Martin Carbonell revient ici sur les bilans et la conjoncture actuelle de la « Révolution citoyenne » en Equateur. Militant écologiste dans ce pays, un temps porte-parole du mouvement « Yasunidos », ce politiste et chercheur spécialiste des droits humains livre ici un panorama particulièrement critique et loin des images d’Épinal d’une expérience politique parfois présentée par une partie de la gauche française comme un exemple international à suivre.
Alianza País, le parti de Rafael Correa, le parti de la « Révolution Citoyenne », au pouvoir depuis 10 ans en Équateur, se trouve au bord de l’explosion. Il contrôle encore toutes les branches du pouvoir d’État, et le style autoritaire de Correa à la présidence du parti comme du pays a maintenu l’organisation soudée malgré la crise économique et une popularité toujours décroissante. Mais Rafael Correa se trouve aujourd’hui en guerre ouverte contre le nouveau gouvernement de Lenín Moreno, son héritier malgré lui.
De manière générale, cette transition politique devait incarner le « changement dans la continuité ». Le changement devait être assuré par Lenín Moreno et la continuité par son vice-président, Jorge Glas. Or le conflit public entre les deux ne s’est pas fait attendre. Bien qu’il soit encore vice-président, le 3 août 2017, Jorge Glas a vu toutes ses fonctions annulées et, depuis le 2 octobre, il est en détention provisoire pour ses liens avec une possible affaire de corruption (voir plus loin). Ainsi, bien qu’il soit en prison, il est encore Vice-président mais ne peut plus agir au nom du gouvernement. Ces mesures énergiques ont donné à Lenin Moreno un taux d’approbation estimée par les sondages autour de 76%.
Rafael Correa s’est rapidement rangé du côté de Jorge Glas et a qualifié Lenín Moreno de traître et d’homme déloyal. L’ex-président habite en Belgique depuis le mois de juillet 2017 et il passe son temps à attaquer le nouveau gouvernement sur Twitter et Facebook.
Comment est-ce qu’un parti qui se prétendait monolithique sous la direction de Correa a pu arriver au bord de la rupture ? Comment est-ce que l’ex-président, qui contrôlait tous les pouvoirs de l’État, a pu se retrouver confiné à Twitter et Facebook ? Pourquoi l’héritier d’un gouvernement supposément populaire devient lui-même populaire en attaquant ses prédécesseurs ? Peut-il y avoir coexistence entre un président et un vice-président publiquement ennemis tout en appartenant au même parti ?
La réponse à ces questions se trouve principalement dans trois éléments du conflit : l’aveu public de Lenín Moreno quant aux « vrais » chiffres de l’économie, les révélations de corruption concernant le gouvernement de Correa, et la politique d’ouverture et de « dialogue » avec les anciens adversaires du régime. Cependant, avant d’entrer dans ce labyrinthe, il faut tout d’abord répondre à une question fondamentale…
Jorge Glas était l’héritier légitime du régime. Il est l’ami personnel de Rafael Correa depuis leur jeunesse, lorsqu’ils étaient tous les deux scouts dans un lycée catholique de garçons de la bourgeoisie de Guayaquil.
Il est ingénieur électrique de formation et a longtemps travaillé à la télévision. Avant de devenir membre du gouvernement Correa, il était le PDG de l’entreprise TV Satelital, où il était aussi présentateur d’une émission d’analyse économique. Avec Correa, il a rapidement grimpé les échelons de l’administration publique : entre 2007 et 2009 il a été le directeur et PDG du « Fonds de Solidarité », entité publique en charge de plusieurs entreprises d’État d’électricité et télécommunications. Puis, entre 2009 et 2010, il a été le Ministre des Télécommunications. Et, en 2010 il est devenu le Ministre Coordinateur des Secteurs Stratégiques. Sous le gouvernement Correa, les Ministres Coordinateurs étaient des « super-Ministres », où celui des Secteurs Stratégiques était en charge du secteur pétrolier, minier, hydroélectrique et des télécommunications, entre autres, c’est-à-dire du cœur de l’économie du pays.
A ce poste, il est devenu l’homme le plus important du régime, après le président lui-même. En 2013, il devient le binôme de Correa pour les élections présidentielles, succédant ainsi à Lenín Moreno à la Vice-présidence. Il reste néanmoins en charge des secteurs stratégiques tout au long de son nouveau mandat. Quant à Lenín Moreno, il a minutieusement été écarté du pouvoir. Il a été envoyé à Genève, en tant qu’Envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations Unies sur le handicap, avec tout de même un salaire de 1,6 millions de dollars sur trois ans, payé par le gouvernement équatorien.
En tant que vice-président, l’importance médiatique de Jorge Glas a été très entretenue et renforcée. Notamment, il remplaçait Correa lors de ses tristement célèbres « adresses télévisées hebdomadaires », détestées par une large partie de la population. Dans ses discours, on y voyait la volonté d’imiter l’image de Correa : sa manière de parler, sa manière de s’habiller, sa manière d’attaquer la gauche et les mouvements sociaux. Après que Correa ait renoncé à la réélection, Jorge Glas est informellement choisi comme l’héritier du régime.
