À lire un extrait de « Orientation scolaire et discrimination », de F. Dhume, S. Dukic, S. Chauvel et P. Perrot

 

Depuis les années 1960, le poids de l’appartenance sociale sur les parcours des élèves, les processus d’orientation et les jugements scolaires est bien identifié et a fait l’objet de nombreux travaux. Cependant si l’on sait que le milieu social des élèves a un effet déterminant sur leurs destins scolaires, qu’en est-il d’autres facteurs comme le sexe ou l’origine des élèves ?

Pour faire l’état des éléments de réponse dont nous disposons à ce jour en France, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE) et l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) ont fait réaliser une revue de la littérature sur les pratiques d’orientation et les parcours scolaires selon l’origine. Cette synthèse des savoirs est également une lecture critique de l’état de la recherche sur ces questions.

Au-delà des constats et des analyses disponibles qu’elles recensent, cette revue fait émerger les questions à poser, les observations à conduire et les réflexions à engager pour établir des politiques éducatives visant à prévenir et à contrer les effets de ces inégalités de traitement.

 

Ce chapitre est le dernier de Orientation scolaire et Discrimination.

 

Ouverture

 

Un état de la reconnaissance de l’hypothèse de la discrimination selon « l’origine »

Nous revenons ici sur quelques éléments soulevés au cours de cette analyse de la littérature – mais il ne s’agit pas de faire la synthèse de la synthèse. Il nous faut faire le point sur le paradoxe d’une question à la fois (très) partiellement connue et (très) largement non-reconnue. Sur cette question de la reconnaissance de la discrimination, la distinction entre le champ scientifique, celui du débat social et politique, et celui des institutions publiques semble tout à fait artificiel et arbitraire, tant existent des liens étroits et multiples entre la production scientifique, l’agenda politique et/ou la commande publique, particulièrement autour de la question de la « scolarisation des enfants d’immigrés ». Dans cette ouverture vers l’état de la reconnaissance d’une question (scientifique) et d‘un problème (public), nous nous décalerons donc progressivement du champ scientifique vers celui du débat public et du registre institutionnel.

Il nous faut d’abord tenter de comprendre la coexistence de plusieurs gammes de travaux dont les résultats se contredisent, quant à la question de savoir s’il y a ou non une inégalité de traitement selon « l’origine » dans l’orientation et les parcours scolaires. Ceci dit, nous tenons pour acquis au vue de la synthèse précédente le caractère soutenable d’une hypothèse de la discrimination, prenant place plus largement dans des rapports d’ethnicisation de l’ordre scolaire. Cela ne suppose ni un caractère systématique ni un caractère intentionnel à ce phénomène. Mais encore faut-il, pour comprendre cela, clarifier le référentiel politique et le paradigme scientifique qui supportent cette notion.

Il s’agit ensuite de poser quelques constats et hypothèses quant à l’état de la reconnaissance politique de l’ethnicisation et de la discrimination au motif de « l’origine » dans le champ scolaire.

Suivront quelques préconisations.

 

Discrimination et ethnicité à l’école : un double paradoxe historique

Nous sommes en face d’un double paradoxe, du point de vue de la recherche. Le premier vient de ce que la formulation explicite de l’idée de « discrimination ethnique » apparaît très tôt, dans les recherches sur l’école : dès la fin des années 1970 chez J.-P. Zirotti et M. Novi. Mais, cette problématique spécifique n’étant pas constituée dans le champ scientifique et politique français, cette formulation semble rétrospectivement anachronique, alors qu’elle aurait pu en théorie ouvrir plus largement un champ d’exploration. Il en va encore en partie de même au début des années 1990, lorsque J.-P. Payet qualifie explicitement de discriminatoires les formes de constitution des classes et de gestion ethnique de l’ordre scolaire. Si ses travaux ont largement été repris, l’idée de discrimination, elle, est peu citée, au profit d’une qualification générale d’un « effet de l’origine » dans la fabrication des divisions scolaires. La focalisation sur la « variable » semble faire en partie oublier l’hypothèse théorique. Et l’enjeu de reconnaissance d’une problématique de la discrimination à l’école reste presque entier, du point de vue de la recherche.

Le second paradoxe est visible aujourd’hui, concernant les travaux sur l’ethnicité. Françoise Lorcerie suggère en effet que « l’école est, semble-t-il, le secteur de l’action publique où les travaux qualitatifs sur les processus ethniques sont les plus abondants, les plus approfondis, et ce, paradoxalement, en l’absence de statistiques précises à l’échelle nationale »[1]. De tels travaux ont connu un développement plus important que dans d’autres secteurs de l’action publique (justice, police, etc.). Et ce développement est en effet fortement qualitatif, en comparaison avec le champ du travail et de l’emploi –  ce dernier ayant d’abord été interrogé du point de vue statistique, et proportionnellement nettement moins par des travaux qualitatifs. Mais cela ne doit pas cacher le fait que cela reste tout de même limité ; beaucoup reste à construire, à savoir, à rechercher. Mais le paradoxe est là : une masse de travaux qualitatifs soutient une thèse que la statistique ignore ou occulte globalement.

