Vincent Sizaire, Sortir de l’imposture sécuritaire, Paris, La Dispute, 2016, 136 pages, 13 €.
Un amoncellement de lois et de décret toujours plus rapide, qui ne contribue qu’à complexifier notre ordre juridique et à fragiliser les procédures. Une politique pénale brouillonne et épidermique, masquant derrière l’illusion statistique l’incapacité à apporter à la délinquance une réponse construite et durable faute de savoir où porter efficacement l’action des autorités répressives. Un déploiement des services de police faisant la part belle à la démonstration médiatique de puissance publique au détriment de l’investigation et de l’implantation dans les territoires, et qui laisse prospérer un maquis administratif digne de l’Union soviétique. Telle est la pente sur laquelle les pouvoirs publics se sont engagés en matière pénale depuis plus de vingt ans, en promouvant, dans la quête d’une sécurité toujours plus chimérique, l’extension indéfinie et mal contrôlée du domaine de la répression.
Bien sûr, il se trouve de longue date de nombreuses voix pour analyser et dénoncer le potentiel liberticide d’une telle évolution. Mais peut-être faudrait-il commencer par pointer son caractère foncièrement irresponsable. On peut continuer d’alimenter indéfiniment cette fuite en avant répressive. On peut aussi considérer qu’il est temps de prendre la question pénale au sérieux. En commençant, notamment, par cesser de concéder aux artisans de la surenchère sécuritaire la prétention au réalisme dont ils aiment à se parer. Car il ne s’agit nullement de pourfendre ce laxisme systématiquement prêté à ceux qui observent ce mouvement d’un regard critique, mais bien de courir après les vieilles lunes autoritaires de l’ancien droit pénal, en faisant de la répression arbitraire et démesurée la solution magique à un phénomène délictueux qu’on persiste à penser comme extraordinaire. En ce sens, l’inflation normative sans précédent à laquelle nous avons assisté en matière pénale au cours des vingt-cinq dernières années constitue un formidable aveu d’impuissance répressive.
Si elle peut encore être perçue comme l’expression d’une volonté de fermeté, c’est que cette vieille logique répressive avance masquée derrière la proclamation, comme nouveau fondement du pouvoir répressif, de ce fameux « droit fondamental à la sécurité ». Un droit impossible, qui non seulement brouille les repères mais encore se nourrit de sa propre turpitude. Car il en est des crises sécuritaires comme des crises financières : loin d’appeler à la remise en cause du modèle, la démonstration chronique de sa faillite conduit au contraire à l’aggravation de la surenchère répressive. C’est pourquoi l’analyse critique du sécuritarisme est insuffisante à briser ce cercle vicieux dans lequel il nous enferme depuis trop années. Eclairer toute sa dimension archaïque et réactionnaire suppose en outre de lui opposer un modèle répressif dont l’efficacité bien comprise est fondée sur préservation de la liberté du citoyen. Et de redécouvrir l’outil assurant cette alchimie : le droit à la sûreté, clé de voute de la philosophie pénale républicaine depuis la fin du XVIIIème siècle.
Invoquer aujourd’hui l’idée de sûreté comme alternative à la logique répressive sécuritaire peut certes apparaitre inhabituel si ce n’est incongru, même chez les spécialistes. Cela tient notamment au profond mésusage qui, depuis l’origine, est fait de ce terme. Depuis le Comité de sûreté générale mis en place sous la Convention et grand artisan de la Terreur, jusqu’à la rétention de sûreté instituée en février 2008, en passant la cour de sûreté de l’Etat mis en place à la fin de la guerre d’Algérie, le terme évoque le plus souvent un pouvoir répressif discrétionnaire et démesuré. Ce qui permet aujourd’hui à certains de confondre, de bonne ou de mauvaise foi, les notions de sûreté et de sécurité.
Or il s’agit là d’un complet contre-sens. Né dans le dernier tiers du XVIIIème siècle, le concept de sûreté a précisément été forgé en réaction à la démesure répressive de l’ancien régime. On le retrouve d’abord chez les philosophes des lumières, au premier rang desquels l’italien Cesare Beccaria, qui publie en 1764 son célèbre Traité des délits et des peines. Ce texte reste, à ce jour, l’ouvrage fondateur de cette nouvelle rationalité répressive fondée sur le primat de la liberté et qui peut, à ce titre, être qualifiée de libéralisme pénal. Mais l’idée de sûreté sera en quelque sorte portée à maturité sous la Révolution française, avec les travaux de l’assemblée constituante et en particulier des députés Adrien Duport et Michel Lepelletier de St Fargeau, véritables inventeurs du droit pénal moderne.