Mais comme il sera expliqué plus tard, les premiers indices de corruption et sa manière grossière de ressembler à Correa, ont fait de lui la personne la plus impopulaire du régime. Il a été parfois même comparée à Vladimiro Montesinos, homme politique mafieux et conseiller de l’ombre pendant les années Fujimori au Pérou. Bien que la comparaison se tienne, Jorge Glas a été tout sauf dans l’ombre. Aujourd’hui, il incarne l’ancienne présidence de Rafael Correa dans le gouvernement de Lenín Moreno. C’est ce clivage, entre Lenín Moreno d’une part, et Rafael Correa et Jorge Glas de l’autre, qui caractérise la dérive fratricide de la « Révolution Citoyenne ».
Le 11 juillet 2017, lors d’un message présidentiel à la télévision nationale, Lenín Moreno annonce les « vrais chiffres » de l’économie. Il déclare que le pays se trouve dans une situation économique « extrêmement difficile », tout en précisant qu’il a « hérité d’un grave endettement [économique] ». Cette annonce est logiquement d’une portée politique majeure.
Depuis au moins la fin de 2014, le gouvernement avait commencé à avoir de sérieux problèmes pour couvrir les dépenses de l’État. Or l’exécutif de Rafael Correa a vivement défendu qu’il n’y avait pas de crise économique. Faisant appel à la valeur symbolique de son doctorat en économie, le président avait déclaré en janvier 2016 que « académiquement, [le pays] n’est pas en crise ». Et lors de la passation du pouvoir à Lenín Moreno, ils ont annoncé conjointement qu’économiquement parlant, « la table est servie ».
Tout le monde était au courant que la situation économique nationale était beaucoup plus grave que ce que le gouvernement laissait entendre avec des chiffres officiels. Surtout parce que le gouvernement de Rafael Correa a utilisé tous les outils statistiques possibles pour présenter des chiffres économiques positifs. En particulier, deux formes d’améliorer les statistiques ont été utilisées : soit compter d’autres choses et les présenter comme analogues aux statistiques antérieures, soit, tout simplement, truquer les chiffres. Cela fut notamment le cas des chiffres du chômage.
Le principal débat aujourd’hui est autour des chiffres de la dette, modifiés pour cacher le surendettement du pays. En 2009, la dette nationale s’élevait à 7 milliards et demi de dollars, soit 14,6% du PIB. Depuis, elle a augmenté drastiquement et le gouvernement de Correa insistait qu’elle était en dessous du 40% du PIB, la limite légale d’endettement de l’État. Mais pourquoi le débat sur les « vrais chiffres » de la dette a-t-elle une telle importance politique ?
Premièrement, le payement de la dette est devenu une des principales dépenses de l’État : alors qu’en 2006 le payement de la dette correspondait à 24% du budget annuel de l’État, en 2016, le gouvernement a dépensé plus de 12milliards de dollars pour payer la dette, autour de 39% du budget annuel ; c’est-à-dire presque le double des dépenses en éducation et santé ensemble un peu moins de 7 milliards de dollars), une politique pas très « socialiste » de la part de la « Révolution Citoyenne ».
Deuxièmement, l’endettement massif est la cause directe de la désastreuse gestion économique du gouvernement de Correa, de laquelle la classe travailleuse paye aujourd’hui l’addition. Avouer le surendettement aurait été avouer l’échec de leur politique économique. C’est pour cela que le Ministère de Finances ne comptait pas les dettes du gouvernement envers l’Institut Équatorien de Sécurité Sociale (entité mixte autonome en Équateur, appartenant aux adhérents de la sécurité sociale, mais financée partiellement par l’État), qui s’élevaient à plus de 3 milliards et demi de dollars, ni la dette envers la Banque Centrale de l’Équateur (également indépendante) de 5 milliards 867 millions, ni les ventes anticipées de pétrole et la dette envers des fournisseurs pétroliers (pour presque 4,5 milliards de dollars), ni les crédits internationaux à court terme, entre autres…
C’est dans ce contexte que Lenín Moreno a annoncé, en juillet, que la dette publique n’était pas de 28 milliards de dollars, comme l’affirmait le dernier rapport du Contrôleur Général des Finances Publiques, le corréiste Carlos Pólit, mais de 58 milliards ! C’est-à-dire autour de 60% du PIB.
Une telle politique économique est contraire au discours de Correa et de son parti Alianza Pais. Mais, si l’on se penche sur le détail, cela est en accord avec la tendance générale de la politique économique et financière des dernières années, lorsqu’ils ont mené un réalignement avec l’orthodoxie économique internationale.
Comme on l’a vu, l’endettement massif de l’Etat est devenu un problème structurel de la gestion économique de la « Révolution Citoyenne ». Mais, surtout depuis ces dernières années, l’endettement s’est fait sous des conditions de plus en plus draconiennes.
