif d’agitation politique unifiée « pour toute la Russie », seul capable de structurer durablement, mais aussi d’adapter le travail révolutionnaire aux nécessités de la période (périodes insurrectionnelle, de répression, ou d’accalmie)4. Trotsky témoigne sur ce point :

« Certains délégués [au deuxième congrès du POSDR] insistaient sur la nécessité de créer, à côté de l’Iskra, un organe [populaire] qui paraîtrait, si possible, en Russie. Telle était, en particulier, la pensée du groupe ‘‘Le Jeune Ouvrier’’. Lénine était un adversaire déterminé de ce projet. Les motifs qu’il en donnait étaient d’ordre divers, mais le principal résidait dans la crainte de la formation d’un groupe particulier qui aurait pu se constituer sur la base d’une ‘‘popularisation’’ simplifiée des idées de la social-démocratie, avant que le noyau du parti n’eût eu le temps de s’affermir comme il le devait. […] Dans une des réunions, je développais cette pensée – juste ou fausse, maintenant cela n’a plus d’importance –, que nous avions besoin non d’un organe populaire, mais d’une série de brochures et de tracts de propagande qui aiderait les ouvriers avancés à s’élever au niveau de l’Iskra ; mais qu’un journal populaire réduirait la place de l’Iskra et effacerait la physionomie politique du parti, en l’abaissant à ‘‘l’économisme’’ et au socialisme-révolutionnaire » (Trotsky, 1970 : 49).

Pour autant, le rejet du « localisme » n’est pas, chez Lénine, synonyme d’un désintérêt pour l’accompagnement idéologique de la lutte économique, tant s’en faut. Il considère cependant que la lutte professionnelle et syndicale doit se doter d’une presse ad hoc qu’il estime devoir prendre forme, pour l’essentiel, via la réalisation de brochures professionnelles regroupant des informations (législation, mobilisation, etc.) utiles à chaque catégorie de métiers et devant servir à l’agitation économique. Mais la lutte des classes véritables ne peut s’en tenir à l’éclectisme, à ces opérations situées, fussent-elles essentielles, qui portent des luttes localisées contre des figures singulières du capitalisme et non contre la classe entière des possédants. Chez « l’homme de la Léna », il y a en effet une différence fondamentale entre l’organisation des révolutionnaires (i.e. l’avant-garde révolutionnaire professionnelle) et celle des ouvriers strictement destinée à la lutte « trade-unioniste ». Cette montée en généralité qui souligne l’importance du facteur subjectif dans l’histoire, mais aussi de la transformation des idées en force matérielle ne peut passer que par la recherche d’une unité idéologique, laquelle, répétons-le, ne peut être assurée que par l’organe central. Ce dernier est considéré par Lénine comme l’instrument essentiel de la construction d’une conscience de classe globale car c’est à travers lui que peuvent être unifiées les pratiques de lutte parcellaires, territorialisées, économiques, conjoncturelles, que peut se développer une réflexivité à proprement parler prolétarienne, capable d’un effort de totalisation, mais sans que celui-ci soit confiné à une récitation dogmatique des lieux communs du matérialisme historique. La doctrine n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action aimait rappeler Lénine à la suite de Marx. La connaissance livresque du communisme n’a aucune valeur si elle ne s’ajuste pas aux impératifs pratiques du moment : « Ne pas tenir compte des conditions modifiées, en rester aux anciennes solutions marxistes, signifie être fidèle à la lettre et non à l’esprit de la doctrine » (Lénine cité in Gourfinkel, 1959 : 48). Le Parti-presse se présente donc comme la condition de possibilité de ce que Lukács nomme « la connaissance de soi de la société capitaliste » (1960 : 263), c’est-à-dire la connaissance de soi comme produit de la société capitaliste.

Le niveau de conscience de classe du prolétariat se présente ainsi comme l’élément central à partir duquel Lénine va théoriser le Parti (e.g. dans Un pas en avant, deux pas en arrière – 1953) et la presse révolutionnaires. L’un et l’autre sont considérés comme institutions devant traduire organisationnellement et idéologiquement les nécessités indexées aux différents niveaux de conscience. C’est également à cette aune que le révolutionnaire professionnel est considéré comme un « ‘‘tribun populaire’’ [en référence à Babeuf ?], intervenant ‘‘dans toutes les couches de la population’’, pour y saisir la façon concrète dont se noue une multiplicité de contradictions » (Bensaïd, 1997 : 2). Il s’agit notamment de déterminer les niveaux d’intervention politique que la distinction entre le parti, politique par construction, et la classe, foncièrement sociale, permet de penser par la confrontation entre une élaboration conceptuelle politique et « tous les points de la vie sociale » en s’adaptant de surcroît aux « déplacements du centre de gravité de la lutte ». En période pré-révolutionnaire, quand il s’agit d’organiser la crise de confiance en l’autocratie russe, la vocation de la presse est donc d’être un outil de propagande : « Il faut s’efforcer le plus possible d’élever le niveau de la conscience des ouvriers en général. Il ne faut pas qu’ils se confinent pas dans le cadre artificiellement restreint de la ‘‘littérature pour ouvriers’’, mais qu’ils sachent assimiler de mieux en mieux la littérature pour tous » (Lénine, 2009 : 82). Et d’ajouter : « Un écrivain populaire amène le lecteur à une idée profonde, à un enseignement profond, à partir des faits les plus simples et universellement connus. Il indique – à l’aide de raisonnements peu compliqués – les principales conclusions à tirer de ces faits et pousse le lecteur à se poser toujours davantage de questions » (Lénine, cité in Worontzoff, 1975 : 23-24). La presse est donc bien un instrument d’éducation qui doit donner à comprendre non pas seulement les situations d’exploitation locales et singulières, mais plus globalement le système politique qui permet et conduit à de telles situations.