 

Interpréter des résultats contradictoires

Ces paradoxes nous conduisent à observer une situation complexe, et apparemment contradictoire, du point de vue du champ de recherche. En effet, la gamme majoritaire des travaux dénie tendanciellement toute inégalité de traitement relative à la variable « origine », en montrant que, si effets il devait y avoir, ils seraient non significatifs et « virtuellement nuls de surcroît » (Vallet 1996), ou alors ils pourraient jouer, comme en collège, à la faveur des « élèves étrangers » (passons sur la contradiction). De son côté, la gamme minoritaire s’intéressant à l’action de l’école ne cesse d’indiquer – depuis presque aussi longtemps – qu’elle enregistre la manifestation de stéréotypes, des biais de jugement, et que cela se donne à entendre, si l’on se donne la peine d’écouter, à travers l’expérience des publics stigmatisés. On voit mal comment ces jugements pourraient ne pas influer sur l’orientation et les parcours scolaires, mais on ne sait pas non plus précisément comment se saisir d’une multiplicité de micro-effets enregistrés empiriquement à tous les niveaux ou presque du système scolaire, d’autant que les modèles à grande échelle effacent ces données derrières un écrasement des variations locales ou derrière l’effet de master categories (classe, âge…).

Françoise Lorcerie, dans une synthèse des travaux sur le thème École et appartenances ethniques, s’intéresse à comprendre de telles contradictions apparentes des résultats de la recherche. Elle se réfère en particulier à l’opposition manifestement diamétrale entre les résultats de Michel Novi et Jean-Pierre Zirotti (1979), d’une part, et ceux de Louis-André Vallet et Jean-Paul Caille (1996), d’autre part. En admettant l’égale validité scientifique de ces diverses enquêtes, elle formule quatre hypothèses pour interpréter ces résultats opposés. Ils pourraient être de sens contraire parce que :

« a) (…) les résultats relevés sur un bassin de collège ne peuvent être comparés à ceux constatés en moyenne nationale. Il y a d’importantes disparités interétablissements dans les pratiques d’évaluation et d’orientation, dont les moyennes nationales ne rendent pas compte.

b) (…) les résultats relevés sur une population d’une origine donnée (les Algériens[2]) ne peuvent être étendus à toutes. Il y a d’importantes disparités selon les origines et les profils migratoires. (…).

c) (…) quelque vingt ans séparent les deux recueils de données. Entre-temps le système scolaire français a beaucoup changé, le palier d’orientation en Cinquième a été supprimé et une procédure de discussion mise en place entre établissements et familles pour les choix d’orientation en Seconde.

d) (…) en vingt ans, l’attitude de résistance à la catégorisation sociale dominante[3] et de refus de l’assignation à un statut d’outsiders s’est renforcée parmi les élèves et les familles d’origine immigrée. (…) » (Lorcerie 2004, p. 15)

Ces arguments portant sur des conditions objectives de différenciation sont importants, et il semble qu’ils participent tous d’expliquer les écarts entre les trois gammes de travaux que nous avons distinguées, mais aussi parfois en leur sein (quant à l’ancienneté, ou quant à la variabilité géographique, notamment). Les controverses scientifiques que nous avons pointées sur telle ou telle dimension font généralement intervenir ces questions, et cela a conduit parfois à des adaptations de méthode – ne changeant toutefois pas ce front d’opposition. Mais deux remarques peuvent être faites.

D’une part, il ne faut pas sous-estimer le poids théorique de cette opposition. Admettre en tant que tels les formes de raisonnement (en deçà des résultats) qui se sont imposés depuis les premiers travaux statistiques jusqu’à ceux des années 1990, n’est pas sans effet sur la place (seconde) et la portée (mineure) accordées aux travaux mettant en évidence la prégnance des catégories « d’origine ». En effet : « [si le constat de ces auteurs] est admis tel quel, la recherche sociologique peut difficilement parler de discriminations. Sans conséquences, les études nombreuses et détaillées sur l’utilisation effective de catégories ethniques au sein du système éducatif ne débouchent que sur elles-mêmes (…), tandis que la discrimination indirecte se voit privée de tout point de départ » (Perrot 2006). D’autre part, et en conséquence, une cinquième hypothèse complémentaire nous semble devoir être avancée : la centralité des enjeux de points de vue explicatif de la réalité sociale – et donc, la compréhension des résultats contradictoires au regard de présupposés épistémologiques et théoriques distincts.

 

L’hypothèse de la discrimination comme choix d’un point de vue

L’interprétation de constats statistiques (comme empiriques) laisse toujours une marge, au sein de laquelle l’analyse en termes de discriminations relève d’une option. C’est ce que reconnaissaient Marie Duru-Bellat et Alain Mingat, en évoquant l’effet de la classe sociale :

« les différences observées (dans le sens d’une plus grande sévérité ou d’une plus grande indulgence) peuvent renvoyer soit à des phénomènes (implicites ou explicites, conscients ou inconscients) de type discriminatoire, soit à des comportements plus ou moins adaptés aux normes scolaires »[4].

Autrement dit : interprétations par le public scolaire vs par les pratiques des agents de l’école. Cependant, comme nous l’avons vu, il semble que, dès lors que nous avons affaire à « l’origine », l’alternative disparaisse fréquemment au profit du recours analytique à des schémas asymétriques qui renvoient aux « erreurs d’attribution », et qui peuvent aussi garder l’empreinte des raisonnements psycho-culturalistes ou handicapologiques. De sorte qu’on peut se demander si nombre d’interprétations scientifiques ne reposent pas sur le présupposé d’une sorte d’« effet de contexte républicain » (en France) qui interviendrait par hypothèse pour empêcher la discrimination ou le racisme à l’école[5], et donc pour justifier que l’on ne tienne pas cette hypothèse a priori pour valide – ce qui n’est pas sans rappeler la théorie libérale de la « main invisible » régulant spontanément le marché. Dit autrement, on peut formuler l’hypothèse que la position à l’égard de l’idéologie républicaine[6] (adhésion et/ou critique) participe sensiblement de déterminer la disposition alternative de nombreux chercheurs à nommer la discrimination ethnico-raciale ou plutôt à rechercher les explications du côté des « comportements plus ou moins adaptés aux normes scolaires » (selon l’expression de Duru-Bellat et Mingat).