Une des premières mesures et une des mesures les plus célébrées de la gauche latino-américaine et européenne a été la déclaration comme illégale d’une partie de la dette externe du pays et la renégociation d’une autre partie de celle-ci. Alors qu’en 2006, au début du gouvernement de Rafael Correa, la dette correspondait à 32% du PIB (soit 14,5 milliards de dollars), en 2009, la dette externe s’était réduite à $ 7.5 milliards, soit 14,6% du PIB. Ces mesures ont été très polémiques dans les cercles financiers internationaux, ce qui a provoqué une montée du « risque pays » (mesure controversée de mesure du risque de défaut d’un pays) et l’éloignement des sources traditionnelles de financement international. C’est au même moment que s’opère le rapprochement avec la Chine, une économie en besoin de matières premières et de marchés productifs pour les intérêts de leur capital financier.
Le pétrole est la principale exportation de l’Équateur et entre 2010 et 1014, le prix du pétrole a eu un prix historiquement très élevé, en moyenne en dessus de $80 et parfois même au-dessus de $100 le baril. L’Équateur a commencé donc à faire des ventes anticipées de pétrole à la Chine, c’est-à-dire à recevoir du liquide contre des productions pétrolières futures pour un prix inférieur à celui du marché, puis à emprunter directement du liquide à des taux d’intérêt plus élevés que ceux des institutions financières traditionnelles, mais sans bénéfice d’inventaire. Autrement dit, pendant cette période, Correa a utilisé le prix élevé du pétrole comme une forme de garantie des prêts faits à la Chine. Mais à partir de juillet 2014, comme il était prévisible, le prix du pétrole a chuté et le gouvernement n’a plus eu la capacité de payer son endettement croissant.
Alors, la chute du prix du pétrole liée au ralentissement de l’économie chinoise, combinée à l’incapacité de payement, a fait à ce que les sources de financement internationales deviennent de plus en plus rares. Ceci est à l’origine de l’augmentation des taux d’intérêt imposés à l’Équateur et que le gouvernement a accepté. En 2014, le gouvernement a placé 2 milliards de dollars en obligations sur 10 ans, à un taux d’intérêt de 7,95%, ce qui est déjà assez élevé sur les marchés internationaux. Puis, en 2015, se sont $750 millions de dollars qui sont placés à 5 ans, avec un taux d’intérêt de 10,5%. Enfin, en 2016, des obligations pour 2 milliards ont été placées pour 6 ans à 10,75%. À ce moment-là, cela correspondait à l’émission de dette la plus chère du monde.
La dégradation des conditions de l’endettement a poussé à Rafael Correa à se réaligner avec l’orthodoxie économique internationale. Allant à l’encontre de son discours anti-impérialiste et contre les entreprises transnationales, il s’est alors rapproché du FMI et a payé des sommes mirobolantes à des entreprises pétrolières transnationales, entre autres.
Dans un discours à l’Université Technique de Berlin, le 16 avril 2014, Rafael Correa a déclaré que « le FMI est le chien de garde du capital financier », faisant écho à ses attaques antérieures contre les institutions financières internationales. Pourtant, en 2016, l’Équateur a contracté des prêts à hauteur de $660 millions à la Banque Mondiale, la Banque Interaméricaine de Développement, et la Corporation Andine de Développement. Puis, en juillet 2016, après de longues négociations de très bas profil, l’Équateur est revenu au système FMI et a reçu un prêt de $364 millions de leur part.
Dans le même sens, en 2014, le gouvernement de « gauche » de la « Révolution Citoyenne » a fait un échange d’or avec la banque Goldman Sachs pendant trois ans pour une valeur de $579,8 millions. Cette opération, pour des raisons évidentes, a été très peu promue par le régime.
Ce changement de source de financement n’est pas sans coûts, ni sans conséquences. Avant ce retournement, l’Équateur obtenait des prêts avec des taux d’intérêt élevés ou effectuait des ventes anticipées de pétrole pour des prix bien en dessous du prix du marché. Ce sont des opérations qui ont un coût monétaire très fort, avec un coût politique très bas et sans autres conditions que le payement de la dette et ses intérêts. Par contre, le retour au système financier international traditionnel s’est fait sous des conditions différentes, comme le fait de laisser le FMI évaluer les comptes de l’État ou de reconnaître publiquement les dettes envers des entreprises transnationales, avant d’approuver n’importe quel prêt ; choses que le gouvernement de Rafael Correa a fait sans hésiter.
Jusqu’en 2015, l’Équateur a fait face à 25 procès pour un total de 11 milliards de dollars contre un tas d’entreprises transnationales devant le Centre International pour le Règlement des Différends Relatifs aux Investissements (CIRDI), qui fait partie de la Banque Mondiale, et la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (CNUDCI). Même si le gouvernement a payé 160 millions de dollars à des cabinets d’avocats spécialisés en arbitrage international pour le défendre, le pays a perdu la plupart de ces procès. Pour faire plaisir à ses nouveaux partenaires financiers, le gouvernement a reconnu les condamnations et a réalisé plusieurs des payements.
Les cas les plus notables sont ceux des entreprises pétrolières : Occidental, à laquelle le pays a payé 980 millions ; Schlumberger (entreprise d’origine française) pour 870 millions ; Burlington et Perenco (française) pour 800 millions environ; et Chevron pour 112 millions.
