Marxisme, processus révolutionnaire et fondamentalisme islamique (2e partie)

Nous publions ici la seconde partie d’un article de Joseph Daher consacré aux rapports de la gauche aux mouvements fondamentalistes islamiques, à la lumière de la théorie marxiste. La première partie est à lire ici.

Joseph Daher est militant et universitaire. Il est fondateur du blog Syria Freedom Forever, auteur de plusieurs articles pour Contretemps (notamment sur la révolution syrienne), et d’un livre intitulé Hezbollah, The Political Economy of the Party of God (Pluto Press, 2016). Cet article est paru initialement dans International Socialist Review.

 

La géopolitique, le fondamentalisme islamique et les soulèvements populaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MOAN)

Les puissances impérialistes et régionales ont utilisé les fondamentalistes islamiques pour accroître leur influence et diminuer celle de leurs adversaires au Moyen-Orient. L’Iran a soutenu le Hezbollah au Liban et des organisations fondamentalistes islamiques chiites comme al-Da’wa en Iraq. L’Arabie saoudite a soutenu les FM jusqu’en 1991, puis divers mouvements salafistes après cette rupture. Le Qatar a remplacé l’Arabie Saoudite en tant que principal soutien des FM après 1991, tout en finançant d’autres organisations salafistes. Ces États capitalistes ne soutiennent pas les fondamentalistes pour des raisons religieuses, mais comme un moyen d’accroître leur pouvoir régional, d’affaiblir leurs adversaires, et de détourner ou de réprimer les mouvements sociaux démocratiques par en bas.

Par exemple, le Qatar a utilisé les FM lors des soulèvements populaires dans la région MOAN pour élargir son influence politique et économique dans la région. Ils ont perçu les FM comme une alternative sûre aux structures en décomposition des anciens régimes. Doha espérait remplacer les anciens dictateurs par un allié fondamentaliste pro-capitaliste. Le royaume du Qatar espérait stabiliser la région avec les FM et autres organisations fondamentalistes après les soulèvements populaires et élargir son rôle régional aux dépens des autres puissances du Golfe comme l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis (EAU). Ces rivalités expliquent d’ailleurs la récente campagne de Riyad pour isoler Doha.

Les puissances impérialistes ont également soutenu les mouvements fondamentalistes pour leurs propres objectifs. Les États-Unis étaient favorables à l’élection des FM au gouvernement en Egypte et en Tunisie au début des soulèvements populaires du MOAN, les considérant comme un moyen de stabiliser et de préserver l’ordre existant sous une nouvelle direction. Washington les voyait selon les termes de Giuseppe Tomasi di Lampedusa Tancredi dans son œuvre Le guépard : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ».

Les États-Unis espéraient que le mouvement des FM suivrait l’exemple précédent du Parti de la justice et du développement (AKP) de Recip Erdogan en Turquie. Le régime d’Erdogan est pro-capitaliste, collabore parfois avec l’impérialisme américain et ne le défie certainement pas de manière violente et reste un membre fidèle de l’OTAN. Mais l’AKP est différent des FM sur plusieurs éléments significatifs. Ce n’est pas un parti fondamentaliste islamique, mais conservateur, nationaliste et autoritaire. Ainsi, lors de ses premières années aux pouvoirs avant ses campagnes répressives après la récente tentative de coup d’État d’une fraction de l’armée, l’AKP a réussi à obtenir le soutien des certains secteurs libéraux et même de gauche dans la société pour ses efforts pour réduire le pouvoir de l’armée dans le pays.

L’AKP est également arrivé au pouvoir dans une situation non révolutionnaire et a pu, au moins pour un temps, établir une hégémonie politique plus stable sur le pays. Du fait de ces différences, les FM en Egypte et en Tunisie ont été incapables de remplacer les anciens régimes ou de gagner une forme d’hégémonie au sein des classes populaires. Néanmoins, il est significatif que les États-Unis considéraient les FM comme une solution possible pour stabiliser les États en Tunisie et l’Egypte menacés par la révolution.

 

Ni « islamo-fasciste »…

La montée du fondamentalisme islamique a conduit à de vifs débats entre les socialistes sur la manière de le caractériser et de se positionner vis-à-vis des mouvements qui s’en réclament. Certains socialistes comme le marxiste égyptien Samir Amin ont caractérisé les diverses tendances du fondamentalisme islamique, y compris les FM, comme des « islamo-fascistes ».