Le prolétariat ne peut avoir instinctivement une appréhension directe et entière de son rôle d’acteur historique. Pour assurer le passage de la classe en soi à la classe pour soi, il faut éclairer les masses et leur faire bénéficier du savoir dont disposent les avant-gardes les plus éclairées. La question des publics ouvriers et des manières de s’adresser devient alors centrale. Reprenant Plékhanov, Lénine précise :

Un propagandiste « doit donner ‘‘beaucoup d’idées’’, un si grand nombre d’idées que, du premier coup, toutes ces idées prises dans leur ensemble ne pourront être assimilées que par un nombre (relativement) restreint de personnes. Traitant la même question, l’agitateur, lui, prendra le fait le plus connu de ses auditeurs et le plus frappant, par exemple une famille  de chômeurs morte de faim, l’indigence croissante, etc., et, s’appuyant sur ce fait connu de tous, il mettra tous ses efforts pour donner à la ‘‘masse’’ une seule idée : celle de la contradiction absurde entre l’accroissement de la richesse et l’accroissement de la misère ; il s’efforcera de susciter le mécontentement, l’indignation de la masse contre cette injustice criante, laissant au propagandiste le soin de donner une explication complète de cette contradiction » (Lénine, 2009 : 110-111).

Dès 1900, dans le « Projet de déclaration de la rédaction de l’Iskra et de la Zaria », Lénine explique la création de ces deux organes social-démocrates comme devant, pour l’un, produire des contenus scientifiques et de propagande marxiste à destination des « intellectuels » et, pour l’autre, être un journal ouvrier visant le mouvement spontané du prolétariat et son unification (« lui forger une physionomie et une organisation propres » – Lénine, 1975a : 343). La diffusion des idées révolutionnaires via une « littérature politique commune » pouvant être polémique, laquelle doit aussi bien traiter des problèmes théoriques que des problèmes de la vie quotidienne, doit être organisée par paliers : « La revue doit servir surtout à la propagande, le journal surtout à l’agitation » (Lénine, 1975a : 309). Si Lénine ajoute que tous les aspects du mouvement doivent être présents au sein des deux publications, encore faut-il que ces éléments soient adaptés aux lectorats visés. Il va ainsi être amené à distinguer différentes catégories de prolétaires au regard de leurs niveaux d’éducation et de compréhension : les ouvriers « avancés » (l’avant-garde), « moyens » (la classe) ainsi que les « couches inférieures du prolétariat » (la masse) sont autant de publics auxquels il est nécessaire de s’adresser. Aux premiers est destiné l’organe central de propagande qui doit être le journal de tous les sociaux-démocrates russes ; aux « aspirants socialistes » qui bornent le plus souvent leurs intérêts aux problèmes d’agitation locale, convient davantage le journal populaire dont l’objectif sera de rattacher à chaque question locale le socialisme et la lutte politique ; enfin aux ouvriers les moins conscientisés, il est préférable de réserver, dans un premier temps au moins, la « littérature de dénonciation économique » (les tracts, les brochures populaires) et l’agitation orale (Worontzoff, 1975 : 26-27) :

« Dans un journal qui serait l’organe du Parti, il y aura des articles que l’ouvrier moyen ne comprendra pas, ou des questions théoriques et pratiques complexes qu’il ne saisira pas complètement. Il ne s’ensuit nullement que le journal doive s’abaisser jusqu’au niveau de la masse de ses lecteurs. Au contraire il se doit précisément d’élever leur niveau et de contribuer à former dans la couche des ouvriers moyens, des ouvriers d’avant-garde. Absorbés par l’activité pratique locale, s’intéressant par-dessus tout à la chronique du mouvement ouvrier et aux questions immédiates relevant de l’agitation, ces ouvriers doivent rattacher à chacun de leurs actes l’idée de l’ensemble du mouvement ouvrier russe, de sa mission historique, du but final du socialisme, et c’est pourquoi le journal dont les ouvriers moyens forment le gros des lecteurs doit absolument rattacher à chaque question locale et étroite le socialisme et la lutte politique. Enfin, après la couche moyenne, vient la masse des couches inférieures du prolétariat. Il est très possible que le journal socialiste leur soit entièrement ou presque entièrement inaccessible […] mais il serait absurde d’en inférer que le journal doive s’adapter au niveau le plus bas possible des ouvriers. Il en résulte seulement que, pour agir sur ces couches, il faut d’autres moyens d’agitation et de propagande : des brochures très populaires, l’agitation orale » (1899 – Lénine, s.d. : 33-34).

Dans « Du passé de la presse ouvrière en Russie » (avril 1914), Lénine considère les nécessités du développement de la Pravda sur ce modèle de l’ajustement aux différents lectorats ouvriers : créer un supplément intersyndical, créer des suppléments régionaux, développer la section étrangère du Pout Pravdy (« La voie de la vérité »), mettre en œuvre une Pravda du soir à un kopeck, afin de cibler au mieux, à la fois les « ouvriers conscients », les « ouvriers du rang » et « l’homme de masse ». Lénine estimera que la période permet également d’envisager que les lecteurs du Pout Pravdy participent plus activement « à la correspondance, à la direction du journal, à sa diffusion. Il faut obtenir que les ouvriers participent systématiquement au travail de la rédaction » (Lénine, 1975a : 435 ; sur la Pravda : Brooks, 1995). Cet élan participationniste ne sera pas toujours à l’ordre du jour (cf. infra).

 

Sur les braises de la révolution : éduquer, cultiver

« Ce qui manque le plus aux ouvriers, c’est la science de leur malheur. »
Fernand Pelloutier

Lénine n’aura donc de cesse de considérer que le Parti a vocation à organiser les luttes, mais aussi à éduquer les militants et, plus largement, les masses, tout comme l’organe central5, lequel, une fois le Parti au pouvoir, doit être son plus fidèle représentant : parler d’une seule voix et se prononcer publiquement sur l’ensemble de la vie politique pour en éclairer les tenants et les aboutissants. La presse révolutionnaire devient officielle et doit renforcer la puissance du Parti et le centralisme démocratique. Plus que jamais, l’organe central se doit de jouer son rôle d’animateur et transmettre les décisions du comité central. En d’autres termes, la presse doit alors devenir l’organisateur collectif de l’économie socialiste. Aussi, le contrôle du Parti sur les publications existantes se renforce considérablement car l’heure est à la construction de l’appareil productif et de l’État socialistes : « Les journaux doivent devenir les organes des différentes organisations du parti. Les écrivains doivent absolument rejoindre les organisations du parti. Les maisons d’édition, les dépôts, les magasins et les salles de lecture, les bibliothèques et les diverses librairies doivent devenir des entreprises du Parti soumises à son contrôle. Le prolétariat socialiste organisé doit surveiller toute cette activité, la contrôler à fond… » (Lénine, 1905). Pour Lénine, la « liberté de la presse » telle qu’elle peut se déployer dans la société bourgeoise, n’est qu’une liberté formelle « tant que les meilleures imprimeries et les gros stocks de papier sont accaparés par les capitalistes, tant que demeure le pouvoir du capital sur la presse » (1919 – Lénine, s.d. : 304). À l’occasion du premier congrès de l’Internationale communiste (mai 1919), il précisera : « Les capitalistes qualifient de liberté de la presse la liberté pour les riches de soudoyer la presse, la liberté d’utiliser leurs richesses pour fabriquer et falsifier l’opinion publique » (1919 – Lénine, s.d. : 304-305). La presse bourgeoise entretient d’ailleurs sa domination davantage par le divertissement, l’intérêt pour l’événement, les « futilités politiques » et par le mensonge que par un travail de conviction et d’éducation. Pour la presse prolétarienne, c’est bien évidemment l’exact contre-pied qu’il s’agit de prendre, notamment en faisant montre d’un didactisme sans concession au service d’une éducation politique et économique, par exemple en donnant la plus grande publicité possible à la réalité du travail « sur le mode révolutionnaire » et à la « grande initiative » des « samedis communistes » (Lénine, 1919 – i.e. travailler le samedi durant 6 heures en n’étant pas rémunéré) :