L’idée de sûreté exprime d’abord le refus de l’arbitraire et de la démesure qui caractérise le système répressif de l’ancien régime, arbitraire revendiqué en tant que tel comme gage d’efficacité de la répression, notamment dans les écrits de Daniel Jousse et, plus encore, de Pierre-François Muyart de Vouglans, auteur d’une sévère « réfutation » des idées de Beccaria. Pour ces juristes conservateurs, la principale raison d’être de la justice criminelle est de punir l’ensemble des « entreprises qui peuvent troubler l’ordre et la tranquillité de l’Etat » afin de « conserver les sujets du Roy dans une paix et une tranquillité durables »[1]. Sa finalité première étant de garantir l’autorité du gouvernement, la répression se doit d’être exemplaire, « afin de contenir par la vue et la crainte des peines exercées sur des coupables ceux qui ne sont pas retenus par d’autres motifs »[2].
Elle ne saurait en outre être bornée par quelque limite légale que ce soit : l’arbitraire du pouvoir répressif est au contraire perçu comme une condition indispensable à son efficacité, notamment au-devant de crimes « atroces » justifiant le déchaînement de la répression. L’arbitraire est d’abord celui laissé aux autorités d’instruction et de jugement dans l’administration de la preuve, afin « d’empêcher l’impunité de ces sortes de crimes »[3]. Il s’agit plus encore de celui laissé au juge pénal dans le choix de la peine, en particulier pour les crimes qualifiés d’extraordinaires. Enfin, le souverain est réputé pouvoir pénaliser et poursuivre aussi bien les infractions à la loi naturelle que celles à la loi religieuse, qui sont pléthore et comptent parmi les plus sévèrement réprimées. Le régime absolutiste vieillissant demeurant plus que jamais fondé sur l’idée d’une monarchie de droit divin, la pénalisation rigoureuse des attentats à la religion reste essentielle au maintien de l’ordre politique et social.
Pour les libéraux, la répression pénale n’est au contraire légitime que si elle se fonde sur une loi préexistante, règle librement consentie par les citoyens pour assurer la coexistence pacifique de leurs libertés. Beccaria écrit ainsi que « le droit qu’a le souverain de punir les délits est fondé sur la nécessité de défendre contre les usurpations particulières le dépôt [des libertés individuelles] constitué pour le salut public. Et les peines sont d’autant plus justes que la sûreté est plus sacrée et inviolable, et plus grande la liberté que le souverain laisse à ses sujets »[4]. En d’autres termes, c’est l’abus de liberté qui, seul, fonde la légitimité de la répression. Et c’est le rétablissement de la liberté qui, seul, constitue la finalité de la peine. La liberté de la personne victime de l’infraction, bien sûr, mais encore et surtout le droit de chaque citoyen de vivre dans une société qui ne tolère pas les situations d’oppression.
La confusion avec le droit à la sécurité n’est donc pas permise. La sécurité, c’est ce que le Roy promet à ses sujets. La sûreté c’est l’engagement réciproque des citoyens de faire primer le droit sur la force dans les situations de conflit. Pilier de cette nouvelle philosophie politique que Rousseau met à jour parallèlement dans Du contrat social, elle est à la sphère juridique ce que la liberté est à la sphère politique. Ce concept permet de condamner dans un même mouvement la violence privée et la violence publique des agents de la répression qui prétendraient s’affranchir du cadre, toutes deux également sanctionnées par la loi pénale. Quand la promesse de sécurité conduit les autorités répressives à s’abaisser au niveau de violence et d’arbitraire de ceux qu’elles prétendent combattre, la sûreté exprime au contraire l’idée que l’on ne peut efficacement sanctionner la méconnaissance des lois que si l’on est soi même irréprochable à ce titre. A ceux qui, déjà, instruisent le procès en angélisme, Michel Lepeletier de St Fargeau rappelle ainsi que si leur entreprise vise à refonder la matière pénale selon « les principes d’humanité […] la plus dangereuse des erreurs politiques serait le système de l’impunité des crimes »[5]. Duport énonce pour sa part que « la société doit sûreté et tranquillité à tous et justice à chacun ; il faut donc que tous les citoyens puissent aisément se plaindre, que l’on puisse s’assurer d’un homme sur des soupçons mais que l’on ne juge que sur une conviction complète »[6].
