À propos de : Meredith Tax, A Road Unforseen. Women Fight the Islamic State (« Une voie imprévue. Des femmes combattent l’Etat islamique »), Bellevue Literary Press, New York, 2016.
Romancière, militante féministe, essayiste et analyste politique étatsunienne, Meredith Tax aborde dans un livre passionnant l’histoire des Kurdes déchirés entre quatre pays que sont la Turquie, la Syrie, l’Irak, l’Iran (mais le livre ne rend compte de leur condition que dans les deux premiers), l’atroce guerre qui a eu lieu en Syrie avec une focale particulière sur les relations politiques et diplomatiques qui lui sont inhérentes et met l’accent sur l’histoire politique des courageuses combattantes du Rojava — enclave syrienne kurde autonome de facto qui pratique une démocratie inclusive et ne conçoit pas la « sécession ».
Voici un livre qui nous parle des Kurdes, de certains Kurdes, et en particulier de ceux, au Rojava, qui expérimentent la résistance armée et aussi une organisation politique et sociale respectueuse de l’égalité des sexes. Les Kurdes sont l’un de ces peuples sans Etat que le dépeçage européen de l’Empire ottoman a laissé en souffrance. Toute la région du Proche et du Moyen orient est restée, depuis, en état d’insurrection latente. Le partage des territoires ottomans entre la France et le Royaume Uni et ses conséquences, la colonisation puis la décolonisation (violente dans le cas de l’Algérie proche), la situation Palestine-Israël, et par la suite la politique du « Grand Moyen orient » de G. W. Bush, ont causé directement ou indirectement des guerres, des guerres par procuration, ainsi que des guerres civiles dans plusieurs pays (Irak, Afghanistan, Syrie).
A cela s’ajoutent des guerres de certains de ces pays entre eux (la guerre Iran-Irak, la guerre Irak-Kuwait) qui peuvent également être considérées comme des guerres par procuration. Toute la région est à feu et à sang quand, en 2011, apparaissent les révolutions arabes. La Syrie aussi connaît alors une insurrection contre le régime dictatorial de Bachar-Al Assad. Mais le « Grand jeu » historique est sur place dans cette région depuis très longtemps, et il est difficile de démêler les intérêts des Russes, des Turcs, de la France sur place, alors que les rebelles (les résistances) sont multiples, trop faibles, et en conflit entre elles, subissant les pressions des grandes puissances. Dans ces circonstances, certains Kurdes en Syrie, dans la région limitrophe avec la Turquie – le Rojava – région que le pouvoir d’Al-Assad ne peut plus contrôler, s’organisent, résistent, combattent l’Etat islamique. Des unités combattantes de femmes y sont très efficaces, mais aussi les femmes au civil. En effet, les Kurdes du Rojava expérimentent leur autonomie locale en principe égalitaire quant au sexe, à la religion, à l’appartenance ethnique, et laïque.
Romancière, militante féministe bien connue, essayiste et analyste politique étatsunienne, Meredith Tax s’est lancée dans une recherche politique aussi approfondie qu’imprévue (comme le montre le titre de son livre captivant) pour nous livrer le rapport le plus documenté qui soit non seulement sur le Rojava mais sur l’histoire des Kurdes, ce peuple sans Etat écartelé entre quatre pays, ainsi que sur son devenir politique moderne[1]. Ce livre pêche-t-il par une utopie féministe trop emportée ? Peut-être, mais l’auteure n’est pas dupe pour autant. D’autres combats de libération ont vu les femmes du premier rang de combat renvoyées par la suite au moins en partie (et parfois en grande partie) à leurs fourneaux, comme en Yougoslavie, en Algérie, au Népal ou ailleurs.
L’imaginaire de l’amazone invincible a existé dans de nombreuses cultures, parce qu’il renverse l’ordre patriarcal des choses. Mais ce livre nous donne en tout cas à voir la réalité véritablement existante d’un combat nécessaire, et d’une politique dont l’évolution originale donne de l’espoir de tous les points de vue – féministe aussi bien que démocratique et surtout trans-ethnique ou trans-national. Les femmes devraient cependant, cette fois-ci, avoir plus de chances pour arriver plus loin et ne pas être évincées des victoires politiques obtenues à la barbe de leurs compagnons, selon les analyses de l’auteure. Meredith Tax précise :
« En prenant les armes contre Daech, les féministes kurdes ont mis en place un nouveau modèle pour l’action féministe, qui requiert d’inclure quand nécessaire l’auto-défense de la communauté en même temps que les droits sociaux et économiques. Mais, comme dans les années 1990[2], la gauche internationale n’a pas compris l’importance de ces développements épiques dans la conscience et la mobilisation des femmes, et a ainsi été incapable de mettre en place une réponse cohérente et de principe à l’avancée des intégrismes. Au lieu de cela, elle s’est engluée au beau milieu d’un déplacement de paradigme »[3].