« J’ai reproduit dans le plus grand détail possible les informations sur les ‘‘samedis communistes’’ parce que nous nous trouvons, sans aucun doute, devant une des manifestations les plus importantes de l’édification communiste, à laquelle nos journaux ne consacrent pas une attention suffisante et qu’aucun de nous n’a encore suffisamment apprécié. […] Notre presse ne se soucie point ou si peu, de décrire les meilleurs réfectoires ou les meilleures crèches, d’insister, tous les jours, pour que certains d’entre eux soient transformés en établissements modèles, d’en faire l’éloge. Production modèle, samedis communistes modèles, dévouement et honnêteté exemplaires dans la production et la répartition de chaque poud de blé ; réfectoires modèles, propreté exemplaire de telle maison ouvrière, de tel bloc d’immeubles : tout ceci devrait dix fois plus retenir l’attention et les soins de notre presse, ainsi que de chaque organisation ouvrière et paysanne. Ce sont là les germes du communisme ; les soigner est notre premier devoir à tous. » (Lénine, 1919).

Dans la Pravda du 20 septembre 1918, Lénine précisait alors :

« La presse bourgeoise du ‘‘bon vieux temps de la bourgeoisie’’ ne touchait pas au ‘‘saint des saints’’, à la situation intérieure des fabriques et des entreprises privées. Cette coutume répondait aux intérêts de la bourgeoisie. Nous devons nous en défaire radicalement. Ce n’est pas encore chose faite. Le caractère de nos journaux ne change pas encore autant qu’il le devrait dans une société qui passe du capitalisme au socialisme […]. Nous ne savons pas nous servir des journaux pour soutenir la lutte des classes, comme le faisait la bourgeoisie […]. Nous ne faisons pas une guerre sérieuse, impitoyable, vraiment révolutionnaire, aux porteurs véritables du mal. Nous faisons peu l’éducation des masses par des exemples vivants et concrets, pris dans tous les domaines de la vie ; or, c’est la tâche essentielle de la presse lors du passage du capitalisme au communisme. Nous prêtons peu d’attention à la vie quotidienne des fabriques, des campagnes, des régiments, là où s’édifie la vie nouvelle plus qu’ailleurs, où il faut accorder le plus d’attention, faire de la publicité, critiquer au grand jour, stigmatiser les défauts, appeler à suivre le bon exemple. Moins de tapage politique. Moins de ratiocinations d’intellectuels. Se tenir plus près de la vie. Prêter plus d’attention à la façon dont la masse ouvrière et paysanne fait réellement œuvre novatrice dans son effort quotidien » (1918 – Lénine, s.d. : 298-301).

Comme le précise Madeleine Worontzoff, la presse prolétarienne, se développe dans une société qui reste marquée du sceau de la culture bourgeoise et « force lui est d’y puiser ses concepts, ses techniques et jusqu’à son vocabulaire » (1975 : 89). Il s’agit donc de s’appuyer sur ces contradictions pour arriver à mettre en œuvre une presse réellement libre : libre du capital, de l’arrivisme et de « l’individualisme anarchique petit-bourgeois » (Lénine, 1905). Notamment, comme l’écrit Karel Kosik, « De faux amis ont tenté de faire croire aux ouvriers que la liberté d’expression et de presse est une question qui ne concerne qu’une couche sociale, celle des intellectuels » (2003 : 50). C’est là tenter d’amoindrir la portée politique de la classe ouvrière, laquelle dépend pour partie des connaissances qu’elle construit à partir de la théorie socialiste, mais en lien direct avec les manifestations du mouvement ouvrier spontané, et dont la portée dépend de leur large appropriation par les masses et donc de leur publicisation. Il est indispensable, précisait Lénine, d’« analyser chaque fait particulier à la lumière de la théorie, faire connaître les questions de politique et d’organisation du parti aux masses les plus vastes et en faire des thèmes de l’agitation » (cité in Gourfinkel, 1959 : 54-55). Car pour devenir libre, il faut d’abord avoir connaissance de la nécessité qui entrave ; et plus cette connaissance est étendue, plus elle est susceptible de fournir de prises à une action sociale transformatrice. Dans ses acrimonieuses « Réflexions à propos d’une lettre de 7TS. 6F » (1903), Lénine précise ainsi : « J’ai connu des ouvriers qui diffusaient eux-mêmes l’Iskra dans les masses (de cette région [i.e. celle de Moscou]), et la seule chose qu’ils disaient, c’est qu’ils en manquaient. Tout récemment, j’ai entendu raconter par un ‘‘soldat venu du champ de bataille’’ comment, dans l’un de ces coins perdus du centre de la Russie où sont venues s’égarer des fabriques, on fait la lecture de l’Iskra à la fois dans de nombreux cercles, dans des réunions de 10 à 15 personnes, et comment le comité et les sous-comités lisent eux-mêmes auparavant chaque numéro, déterminant ensemble la façon d’utiliser chaque article pour l’agitation » (Lénine, 2009 : 284). On retrouve ce type de témoignages également chez John Reed : « Nous nous rendîmes sur le front de la 12ème armée, en arrière de Riga ; des hommes hâves, pieds nus, dépérissaient dans la boue éternelle des tranchées ; à notre approche, ils se dressèrent, les faces contractées, leur peau bleuie par le froid paraissant à travers les déchirures des vêtements, et nous demandèrent avidement : ‘‘Avez-vous apporté quelque chose à lire ?’’ » (1958 : 51).