Autrement dit, il s’agit de défendre, en toutes circonstances, la primauté de la loi sur la force pour résoudre les conflits inhérents à la cohabitation sociale. La sûreté n’est donc pas la promesse déraisonnable d’une société sans crime mais, en revanche, d’une société où le crime ne paie pas car chacun sait, auteur comme victime, que toute atteinte aux droits et à la liberté d’autrui est prohibée et sera à terme réprimée. C’est ensuite la garantie que, quelle soit le statut ou la situation sociale du responsable, toute violation de loi et tout abus de pouvoir seront dûment sanctionnés. C’est enfin l’assurance de ne pouvoir être inquiété par la puissance publique que si elle justifie d’un manquement avéré à la loi et après avoir eu la possibilité de faire valoir équitablement son point de vue.
Parce qu’elle exprime de façon limpide la volonté d’une lutte constante contre toutes les formes d’arbitraire pouvant menacer le citoyen, l’idée de sûreté sera la clé de voûte du modèle répressif élaboré par les constituants, et que nous pouvons qualifier d’authentiquement républicain. Alors que l’idéologie sécuritaire s’abrite aujourd’hui trop souvent derrière une phraséologie républicaine sans consistance, il s’agit aussi de rappeler que le projet pénal pensé par les révolutionnaires, loin de permettre la justification de toutes les atteintes à la liberté individuelle, en fait tout à la fois le socle et la fin du système répressif. Le droit à la sûreté est expressément consacré à l’article II de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Il se décline en une série de principes juridiques qui structurent l’ordre pénal nouveau qui se met en place avec les lois de procédure des 22 juillet et 19 septembre 1791 et surtout avec le code pénal du 6 octobre 1791. Au sommet se trouve le principe de légalité, qui subordonne le droit de punir à l’existence d’un texte préalable définissant tant le comportement incriminé que la sanction encourue. Ce principe a pour prolongement l’interdiction d’adopter une loi pénale rétroactive, c’est-à-dire s’appliquant à des faits commis avant son entrée en vigueur. Il a également pour corollaire la présomption d’innocence : dans une société où la liberté est le principe, c’est à l’autorité de poursuite qu’il appartient de démontrer la violation de la loi. La lutte contre l’arbitraire est aussi réalisée par les principes de nécessité et de proportionnalité de la réponse pénale, qui visent à garantir que l’atteinte à la liberté qui en résulte n’excède jamais ce qui est strictement nécessaire à la conduite du procès pénal. L’exigence d’un contrôle juridictionnel de la répression par un magistrat indépendant, chargé notamment de faire respecter les droits de la défense, parachève l’édifice.
Ainsi, le modèle répressif fondé sur le droit à la sûreté se présente d’emblée comme un ensemble parfaitement cohérent. C’est pourquoi il ne va cesser, tout au long du XIXème siècle et jusqu’au milieu du XXème siècle, de servir de référence voire d’étendard aux juristes libéraux dans leur combat pour la limitation et la modération du pouvoir répressif. En ce sens, l’évolution de notre ordre pénal depuis la Révolution est d’une certaine manière l’histoire de la lutte pour la mise en œuvre effective du droit à la sûreté dans les textes de loi et la pratique des autorités répressives. Sans doute en avance sur son temps, le code pénal de 1791 n’aura guère le temps de se confronter à la pratique des tribunaux. Moins de deux ans après sa promulgation, les décrets des 10 et 19 mars 1793 mettent en place le régime d’exception de la « Terreur », qui ressuscite dans la violence et le sang l’arbitraire et la démesure de l’ancien droit pénal. L’abrogation partielle de ces mesures d’exception sous le Directoire n’empêche pas la perpétuation de pratiques répressives tournant le dos à l’idéal de sûreté.