Amin affirme que le programme de l’Islam politique appartient au type de fascisme qu’on trouve dans les sociétés dépendantes. En fait, il partage avec toutes les formes de fascisme deux caractéristiques fondamentales : (1) l’absence de refus des aspects essentiels de l’ordre capitaliste (et dans ce contexte, cela ne conteste pas le modèle de lumpen-développement lié à l’extension du capitalisme néolibéral mondialisé) ; et (2) le choix de formes de gestion politique antidémocratique et policières, (comme l’interdiction des partis et des organisations et l’islamisation forcée de la morale).[1]

Cette définition est si générale qu’elle pourrait être appliquée à bon nombre de régimes autoritaires de la région, y compris les régimes soi-disant laïques, qui gèrent des économies rentières et défendent des politiques religieuses conservatrices. En tant que tel, cette définition n’est pas utile pour expliquer le fascisme ni le fondamentalisme islamique. Le fascisme est beaucoup plus spécifique que la définition qu’en donne Amin. Historiquement, le fascisme émerge dans la petite bourgeoisie pendant une période de crise sociale profonde. Il vise à protéger la classe moyenne contre les deux classes principales de la société capitaliste: celle liée au grand capital et la classe des salariés. Alors qu’elle peut adopter une rhétorique anticapitaliste à un moment donné, son objectif principal est de construire un mouvement de rue de masse pour écraser la classe des salariés et ses organisations, étouffer les libertés politiques en général et désigner comme bouc émissaire et / ou réprimer les populations opprimées.

Le fondamentalisme islamique n’est pas une forme de fascisme. Comme l’explique Gilbert Achcar,

« L’analogie avec le fascisme ne tient pas compte des différences majeures entre les deux courants et ne se concentre que sur certaines caractéristiques organisationnelles communes à des partis très différents basés sur les mobilisations de masses et l’endoctrinement, y compris la tradition stalinienne. Contrairement au fascisme historique, les FM n’ont pas émergé dans des pays impérialistes en réaction à un mouvement ouvrier contestant le capitalisme et afin d’incarner une version plus dure de l’impérialisme ».[2]

Par exemple, les FM en Égypte ont été fondés en 1928 en réaction à l’effondrement de l’Empire ottoman, à l’occupation britannique, à la propagation d’idéologies et organisations laïques et d’influences culturelles étrangères.[3] Les mouvements fondamentalistes islamiques chiites se sont propagés de Najaf, en Iraq, à travers un réseau transnational clérical avec l’objectif de s’opposer aux idéologies et organisations laïques et communistes. Ces éléments sont complètement différents du fascisme européen.

En outre, les mouvements fondamentalistes islamiques visent généralement à unifier la Ummah indépendamment des limites territoriales et ethniques. Ils font aussi référence et / ou veulent restaurer un système politique passé mystifié: le califat.[4] C’est en contradiction nette avec les mouvements fascistes, qui veulent définir la nation en termes ethniques et construire un nouvel ordre et une nouvelle civilisation.

Le fascisme est aussi une caractérisation inexacte des groupes djihadistes tels que l’EI et al-Qa’ida. Bien sûr, il s’agit de groupes violents, confessionnels, dotés d’une vision totalitaire de la société. Ils sont néanmoins très différents du fascisme dans leur origine et leur nature. Al-Qa’ida est apparu comme le produit du soutien saoudien, américain et pakistanais pour les rebelles fondamentalistes contre l’occupation russe de l’Afghanistan. C’est seulement plus tard qu’al-Qa’ida s’est retourné contre les États-Unis.

L’EI est né de l’occupation américaine de l’Iraq. Il s’est développé à partir d’al-Qaïda en Iraq, qui a résisté à la fois à l’occupation américaine et au régime fondamentaliste islamique chiite installé par les États-Unis et soutenu par l’Iran. Il s’est plus tard propagé à la Syrie alors qu’il tentait d’établir un califat islamique sunnite. Ces formations sont les conséquences de l’impérialisme et des contre-révolutions au Moyen-Orient.

Les mouvements djihadistes n’ont pas les caractéristiques typiques du fascisme. Ils n’essaient pas de construire des mouvements de masse. Ni l’EI, ni Jabhat al-Nusra, anciennement affilié officiellement à al-Qa’ida[5] n’ont mobilisé des manifestations de masse ni d’ailleurs menés des luttes populaires de diverses classes, même lorsque ces mouvements ont été confrontées à des oppositions populaires contre leurs politiques réactionnaires.[6] Ils opèrent principalement comme une armée ou un réseau terroriste plutôt que comme un mouvement politique de masse avec une branche armée.

Sur la base de cette identification erronée du fondamentalisme comme fasciste, Amin et d’autres ont soutenu de manière désastreuse les anciens régimes dans la région.[7] Ils le font dans l’espoir que les anciens régimes freineront l’influence et / ou les avancées des fondamentalistes. Cela a conduit à des résultats catastrophiques, en particulier en Égypte, où de nombreux secteurs de la gauche ont soutenu le coup d’État du général Abdel Fattah al-Sissi contre les FM ou ont même participé au cabinet gouvernemental intérimaire suite au coup d’état en juillet 2013.[8] De manière prévisible, son arrivée au pouvoir et cela jusqu’à aujourd’hui a conduit à de vastes campagnes répressives et au déni des droits démocratiques et des libertés civiles – non seulement pour les membres des FM, mais aussi pour tous les autres, y compris les révolutionnaires laïques.