Lénine se défendait par exemple du fait que l’Iskra soit un journal d’intellectuels pour les intellectuels ou réservé aux ouvriers les plus avancés :

« Durant ces dernières années, les ouvriers cultivés eux aussi ont mené chez nous ‘‘à peu près exclusivement la lutte économique’’. C’est là un premier point. D’autre part, les masses n’apprendront jamais à mener la lutte politique, tant que nous n’aiderons pas à former des dirigeants pour cette lutte, aussi bien parmi les ouvriers cultivés que parmi les intellectuels. Or, de tels dirigeants ne peuvent s’éduquer qu’en s’initiant à l’appréciation quotidienne et méthodique de tous les aspects de notre vie politique, de toutes les tentatives de protestation et de lutte des différentes classes à différents propos » (Lénine, 2009 : 207).

Dans une lettre adressée à Maxime Gorki, datée du 7 février 1908, Lénine précisait : « ‘‘L’importance des intellectuels dans notre parti diminue : de partout nous en viennent des échos, les intellectuels s’enfuient du Parti.’’ Il les appelait ‘‘des cochons’’ et s’exclamait avec satisfaction : ‘‘Le Parti est en train de se laver de sa crasse petite-bourgeoise. Les ouvriers commencent à en faire plus. Le nombre de révolutionnaires professionnels qui sont ouvriers est en augmentation. Tout cela est merveilleux’’ » (Lénine, cité in Fischer, 1971a : 94). Dans les périodes pré-révolutionnaires, éduquer les masses et, par là, briser les idéologies capitalistes, restera toujours, pour Lénine, un impératif : « Tant qu’on n’a pas la force, une seule méthode est possible : éclairer les masses sur leurs véritables intérêts, ‘‘par une explication patiente, tenace, systématique, adaptée à leurs besoins concrets’’ » (Garfinkel, 1959 : 100). Cela passe par des brochures, des tracts, des articles, mais également par la tenue de réunions, de conférences, de discussions, de meetings plus vivants6 sans lesquels, « jamais la masse opprimée n’aurait su passer d’une discipline imposée par les exploiteurs à une discipline consciente librement consentie » (Lénine, cité in Gourfinkel, 1959 : 103). John Reed témoigne de nouveau en ce sens :

« La Russie toute entière apprenait à lire ; elle lisait de la politique, de l’économie, de l’histoire, car le peuple avait besoin de savoir. Dans chaque ville, presque dans chaque village, sur tout le front, chaque fraction politique avait son journal, quelquefois même plusieurs. Des milliers d’organisations distribuaient des centaines de milliers de brochures et en inondaient les armées, les villages, les usines, les rues. La soif d’instruction si longtemps réfrénée devient avec la révolution un véritable délire. Du seul Institut Smolny [i.e. le quartier général bolchévique à Saint-Pétersbourg], sortirent chaque jour, pendant les six premiers mois, des tonnes de littérature, qui par tombereaux et par wagons allaient saturer le pays. […] Et quel rôle jouait la parole ! Les ‘‘torrents d’éloquence’’ dont parle Carlyle à propos de la France n’étaient que bagatelle auprès des conférences, des débats, des discours dans les théâtres, les cirques, les écoles, les clubs, les salles de réunion des Soviets, les sièges des syndicats, les casernes. On tenait des meetings dans les tranchées, sur les places des villages, dans les fabriques. […] Pendant des mois, à Pétrograd et dans toute la Russie, chaque coin de rue fut une tribune publique. Dans les trains, dans les tramways, partout jaillissait à l’improviste la discussion » (Reed, 1958 : 51).

Après la révolution d’octobre 1917, il s’agira de continuer ce programme d’éducation et « d’organisation culturelle » : « Nous n’avons pas commencé par où il aurait fallu le faire selon la théorie (des pédants de toute sorte) ; la révolution politique et sociale chez nous a précédé la révolution culturelle qui maintenant s’impose à nous » (Lénine, cité in Besse et al., 1971 : 136-137). La « révolution culturelle » semble même d’autant plus nécessaire qu’il faut à présent exercer le pouvoir, prendre les rennes de l’État et de la production : « Le socialisme ne pourra prendre forme et se consolider que lorsque la classe ouvrière aura appris à gouverner… Sans cela, le socialisme demeurera une pieuse aspiration » (Lénine, cité in Gourfinkel, 1959 : 145). Aussi est-il encore nécessaire d’élever le niveau culturel des cadres, tout comme celui des masses » : « Pour rénover notre appareil d’État, nous devons à tout prix nous assigner la tâche que voici : premièrement, nous instruire ; deuxièmement, nous instruire encore ; troisièmement, nous instruire toujours » (Lénine, 1979a : 206). En bon matérialiste, Lénine estime que la « vérité » (« seule la vérité est révolutionnaire ! » rappelait-il) se trouve dans le mouvement de la pensée qui conduit de l’objet saisi dans ses attributs les plus phénoménaux, donc les plus abstraits, à une reconstruction par la pensée (le « concret-pensé » marxien) qui replace ledit objet en liaison concrète avec la totalité historico-sociale qui en constitue le cadre. Éduquer c’est ainsi produire une critique des apparences et des formes de conscience qui les constituent en tant que phénomènes singuliers et dont le sens véritable (relié à une totalité concrète) nécessite la médiation de concepts qui ne sont pas transcendants à l’histoire, mais, a contrario,  le « reflet » de structures en devenir : « L’enrichissement que le marxisme doit à Lénine consiste simplement – simplement ! – dans la liaison plus intime, plus visible et plus lourde de conséquence des actions isolées avec le destin général, le destin révolutionnaire de la classe ouvrière tout entière » (Lukács, 1965 : 30).