Ce dernier cas est très révélateur, puisque depuis des décennies plus de 30 000 habitants de l’Amazonie équatorienne poursuivent l’entreprise pour la contamination des eaux et des violations de droits de l’homme. Une décision de la justice équatorienne obligeait l’État à transférer tout capital de Chevron aux victimes, mais le gouvernement a quand même honoré ses dettes vis-à-vis de Chevron. En raison de la médiatisation de ce cas, en août 2016, Rafael Correa lui-même a dû défendre le payement en affirmant que s’ils ne payaient pas, le pays allait « faire faillite ».
Ce retour au système financier international s’est fait pour que l’Équateur puisse prétendre accéder à un financement moins cher et à plus long terme, mais les résultats attendus par Alianza País sont inexistants. En janvier 2017, de nouvelles obligations, pour une valeur de 1 milliard de dollars, ont été émises pour 9 ans à un taux de 9,1%.
Sachant l’incapacité de continuer à s’endetter sous ces conditions et l’urgence de prendre des mesures concrètes, Lenín Moreno a annoncé, seulement 5 jours après le début de son mandat, que l’Équateur va essayer de renégocier les taux d’intérêt et les termes de quelques opérations. De même, il a déclaré qu’ils « auront recours à n’importe quelle instance nécessaire pour refinancer cette dette ». Le nouveau Ministre de Finances, Carlos de la Torre, a essayé de rassurer les marchés financiers internationaux et les entreprises transnationales : « l’Équateur maintiendra le strict respect de ses engagements internationaux acquis ».
Début septembre, De la Torre a annoncé que l’Équateur cherche à « renforcer [sa] présence dans les principaux espaces de coopération financière et économique internationale », et a discrètement voyagé aux États-Unis pour se réunir avec la Banque Mondiale, le FMI, la Banque Interaméricaine de Développement, et la Corporation Andine de Développement. Par conséquent, fin octobre / début novembre 2017, le FMI a prévu une visite de deux mois à Quito pour « vérifier les comptes nationals ». La mission fera un rapport dit « informatif », qui n’aura pas pour objectif d’établir des lignes de crédit. Cependant, il servira pour « renforcer la confiance des agents économiques », donc améliorer les conditions d’accès au crédit avec des sources traditionnelles de financement international. Cela devient de plus en plus urgent, puisque le gouvernement a un déficit fiscal de 3 500 millions de dollars pour 2017 et un déficit fiscal prévu de 6 milliards pour 2018.
L’impact de ce retour à l’orthodoxie financière internationale pourra être mesuré en analysant les conditions des nouvelles obligations, notamment avec la demande récente de prêt faite au Fond Latino-Américain de Réserves (FLAR), pour 650 millions de dollars sur 2 ans, dont les conditions seront publiques début octobre 2017.
En plus de la crise économique, la corruption est devenue un des facteurs décisifs dans le débat politique de l’Équateur. Bien avant les événements récents, des scandales de corruption ont marqué l’actualité politique, surtout depuis le début de 2016, avec le cas de Petroecuador et Odebrecht, de portée internationale.
Avant que ce dernier n’éclate en Amérique Latine, les « Panama Papers » avaient déjà dévoilé, au début de 2016, comment les autorités de la compagnie pétrolière nationale Petroecuador, des « hommes de confiance » du Vice-président Jorge Glas, avaient des comptes millionnaires dans des paradis fiscaux. En fait, cela ne faisait que confirmer un secret de Polichinelle maintes fois dénoncé par des organisations de la société civile, notamment la Commission Civique Anticorruption. Ses membres ont pourtant été condamnés pour calomnies contre le Contrôleur Général des Finances Publiques, Carlos Pólit, pour avoir précisément dénoncé ces irrégularités. Aujourd’hui, il y a un mandat d’arrêt contre ce dernier pour avoir lui-même accepté des pots-de-vin. Polit est actuellement réfugié à Miami.
Alors que le gouvernement a tout fait pour faire taire le scandale de Petroecuador, le nom de Jorge Glas a été cité dans plusieurs témoignages et parmi plusieurs preuves. La popularité du gouvernement et surtout celle du vice-président s’est vue très affectée par cette médiatisation tout au long de l’année 2016.
Le cas Petroecuador fut l’avant dernier des grands scandales de corruption précédant les élections générales de février 2017. A moins de deux semaines du début de la campagne électorale, le 21 décembre 2016, le Département de Justice des États-Unis a annoncé que l’entreprise de construction brésilienne Odebrecht a dépensé plusieurs centaines de millions de dollars en pots-de-vin dans tout le continent pour s’assurer des contrats de construction. La compagnie a très vite avoué ses torts et a déclaré qu’elle aurait distribué en Équateur pas moins de 33,5 millions de dollars à des autorités publiques pour bénéficier de contrats pour un montant supérieur à 5 milliards de dollars (soit plus ou moins 5% du PIB). Même si les pratiques de corruption d’Odebrecht datent des années 1980, la plupart des pots-de-vin ont été distribués pendant le gouvernement de Rafael Correa, pour la construction de barrages électriques, de pipelines, d’autoroutes, et du nouveau métro de Quito, entre autres. Or, il se trouve que le responsable des secteurs stratégiques pendant cette période était, ô surprise, Jorge Glas, candidat à la vice-présidence avec Lenín Moreno.