De manière similaire, de nombreux individus et organisations à gauche ont soutenu le régime de Bashar al-Assad comme la seule alternative à al-Qa’ida et à l’EI. Ils ont ainsi trahi la Révolution syrienne et sont devenus des apologistes de la contre-révolution du régime qui, dans l’essentiel jusqu’à un passé récent, n’a pas ciblé l’EI ou al-Qa’ida, mais les révolutionnaires de manière massive, menant à la destruction du pays dans ce processus. Le soutien tacite ou ouvert d’Amin et d’autres pour les dictateurs comme Sissi et Assad leur fournissent une couverture de gauche pour limiter et fermer l’espace pour que les forces démocratiques et progressistes s’organisent. Pire encore, cela donne une couverture de gauche aux justifications du régime dans leur répression et leur «guerre contre la terreur» et contre «l’extrémisme», réhabilitant la principale justification de l’impérialisme américain dans leur politique guerrière mondiale.

Les socialistes ne doivent pas choisir entre les deux pôles de la contre-révolution, en particulier le principal, les anciens régimes. La gauche devrait au contraire s’opposer aux dictatures, à leur contre-révolution et défendre les droits démocratiques. En Egypte, par exemple, la gauche, même si elle refuse le soutien politique aux FM, devrait s’opposer à la répression de Sissi. Pourquoi ? Parce que Sissi a utilisé, et continuera à le faire, ses attaques contre les FM comme un précédent pour limiter le droit de tous à s’organiser, y compris les forces progressistes et démocratiques. Ainsi, défendre les droits démocratiques de tous, y compris les mouvements fondamentalistes islamiques gradualistes comme les FM contre la répression de l’État, c’est défendre les droits des mouvements sociaux, des syndicats, des classes populaires et de la gauche.

Tout comme les socialistes devraient s’opposer aux guerres menées par les États pour des objectifs impérialistes, colonialistes et autoritaires, tout en soutenant le droit de résistance à l’impérialisme indépendamment de l’idéologie des acteurs qui la mènent. Par exemple, dans le cas des guerres lancées par Israël contre le Liban et la bande de Gaza dans le passé, les socialistes devraient être en solidarité avec les peuples dans ces deux territoires et soutenir le droit à la résistance, y compris par des mouvements comme le Hezbollah et le Hamas.

L’impossibilité de faire cela signifie qu’on se met du côté de l’oppresseur contre les opprimés. Cependant, que ce soit dans le cas de notre opposition à la répression ou de la défense du droit à la résistance, cela ne devrait pas se traduire par la création d’illusions, ni un soutien au projet et programme politique des formations fondamentalistes islamiques.

Les socialistes doivent comprendre que se mettre du côté des anciens régimes ne défiera pas le fondamentalisme islamique, mais conservera les conditions créées par l’impérialisme, la dictature et le néolibéralisme, qui ont conduit à leur développement. Nous ne pouvons marginaliser les mouvements fondamentalistes islamiques qu’en construisant la gauche et les mouvements sociaux pour un changement social progressiste. Les socialistes doivent dès lors s’associer aux groupes démocratiques et progressistes sur le terrain qui luttent pour renverser des régimes autoritaires, construire une alternative aux fondamentalistes islamiques, mettre en échec le néolibéralisme et les inégalités de classe et les oppressions sociales, le confessionnalisme et sexisme dont ces mouvements font la promotion. Parallèlement, nous devons nous opposer à toutes les interventions contre-révolutionnaires de toutes les puissances régionales et impérialistes.

 

… Ni réformiste ni anti-impérialiste

Désigner le fondamentalisme islamique comme fasciste et soutenir les régimes existants ne fera que reculer et retarder le projet de construction d’une gauche progressiste et indépendante. Une minorité à gauche a tenté de présenter une alternative à ce point de vue en caractérisant les organisations fondamentalistes islamiques comme étant des réformistes et même des anti-impérialiste avec lesquelles la gauche peut et devrait collaborer dans des fronts unis, sous certaines conditions. Jad Bouharoun les qualifie en effet de réformistes, tout en affirmant en même temps qu’ils ne sont pas réformistes dans la notion marxiste classique du terme, ni qu’ils peuvent être comparés aux social-démocraties européennes.[9]

Il utilise néanmoins le terme «réformiste» d’une manière assez flexible qui minimise le caractère et projet réactionnaire des FM. Ainsi, il soutient qu’ils sont réformistes dans la mesure où ils promettent à leurs supporters et à leurs membres un réel changement à travers des réformes institutionnelles de l’État existant. Il caractérise à la fois les FM et les Nassériens de gauche comme des «réformistes institutionnels».