La qualification d’une différence de traitement en tant que « discrimination », dans la recherche, apparaît en tout cas tributaire du point de vue théorique et méthodologique des chercheurs. Cela est au fond très banal. Et cela est très explicitement mis en lumière par la recherche récente dirigée par Liliane Bonnal (Bonnal et al. 2009), qui soutient l’hypothèse d’une discrimination plutôt que l’option de la particularité du public.

La diffusion progressive des thèses montrant l’ethnicisation des relations scolaires fait souvent l’objet d’interprétations critiques ou inquiètes dénonçant « la tendance de l’école à transformer des problèmes sociaux et scolaires en problèmes ethniques  » (Perroton 2000 ; Sanselme 2009). Mais la même critique existe à l’égard de la recherche, qui, en s’intéressant à « l’origine », entérinerait le passage « de la question sociale à la question raciale ». Il nous semble que cette crainte repose en partie sur un problème de « matrice » cognitive d’une partie de la recherche, ou autrement dit d’un rapport problématique aux catégories de « l’origine » (cf. I. 4.5.2). Dans le même sens, les problèmes de définition de la discrimination (cf. I. 4.5.3) suggèrent que cette question peut être abordée d’une façon fort ambiguë, et que cela peut participer de problème de réception, si ce n’est de dénégation du problème par la recherche, sous le couvert paradoxal d’une prise en compte de ces questions. Même remarque, enfin, dans les formes de raisonnement mises en oeuvre dans l’équivalence entre le caractère statistiquement non-discriminant des variables et le présupposé d’une non-discrimination (cf. II. 1). Il y a donc largement de quoi s’interroger sur la résistance des sciences sociales à travailler ces questions.

En fait, les problèmes de reconnaissance au sein du monde scientifique ne sont pas si éloignés que cela de l’occultation du problème dans les politiques publiques, et singulièrement dans l’institution scolaire. Eu égard à la proximité entre le champ scientifique et l’institution scolaire, sur les questions qui nous occupent, on peut penser que les déficits de reconnaissance dans les domaines académique et institutionnel se nourrissent mutuellement.

 

L’école et la discrimination : un problème de reconnaissance durable[7]

Lors de l’émergence de la politique nationale contre la discrimination, en 1998, l’institution scolaire est invitée, au même titre que les autres services, à y contribuer. La « relance des CODAC »[8], en 2001, souligne que l’école n’était pas au rendez-vous, et cherche en conséquence à l’impliquer plus avant. Cette époque est typiquement celle d’une « non-lutte contre les discriminations » (Lorcerie 2003b), se caractérisant à la fois par un défaut d’autorisation à agir contre la discrimination et par un défaut d’empêchement des « logiques ethniques » qui travaillent l’école de l’intérieur. Cette situation peut en partie se comprendre avec le contexte de l’époque : l’accent mis par les politiques publiques sur le champ de l’emploi a participé de repousser la question pour ce qui concerne l’école (Dhume 2008), en limitant sa reconnaissance surtout au domaine des « stages » (pensés in fine comme étant le terrain de l’entreprise). Mais cette explication est tout à fait insuffisante. Dans une circulaire de 2002[9], le ministère de l’Éducation nationale traduit l’injonction qui lui est faite, mais d’une manière qui renverse l’ordre du problème public en ciblant un public-problème. D’une part, on affiche les objectifs de favoriser « l’accès de tous les élèves à la citoyenneté » et « d’aider les jeunes issus de l’immigration à s’insérer plus facilement dans l’emploi et la vie sociale » (en écartant donc l’école du champ des questions). D’autre part, cet objectif ne vise que les lycées professionnels (LP), destinataires de cette circulaire singulière. Cette combinaison entre ciblage du public « issu de l’immigration », du segment spécifique des LP, et de l’objectif « d’insertion » et de « citoyenneté de tous » indique que l’on présuppose la non-citoyenneté et la non-insertion de ce public. On voit donc une focalisation sur un public-stigmate, soutenant une logique d’ethnicisation.

Depuis 2007-2008, avec dix ans de retard sur la politique gouvernementale, la situation semble à première vue changer, puisque plusieurs textes ministériels vont indiquer formellement un objectif de « lutte contre les discriminations ». Mais malgré les apparences de l’affichage public, le problème de reconnaissance va se prolonger et peut-être même, paradoxalement, s’amplifier. En effet, les différents textes concernés montrent que les confusions de référentiels redoublent, la « lutte contre les discriminations » étant confondue dans « l’égalité des chances », la « réussite scolaire », la « lutte contre l’homophobie », la « diversité des langues », ou encore « l’insertion ». Prenons deux exemples :

Convention-cadre pour favoriser la réussite scolaire et promouvoir l’égalité des chances pour les jeunes immigrés ou issus de l’immigration,

« Axe 5 : Lutter contre les discriminations et promouvoir l’égalité des chances

« Afin de combattre toute ségrégation, toute discrimination et de favoriser l’égalité des chances et la réussite scolaire de ces jeunes, les partenaires porteront une attention particulière :

– à la prévention des ruptures scolaires avant l’obtention d’un diplôme ;

– aux actions favorisant un parcours scolaire adapté au projet personnel de chaque jeune ;

– à l’accès à des stages de qualité pour tous au sein du cursus scolaire ;

– à la diversification de l’offre en langues vivantes ;

– à la promotion de la diversité sociale et culturelle ;

– à la prise en compte au sein du système éducatif, et pendant le parcours scolaire, de la question de l’égalité entre les femmes et les hommes »[10].