La composition du binôme Moreno-Glas a été objet de débat au sein de AP et de la société civile en général. Avant tout, il faut comprendre que Alianza País n’a jamais été un parti monolithique et qu’à l’intérieur se trouvent plusieurs tendances politiques, du centre gauche jusqu’à la droite pure et dure, de même qu’on y trouve plusieurs groupes d’intérêt sans idéologie politique bien définie. Cela est dû principalement au fait que ces 10 ans de gouvernement de Rafael Correa ont vu la rentrée de quantités sans précédent de capital, particulièrement issu de la rente pétrolière. Différents groupes en compétition à l’intérieur de l’État se sont donc formés, visant à capter cette rente pétrolière, tant pour leur bénéfice propre comme celui de leurs partenaires dans le secteur privé.
Sous le gouvernement de Rafael Correa, ces tensions internes pouvaient coexister, sans qu’elles se manifestent dans le débat électoral. Cependant, quand sous la pression populaire et par pur pragmatisme, la candidature de Correa à un troisième mandat a dû être – temporairement ? -– écartée, les luttes intestines du régime ne pouvaient plus être dissimulées.
De son côté, dans son exil doré à Genève, Lenín Moreno est resté éloigné des grands scandales, tout en étant encore associé aux politiques publiques en faveurs des personnes handicapées mises en place à l’époque où il était vice-président (lui-même étant handicapé moteur). En conséquence, avant les élections, il était le seul cadre de Alianza País dont les sondages montraient qu’il pouvait gagner les élections face à n’importe quel autre candidat. C’est pour cette raison que Jorge Glas, le gardien du temple, a finalement été est choisi comme candidat à la Vice-Présidence. Un choix validé par Lenín Moreno alors qu’il connaissait parfaitement le passé sulfureux de Glas. Cette configuration était perçue, bien avant qu’elle ne soit officielle, comme la seule manière de maintenir les choses telles qu’elles étaient. De plus, des rumeurs permettaient de comprendre la stratégie du parti sur le moyen terme : Lenín Moreno serait victorieux lors des élections, avant de démissionner six mois après pour des raisons de santé, tandis que Jorge Glas deviendrait le Président jusqu’en 2021. A ce moment-là, Correa pourrait revenir dans le jeu politique et présider l’Equateur pour encore plusieurs mandats.
C’est dans ce contexte et avec ces perspectives que commence la campagne présidentielle des candidats du régime, face à une droite renforcée par le mécontentement généré par la corruption et la crise économique, mais sans une véritable base militante ou populaire.
Pour les élections, les partis à la gauche de Alianza País étaient trois : le Pachakutik (parti indigène), Unidad Popular (parti de tradition maoïste), et Izquierda Democrática (gauche libérale). Au dernier moment, ils ont réussi à présenter un candidat unique à la présidence, l’ex Général Paco Moncayo, ancien maire de Quito avec Izquierda Democrática. Mais ils se sont présentés séparément pour l’élection parlementaire… Ses résultats ont été bien maigres : Moncayo n’arrive qu’en quatrième place avec 6,71% des voix, et ils obtiennent 8 sièges sur 137 à l’Assemblée Nationale.
Pendant la campagne électorale, après les révélations du cas Odebrecht, la stratégie officielle a été double. En premier lieu, la chose évidente à faire a été d’écarter Jorge Glas de n’importe quelle scène publique, puisqu’il était devenu le personnage le plus contesté de l’administration d’Alianza País. En deuxième lieu, les hautes personnalités du gouvernement l’ont défendu publiquement, Rafael Correa et Lenín Moreno inclus, assurant les électeurs de son honnêteté et de ses valeurs « révolutionnaires ».
Contre vents (la corruption) et marées (la crise économique), le binôme a gagné les élections au deuxième tour, avec des difficultés (51,16% des suffrages) et au milieu d’accusations de fraude, tandis que Alianza País a conservé la majorité simple à l’Assemblée (74 sur 134 sièges). Même si le parti a maintenu le contrôle de toutes les branches de l’État, les tensions internes à Alianza País et des événements externes ont fait que le gouvernement a éclaté de façon imprévue.
Quelques détentions relatives au cas Odebrecht avaient déjà eues lieu sous le gouvernement Correa, notamment celle de l’ex-Ministre de l’Électricité, Alecksey Mosquera, et d’un conseiller du Maire de Quito (de l’opposition de droite), utilisés comme boucs émissaires. Alors que Alecksey Mosquera a été arrêté, il a quand même été défendu par Correa sur la télévision nationale. De plus, pendant cette période, d’autres mandats d’arrêt ont été émis contre plusieurs autorités gouvernementales, particulièrement des personnalités politiques liés au cas Petroecuador, dont l’ex-Directeur de Petroecuador, Alex Bravo et l’ex-Ministre d’Hydrocarbures, Carlos Pareja Yannuzzelli. Ce dernier vient de se rendre à la justice en Équateur, alors qu’il s’était enfui aux États-Unis. Il a déclaré que c’était l’ancien Procureur lui-même, Galo Chiriboga, qui l’a appelé le jour précédent son arrestation pour lui dire de s’enfuir. Aujourd’hui, Chiriboga a lui-même un mandat d’arrêt sur le dos pour ce scandale, parmi d’autres.