En dépit d’un attachement formel aux grands principes républicains proclamés en 1789, les codes impériaux de 1808 et 1810 traduisent également le retour à une certaine forme d’autoritarisme répressif, dont l’opposition radicale à la philosophie pénale des constituants ne va cesser, jusqu’à nos jours, de structurer l’évolution de notre droit pénal. C’est pourquoi les penseurs qui ont promu et accompagné le profond mouvement réformateur libéral de la monarchie de Juillet se revendiquent directement de l’idée révolutionnaire de sûreté. Au premier rang de ses promoteurs, on trouve François Guizot, ministre de Louis-Philippe, Joseph Ortolan, professeur de droit à la Sorbonne et Pelegrino Rossi, professeur au collège de France. Ensemble, ils militent pour que les dimensions proprement réactionnaires héritées de la législation impériale soient bannies de notre ordre juridique. En abolissant les peines corporelles, en créant le mécanisme des circonstances atténuantes, et en permettant à la juridiction de prononcer une peine d’emprisonnement inférieure aux seuils minimums encourus, la grande loi du 28 avril 1832 réalisera partiellement leurs desseins.
L’invocation du droit à la sûreté et du modèle répressif qui lui est associé est tout autant prégnante au cours de la troisième République, qui connaît un mouvement normatif se caractérisant, sur la durée, par une progression constante des droits de la défense. Certes, on relève la marque de l’autoritarisme répressif bonapartistes dans la loi du 27 mai 1885 instituant la peine de relégation qui, infligée aux personnes condamnées en état de récidive, organise leur déportation perpétuelle dans les colonies. Mais l’évolution de la législation traduit bien davantage une tendance lourde à l’encadrement du pouvoir répressif et à la modération de la réponse pénale. Ainsi en est-il des grandes lois républicaines qui, en 1881, 1884 et 1905 garantissent les libertés d’expression, de réunion syndicale et d’association de l’ingérence des pouvoirs publics. Ainsi en est-il également de la loi du 14 août 1885 qui institue la libération conditionnelle, permettant de prendre en compte l’évolution du condamné pour mettre fin de façon anticipé à son emprisonnement. A sa suite, la loi du 26 mars 1891 introduit la possibilité d’assortir une peine de prison du sursis, c’est-à-dire de prévoir qu’elle ne sera mise à exécution que si le condamné commet à nouveau une infraction dans un certain délai. Si les droits des personnes mises en causes avant procès évoluent peu à la même époque, il faut néanmoins relever la loi du 8 décembre 1897 qui permet aux personnes interrogées par le juge d’instruction d’être assistées par un avocat. Relevons enfin la loi du 22 juillet 1912 qui instaure le juge des enfants et pose le principe d’une réponse pénale spécifique et adaptée pour les mineurs.
Par sa longévité et sa relative stabilité, la troisième république offre également l’occasion d’une diffusion et d’une consolidation de la doctrine pénale libérale, permettant ainsi l’approfondissement du concept de sûreté. Sous la plume du grand juriste Raymond Saleilles, nait ainsi, en 1898, la notion d’individualisation de la peine[7]. Elle doit clairement être distinguée de la notion voisine de personnalisation, qu’elle vise précisément à combattre. Issue des doctrines dites positivistes ou déterministes de Cesare Lombroso ou d’Alexandre Lacassagne, la personnalisation promeut un traitement social de la délinquance centré sur la dangerosité supposée de l’auteur, sans lien avec la gravité des faits. Expression particulièrement fine du principe de proportionnalité de la répression, l’individualisation traduit au contraire les idées selon lesquelles la garantie contre l’arbitraire ne cesse pas avec la condamnation, et la sanction prononcée doit en conséquence être strictement adaptée non seulement à la gravité des faits, mais également à la situation de l’auteur.
L’idée de sûreté occupe enfin une place de premier plan dans le grand mouvement humaniste européen observé au lendemain de la seconde guerre mondiale en réaction aux crimes de masse des gouvernements fascistes et, en particulier, du génocide perpétré par le régime nazi. Directement inspiré par la volonté de ses rédacteurs d’empêcher à l’avenir la reproduction d’un tel déchaînement de barbarie répressive, l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 proclame solennellement le « droit à la liberté et à la sûreté » en encadrant de façon précise et restrictive les conditions dans lesquelles il peut être porté atteinte à la liberté du citoyen. C’est à la même époque qu’est adoptée, le 2 février 1945, la célèbre ordonnance « relative à l’enfance délinquante », qui institue la primauté de l’action éducative dans la justice pénale des mineurs.