Quand Lénine affirme lors du dixième congrès du PCR (mars 1921) que « Le communisme c’est le pouvoir soviétique plus l’électrification du pays entier » (1969a : 65 ; 1969b), la sentence paraît a priori relever d’un grand déterminisme. Elle souligne pourtant, en une formule par trop expéditive, que l’émergence du socialisme, puis du communisme, relève d’un ensemble social structuré en évolution, traversé par des contradictions qui révèlent le lien étroit (une totalité dialectique) entre les sphères politiques, techniques, scientifiques et idéologiques : « La science et la technique sont pour les riches, pour les possédants : le capitalisme ne dispense la culture qu’à une minorité. Mais c’est à partir de cette culture que nous devons bâtir le socialisme. Nous n’avons pas d’autres matériaux » (Lénine, 1979a). L’électricité est ainsi envisagée comme la condition de possibilité technique de faire passer la Russie d’un pays de « petite culture » à un stade culturel beaucoup plus avancé, plus « civilisé », c’est-à-dire en mesure de reconfigurer jusqu’aux mœurs, aux mentalités, aux modes de vie quotidiens (e.g. la situation des femmes – Marcel Martinet parle à cet égard d’humanisme – 1976) et donc jusqu’à la personnalité et aux habitus des sujets sociaux, surtout chez ceux qui « ne vivent pas que de politique » (Trotsky, 1976). Lénine pense que la presse (par le biais de l’organe quotidien Biednota, « Pauvres ») a, là encore, un rôle central à jouer en participant notamment à la « propagande de production » et estime que pour ce qui concerne l’urbanisation de l’agriculture et l’électrification de tout le pays, un unique journal à la fois destiné aux ouvriers et aux paysans est la meilleure des solutions (Lénine, 1972). Dans ses « Thèses sur la propagande de la production » (1920), il affirme sans surprise :

« La propagande de la production, dans toute la RSFSR, doit être placée sous la direction d’un seul organisme, afin d’économiser les forces et de mieux diriger le travail. […] La rédaction d’un journal populaire de masse, tirant à 500 000-un million d’exemplaires, doit être l’organe dirigeant unique de la propagande de la production. La Biednota doit être ce journal. La division en journal industriel et journal agricole de ce type est nuisible, la tâche du socialisme étant de rapprocher et d’unir l’industrie et l’agriculture. […] Le journal de la production doit être populaire, en ce sens qu’il doit être accessible à des millions de lecteurs, sans pour cela tomber dans la vulgarisation primaire. Ne pas s’abaisser au niveau du lecteur inculte, mais d’une manière progressive et prudente, aider à son évolution » (Lénine, s.d. : 320-321).

Pour donner à voir et à comprendre la réalité concrète des habitudes et des comportements quotidiens, et édifier de nouveaux rapports sociaux, il faut également produire de nouvelles conditions matérielles d’existence et lutter contre l’analphabétisme et seulement alors, « le peuple se portera vers l’instruction, la lumière et les connaissances avec cent fois plus d’ardeur, de rapidité et de succès » (1921 – Lénine, s.d. : 326) : « En dehors des rudiments, il faut que les travailleurs soient cultivés, conscients, instruits. […] Il faut avoir soin que chaque usine, chaque station électrique se transforment en un foyer d’instruction » (Lénine, 1969c : 66). Le communisme en tant que réalité politique concrète en devenir est décrit ici comme ne pouvant être le produit que d’une structure et d’interactions sociales qui en stabilisent l’existence, lesquelles sont issues d’un processus qui les a fait advenir. Histoire et structure du communisme ne peuvent ainsi survenir sans éducation et culture. En souligner l’importance permet de se donner les moyens d’envisager les conditions de possibilité de son émergence. Lors du premiercongrès des travailleurs de l’enseignement (octobre 1918), « le Vieux » déclarera que « Seule l’école peut consolider la victoire de la révolution » : « On élabore un plan grandiose d’instruction générale, gratuite, laïque, mixte et polytechnique (c’est-à-dire comprenant l’enseignement des principes techniques et industriels), obligatoire pour les deux sexes jusqu’à l’âge de dix-sept ans. Ce plan est complété par un réseau d’éducation pré-scolaire et suivi d’un réseau d’écoles supérieures spécialisées, de cours d’adultes, de bibliothèques » (Gourfinkel, 1959 : 147). En décembre 1919, il signera un décret du Conseil des commissaires du peuple prévoyant la « liquidation de l’analphabétisme » :

« Cette tâche pratique, nettement liée à l’essor de la culture et de l’instruction, doit être le noyau autour duquel va se concentrer tout le caractère de notre propagande et l’activité de notre parti, tout le caractère de notre enseignement et de notre instruction. Alors, ce noyau s’articulera si profondément aux intérêts les plus vitaux de la masse paysanne, il reliera si bien l’essor général de la culture et de la connaissance aux impératifs économiques pressants, que nous centuplerons encore le besoin des masses ouvrières en matière d’instruction » (Lénine, 1979a : 113).

Fidèle à l’idée que la conscience politique social-démocrate ne peut venir complètement aux ouvriers et aux masses que de l’extérieur, (i.e. « de l’extérieur de la lutte économique »), par une stimulation au moins partielle du dehors, Lénine estime que cette prise de conscience politique implique une connaissance de la réalité concrète qui ne peut seulement se satisfaire de la dénonciation spontanée et réformiste des conditions de travail dans le cadre des luttes économiques, mais doit également porter, plus largement, sur les conditions permanentes d’existence. Ce combat idéologique visant une certaine forme de totalisation doit donc nécessairement avoir une portée générale et doit être par ailleurs strictement organisée : « Il faut donc que le théoricien socialiste dévoile devant les masses ouvrières les mystères et les secrets de la société bourgeoise, qu’il en démontre les mécanismes compliqués, qu’il analyse ouvertement, publiquement, les processus enchevêtrés obscurément comme les intrigues et manœuvres. Ce sont là des connaissances que les intellectuels peuvent acquérir non pour les garder par devers soi, mais pour les communiquer aux ouvriers, aux masses, au peuple entier » (Lefebvre, 1957 : 266). Dans Littérature et révolution, Trotsky ne dira pas autre chose et rappellera que « le marxisme est l’unité dialectique de deux négativités : l’une théorique, interne à la bourgeoisie, l’autre pratique, effective, externe, celle du prolétariat contre la bourgeoisie ». Et « c’est ce processus que le jeune Marx, résumant son propre itinéraire, décrit de manière métaphorique : ‘‘la philosophie trouve dans le prolétariat ses armes matérielles, le prolétariat trouve dans la philosophie ses armes intellectuelles’’ » (Brohm, 1971 : 18).