Circulaire de rentrée 2008 : Axe « Lutter contre toutes les violences et toutes les discriminations, notamment l’homophobie »

« (…) L’école doit offrir à tous les enfants des chances égales et une intégration réussie dans la société. Sa mission est donc aussi de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, de permettre une prise de conscience des discriminations, de faire disparaître les préjugés, de changer les mentalités et les pratiques. Au sein des établissements, une importance particulière devra être accordée aux actions visant à prévenir les atteintes à l’intégrité physique et à la dignité de la personne : violences racistes et antisémites, violences envers les filles, violences à caractère sexuel, notamment l’homophobie »[11].

Si les référentiels politiques se mélangent inextricablement, de sorte que l’approche de l’égalité est imprécise, l’objet de l’action n’est pas plus clair. Ce d’autant que la question est rattachée à des thèmes tels que la « violence à l’école », le « racisme et l’antisémitisme », « l’égalité hommes-femmes », lesquels renvoient en fait, au sein de l’imaginaire scolaire, à de « simple[s] variation[s] sur le thème majeur de la banlieue et des jeunes des générations issues de l’immigration » (Payet 1992 ; Debarbieux 1998 ; Dhume-Sonzogni 2007). La discrimination a donc certes fait son apparition officielle sur l’agenda scolaire ; mais la sémantique témoigne d’évidentes confusions, dont on peut supposer qu’elles risquent d’entraver l’action ou de la dévier plutôt que de la soutenir. Effectivement, loin d’autoriser à agir contre l’ethnicisation des rapports sociaux à l’école, ces textes prolongent une logique moralisante et ethnicisante ciblant de fait les élèves en fonction de leur « origine ». Il y aurait pourtant quelque enjeu à renverser le rapport, et à investir cette problématique, notamment à partir du paradigme interactionniste de l’ethnicisation.

 

Les enjeux d’une régulation de l’ethnicisation

Quelques travaux de recherche sur la violence et l’ethnicisation, indiquent que l’on peut imaginer limiter l’influence concrète de ces processus, en investissant en premier lieu les formes de régulation scolaire. Il semble bien en effet que « le poids des non-décisions est énorme » (Debarbieux, in Blanc 2002, p. 90), dans ces phénomènes. Les situations de « laisser-faire » peuvent profondément et durablement accroître les problèmes, comme le montre l’analyse des dynamiques des établissements : « par une suite de renoncements, de conflits non réglés, de revendications diffuses, de choix informulés, un établissement scolaire peut construire des “noyaux durs”, désignés par une ethnicité parfois revendiquée » (Debarbieux et Tichit 1997). Plus globalement, il semble que, moins il y a de coordination construisant un sens commun à la situation (au sein des équipes et aussi avec les publics), plus se renforce l’identification de l’enfant comme problème et l’ethnicisation de celui-ci (Benisahnoune 1987). Symétriquement, les décisions qui accroissent la concurrence et les inégalités semblent également accentuer les tensions et le recours à l’ethnicisation (Perroton 2003).

« Sachant que dans l’environnement français d’aujourd’hui la catégorisation ethnique est toujours disponible pour les acteurs, les processus ethniques s’activent ou se désactivent dans l’école selon les conditions contextuelles offertes par l’établissement. Quand un établissement a construit un climat de confiance et de travail avec ses élèves, ce qui suppose réunies diverses conditions – qui ne vont pas de soi – sur la coordination du travail des agents scolaires et la politique pédagogique de l’établissement, alors la saillance ethnique est contrôlée, les dysfonctionnements sont limités. »[12]

Les façons de faire des enseignants, notamment, semblent déterminantes (Roussier- Fusco 2003). L’observation d’actions scolaires contre le racisme invite à voir dans le registre « culturaliste », souvent mobilisé par les professionnels, des « effets pervers », dans le sens où cela a tendance à confirmer et légitimer l’ethnicisation des relations scolaires et des identifications. Les pratiques centrées sur un discours moralisant apparaissent très fréquentes et largement inefficaces. Ils peuvent rejoindre les stratégies d’occultation du racisme ou de la discrimination, en conduisant à définir le problème comme s’ils étaient hors-situation. Il semble que la régulation des situations suppose au contraire de construire les faits comme tels, pour donner prise à une articulation des valeurs, des normes et des pratiques (Dhume et Sagnard-Haddaoui 2006 ; Dhume-Sonzogni 2007). Réguler l’ethnicisation, ce n’est ainsi ni l’occulter, ni la condamner en soi, ni la mettre en oeuvre institutionnellement. « Il s’agit, selon Françoise Lorcerie, de chercher à agir sur la catégorisation ethnique, de sorte que le principe d’égalité dont se réclame officiellement l’action publique française reçoive non seulement un sens distributif, mais aussi un sens intersubjectif » (Lorcerie 2008). Autrement dit, une forme de reconnaissance qui ne soit pas assignation. Et de rappeler la formule proposée par Jacques Berque : « Solidariser les présences » (Berque 1985).