Anne Alexander rejette également l’analogie avec la social-démocratie. Par exemple, elle soutient qu’elle et d’autres

« n’ont jamais soutenu que les FM avaient un programme ou une base sociale d’un parti social-démocrate. Le réformisme des FM est l’expression de ses contradictions sociales internes, qui l’entraînent constamment entre confrontation et compromis avec le régime, souvent malgré les volontés de son leadership ».[10]

Cependant, Alexandre a également comparé Mohammed Morsi au socialiste réformiste Salvador Allende du Chili.

« Morsi, bien sûr, a répété l’erreur de Salvador Allende de nommer l’homme qui le renverserait. Les réformistes sociaux-démocrates font toutes ces choses, et pire, à des périodes de polarisation et de lutte de classes profondes».[11]

Ceux et celles à gauche qui caractérisent les FM en tant que réformiste les ont à plusieurs reprises comparé avec les partis socio-démocrates. Phil Marfleet, par exemple, affirme que leur programme politique en 2011 faisait écho à un

«programme de la social-démocratie présent partout à travers le monde – à l’exception des références à la zakat et au waqf. Ce programme aurait pu être un programme réformiste promu par des partis politique à travers l’Europe» .[12]

Ainsi, les socialistes qui décrivent les courants gradualistes du fondamentalisme en tant que réformistes utilisent le terme de manière glissante, en niant l’analogie avec la social-démocratie tout en l’utilisant à plusieurs reprises. En réalité, le programme 2011 des FM était loin d’être social-démocrate; il était néolibéral. Les analogies répétées avec la social-démocratie sont problématiques et confuses.

Tout d’abord, soyons clairs ce que le réformisme est et n’est pas. À l’origine, le réformisme social-démocrate a cru qu’il était possible d’utiliser les urnes pour gagner le pouvoir élu dans l’État bourgeois et l’utiliser pour démanteler le capitalisme et initier la société socialiste. Son leadership ne provenait généralement pas de la classe capitaliste, mais de la bureaucratie syndicale et de l’intelligentsia petite-bourgeoise, tandis que sa base populaire appartenait à la classe des salariés dans sa très grande majorité.

Les origines sociales de son leadership et surtout le rôle de la bureaucratie en tant que négociateur avec les capitalistes dans les luttes syndicales ont façonné la politique et les pratiques conservatrices de la social-démocratie. Comme l’explique le marxiste Ernest Mandel, les réformistes :

« défendent leurs intérêts propres lorsqu’ils institutionnalisent la collaboration de classe. Ces intérêts coïncident historiquement avec la défense de l’ordre bourgeois. Ils ne correspondent pas nécessairement à chaque moment à la défense des intérêts immédiats de la majorité, voire de l’ensemble de la grande bourgeoisie ».[13]

Dans les conditions spécifiques du long boom de l’après-guerre, les partis sociaux-démocrates et leurs formes bureaucratiques de «lutte» ont réussi à fournir des salaires plus élevés, de meilleurs avantages, des conditions de travail stabilisées et un État social élargi en Europe. Mais après le début de la crise dans les années 1970, les partis réformistes ont de plus en plus ajusté leurs politiques à cette nouvelle situation et contribué aux politiques qui ont détérioré les conditions de vie et de travail. La bureaucratie ouvrière et les politiciens réformistes en Europe n’avaient donc pas d’autre alternative que de faire des compromis et des concessions à l’offensive des employeurs en gérant les politiques d’austérité au sein des États capitalistes.[14]

Les socialistes ne devraient donc pas avoir d’illusions dans les sociaux-démocrates ou leur stratégie. En effet, les réformistes peuvent et ont joué un rôle contre-révolutionnaire dans l’histoire du mouvement ouvrier.[15] De plus, les gouvernements sociaux-démocrates ont soutenu leur État impérialiste dans des guerres et ont maintenu des relations d’exploitation avec les colonies, les semi-colonies et les États moins puissants du «Tiers monde». Plus récemment, la grande majorité des anciens mouvements sociaux-démocrates ont adopté le néolibéralisme et ses politiques d’austérité.

En dépit des nombreuses lacunes des organisations réformistes et de leur rôle contre-révolutionnaire à diverses périodes de l’histoire, il est trompeur de les comparer à la version gradualiste du fondamentalisme islamique. Les partis et les mouvements comme les FM et le Hezbollah n’ont jamais cherché dans leur histoire, ni même prétendu avoir cherché à démanteler progressivement le capitalisme. C’est plutôt le contraire en fait ; les mouvements fondamentalistes gradualistes ont historiquement soutenu le capitalisme, y compris son régime d’accumulation néolibéral actuel.