 

Proletkult

Sous le patronage d’Alexandre Alexandrovitch Bogdanov (1977) qui fonde en 1917 l’organisation Proletkult (Proletarskaïa koultoura) rassemblant écrivains, peintres, sculpteurs, etc., se développe une critique radicale de la culture bourgeoise au point de vouloir faire tabula rasa de la production symbolique des classes dominantes produite à l’ère de la société de classes, au profit d’une nouvelle culture, prolétarienne et révolutionnaire :

« Au moment où Lénine ordonnait que l’on prenne les mesures les plus rigoureuses pour la protection des monuments contre les ravages de la guerre civile, au moment où il faisait restaurer les icones de Roublev, les fresques du Kremlin, ouvrait à tous les musées et interdisaient le commerce des œuvres d’art, les avant-gardes – Maïakovski comme Malevitch – parlaient de détruire les musées, de fusiller Raphaël comme on fusillait les gardes blancs et voulaient ‘‘jeter par dessus bord du temps actuel’’ Pouchkine et Tolstoï » (Palmier, 1975 : 27).

Il s’agit là, pour Lénine, d’une forme de gauchisme déplorable, un symptôme de la maladie infantile du communisme (Lénine, 1970) porté en fait par un populisme utopique petit-bourgeois. Contre cette approche, il « montre la nécessité d’une assimilation (critique, mais d’autant plus profonde) de l’art, de la philosophie, des connaissances acquises dans le passé. Le prolétariat ne fait pas table rase. S’il rompt avec le passé, ce n’est pas dans le sens d’une discontinuité absolue, d’une destruction de l’intérieur. Au contraire : il s’insère, comme élément actif et nouveau, dans la richesse d’un immense développement, dont il conserve l’essentiel pour l’enrichir à son tour » (Lefebvre, 1957 : 342-343). Cette vision d’une nouvelle culture de nature prolétarienne qui aurait ainsi à se forger ex nihilo sera également dénoncée par Trotski qui insistera avec Lénine sur le fait que l’humanisme marxiste ne peut être que « l’héritier des acquisitions les plus achevées des penseurs bourgeois et [que] le mouvement ouvrier doit devenir l’exécuteur pratique de ces idées défendues jusqu’à présent en théorie uniquement » (Jakubowsky, 1971 : 60). Dans « les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme », article écrit pour le trentième anniversaire de la mort de Marx et sorti dans le numéro trois de Prosvéchtchénié (« Instruction/Éducation »), Lénine rappelait avec une grande clarté que les sources philosophiques, économiques et politiques du matérialisme marxien puisaient parmi les productions scientifiques de la bourgeoisie, mais que, loin de tout sectarisme, Marx en avait réalisé une synthèse critique qui n’était donc pas « à l’écart de la grande voie du développement de la civilisation universelle. Au contraire, le génie de Marx est d’avoir répondu aux questions que l’humanité avancée avait déjà soulevées » (Lénine, 1979a : 30). Assimiler toute la culture du passé pour en faire quelque chose de nouveau et la développer sous les auspices du marxisme, n’entretenait, pour Lénine, qu’un trop lointain rapport avec l’émergence d’une soi-disant « culture prolétarienne » visant à remplacer la culture du passé par un culte de la nouveauté. La culture prolétarienne ne devrait pas équivaloir à autre chose qu’au communisme (non encore réalisé et condition de possibilité d’une véritable « révolution culturelle ») et, plus spécifiquement en cette période post-révolutionnaire, à la dictature du prolétariat :

« Le marxisme a acquis une importance historique en tant qu’idéologie du prolétariat révolutionnaire du fait que, loin de rejeter les plus grandes conquêtes de l’époque bourgeoise, il a – bien au contraire – assimilé et repensé tout ce qu’il y avait de précieux dans la pensée et la culture humaines plus de deux fois millénaires. Seul le travail effectué dans ce sens, animé par l’expérience de la dictature du prolétariat, peut être considéré comme le développement d’une véritable culture prolétarienne. […] Pas l’invention d’une nouvelle culture prolétarienne, mais le développement des meilleurs modèles, traditions, résultats de la culture existante du point de vue de la conception marxiste du monde, des conditions de vie et de lutte du prolétariat à l’époque de sa dictature » (Lénine, cité in Besse et al., 1971 : 161-162).

« En d’autres termes, pendant la période dictature, il ne peut être question de la création d’une culture nouvelle c’est-à-dire de l’édification historique la plus large ; en revanche, l’édification culturelle sera sans précédent dans l’histoire la pogne de fer de la dictature ne sera plus nécessaire, n’aura plus un caractère de classe. D’où il faut conclure généralement que non seulement il n’y a pas de culture prolétarienne, mais qu’il n’y en aura pas ; et à vrai dire, il n’y a pas de raison de le regretter : le prolétariat a pris le pouvoir précisément pour en finir à jamais avec la culture de classe et pour ouvrir la voie à une culture humaine. Nous semblons l’oublier trop fréquemment » (Trotsky, 1964 : 216).

L’idée d’une culture prolétarienne absolument nouvelle semble d’autant plus relever de l’aporie que le socialisme en tant que période transition est une transcroissance de la révolution bourgeoise dont elle doit assumer le legs culturel et que « Chaque culture nationale comporte des éléments, même non développés, d’une culture démocratique et socialiste, car dans chaque nation, il existe une masse laborieuse et exploitée, dont les conditions de vie engendrent forcément une idéologie démocratique et socialiste » (Lénine, 1959 : 17). Encore faut-il donc ne pas jeter l’instinct de classe « spontané » avec le bain de la culture dominante bourgeoise dans lequel il surnage et contre lequel il lutte (Poulantzas, 1968) : « Nous sommes contre la culture nationale en tant que mot d’ordre du nationalisme bourgeois. Nous sommes pour la culture internationale du prolétariat socialiste et démocrate jusqu’au bout » (Lénine, 1976 : 411). D’autre part, la culture prolétarienne a pour avenir d’être abolie par l’émergence d’une société sans classe et donc de la disparition du prolétariat au profit de groupes sociaux porteurs de l’unité de la théorie et de la pratique, pour qui une culture prolétarienne, au sens où le Proletkult l’entend, ne pourrait être que le résidu culturel d’une période dépassée.