Les femmes mais aussi les combattantes du Rojava ont le soutien indirect mais décisif du leader des Kurdes turcs dont la force et le rayonnement sont grands depuis sa prison en Turquie du fait de sa puissance charismatique et parce que l’incarcération turque ainsi que sa condamnation à mort en ont fait un « martyr ».
En effet, Abdullah Öcalan, le leader incontesté des Kurdes turques qui a beaucoup d’influence chez les autres Kurdes et en particulier au Rojava, a eu le temps, depuis son arrestation en 1999, de faire une conversion démocratique, d’entreprendre en conséquence les lectures nécessaires, d’évoluer intellectuellement, et d’envoyer aux Kurdes des messages où il corrigeait son marxisme originaire par un féminisme et anti-patriarcalisme fervents. Il renonçait progressivement à la notion d’Etat et d’Etat-nation, devenait adepte de la non-violence et aboutissait ainsi à l’opposé de ce qu’il avait prêché à ses débuts et de ce qui l’avait amené en prison.
Le renoncement à un Etat est aussi la base de sa critique de l’ONU : l’ONU est impuissante parce que le concept d’Etat-nation ne tient plus, puisque le concept de nation excluante n’est plus valable au moins depuis la fin des colonisations. Öcalan théorise alors un « confédéralisme démocratique » pour une Turquie démocratique avec ses Kurdes, comprenant d’abord la démocratie des sexes/genres, c’est-à-dire une démocratie qui commence par l’égalité dans les faits et le rapport égalitaire entre les sexes, ainsi que la démocratie dans la représentation des rapports sociaux de sexes. (Tax, p. 157) Et ce n’est que quand les hommes prirent le pouvoir, constatait-il, que les guerres proliférèrent.
Les femmes sont fondamentales dans son nouveau projet politique, et il les encourage. Il encourageait les femmes à former leurs propres cellules du PKK[4], puis leurs propres unités militaires[5]. C’est depuis 1995 que le PKK (un parti turc) met en place les Troupes de femmes libres du Kurdistan. Il faut dire que les Kurdes traversent forcément les frontières, et si par ailleurs leurs situations ne sont pas les mêmes de part et d’autres de celles-ci, les mêmes idées politiques les franchissent souvent.
Dans un contexte où l’idée de la représentation égale des femmes a dépassé la frontière turque chez les Kurdes, cette militarisation des femmes et de la société est par ailleurs contraire à l’attitude antimilitariste d’autres féministes. Ces dernières ont obtenu en 2000 l’adoption de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui insiste sur l’effet dévastateur de la guerre et de la militarisation des sociétés sur les filles et les femmes et qui appelle à l’adoption d’une perspective genrée et de femmes dans les négociations de la paix, desquelles les femmes – mais aussi les Kurdes (par la pression turque)- ont toujours été exclus (Tax, p. 140).
Les graines des conflits dans la région furent semées, comme pour le conflit israélo-palestinien, par le dépècement de l’Empire Ottoman pendant et à la fin de la Première guerre mondiale, quand des protectorats anglais et français furent formés au Proche orient. S’agissant d’un territoire qui était auparavant un et intégré, et où les populations circulaient librement, la France obtint le nord de l’Iraq, la Syrie et le Liban, et la Grande Bretagne la Palestine (qu’elle promis à plusieurs intéressés en conflit), l’Iraq du sud et la Jordanie, mutilant ainsi cette unité[6].
Ces territoires furent ainsi découpés et partagés, formant les nouveaux Etats évoqués plus haut. Ils accueillirent les Kurdes et les Palestiniens en dispersion et en souffrance restés sans Etats. Partant d’une revendication de l’autonomie locale ou alternativement de la souveraineté étatique (l’indépendance), les Kurdes, désireux à divers degrés de nation, selon les mouvements et les pays, virent pourtant le dirigeant Abdullah Öcalan évoluer à ce sujet. Parti d’une revendication indépendantiste maximale celui-ci comprit que c’est justement l’Etat-nation avec ses frontières qui sépare les Kurdes les uns des autres. Ainsi, l’appel à un autre Etat-nation ne saurait résoudre le problème.