Comme nous l’avons vu, l’origine sociale et la composition du leadership et de ses membres des mouvements fondamentalistes sont très différentes des partis sociaux-démocrates. La base sociale des fondamentalistes est la petite bourgeoisie, alors que la base sociale de la social-démocratie est la classe des salariés. En outre, le leadership des mouvements fondamentalistes gradualistes, comme nous l’avons vu, a subi un processus d’embourgeoisement. Les capitalistes ont joué et jouent maintenant un rôle croissant et explicite dans ces partis et ces mouvements.

Les mouvements fondamentalistes gradualistes, contrairement aux réformistes les plus néolibéraux, favorisent un programme politique conservateur, confessionnel, sexiste, homophobe et hostile aux salariés. Si l’on souhaite faire une analogie avec la social-démocratie européenne en Egypte, on ne peut évoquer les FM, mais par contre le politicien nassérien, Hamdeen Sabahi avait un programme réformiste et il a commis des erreurs réformistes, notamment le soutien du coup d’Etat de Sissi et la répression terrible des FM. Néanmoins, il a représenté des aspirations démocratiques et sociales aux élections présidentielles de 2012. Il avait promis un programme solide de réformes sociales telles que la mise en œuvre d’un salaire minimum et maximum, l’expansion du secteur public pour créer des emplois, la renationalisation des entreprises et une taxe exceptionnelle de 20% sur la fortune des 1% les plus riches de la population.[16] Son parti, al-Karama, était généralement composé de travailleurs, et il a trouvé beaucoup plus de soutien dans le mouvement ouvrier et leurs nouveaux syndicats indépendants que les FM. En outre, il a rejeté le confessionnalisme des FM et les attaques contre les droits des femmes.

Une analogie plus proche avec Sabahi est à chercher chez le leader socialiste chilien Salvador Allende du début des années 1970. Toute comparaison entre le réformiste chilien et les FM est par contre trompeuse. Tout d’abord, cela ignore l’énorme fossé idéologique et les politiques mises en œuvre par les deux acteurs au pouvoir. De plus, leur politique à l’égard de l’armée est radicalement différente. Allende avait choisi le général Augusto Pinochet après un coup d’Etat antérieur dans l’espoir qu’il soit un «légaliste» qui respecte la neutralité de l’armée en politique. Bien sûr, c’était catastrophiquement naïf. Mais c’est très différent de la relation entre les FM et l’armée égyptienne. L’armée chilienne n’a jamais joué un rôle central dans l’économie politique du Chili comme l’armée égyptienne le fait en Egypte. L’armée de Sissi est le véritable pouvoir dominant et le cœur de l’État profond. Morsi et les FM ne se sont pas tournés vers l’armée dans l’espoir d’éviter un coup d’État; ils ont tenté de former une alliance directe avec l’armée dès les premiers jours de l’insurrection en 2011, connaissant très bien son poids politique et son rôle répressif au cours des dernières décennies.

Dès les premiers jours de la révolution, les FM ont agi comme un rempart contre les critiques et les protestations de l’armée jusqu’au renversement de Morsi en juillet 2013. Avant cela, ils avaient dénoncé ceux et celles qui manifestaient et critiquaient l’armée comme des contre-révolutionnaires et répandant la division. En effet, Morsi a nommé Sissi comme chef de l’armée en sachant très bien qu’il avait emprisonné et torturé des manifestants.

La distinction est encore plus claire en ce qui concerne les politiques respectives de Morsi et d’Allende en faveur des manifestations de masse. L’erreur d’Allende avait été de ne pas soutenir et s’appuyer sur la mobilisation populaire des travailleurs au Chili contre la bourgeoisie afin de contester son pouvoir dans le pays. En revanche, Morsi et les FM se sont opposés et ont même réprimé les mouvements populaires et ouvriers en Egypte et ont défendu l’armée.

Morsi n’a certainement jamais promis ou essayé de mettre en place des réformes sociales-démocrates comme Allende. Ainsi, la célèbre phrase de Saint-Just: « Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau » ne peut être appliquée aux FM. Au lieu de cela, il faudrait réécrire que «ceux qui collaborent avec l’ancien régime creusent leurs propres tombes». Malgré les efforts des FM à collaborer avec l’armée, celle-ci a renversé Morsi. En fin de compte, l’armée et les FM représentaient différentes ailes de la classe capitaliste, avec différents soutiens régionaux, qui ne pouvaient trouver une forme d’entente. L’armée, qui était beaucoup plus puissante, a finalement décidé d’affirmer son pouvoir dictatorial direct, au détriment de tous les autres mouvements en Egypte.