 

Deux ou trois choses que l’on sait quant à une action scolaire face à la discrimination

Eu égard aux analyses précédentes sur le déficit de reconnaissance institutionnelle, on peut sans peine imaginer que l’action antidiscriminatoire dans le champ scolaire est balbutiante. Mais nous ne savons pas grand-chose de ce qui se fait ; l’évaluation reste à conduire. Cependant, peu d’actions semblent viser explicitement un objectif antidiscriminatoire ; et au sein de celles qui l’affichent, il reste à vérifier que l’action mobilise a minima un référentiel politique clair et adapté à un tel objectif, et ensuite que celui-ci puisse être mis en actes. Les expériences à l’égard de la discrimination à l’école émergent en premier lieu au niveau de l’enseignement professionnel et/ou des stages, ce qui se retrouve dans la littérature de recherche et/ou d’expertise qui l’accompagne : (Cerrato-Debenedetti et Yigit 2005 ; Dhume et Sagnard-Haddaoui 2006 ; Farvaque 2008 ; Kern, Koebel, et Rebjock 2009). Le lycée professionnel constituant dans l’imaginaire social un régime d’exception, et les stages étant souvent pensés (au sein de l’école), comme le domaine de l’entreprise, l’émergence de la question de la discrimination à ce niveau peut indiquer une entrée d’abord « par la marge ». Toutefois, on verra que quelques actions sont aujourd’hui en mesure de fournir des premiers éléments d’évaluation.

 

Le risque d’une déviation vers la normalisation des publics

L’observation d’une action indique un risque de déviation des objectifs. Intitulée « Prévenir les discriminations dans l’accès aux stages des jeunes issus de l’immigration scolarisés en Alsace », elle est menée par une association avec plusieurs établissements scolaires – action par ailleurs présentée dans (Kern, Koebel, et Rebjock 2009). Entre les difficultés globales à mobiliser les équipes des établissements scolaires, la crainte de situations de conflits entre l’école et les entreprises quant à la mise en évidence de discrimination en stage, et aussi face à une instrumentalisation de l’action par les équipes scolaires pour faire traiter à l’extérieur des établissements des publics ethnicisés, l’action a dérivé :

« Le projet s’appelait initialement “lutte contre les discriminations” et a évolué, et s’appelle aujourd’hui “développement des compétences”. L’action est avant tout orientée vers le public jeune,“sur une formation pour qu’ils aient un comportement adapté et un travail avec les familles pour les soutenir”, et le travail en direction des entreprises n’arrive qu’en second, et dans une logique de placement »[13].

On retrouve plus généralement cette déviation vers un objectif d’insertion et de normalisation comportementale de publics stigmatisés dans les dispositifs de gestion de l’accès aux stages. C’est par exemple le cas de l’opération baptisée « Objectif stages », action expérimentale lancée par le ministre de l’Éducation nationale et celui délégué à la Promotion de l’égalité des chances. Elle se caractérise par une confusion de référentiels : on vise surtout une logique d’insertion et de placement des élèves, avec une spécialisation ethnique. En effet, présenté au titre de « l’éducation prioritaire » dans la circulaire de rentrée 2006[14], le dispositif associe l’idée de discrimination à des profils particuliers d’élèves (« les élèves inscrits en lycée professionnel », « les élèves de la MGI », « les élèves de CLIPA » et « les élèves en situation de décrochage ») et se propose de « donner le goût de la diversité aux entreprises et donner le goût de l’entreprise aux élèves qui en sont éloignés »[15].

 

Le cap difficile de la reconnaissance de la problématique

Notons que quelques actions se distinguent par une approche antidiscriminatoire explicite. Elles ont initialement été lancées et animées dans le cadre de programmes EQUAL (Lorraine, Villeurbanne, Haute-Normandie…), mais aussi dans le cadre de projets impliquant des associations et des agents ou équipes scolaires (par exemple : Approches Cultures et Territoires à Marseille) ou des collectivités en lien avec l’Éducation nationale (Métro grenobloise et Inspection académique de l’Isère, Plan de lutte contre les discriminations de Saint-Priest et REP, Inspection académique des Pyrénées-Orientales et CUCS de Perpignan…), et presque toujours avec le soutien du FASILD puis de l’ACSE – cette liste ne prétendant pas à l’exhaustivité.

Une partie de ces actions a fait l’objet d’une présentation et d’une discussion dans les actes d’un double séminaire de Miramas (2007) et Talence (2008)[16]. Cette rencontre a permis de dégager des éléments généraux d’évaluation entre plusieurs projets, qui montrent des points relativement convergents, du moins à ce stade des pratiques. Il apparaît surtout que le déficit institutionnel de reconnaissance pèse sensiblement sur les conditions de l’action. L’enjeu de reconnaissance semble être paradoxalement à la fois une condition première et un horizon lointain, les professionnels impliqués estimant qu’il s’agit en premier lieu de « montrer que l’école n’est pas étanche à la discrimination »[17]. Autrement dit, l’action dispose a priori d’une très faible surface de légitimité, puisqu’elle doit faire la preuve de sa légitimité à être en même temps qu’elle doit montrer la pertinence de ses réalisations. Une conséquence est que « le démarrage de tels projets suppose un lourd investissement – de temps et d’énergie, de réseaux relationnels et de tactiques, de persuasion et de rassurance, etc. – pour construire un accord ». Une autre conséquence est que les acteurs sont appelés à développer à la fois un savoir et un savoir-faire pour décrypter les processus de déni et de dénégation, et pour tenter de les contrer.