A partir de cette date, l’idée de sûreté va se trouver paradoxalement victime de son succès. Alors que le niveau de protection de la liberté individuelle ne cesse de progresser dans l’ordre juridique comme dans les pratiques des autorités répressives, il devient de moins en moins nécessaire d’en appeler au souvenir de la philosophie libérale et humaniste qui fonde le modèle répressif républicain. L’après-guerre est en outre marqué par le triomphe, en France comme dans de nombreux pays d’Europe et d’Amérique latine, de la doctrine dite de la « défense sociale nouvelle ». Promue par Marc Ancel, conseiller à la Cour de cassation, elle met au centre du débat la question de la réinsertion du condamné et de l’individualisation des peines. Cette Ecole de pensée nourrira, à partir de la seconde moitié du vingtième siècle et jusqu’à nos jours, un puissant mouvement législatif en faveur de la diversification des sanctions et de la multiplication de leurs possibilités d’aménagement, lors de leur prononcé comme de leur application[8].
C’est pourquoi l’essor de l’idéologie sécuritaire auquel nous avons assisté depuis le début des années 1980 a pu passer comme l’expression d’une nouveauté voire d’une certaine modernité dans la façon de concevoir le procès pénal. Sa propension à l’hégémonie dans les discours et, plus encore, dans l’évolution récente de notre système répressif, nous invitent cependant à redonner au droit à la sûreté toute sa puissance symbolique et toute sa force normative. D’abord, en dévoilant toute l’imposture des appels à « l’ordre républicain » derrière lesquels avance le sécuritarisme alors qu’il s’inscrit en réalité en contradiction directe avec la philosophie pénale authentiquement « républicaine » des constituants. En analysant les ressorts et les contours de l’impasse dans laquelle se retrouve embourbé notre système répressif, nous pourrons mettre en évidence le profond archaïsme de l’idéologie sécuritaire, forme à peine dépoussiérée du vieil autoritarisme répressif bonapartiste (première partie).
Ensuite, en brisant la rhétorique simpliste entre les tenants du réalisme et ceux d’un supposé angélisme dans laquelle on enferme de façon quasi systématique toute analyse critique de l’emprise croissante des autorités répressives sur nos existences. Refuser ce modèle de justice pénale, ce n’est nullement renoncer à sanctionner les infractions, mais c’est faire le choix d’un autre modèle qui, fondé sur le droit à la sûreté, limite l’intervention du pouvoir répressif à ce qui est strictement nécessaire dans une société démocratique pour mieux appréhender les atteintes les plus graves à la coexistence des libertés.
Car la progression de la sûreté, c’est aussi le reflux de toutes les formes de violences privées tolérées sous l’ancien régime, depuis le droit de correction du père de famille jusqu’à la toute-puissance de l’employeur sur ses salariés. Alors que, sous des formes insidieuses, on assiste au retour d’une certaine forme de délégation répressive aux puissances privées, l’idée de sûreté s’impose comme un outil d’une modernité et d’une efficacité redoutable pour lutter contre les nouvelles formes d’arbitraire auxquelles nous sommes confrontés (seconde partie).
[1] Daniel Jousse, Traité de la justice criminelle de France, Paris, Debure, 1771, p.1.
[2] Ibid., p.3.
[3] Pierre-François Muyart de Vouglans, Réfutation des principes hasardés dans le traité des délits et des peines, Lausanne, 1767, p.44.
[4] Cesare Beccaria, Traité des délits et des peines, Paris, Flammarion, 1979 (1ère ed. 1765), p.63.
[5] Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, Rapport sur le projet de Code pénal, Assemblée constituante, séances des 22 et 23 mai 1791, in. Félix Lepeletier de Saint-Fargeau, Œuvres de Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, Bruxelles, Lacrosse, 1826, p.91.
[6] Adrien Duport, Principes fondamentaux de la police et de la Justice, présentés au nom du comité de Constitution le 22 décembre 1789, in Archives parlementaires de 1787 à 1860 : recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises. Première série, 1787 à 1799. Tome X, Du 12 novembre 1789 au 24 décembre 1789, p.745.
[7] Raymond Saleilles, L’individualisation de la peine, Paris, Michel Alcan, 1898.
[8] Marc Ancel, La Défense sociale nouvelle, Paris, Cujas, 1981.