C’est aussi une erreur de voir le fondamentalisme comme une expression déviée ou détournée de l’anti-impérialisme. Les fondamentalistes ont une conception religieuse du monde, notamment l’objectif de retourner à un «âge d’or» mythifié de l’islam comme moyen d’expliquer le monde contemporain et de résoudre ses problèmes. Tout d’abord, nous devrions critiquer la notion selon laquelle la libération et le développement des pays arabes dépendent en premier lieu d’une affirmation d’une identité islamique présentée comme «permanente» et «éternelle». Cette vision est purement et simplement réactionnaire, et est en nette contradiction avec des mouvements anti-impérialistes du passé. Les nationalistes tiers-mondistes et les socialistes luttaient pour une transformation sociale progressive des structures socio-économiques de l’oppression et de la domination; les fondamentalistes placent de leur côté la lutte sur le plan d’une bataille de cultures et de religions. Ils considèrent l’impérialisme comme un conflit entre «Satan» et les fidèles opprimés, et non comme les nationalistes et les socialistes le considéraient traditionnellement comme étant une lutte entre les grandes puissances, leur système capitaliste et les pays opprimés. À cet égard, les fondamentalistes islamiques font écho à la conception de Samuel Huntington du monde en tant que «conflit des civilisations», où la lutte contre l’Occident repose sur un rejet de ses valeurs et de son système religieux plutôt que sur les relations internationales d’exploitation.

Ainsi, ils n’ont pas de vision du monde anti-impérialiste. En effet, sans surprise, les ailes djihadistes et gradualistes du fondamentalisme islamique ont tout deux eu des sponsors étatiques impérialistes et régionaux. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les États-Unis, l’Arabie saoudite et le Pakistan ont soutenu les mouvements fondamentalistes islamiques en Afghanistan comme un instrument dans leur conflit inter-impérialiste avec la Russie contre le régime de Kaboul soutenu par Moscou. Les États-Unis ont financé la production de manuels scolaires, lus par des millions d’enfants afghans, qui glorifiaient le djihad et le martyre. Il a créé des seigneurs de guerre islamiques en versant des milliards dans le pays et l’inondant d’armes.[17]

Il en va de même pour les mouvements fondamentalistes islamiques gradualistes. Loin d’un anti-impérialisme constant, ils ont cultivé des relations avec les puissances impérialistes et régionales. Les FM ont été soutenus par l’Arabie saoudite jusqu’en 1991 et plus récemment par le Qatar, et ils ont conclu un accord avec les États-Unis durant leur brève période à la tête du gouvernement égyptien. Le Hezbollah est soutenu par l’Iran et collabore avec l’impérialisme russe dans la contre-révolution syrienne.

Les fondamentalistes ne sont ni réformistes ni anti-impérialistes. Identifier leur plaidoyer rhétorique pour des «réformes» et des «luttes contre la corruption» comme preuve de leur dévouement à une scène politique démocratique plus ouverte est pour le moins problématique. Pourquoi? Parce que leurs demandes sont liées à la mise en œuvre d’un État islamique et à «un mode de vie islamique». Comme l’a déclaré l’ancien guide suprême Muhammad Mahdi Akef des FM:

« Si nous souhaitons accomplir des progrès dans nos vies, nous devons revenir à notre foi et appliquer la sharia, la loi islamique… L’établissement de la loi de Dieu est la solution réelle à toutes nos souffrances, que ce soit en raison de problèmes domestiques ou étrangers. Cette [introduction de la charia] est réalisée grâce à la création de l’individu musulman, de la maison musulmane, du gouvernement musulman et de l’État, qui mène les nations islamiques et porte la bannière de la dawa afin que le monde ait la chance de recevoir le meilleur de l’islam et de ses enseignements ».[18]

Bien sûr, les mouvements fondamentalistes islamistes gradualistes sont traversés par des contradictions sociales internes entre leur leadership bourgeois et petit bourgeois et leur base populaire. Mais cela est vrai pour tous les partis politiques dirigés par les élites, des principaux partis capitalistes jusqu’aux partis populistes de droite dans le monde entier. L’existence de contradictions de classe au sein des partis n’est pas réservée aux partis réformistes. Et leur existence parmi les mouvements fondamentalistes gradualistes ne justifie pas de les appeler réformistes.

Les mouvements fondamentalistes gradualistes sont évidemment soumis à des tensions prenant leurs sources dans leur composition de classe contradictoire. Mais nous devons faire une distinction claire entre les fondamentalistes qui utilisent une idéologie réactionnaire pour gagner les classes populaires et les partis réformistes qui possèdent un programme laïc progressiste, et qui, de manière cependant compromise, reflètent les intérêts des classes et des groupes opprimés.

En réalité, les différentes forces fondamentalistes islamiques constituent la deuxième aile de la contre-révolution, la première étant les régimes existants. Leur idéologie, leur programme politique et leur pratique sont réactionnaires et totalement opposés aux objectifs de l’émancipation révolutionnaire : la démocratie, la justice sociale et l’égalité. Leurs politiques sont rebutantes pour les groupes les plus conscients des travailleurs et des groupes opprimés comme les minorités religieuses, les femmes, les personnes LGBT et autres.