De ce point de vue, le domaine de la communication semble être un espace important, dans la mesure où il met en jeu les symboles et les codes de représentation de l’institution elle-même. C’est d’abord sur ce plan que l’institution agit, les professionnels observant des opérations de requalification de l’objectif en « diversité culturelle », « action contre le communautarisme », etc. La problématisation même en termes de « discrimination » fait l’objet de résistances, dont le démontage constitue une grande partie du travail de fait. Il en découle que l’action antidiscriminatoire est organisée par une logique du conflit : les rapports de force – sous des apparences qui vont de la subtile pression à la violence ouverte – sont omniprésents, et face à la tension de cette situation, nombre de professionnels optent pour des arrangements, avec toujours « le risque (…) que les actions restent partielles et précaires, voire qu’elles soient l’objet d’une suspension brutale et arbitraire de la tolérance accordée, mettant fin à l’expérience ». Enfin, notons que, en l’absence de construction institutionnelle et politique de la problématique de la discrimination, l’enjeu reste fréquemment au niveau d’une demande de technicité supplémentaire, de la part des professionnels. L’externalisation et le défaut de reconnaissance vont ainsi de pair avec une technicisation du problème.

 

Quelques préconisations

Dans une perspective contributive, ce dernier paragraphe est dédié à des propositions relatives au champ politique et institutionnel. Tout au long de notre exposé, le lecteur aura pu trouver diverses critiques et propositions relatives à l’état du champ des sciences sociales, indiquant autant de pistes qui nous semblent possibles pour faire avancer la connaissance et ses conditions de production (méthode, épistémologie…). Il nous paraît essentiel de ne pas détacher ces pistes de travail scientifiques d’une lecture – notamment généalogique – du champ, d’une compréhension des travaux déjà menés, et des points de controverse ou des creux dessinés par les impensés, les terrains ou les perspectives sous-explorées. Pour le reste, outre des préconisations générales sur le sens des politiques publiques, nous commençons par des actions qui nous semblent réalisables, à court ou moyen terme, visant à favoriser la structuration d’un champ de questions et à développer les conditions d’une mise en discussion des connaissances ou des analyses dans l’arène scientifique comme dans l’espace public. Il y a cependant, en-deçà de ces dimensions presque « techniques », et donc en préalable, un obstacle majeur pour une avancée significative. Cet obstacle tient à l’état actuel de non-reconnaissance et de dénégation de la discrimination, ainsi qu’à la fragilisation des rares institutions à s’en être préoccupé. Eu égard à l’influence du champ politique sur le champ scientifique, concernant notre objet, il semble que ce soit d’abord dans celui-là que cette dernière question doive être posée et abordée. Dans le cas contraire, le risque est grand que ces préconisations se réduisent à un espoir sans grand avenir.

 

Sur le suivi bibliographique du champ de recherche

Les bases de données bibliographiques consultées pourraient être adaptées pour mieux prendre en compte ces questions.

1. L’identification d’une telle problématique suppose de travailler à un meilleur référencement, notamment pour indiquer les travaux recourant aux différentes catégories – dont « l’origine » –, mais également pour indiquer ceux qui alimentent les constats et la compréhension que nous avons de la problématique. En outre, une réflexion pourrait être menée quant à la distinction selon les référentiels d’action publique (discrimination, diversité, intégration…), afin de favoriser tant la visibilité de l’état du champ (de connaissance, de débat, d’action) que de participer de sa structuration.

2. La base de données réalisée pour cette revue de littérature (et remise sous un format numérique à la HALDE) pourrait constituer un outil de travail diffusé. Cela nécessite toutefois une mise à jour régulière, au regard de l’évolution conséquente des travaux dans ce champ de recherche depuis quelques années. Cela est d’autant plus important que nous avons noté que les bibliographies institutionnelles tendent à suivre l’évolution des thématisations politiques sans toujours garder la mémoire des travaux plus anciens mais significatifs.

3. Au regard des bibliographies utilisées dans le champ scientifique comme dans le champ politique – avec la disparition relative ou la faible diffusion de certains travaux qui ne se justifie pas à notre sens par le degré de leur qualité –, et pour favoriser leur mise en discussion scientifique et publique, on pourrait envisager à moyen terme d’améliorer l’accessibilité publique des travaux (thèses, rapports publics, etc.) par exemple par une banque de données numérisée et mise en ligne gratuitement.

 

Des travaux de recherche à initier et à diffuser

1. Nous avons vu que l’émergence de la question des discriminations s’accompagne d’un renversement de paradigme. Sans un tel changement, la question tend à être occultée au profit d’une focale sur le public et d’une répétition des travaux ; ou alors le thème de « l’ethnicisation » et de la « discrimination » se diffuse, mais avec des problèmes de réception et une faiblesse théorique qui vident ces concepts de leur puissance heuristique. Ces transformations du champ doivent bien sûr se jouer d’abord dans l’arène scientifique elle-même, et nous appelons de nos vœux quelques basculements épistémologiques ou paradigmatiques. Et notamment : un approfondissement d’une approche constructiviste concernant les catégories de « l’origine », et particulièrement celles ethnico-raciales ; une diffusion et une mise en discussion dans le champ scolaire de l’élaboration scientifique du concept de discrimination travaillant avec le droit.