Öcalan fut emprisonné et condamné à la peine de mort à cause de son indépendantisme Kurde. Il fut accusé de terrorisme alors que son parti le PKK est considéré un parti terroriste. Ce séparatisme de longue date des Kurdes est dû au fait qu’ils furent de tout temps une minorité discriminée en Turquie, plus ou moins sévèrement réprimée, et ce surtout pendant la dictature militaire. Öcalan eut la vie sauve en raison de la pression de l’Europe que la Turquie souhaitait encore, à cette époque, rejoindre ; sa peine de mort fut commuée en réclusion à perpétuité.
Par la suite, pendant une période, le gouvernement turc entreprit avec lui des pourparlers censés réguler une autonomie locale de la région kurde et une autonomie culturelle (avec en particulier des écoles en langue kurde etc.). Ce fut aussi pour le dirigeant politique kurde une période d’incertitude, d’erreurs et de louvoiement pendant laquelle il se cherchait politiquement et cherchait des solutions pour son peuple. Mais les adeptes du PKK, un parti kurde à idéologie marxiste dont les membres étaient confrontés à la plus grande brutalité et répression de l’Etat turc, lui restèrent en grande partie fidèles pendant une longue période de confusion idéologique.
L’aura d’Öcalan qui s’étendait à tous les territoires kurdes même au delà des frontières, était telle, qu’il restait plus ou moins incontesté. Cependant, dans la foulée du durcissement du régime d’Erdogan sur tous les plans, le gouvernement turc cessa les pourparlers avec les Kurdes et Abdullah Öcalan dut chercher des solutions alternatives pour son peuple, ce qui l’amena à un adoucissement de sa politique. Les militants le suivirent et, en l’occurrence, les militantes.
Si l’on voit avec l’exemple des Kurdes qu’une nation sans Etat en recherche toujours un qui lui soit propre, on voit aussi combien les deux options chacune à sa manière – pas (ou trop peu) d’Etat – et trop d’Etat – sont dévastatrices des sociétés. Cela est confirmé par d’autres exemples ailleurs, comme nous le montrent les nationalismes et populismes belligérants qui prolifèrent un peu partout aujourd’hui.
En 2004 le PKK se divise entre une ligne plus radicale et une autre plus souple et prête à négocier. On a vu apparaître depuis quelque temps des femmes au premier plan politique. Meredith Tax brosse quelques portraits de combattantes et de femmes politiques étonnantes dont celui de Leyla Zana, une femme politique kurde modérée, membre à plusieurs reprises du parlement turc. Elle sort en 2004 de dix ans de prison pour y avoir parlé kurde et relève le défi d’une politique proche de celle qu’Öcalan préconisait dans son évolution tardive. Le concept d’« autonomie démocratique » qu’elle revendique à travers un large mouvement social, dont le PKK n’est qu’une pousse parmi d’autres, en témoigne (Tax, p. 155 et suite).
Leyla Zana, qui préconise la non-violence, et dont le crédit de popularité est immense, forme en 2005, avec ses amis, le Parti de la société démocratique (DTP[7]). En 2009, ce parti obtient le pouvoir dans la ville de Diyarbakir, frontalière avec la Syrie ainsi que dans sept autres villes : c’est le lieu de l’expérimentation réussie d’un pouvoir partagé, dans chacune d’entre elles, entre une femme et un homme. Aux élections locales dans la région kurde en Turquie se présentent désormais des tandems homme-femme, pratique qui fut même copiée par certaines villes turques.
On a entendu peu de nouvelles, en France, des combattantes et dirigeantes politiques du Rojava (en Syrie), petit territoire libéré à la frontière de l’Irak. Dans la Syrie déchirée par la guerre, une enclave démocratique – basée sur la laïcité[8], l’inclusivité « ethnique » et l’égalité entre les sexes – a remporté des victoires importantes contre l’État islamique. Les femmes sont en première ligne dans les combats et au pouvoir.
A Road Unforeseen (« Une voie imprévue ») raconte l’histoire dramatique et méconnue des Kurdes du Rojava, dont la milice constituée de femmes a contribué au sauvetage périlleux de dizaines de milliers de civils chassés et assiégés dans des lieux en Irak. C’est par l’exploit de la libération des Yazidis[9] qu’elles se sont faites connaître. Jusqu’alors, l’Etat islamique avait semblé invincible, mais connut là sa première défaite. Ces femmes ont aidé à le vaincre localement, en ramenant une grande partie des réfugié-e-s yazidi à l’abri dans les vingt-quatre heures.