 

Construire une alternative progressiste

Les révoltes au MOAN ont subi des défaites aux mains des régimes, de leurs soutiens impérialistes et des fondamentalistes. Les processus révolutionnaires sont dans une situation complexe et difficile, et il n’y a pas de réponses faciles sur la manière de les faire sortir de l’étreinte de la contre-révolution. Mais nous devons néanmoins tenter de retirer un certain nombre de leçons de cette situation et présenter au moins une voie pour la gauche. Cela doit commencer par rejeter toute les illusions et soutiens pour les régimes autoritaires existants. Mais il faut aussi rejeter des illusions similaires envers les forces fondamentalistes islamiques.

La collaboration avec les États autoritaires a conduit et débouchera sur des résultats catastrophiques, réduisant considérablement l’espace démocratique des travailleurs et des personnes opprimées afin de s’organiser pour leur libération. Les anciens régimes restent le premier ennemi des forces révolutionnaires de la région. En même temps, les mouvements fondamentalistes islamiques n’offrent aucune alternative. Au pouvoir ou non, les mouvements fondamentalistes islamiques ciblent également les travailleurs, leurs syndicats et les organisations démocratiques, tout en favorisant l’économie néolibérale et les politiques sociales réactionnaires. Ils font également partie de la contre-révolution.

Au lieu de se tourner vers l’une ou l’autre de ces deux forces, la gauche doit se concentrer sur la construction d’un front indépendant, démocratique et progressiste qui tente d’aider à l’auto-organisation des travailleurs et des opprimé-e-s. C’est seulement à travers ce processus que notre camp peut se considérer comme une classe avec des intérêts communs avec d’autres travailleurs et opposé aux capitalistes. Les politiques progressistes doivent être fondées sur la défense et l’encouragement de l’auto-organisation des classes populaires dans le but de lutter pour la démocratie.

Les luttes des salariés à elles seules ne suffiront pas pour unir les classes des salariés. Les socialistes dans ces luttes doivent également défendre la libération de tous les opprimés. Cela exige de brandir haut et fort les revendications pour les droits des femmes, des minorités religieuses, des communautés LGBT et des groupes raciaux et ethniques opprimés. Tout compromis sur l’engagement explicite envers de telles demandes empêchera la gauche d’unir la classe des salariés pour la transformation radicale de la société.

Comment une telle gauche devrait elle se comporter face aux forces fondamentalistes islamiques? Alors qu’ils sont en effet la deuxième aile de la contre-révolution, les mouvements fondamentalistes gradualistes ne représentent pas un danger similaire à celui des régimes existants. Quand ils ne contrôlent pas l’État, contrairement aux exemples de l’Iran ou de l’Arabie Saoudite, ils n’ont généralement pas les mêmes capacités destructrices que les régimes existants. Mais cela ne signifie pas que la gauche devrait les considérer comme un mal moins grave. En les traitant comme tels, cela risque de semer des illusions sur le fait qu’ils seraient des alliés potentiels pour changer le système politique en faveur de droits plus démocratiques et sociaux. Ils ne le sont pas. Et penser qu’ils le sont affaiblit la capacité de la gauche à briser les liens du fondamentalisme avec les classes populaires.

Qu’est-ce que cette analyse signifie pour les questions stratégiques et tactiques dans la lutte ? Cela ne signifie pas que les socialistes devraient refuser les unités d’actions dans un contexte particulier pour des demandes précises avec les secteurs gradualistes du fondamentalisme islamique. Si ces actions peuvent faire progresser la cause des exploité-e-s et des opprimé-e-s, alors une telle unité d’action tactique est juste. La façon de collaborer avec des organisations avec lesquelles les progressistes ne partagent pas beaucoup de choses en commun au-delà d’un ennemi commun a été résumée par les bolcheviks il y a plus d’un siècle. Gilbert Achcar résume l’approche :

« 1) Ne fusionner pas les organisations. Marcher séparément mais frapper ensemble.

2) Ne pas abandonner nos propres revendications politiques.

3) Ne pas dissimuler les divergences d’intérêts.

4) Faire attention à notre allié comme si c’était un ennemi

5) Être davantage préoccupé d’utiliser la situation créée par la lutte que de garder un allié ».[19]

Achcar ajoute à cela,

« Si ces règles sont observées, il reste aux progressistes de prouver aux masses qu’ils sont autant consacrés à la lutte contre l’ennemi commun que les fondamentalistes, tout en défendant résolument les intérêts des travailleurs, des femmes et de toutes les catégories exploitées et opprimées en contraste direct avec les fondamentalistes et, souvent, contre eux ».[20]

Des alliances tactiques à court terme peuvent être faites avec le diable, mais ce diable ne doit jamais être confondu avec un ange. Il ne devrait pas y avoir d’orientation à long terme basé sur une unité stratégique avec les fondamentalistes gradualistes. Dès lors, une approche basée sur des unités tactiques occasionnelles dans certaines situations est néanmoins différente d’une stratégie de front uni, qui cherche à s’unir avec des forces réformistes et démocratiques disposées à s’organiser pour essayer de réaliser des demandes immédiates qui bénéficient aux travailleurs et aux groupes opprimés et à accroître leur conscience, leur confiance leur et capacité de combat.