« Dans toutes nation divisée en classes, il y a deux nations, disait Lénine, la classe ouvrière a, dans la société divisée en classes sa propre culture, différente de la culture des classes dominantes et de la bourgeoisie. Mais cette culture n’existe qu’en germe. Il faut développer ces germes étouffés ; mais ce développement ne peut s’accomplir au nom d’une culture isolément et spécifiquement prolétarienne. Cette thèse n’a d’ailleurs pas de sens, puisque le prolétariat ne développe la culture nouvelle qu’en disparaissant comme prolétariat, en se dépassant, en transformant la société entière et d’abord lui-même. La culture nouvelle a donc nécessairement un sens universel. Elle développe aussi les germes d’universalité contenus dans la culture bourgeoise et abandonnés ou étouffés par la bourgeoisie. La culture nouvelle n’est nouvelle qu’en reprenant l’acquis pour le renouveler » (Lefebvre, 1957 : 343-344).

Assimiler tout ce que la science ou la culture du passé a pu produire ne revient en rien à un adoubement général de ce foisonnant héritage, mais porte la nécessité de le saisir à l’aune des questionnements tant théoriques que pratiques qui émergent de la lutte des classes. Plus précisément encore, il s’agit pour Lénine, de se livrer à une critique de ce legs sous les auspices du Parti en tant que poste avancé de la révolution prolétarienne. Louis Fischer précise par exemple, dans sa Vie de Lénine, que dès 1905, celui-ci affirmait « que le devoir des écrivains étaient d’accrocher leur wagon non à la locomotive du prolétariat mais à l’école du Parti. Il hissait ‘‘l’esprit de parti’’ en art et en littérature à la hauteur de premier commandement de la culture socialiste. ‘‘À bas les surhommes de la littérature !’’, s’exclamait-il (26 novembre 1905) dans les colonnes du quotidien légal de Gorki, la Novaïa Jizn (« La Vie nouvelle » [l’article est intitulé « L’organisation du Parti et la littérature de parti »]) de Saint-Pétersbourg » (1971b : 232). De même qu’il doit se construire un lien organique entre la presse et le Parti, ce lien doit exister plus généralement avec les autres productions culturelles de la période, à commencer par le matérialisme lui-même. En tant que science marxiste, il est une science qui s’appuie sur l’ensemble des savoirs jusqu’alors disponibles et ne peut uniquement procéder de l’expérience prolétarienne (subjectivisme de classe). Aussi, il n’oppose pas non plus la théorie à la pratique, bien au contraire, dans la mesure où la connaissance théorique est une médiation nécessaire pour se saisir de la réalité concrète par-delà les abstractions idéologiques qui ajustent son saisissement aux intérêts de la classe dominante. Le matérialisme est une science de parti (et non « du Parti » !), dans la mesure où la normativité sur laquelle elle s’appuie (la neutralité axiologique – Lénine parlait d’apolitisme ou d’impartialité – est une illusion de la science bourgeoise, notamment de celle qui s’ignore en tant que science portant les intérêts dominants) porte les intérêts de la classe ouvrière et de son émancipation. Surtout, « Le prolétariat est le mieux placé pour assimiler, sur la base de sa propre existence de l’exploitation, les conclusions de la science qui en traite : le socialisme scientifique » (Besse et al., 1971 : 20). La production symbolique, superstructurelle, dans ses différents développements doit donc, avant tout, participer au travail du Parti, lui être indexée et devenir, à l’instar de ce que Lénine exprimait quant à la littérature : « devenir un élément lié de façon indissoluble aux autres éléments de l’activité du parti. […] L’esprit sans parti est une idée bourgeoise ; l’esprit de parti est une idée socialiste » (Lénine, cité in Fischer, 1971b : 232). Les écrivains, les scientifiques, les artistes doivent ainsi prendre parti, s’engager, et c’est par cet engagement qu’ils sont susceptibles de trouver une liberté réelle d’imagination et de création, c’est-à-dire une liberté qui ne soit pas pensée comme absolue, alors qu’elle est en réalité soumise aux intérêts (bourgeois) des professionnels de la « culture » (lesquels, rappelait Marx, ont tendance à considérer celle-ci comme un moyen davantage que comme une fin) et des publics, mais qui, a contrario, sert à dessein la révolution prolétarienne et les intérêts du plus grand nombre : « Et nous socialistes, démasquons cette hypocrisie, nous arrachons les fausses enseignes – non pour obtenir une littérature et un art en dehors des classes (cela ne sera possible que dans la société socialiste sans classes), mais pour opposer à une littérature prétendument libre, et en fait liée à la bourgeoisie, une littérature réellement libre, ouvertement liée au prolétariat » (Lénine, 1976 : 98). Pour autant, et la précision est d’importance, Lénine reconnaît que « la littérature se prête moins que toute autre chose à l’égalisation mécanique. […] Dans ce domaine, certes, il faut absolument assurer une plus large place à l’initiative personnelle, aux penchants individuels, à la pensée et à l’imagination, à la forme et au contenu » (1967 : 37). Comme le note Armand Mattelart :

« Le pari central de la période de transition est précisément de rétablir l’homme individuel en tant que créateur et de permettre que cette création rétablisse tous les hommes dans leurs prérogatives. Une institutionnalité révolutionnaire en formation devrait assurer les mécanismes qui permettent de fixer le point d’équilibre entre les deux projets et faire en sorte que la libération de la création s’achemine vers la modification des rapports sociaux, en arrachant définitivement la production culturelle à la conception selon laquelle l’art n’est que le simple reflet de ce qui existe, et en écartant pour toujours la contre-proposition conservatrice du formalisme » (Mattelart, 2015, à paraître)