Comment la philosophie politique des Kurdes du Rojava a-t-elle évolué vers une démocratie de sexe ou de genre, une laïcité et une acceptation des minorités ? Comment diffère-t-elle de celle des Kurdes du Kurdistan irakien, de l’Etat islamique et de la Turquie ?
Les conditions des Kurdes en Syrie, en Iran et en Irak sont assez différentes. En Syrie chez les Kurdes, le Parti de l’Union démocratique (PYD[10]) fut formé en 2003, prenant pour modèle le PKK turc. Il est vrai que tous s’inspiraient du PKK, mais pas seulement. Ce parti PYD, que l’on dit autoritaire, participa néanmoins au soulèvement contre Assad. Son fondateur, du nom de Salih Muslim, avait fui la répression en Syrie se réfugiant en Irak, mais il revint en Syrie au moment de l’insurrection en 2011. Il fut suivi par à peu près un millier de combattant-e-s, dont des femmes, et ils établirent des unités spéciales – les « Unités féminines de défense » et les « Unités de défense du peuple » (Tax, p. 165).
Ce sont ces unités-là qui combattirent à Kobané au Rojava. L’idée d’une Syrie un jour décentralisée berçait les espoirs kurdes. Le conseil local du PYD prit le pouvoir à Kobané dès 2012, sans un seul coup de feu quand, au milieu de la guerre civile, les troupes syriennes quittèrent les lieux pour combattre à Damas, Idlib, Alep ou Homs (Tax, p. 168). Depuis, les trois cantons du Rojava, autoproclamés gouvernement autonome en mars 2016, s’administrent tout seuls par le PYD, jouissant de facto d’une autonomie démocratique. Début 2014, ils adoptèrent une charte qui inclut la Déclaration universelle des droits de l’homme et d’autres conventions. Le préambule dit :
« Nous, le peuple de la Région démocratique autonome d’Afrin, Jazira[11] et Kobané, une confédération de Kurdes, d’Arabes, d’Assyriens, de Chaldéens, d’Araméens, de Turkmènes, d’Arméniens et de Tchétchènes, déclarons et établissons librement et solennellement cette Charte rédigée selon les principes d’Autonomie démocratique » (Tax, p. 171).
Cette charte proclame aussi l’égalité des sexes, des minorités et des religions. Selon l’auteure, « le Rojava représente une avancée laïque, démocratique et féministe dans une région dont le stéréotype tenu par un grand nombre veut qu’elle soit arriérée et sans aucun espoir » (Tax, p. 198).
L’histoire des Kurdes, tragique (comme celle de nombreux peuples « surnuméraires ») depuis la fin des empires et la mise en place du système des Etats-nations, se précipite vertigineusement en ce XXIe siècle et connaît des déplacements de frontières, des guerres, des massacres systématiques et la « purification ethnique ». Les contours d’une autonomie démocratique se dessinent pourtant chez les Kurdes à l’aune de l’apparition du terrorisme islamiste qui, lui, répond à l’histoire coloniale et impérialiste. Les Kurdes n’ont jamais été aussi près d’obtenir un Etat-nation qu’aujourd’hui[12] selon l’auteure. Ils n’ont que le choix de combattre l’Etat islamique.
Dans le processus, ils en viennent spontanément, et en quelque sorte « prématurément », à des propositions de démocratie dans les rapports sociaux des sexes et dans les rapports de pouvoir. « Prématurément » car il s’agit d’une société encore patriarcale, mais nécessairement, car l’élan qui les porte le demande et y voit la seule solution. Quelqu’un dépassera ou contournera forcément un jour le modèle occidental dans ces relations, que l’on constate toujours inconclusif, et inventera autre chose, et pourquoi pas les Kurdes ? On aimerait y croire.
A ne pas oublier les très belles photos originales de Joey Lawrence.
[1] Voir aussi, Meredith Tax, « The Rojava Model. How Syria’s Kurds Govern », Foreign Affairs, le 14 octobre 2016, https://www.foreignaffairs.com/articles/2016-10-14/rojava-model ET Meredith Tax, « Turkey Is Supporting the Syrian Jihadis. Washington Says It Wants to Fight. And our NATO ally is bent on destroying the Kurds of Rojava, the Syrian force with the most democratic, pluralistic, and feminist vision », The Nation, le 16 septembre 2016, https://www.thenation.com/article/turkey-is-supporting-the-syrian-jihadis-washington-says-it-wants-to-fight/ .