Mais la plupart des révélations et des détentions liées à l’affaire Odebrecht ont eu lieu après la passation du pouvoir à Lenín Moreno, le 24 mai 2017. Presque en même temps, le nouveau Procureur, Carlos Baca Mancheno, entre en fonctions, qui avait été jusqu’à ce moment-là le conseiller personnel de Rafael Correa. Au premier abord, tout était en place pour bien refermer la boîte de Pandore de l’affaire Odebrecht. Néanmoins, cette enquête est avant tout une enquête brésilienne, et les répercussions en Équateur dépendent de l’information et du calendrier du système judiciaire brésilien. Le gouvernement équatorien ne pouvait pas contrôler tout ce que l’opinion publique pouvait apprendre par la presse internationale. Face à l’imminence des révélations de la justice brésilienne, le Procureur change d’attitude : il voyage au Brésil le 30 mai, accorde une remise confidentielle de l’information, et à l’aube du 2 juin des perquisitions ont été menées en Équateur et plusieurs personnes ont été arrêtées, dont l’oncle de Jorge Glas, son prête-nom.
Depuis, des mandats d’arrêt ont été émis contre l’ancien secrétaire au Trésor Carlos Pólit, l’ancien Procureur Galo Chiriboga (arrêté à l’aéroport avant de s’enfuir en Colombie), et d’autres hauts fonctionnaires de Petroecuador. Évidemment, il faut constater que plusieurs des hauts fonctionnaires de la « faction » de Moreno ont leurs propres affaires à cacher. Néanmoins, Lenín Moreno s’est allié au nouveau Procureur et a su profiter de l’impopularité de ses adversaires au sein d’Alianza País, pour asseoir une légitimité propre.
Désormais, la lutte pour le contrôle de l’État est une guerre de positions entre des factions rivales à l’intérieur d’un parti plus semblable à une mafia qu’à un parti de gauche. Par exemple, la fuite de Carlos Pólit a provoqué une lutte dramatique dans les coulisses du pouvoir pour décider de qui serait le nouveau secrétaire au Trésor suppléant, poste clé, car ayant accès à plusieurs dossiers en cours. Pablo Celi, conseiller de Carlos Pólit, a finalement assumé le poste et « prêté serment » à Lenin Moreno. Mais aussitôt l’Assemblée Nationale a annoncé l’ouverture d’un procès politique contre Celi, pour avoir réalisé un audit de la dette par le passé…
Jorge Glas est depuis le 2 octobre en détention provisoire en attendant que les enquêtes sur le cas Odebrecht ne finissent, pour être éventuellement accusé formellement en justice. Cependant, n’importe quelle accusation devant un juge de la part du Procureur sera rapidement écartée, puisque le pouvoir judiciaire est encore contrôlé par la faction corréiste, grâce au Conseil de la Magistrature.
Le Conseil de la Magistrature est ainsi un des champs de bataille les plus récents. Institution très critiquée, elle a servi pour renvoyer les juges opposés au gouvernement et discipliner le reste. Depuis 2011, ce Conseil est dirigé par Gustavo Jahlk, ami proche de Correa, et ancien Ministre de la Justice et de l’Intérieur. Professeur universitaire et intellectuel renommé, il a étudié en France, à l’Université de Paris I – Panthéon Sorbonne. Pendant son administration, la coopération avec la France en matière judiciaire a été renforcée. Or, comme l’ont confirmé les dernières filtrations de ses mails personnels, c’est à travers lui que Rafael Correa en personne a dicté comment devraient se prononcer les juges dans des affaires stratégiques pour Alianza País.
Bien évidemment, cette filtration répond parfaitement aux besoins de Moreno. Elle a accéléré la chute de popularité de Jahlk et du Conseil de la Magistrature, clé de voûte de la structure corréiste de l’État. Si Moreno veut poursuivre en justice ses anciens alliés, il est impossible de le faire sans contrôler le Conseil de la Magistrature.
Cet imbroglio et ces luttes de palais montrent une chose : l’État équatorien se trouve aujourd’hui divisé entre, au moins, deux factions d’Alianza País, et cette guerre de positions ne se fait plus seulement pour capter et gérer la rente pétrolière, mais de plus en plus afin de pouvoir contrôler des positions clé dans l’appareil d’Etat qui puissent permettre « d’orienter » ou freiner les enquêtes judiciaires en cours pour corruption. Logiquement, cet affrontement ne se mène pas seulement autour des cas les plus médiatisés (Petroecuador et Odebrecht), mais en fait, plutôt autour de ceux qui ne sont pas encore rendus publiques, notamment les contrats avec l’entreprise pétrolière chinoise Petrochina.