2. Dans une perspective de sociologie publique, la HALDE, l’ACSE, et le ministère de l’Éducation nationale et de la recherche, notamment, pourraient utilement constituer et animer un groupe de travail national entre chercheurs et autres acteurs sociaux intéressés pour initier un programme de recherches-actions et/ ou d’expérimentations.

3. En matière de statistiques, il manque sensiblement des instruments de mesure permettant de rendre visibles des systèmes discriminatoires et/ou leurs effets – de façon équivalente aux domaines de l’emploi, du logement.

4. Les institutions en charge de la commande publique de recherche pourraient utilement engager un programme de recherche sur des comparaisons internationales, notamment sur les inégalités d’orientation et de parcours scolaires au regard de « l’origine », et sur l’action publique scolaire face aux problématiques de « l’origine ».

5. Il nous apparaît souhaitable d’engager (ou de réactiver) une analyse et un questionnement des actions de « discrimination positive » (des ZEP aux grandes écoles), pour comprendre leurs effets, non seulement au niveau micro des expériences spécifiques, mais sur la redéfinition du sens de l’action publique qu’elles impliquent.

6. Une stratégie de publication, de diffusion (par exemple sous la forme de colloques interdisciplinaires…), voire de soutien à la traduction de travaux menés dans d’autres pays, permettrait utilement d’alimenter non seulement la recherche, la réflexion dans les politiques publiques, mais aussi la mise en discussion dans l’espace public de ces questions.

 

Évaluation, expérimentations, formation et soutien aux pratiques

Au-delà des propositions précédentes nous formulons ici quelques lignes plus générales – et donc plus incertaines – qui relèvent de conditions plus générales de l’action, mais dont nous mesurons, dans le contexte actuel, la difficulté de mise en oeuvre. Dans une perspective de politiques publiques, il nous apparaît important d’engager une réflexion sur le rapport aux différentes problématiques de mérite, diversité, égalité, équité, etc. Le flou de l’affichage, d’une part, les rapides changements depuis les années 1998 dans les désignations et orientations, d’autre part, et enfin la relative déshérence politique de ces questions laissant le champ libre au lobbying, posent des problèmes importants quant à la définition du sens des politiques publiques. Ce qui est en jeu est à la fois d’ordre proprement politique, puisque cela engage les façons de penser un « Nous » sociétal qui ne soit pas exclusif. Mais cela touche également très directement le sens des pratiques et de l’action publique. L’une des conditions de pertinence des projets et actions tient de toute évidence à la clarté du référentiel d’action publique et à la capacité de reconnaissance d’une problématique de la discrimination – qui ne soit pas réduite à une judiciarisation individuelle, d’ailleurs fort aléatoire.

1. Il pourrait être fort utile de réaliser une évaluation stratégique des actions déjà existantes spécifiquement sur la discrimination et l’ethnicisation à l’école, pour comprendre comment le problème a été abordé, quelles tactiques de montage de l’action publique ont été imaginées (dans un contexte peu favorable en termes de reconnaissance), et ce qui est effectivement mis en oeuvre au regard du référentiel antidiscriminatoire.

2. La communication récente du ministère de l’Éducation nationale sur la discrimination pourrait peut-être favoriser un rapprochement pour initier un programme d’expérimentations. Il est cependant nécessaire qu’un tel travail s’engage à partir du partage d’un référentiel d’action publique clair visant l’action et le fonctionnement de l’école (et non les publics…) – ce qui ne peut se réduire à partager une définition générale de la discrimination ou un seul rappel du droit. Il s’agirait d’encourager des dispositifs hybrides de recherche-action-formation mobilisant à la fois les institutions, les professionnels et les publics. Des expériences engagées, tant dans l’éducation nationale (Lorraine, Villeurbanne, Grenoble, Marseille, etc.) ainsi que dans les réseaux de missions locales (en région PACA, par exemple), montrent l’enjeu de créer des espaces de pertinence professionnelle[18] locaux et transversaux. Impliquant les différents professionnels de l’administration scolaire, des établissements, des CIO, mais aussi des associations, des parents d’élèves et des représentants des élèves, de tels espaces pourraient avoir pour vocation d’établir un diagnostic du problème, de préciser et stabiliser les référentiels, de travailler sur les procédures (d’orientation, d’évaluation, d’information, et surtout de régulations locales) et d’expérimenter d’autres pratiques. À cette fin, on pourrait imaginer reprendre le format des « plans territoriaux de lutte contre les discriminations » (dispositifs de l’ACSE) pour soutenir l’émergence de tels projets collectifs. Cela nécessiterait toutefois de prendre une entrée institutionnelle (ou interinstitutionnelle), en refusant l’actuelle entrée par la politique de la ville, qui reproduit les biais territoriaux et ethniques qu’il s’agit en l’occurrence d’infléchir.

3. Par la suite, une mise en réseau des expériences pourrait favoriser une sortie de l’isolement des professionnels et un transfert des expériences (en bénéficiant par exemple de l’expérience de réseaux des professionnels du développement social urbain). L’enjeu ici n’est pas a priori la visibilité et la communication publique, mais d’ouvrir « par le bas » des réseaux de travail et d‘échange, à l’instar de ce que tente d’élaborer l’académie de Nancy-Metz avec d’autres sites.