[2] L’auteure se réfère à la chute du Mur de Berlin et à la décennie de la guerre en Yougoslavie, où les réseaux féministes résistèrent par delà les identifications nationales, et M. Tax fut à leur côté par son soutien militant.
[3] M. Tax, A Road Unforseen, p. 28, ici et ailleurs trad. par moi, R.I.
[4] PKK (pour Partiya Karkerên Kurdistan), le Parti des travailleurs du Kurdistan (turc). Il s’agit d’un parti avec une branche armée, raison pour laquelle il est considéré terroriste par la Turquie, l’Union européenne, les Etats-Unis et par nombre d’autres pays.
[5] Curieusement, les combattantes – toutes à visage découvert – doivent en principe être « célibataires ». Le raisonnement de cette disposition laïque est un peu tordu: « vierges », elles seront complètement dévouées à la libération et à la révolution, échapperont à l’oppression du mariage et aux mariages forcés et d’enfants, et elles seront un objet d’admiration pour leurs compatriotes, entre autre. Et il n’y aura pas de mari à leur interdire de partir, ni d’enfants laissés derrière. (Tax, p. 142.)
[6] Le territoire ottoman était historiquement un et indivisible et les minorités y avaient leurs droits ainsi que certains privilège à la manière des empires (comme en Autriche-Hongrie). Entre autre, leurs membres se déplaçaient librement dans tout le très vaste pays. Ainsi les Kurdes y souffraient moins d’être séparés par les frontières. Les frontières ont été introduites avec le nouveau concept de nation. Les nations auront alors tendance à vouloir se munir d’Etats, mais certaines, comme les Kurdes, ne purent finalement obtenir le leur. Le livre décline toutes les promesses d’Etat qui furent faites aux Kurdes mais ne furent pas tenues dans diverses négociations du « Grand jeu ».
[7] Le DTP (pour Demokratik Toplum Partisi), parti kurde interdit en Turquie en décembre 2009.
[8] Il ne s’agit pas de la laïcité républicaine française. La laïcité est un principe politique introduit en Turquie par Atatürk, le « Père de la nation » dans les années vingt du vingtième siècle. Elle sépare l’Etat et la politique de la religion, en l’occurrence principalement musulmane, et relègue celle-ci à la sphère privée. Cette idée a fait mouche auprès des minorités turques (ici, les Kurdes) car elle est garante d’égalité devant la loi, et elle a passé la frontière syrienne avec eux.
[9] Une population kurde ou parlant le kurde peu nombreuse, qui vit principalement au nord de l’Irak et dans les alentours et qui fut l’objet d’exactions par le régime de Saddam Hussein puis de Daesh, toujours potentiellement réprimée, adeptes d’une religion orthpraxique (où ce qui compte sont les gestes, les rituels et leur exactitude) et syncrétiste d’origine préislamique. Par leur organisation sociale et la manifestation d’une religion polymorphe aux apports religieux historiquement très divers, les Yazidis font penser aux cultures de l’Inde. En grande partie musulmans sunnites, les Yazidis répondent aussi à d’autres croyances et ont associé à la leur des apports divers, dont ceux du chiisme, du zoroastrisme et de la religion chrétienne. Ils sont d’ailleurs pris tour à tour pour des adeptes de chacune de ces dernières, selon ce que chacun voulait y voir. Ils vénèrent sans contradiction et selon le choix de chacun en principe plusieurs divinités qui ont trait à d’autres religions. Leur panthéon, comme celui de l’hindouisme, adopte facilement tout dieu étranger. La place centrale entre les divinités est tenue par un ange « paon ».
[10] Le PYD (pour Partiya Yekîtiya Demokrat), un parti socialiste démocratique.
[11] Jazira ou Cizîrê.
[12] « The dream of a national homeland is one that all Kurds share, no matter where they currently live. For the past century—ever since World War I brought about the collapse of the Ottoman Empire and the subsequent creation of new nation-states that excluded Kurdish aspirations—they have yearned in vain. Yet now circumstances have conspired to bring the Kurds—or some of them, at least—closer to achieving a workable state than at any other time in recent memory. » Christian Caryl dans « The Kurds Are Nearly There », The New York Review of Books, le 8 décembre 2016, pp. 42-46, p. 42.