Il est également notable de constater que ce conflit a lieu aussi sur Internet. Il est démontré que le gouvernement, à travers les frères Alvarado, hommes forts du régime, payait des compagnies de marketing pour attaquer des opposants sur la Toile. En Équateur, ces groupes à la solde du gouvernement sont connus comme des « Troll Centers », et il ne serait pas exagéré de les considérer comme une branche à part entière du gouvernement. L’opinion publique assumait qu’une fois Correa hors de la Présidence, soit ils allaient se mettre en retrait ou défendre Moreno. Pourtant, aujourd’hui les « Trolls Centers » semblent être rangés du côté de Correa, contre le nouveau gouvernement. Le gouvernement Moreno essaye donc de contrôler les réseaux sociaux, mais la tâche s’est révélée plus ardue que prévu. Correa et Glas ont donc trouvé une niche sur internet, appuyés par des bataillons de « trolls ». C’est ceci qui explique l’intense activité de l’ex-président sur tweeter et Facebook, depuis sa maison en Belgique.
L’Équateur a vu ces dernières années des mobilisations collectives contre la politique du gouvernement de la part des syndicats, du mouvement indigène, écologiste et féministe. Or ces mouvements se trouvent aujourd’hui sans initiative face à la crise du gouvernement de Lenín Moreno. Cela est dû principalement au degré de décomposition de la gauche et des organisations sociales de base après dix ans de « Révolution Citoyenne ». La persécution des voix de gauche critiques au gouvernement s’est faite de manière systématique, alors que la droite était un ennemi utile et avec lequel le gouvernement était de plus en plus d’accord.
Après la grève nationale d’août 2015, les mouvements de gauche, surtout les organisations indigènes et les syndicats, se sont renforcés. Mais ils n’ont pas réussi à se délier du jeu démocratique bourgeois, alors que les ponts avec Rafael Correa ont été complètement coupés. Même s’ils reconnaissent qu’il ne faut plus rien attendre du pouvoir électoral, ils le justifient par le fait qu’il était aux mains de Alianza País. L’ennemi commun était devenu le gouvernement à travers la figure de Correa et non pas le régime dans son ensemble. Tout en affirmant le besoin d’un changement structurel de la société, ils n’ont pas réussi à faire émerger une alternative démocratique à la droite et au gouvernement, ni à recréer un nouveau militantisme anticapitaliste de masse. Par conséquent, lors des élections présidentielles de 2017, ils se sont retrouvés à attendre et observer passivement les développements de la campagne.
Maintenant que Lenín Moreno est président, les mouvements sociaux savent que son gouvernement n’est pas en position de négocier des politiques sociales ou économiques concrètes. Alianza País contrôle toutes les fonctions de l’État, mais la faction de Moreno contrôle seulement l’exécutif, et d’une manière plutôt conjoncturelle le Contrôleur des Finances Publiques et, jusqu’à un certain point, le Procureur, après des manœuvres de palais.
L’Assemblée Nationale, dont le Président est l’ex-Ministre de l’Intérieur de Correa, attend encore pour se ranger du côté de la faction victorieuse, bien qu’il y ait des signes qu’elle a déjà fait son choix. Le 22 juin 2017, Jorge Glas a comparu devant l’Assemblée pour le cas Odebrecht, pourtant cette déclaration s’est rapidement transformée en meeting d’Alianza País. Mais après les dernières révélations du scandale et une pression sociale croissante, l’Assemblée a dû céder et, le 25 août 2017, elle a levé unanimement l’immunité de Jorge Glas et a donc permis que le Procureur puisse l’accuser pénalement. De plus, La Commission de Participation de l’Assemblée s’est rangée au côté de Lenin Moreno sur l’organisation d’un possible référendum sur plusieurs thèmes.
Dans ce contexte, Lenín Moreno a peu de marge de manœuvre. Il a donc lancé un « dialogue national », une façon de tendre la main aux groupes déclarés ennemis de Correa, dont la gauche, avec lesquels Moreno pense pouvoir asseoir des bases propres, et ainsi gagner une légitimité. D’une certaine manière, il a réussi, puisque sa popularité est aujourd’hui autour de 70%, mais il sait que la guerre ne fait que commencer et que ses positions sont toujours vulnérables.
De fait, ces dialogues ne sont qu’un écran de fumée. Alors qu’il discute avec tout le monde, qu’il fait des déclarations dénonçant la corruption et la mauvaise gestion économique, qu’il demande pardon aux indigènes pour la violation de leurs droits et territoires, aucune politique concrète n’a encore été faite à cet égard. Les quelques procès pour corruption sont stratégiquement dirigés, les réformes économiques annoncées concernent la flexibilisation et la libéralisation, des dizaines de dirigeants indigènes sont encore en prison, et l’expansion de la frontière pétrolière et minière a été maintenue. De toutes façons, Jorge Glas et Rafael Correa ont vivement critiqué ces rapprochements avec leurs anciens ennemis. Spécifiquement, à cause des dialogues avec la Confédération des Nationalités Indigènes de l’Équateur (CONAIE), Correa a immédiatement qualifié Lenín Moreno de « traitre », « déloyal » et « médiocre ».