S’agissant de l’art, dont Lénine estime qu’il doit servir et appartenir au peuple, il coule de source que celui-ci ne peut être réservé à une intelligentsia élitaire, fut-elle ouvrière, mais doit s’adresser aux gens les plus ordinaires et participer, à sa manière, à la conscientisation des masses, à aider le plus grand nombre à se projeter dans un avenir émancipé : « Donnerons-nous des gâteaux délicieux et rares à une minorité alors que la masse des ouvriers et des paysans manque de pain noir ? Et ce, évidemment, non seulement au sens propre mais aussi au sens figuré. C’est sur les ouvriers et les paysans que nous devons concentrer notre attention. C’est dans leur intérêt que nous devons apprendre à diriger et à calculer. De même dans le domaine de l’art et de la culture » (Lénine, cité in Fischer, 1971b : 225). L’intérêt pour le développement au sein des masses d’une « culture générale » qui doit les sortir de l’ignorance, d’une instruction relevant d’un niveau minimal d’éducation (apprendre à lire, à écrire, à compter, etc. – en 1897, seuls 20 % des adultes savaient lire) doit ainsi primer sur le développement du goût pour les arts les plus sophistiqués, à l’instar des productions futuristes, notamment celles d’un Vladimir Maïakovski dont Lénine estimait qu’elles étaient par trop absconses et « biscornues » : « N’avez-vous pas honte, écrivait-il (6 mai 1921) à Lounatcharski [Commissaire du peuple à l’éducation et à la culture] d’avoir voté (à la direction du Commissariat) la publication (du poème) 150 000 000 de Maïakovski à 5 000 exemplaires ! Absurde, fou, de la folie complète et de la prétention ! » (Lénine, cité in Fischer, 1971b : 234). L’art, tout comme la science, doit être le reflet du socialisme, un reflet le plus réaliste et explicite possible, mais critique, faisant œuvre de dévoilement et révélant quelque chose « des grandes forces sociales de l’évolution historique (Lukács, 1967 : 41). Il doit, en même temps, susciter des appétits intellectuels de plus en plus pointus, ajustés à un public qui sera de plus en plus cultivé. Le réalisme socialiste, d’une part, et le lyssenkisme d’autre part, qui seront développés après la mort de Lénine, mais dont les ferments étaient déjà présents dans les thèses de la culture et de la science prolétariennes issues du machisme et de l’empiriomonisme-empiriocriticisme de Bogdanov, Bazarov et du groupe Vpériod (à ne pas confondre avec l’organe éponyme que dirigea Lénine – Lénine, 1979b ; Lénine, 1976 : 362-386), seront évidemment un détournement complet du principe léninien de l’art et de la science marxistes. Celui-ci sera, comme on le sait, transformé en mots d’ordre réactionnaires de la bureaucratie stalinienne, « expression la plus concrète du recul le plus profond de la révolution prolétarienne » (Trotsky, 1964 : 456), reflétant la crise de la direction révolutionnaire : « L’art comme la science, non seulement ne cherchent pas de direction, mais, de par leur nature même, ils ne peuvent en supporter une. La création artistique obéit à ses lois propres, même quand elle se met consciemment au service d’un mouvement social. […] L’art peut être le grand allié de la révolution pour autant qu’il restera fidèle à soi-même » (Trotsky, 1964 : 462).

 

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Image en bandeau : n° 18 de Iskra, 1902 (via lariposte.org).

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références

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1 Lénine estime que les « économistes » dévient constamment du social-démocratisme vers le trade-unionisme qui cantonne les revendications dans le cadre des rapports sociaux existants : « La tendance ‘‘économique’’, s’attache à tronquer, à rétrécir le rôle de l’organisation et de l’agitation politiques » en la réduisant à une lutte économique des ouvriers contre les patrons. Elle débouche notamment sur une autre tendance, celle de « l’éclectisme sans principes qui s’adapte à toute nouvelle ‘‘orientation’’ et est incapable de distinguer entre les besoins du moment et les buts essentiels et les exigences permanentes du mouvement pris dans son ensemble » (« Par où commencer ? » –n° 4, mai 1901 – Lénine, 2009 : 33).
2 C’est lors de ce congrès où l’opposition aux Bundistes (Union générale des travailleurs juifs) et aux Unionistes (Union des social-démocrates russes) fut des plus rudes, que se créeront, au sein même des Iskristes, deux fractions distinctes, l’une menchévique (les « minoritaires ») et l’autre bolchévique (les « majoritaires »). Lénine en sort confirmé à la tête de l’Iskra,mais boycottée par les mencheviks majoritaires dans les faits, il en démissionnera et abandonnera la direction du journal à Plékhanov. La sortie du numéro 53 signera l’avènement de « la nouvelle Iskra » à laquelle Lénine ne participera plus.
3 Le Que faire ? (« Chto Dielat ? »)de Tchernychevski, affirme Lénine, « exerça une influence déterminante sur des centaines de révolutionnaires. […] Quant à moi, il m’a labouré de fond en comble » (« Préface », in Lénine, 2009 : xii). C’est à Tchernychevski que revient également la formule : « Un étincelle suffit pour que tout s’embrase » dont est directement inspiré le nom de l’Iskra.
4 Ce fut, chez Lénine, un leitmotiv dont on trouve déjà trace dans l’article « Notre tâche immédiate » (1899) : « Ce qu’il nous faut, à l’heure actuelle, c’est de concentrer toutes ces activités locales dans l’action d’un seul parti. Notre principal défaut, dont l’élimination requiert tous nos efforts, c’est le caractère étroit, ‘‘artisanal’’, de l’activité locale. Du fait de ce caractère artisanal, une foule de manifestations du mouvement ouvrier en Russie restent des événements purement locaux et perdent beaucoup de leur valeur d’exemple pour l’ensemble de la social-démocratie russe,  de leur importance en tant qu’étape de tout le mouvement ouvrier russe. Du fait de ce caractère artisanal, les divers points de vue des camarades sur les questions de théorie et de pratique ne sont pas discutés ouvertement dans un organe central, ne servent pas à l’élaboration d’un programme général du Parti et d’une tactique d’ensemble, mais se perdent dans une ambiance étroite de cénacle ou conduisent à un exagération démesurée des particularités locales et fortuites. Il importe d’en finir avec ces méthodes artisanales ! Nous sommes assez mûrs pour passer à un travail d’ensemble, à la mise au point d’un programme général pour le Parti, à une discussion collective sur la tactique et l’organisation de notre Parti » (Lénine, 1975 : 46-47).
5 Cette perspective se voit même nettement renforcée à partir de janvier 1912, date à laquelle se tient la « Conférence de Prague » durant laquelle le bolchévisme, qui n’est alors qu’une tendance, se transforme en parti. En avril 1912 est également créée la Pravda (« Vérité »), organe légal que Lénine dirigera, puis, plus tard, Léon Trotsky. Lors de son second exil (1907-1917), Lénine fondera d’autres journaux comme Le Social-démocrate ou la revue Le Communiste.
6 Lénine verra également un grand intérêt au cinéma en tant qu’instrument de propagande : « Vous [il s’adresse à Lounatcharski] qui passez pour un protecteur des arts, vous devez vous rappeler que, de tous les arts, le plus important pour nous, c’est le cinéma » (Lénine, cité in Besse et al., 1971 : 179). La radio fut également considérée comme un moyen privilégié pour toucher les paysans.