4. Il y a lieu, comme pour les champs de l’emploi, du logement, des entreprises, etc. de diffuser massivement de la formation, pour les professionnels de l’Éducation nationale, notamment. Ceci aux différents niveaux fonctionnels et/ou hiérarchiques : enseignants, vie scolaire, directions, centre d’information et d’orientation, administrations académiques et ministérielles. L’enjeu d’une telle formation ne peut être seulement une connaissance du droit et de la définition de la discrimination. Si cela est bien entendu essentiel, il s’agit dans de telles formations de travailler largement sur les processus de déni et de dénégation, de s’approprier des cadres d’analyse sociologiques en termes d’ethnicisation et de discrimination (et pas seulement en termes de stéréotypes ou d’interculturel, comme cela se fait souvent), d’analyser les pratiques professionnelles et de réfléchir sur les conditions de pertinence d’une mobilisation, etc.

5. Dans une approche resituant les professionnels de l’école (enseignants, conseillers d’orientation…) en position d’intermédiaires (cf. les travaux sur le champ de l’insertion et de l’emploi, notamment), il y aurait lieu de les impliquer davantage dans un travail d’information des publics pour la mobilisation du droit. Il s’agit ici de renforcer ou systématiser ce qui peut parfois se faire concernant l’information sur ce que sont les discriminations, sur le droit et sur les droits des élèves et des parents (notamment en matière d’orientation, de recours, etc.), sur les conditions de saisine de la HALDE et de la Justice. Des campagnes de communication, à l’échelle des établissements et à l’échelle nationale, pourraient soutenir ce travail. Ce volet est d’autant plus important qu’on ne saurait développer une approche de la « prévention des discriminations » qui ne trouve pas son pendant effectif et sa fondation dans une approche de la « lutte contre les discriminations », de manière à conférer au droit une dimension conflictuelle, un pouvoir d’interroger concrètement le travail des institutions.

6. Des pôles collectifs de vigilance pourraient être suscités dans chaque académie, par les institutions publiques, les syndicats et les associations, etc. afin d’organiser une veille quant à l’égalité de traitement dans le champ éducatif, de contribuer à une analyse des mécanismes systémiques produisant de la discrimination ou des inégalités, et de favoriser la saisine de la HALDE et de la Justice.

 

Fabrice Dhume, Suzana Dukic, Séverine Chauvel et Philippe Perrot Orientation scolaire et Discrimination. De l’(in)égalité du traitement selon l’origine, « Études et Recherches », La Documentation française, 2011.



[1] Lorcerie F. (2007), « Le paradigme de l’ethnicité. Développements en France et perspectives » in Faire Savoirs, n° 6, p. 15-23.

[2] Dans la recherche citée, M. Novi et J.-P. Zirotti traitent des diverses « nationalités » en présence, mais la focale progressive de J.-P. Zirotti sur les « Maghrébins » est justifiée d’une part du fait de leur position la plus défavorable, et d’autre part à ce qu’ils lui semblent les plus en résistance face à ce phénomène.

[3] C’est ce qu’annonçaient déjà Zirotti et Novi, « la contestation partielle du caractère systématique des effets n’infirme aucunement l’analyse des pratiques qui, dans l’institution, les induisent ; elles attestent des capacités de résistance des sujets. » (Novi, Zirotti, 1979, p. 11, souligné par les auteurs).

[4] Duru-Bellat M., Mingat A. (1993), Pour une approche analytique du fonctionnement, op.cit., p. 132. Nous soulignons.

[5] « Du point de vue des données globales, l’école paraît donc préservée du racisme et de la discrimination (…) Pour ce qu’on peut en connaître, l’école française est celle du refus du racisme et de sa dénégation. Non seulement les idéologies racistes y sont interdites, mais les opinions racistes y sont fortement réprouvées et condamnées » (Dubet 1993, p. 299 et 301).

[6] Lorcerie F. (1992), « Les sciences sociales au service de l’identité nationale. Le débat sur l’intégration en France au début des années 1990 », in Martin D.-C. (dir.), Cartes d’identité. Comment dit-on « nous » en politique ? Presses de la Fnsp, p. 245-281.

[7] Pour une analyse détaillée, voir : Dhume F. (2010), « L’École face à la discrimination ethnoraciale : les logiques d’une inaction publique », in Migrations société, vol. 22, n° 131, p. 171-184.

[8] Circulaire interministérielle DPM/ACI 2 n° 2001-526 du 30 octobre 2001.

[9] MEN, Circ. n° 2002-077 du 11 avril 2002, DESCO.

[10] « Convention-cadre pour favoriser la réussite scolaire et promouvoir l’égalité des chances pour les jeunes immigrés ou issus de l’immigration », 27 décembre 2007.

[11] MEN-DGESCO, Circ. n° 2008-042 du 4 avril 2008.

[12] Lorcerie F. (2007), « Le paradigme de l’ethnicité », op. cit., p. 19-20.

[13] Dhume F. (2007) Les acteurs locaux face à la discrimination : les raisons d’une inaction publique, Rapport pour l’Acsé, Neuviller, ISCRA, p. 31.

[14] MEN-DGESCO, circulaire n° 2006-051 du 27-3-2006.

[15] Présentation sur le site http://www.objectif-stages.com.

[16] Dhume F. (2009), « Éléments de synthèse des ateliers “Discrimination et éducation” : #1 (14/12/07, Miramas) et #2 (31/03/08, Talence) », in Actes du séminaire « Lutte contre les discriminations. Des concepts… à l’action », CRPV PACA/PQA.

[17] Toutes ces informations et citations sont extraites de ce document.

[18] Noël O. (2004), Jeunesses en voie de désaffiliation, op. cit.