De la même manière, le gouvernement a commencé des dialogues avec le grand patronat et la banque. Cela lui a valu de fortes critiques de la part des corréistes, bien que le gouvernement antérieur était déjà très proche de franges du secteur privé, surtout avec la banque. Moreno a commencé à céder sur quelques points exigés par le patronat, notamment la réduction des dépenses publiques et de la bureaucratie, le maintien de la dollarisation, et l’abandon du projet d’une monnaie électronique contrôlée par l’État. Cependant, ce sont des mesures jugées encore insuffisantes par la bourgeoisie nationale. Cette dernière exige les formules standard du néolibéralisme, soit une plus forte flexibilisation du travail, plus de privatisations, et la réduction des impôts (surtout ceux sur l’héritage et sur le revenu).
Après dix ans d’attaques et conflits, la gauche et les mouvements sociaux sont très sceptiques sur ce qu’un nouveau gouvernement d’Alianza Pais pourrait leur apporter. Selon Carlos Pérez, Président de la ECUARUNARI (Confédération Kichwa de l’Équateur), principale organisation indigène de la Confédération des nations indigènes de l’Equateur (la CONAIE) : « Nous donnons une opportunité au gouvernement pour qu’il fasse une analyse. On veut nos territoires, pas de pillage, on veut un moratoire sur l’extractivisme et il n’y aura pas de négociation là-dessus. Je pense que le dialogue est complexe, et très difficile, et on ne va pas se satisfaire de quelques friandises. »
Dans ce contexte, c’est le gouvernement qui a pris l’initiative. Le 19 septembre, il a officiellement annoncé un référendum sur plusieurs sujets. Cet éventuel référendum sera déterminant pour vaincre la guerre interne, mais il servira aussi pour prendre en main la situation avant que la mobilisation des gauches et de la base ne reprennent de la couleur.
De façon à se libérer des accusations d’instrumentalisation du référendum, la Présidence a ouvert à toute la population et aux organisations soiciales la possibilité de proposer des questions. De forme similaire à ce que Correa lui-même avait fait en 2011, Moreno va diluer les thèmes qui l’intéressent dans un référendum large, entre des questions variées, très populaires mais sans grande transcendance politique.
Les mouvements sociaux, le patronat, et les oppositions de gauche comme de droite sont tombés droit dans le piège. Les syndicats et autres mouvements ont même organisé des manifestations d’appui au référendum du gouvernement. Chaque secteur a donc proposé des questions sur lesquels interroger la population. Plus de 400 questions ont été envoyées à l’exécutif : droits des peuples indigènes, politique économique, commerciale et fiscale, exploitation pétrolière dans Parc National Yasuní, ou même lutte contre la corruption. Mais il n’existe pas d’agenda commun de la gauche et des mouvements sociaux, encore moins une articulation de l’action des mouvements anticapitalistes, de manière indépendante du rythme politique imposé par Moreno.
Rafael Correa, de son côté, s’est rapidement prononcé sur Twitter contre une telle consultation populaire. Et son parti, Alianza País, est fortement divisé sur ce sujet. Cependant, vu que la mesure est très populaire, avec beaucoup de réticence le bloc corréiste de l’Assemblée Nationale a décidé de se montrer favorable au vote, en espérant aussi pouvoir influencer les thèmes et la formulation des questions.
Le 2 octobre 2017, 7 questions ont finalement été envoyées par l’exécutif à la Cour Constitutionnelle pour examen de constitutionnalité. Comme en 2011, il y aura 5 questions « d’habillage » sur : la prescription de crimes sexuels, la prohibition de l’extraction minière dans des parcs naturels et zones urbaines, l’extension de la zone tampon autour du Parc National Yasuní, les impôts sur la plus-value, et l’augmentation des sanctions dans des affaires de corruption.
Pourtant, il y a deux questions vitales pour la survie politique du gouvernement de Moreno. La première concerne la révocation des membres du Conseil de Participation Citoyenne, institution constitutionnellement en charge de la désignation des autorités comme le Contrôleur des Finances, le Procureur, le Défenseur des Droits ou les membres du Conseil National Électoral et du Conseil de la Magistrature. S’emparer de ce Conseil de Participation signifie pouvoir écarter la faction corréiste de toutes les autorités de contrôle d’un seul coup. La seconde consultation transcendantale est celle portant sur la réélection présidentielle indéfinie, question destinée à s’assurer que Correa ne puisse plus se présenter à la Présidence de la République sans faire appel à une nouvelle Assemblée Constituante.
En conclusion, les résultats de ce referendum seront déterminants pour l’avenir immédiat de l’Equateur, surtout dans une situation où domine encore une certaine attente pragmatique de la part des dirigeants des mouvements sociaux et de la gauche quant au nouveau gouvernement et alors qu’aucune initiative de mobilisation populaire d’ampleur ne semble se montrer à l’horizon…