Les fondamentalistes islamiques, tout comme les mouvements populistes et d’extrême droite dans le monde, ne devraient pas être inclus dans cette stratégie de front uni pour toutes les raisons énoncées dans cet article. Parler d’une stratégie de front uni avec ces forces, c’est créer des illusions en ces dernières. Au lieu de cela, la gauche doit construire sa propre organisation politique et participer à la lutte pour la libération et la démocratie, parfois en unité tactique avec les fondamentalistes gradualistes, mais toujours dans la perspective de gagner les exploités et les opprimés et les éloigner de cette seconde force de la contre-révolution.

 

Notes

[1] Samir Amin, “The Return of Fascism in Contemporary Capitalisme,” Monthly Review, vol 66, no. 4.

[2] Gilbert Achcar, “Islamic fundamentalism, the Arab Spring, and the LeftInternational Socialist Review n° 103, hiver 2016-2017,. Cela ne signifie pas cependant que des organisations fascistes ne peuvent pas apparaître dans des pays extérieurs au monde occidental, en particulier avec l’émergence, au cours des dernières décennies, de nombreux nouveaux centres d’accumulation de capitaux – nouveaux pays industrialisés qui ont une influence politique certaine et sont des sites d’investissements régionaux  importants.

[3] Hassan al-Banna, le fondateur et principal idéologue des FM, était un disciple de Rashid Rida. Rida a transformé les tendances réformistes du panislamisme, en particulier des intellectuels réformistes célèbres tels que Mohammad Abduh et Jamal al-Din Afghani, vers une orientation fondamentaliste. L’évolution de Rida l’a rapproché de la doctrine puritaine Hanbali, en particulier de ses disciples wahhabites. Il est devenu un défenseur déterminé du régime saoudien et du wahhabisme, tout en collaborant avec le roi saoudien Abdel Aziz. Il a commencé à s’opposer et à combattre les confréries soufis et les pratiques de leurs adhérents. Il a défendu la restauration du califat après son abolition en 1924. Il a également développé une forte diatribe anti-chiite, accusant les Chiites arabes d’être des agents de l’Iran (un thème souvent présent aujourd’hui parmi les Salafistes et d’autres mouvements fondamentalistes islamiques). Rashid Rida a particulièrement influencé le cadre intellectuel et politique des FM alors qu’il cherchait à relancer la lecture littéraliste d’Ibn Tammiyya et à appeler au djihad. Cette nouvelle tradition Salafiste a été diffusée par des intellectuels comme Rashid Rida dans les années 1920 et 1930, et socialement par des groupes tels que les FM plus tard en Egypte et ailleurs.

[4] Si la restauration du califat continue d’apparaître dans le discours des FM comme un objectif à long terme, l’objectif le plus immédiat est l’instauration d’un Etat islamique. D’ailleurs dans les pays où les FM ont pris le pouvoir, ils n’ont jamais proclamé le califat. Le cheikh Youssef al-Qardawi, ouléma d’origine égyptienne installé au Qatar depuis 1961 et membre des FM et un de ses idéologues principaux, a par exemple mis en évidence que le retour du califat, idéal politique qui reste présent dans l’imaginaire de nombreux musulmans à travers le monde, ne s’incarne plus dorénavant dans une forme identique à celle des premiers temps de l’islam mais peut se réaliser dans une fédération ou une confédération d’États musulmans.

[5] Jabhat al-Nusra a pu mobiliser certains secteurs de la société et organiser de petites manifestations, mais rien de comparable aux manifestations massives du mouvement populaire syrien

[6] Jabhat al-Nusra et l’EI diffèrent dans leur méthodologie pour atteindre un califat plutôt que sur l’état final désiré. Le schisme de Jabhat al-Nusra avec l’EI est surtout dû au fait que le premier a suivi la stratégie de Zawahiri et s’y est engagé. Zawahiri avait plaidé pour une approche gradualiste, particulièrement à la suite de l’invasion américaine et britannique de l’Iraq, en plaidant avec véhémence contre la stratégie de mobilisation confessionnelle et la déclaration manifeste d’un État islamique par Abu Musab al-Zarqawi, le chef du précurseur de l’EI, al-Qaïda en Iraq. L’EI rejette le concept graduel de Zawahiri et continue de suivre la stratégie de la mobilisation active et ouverte de Zarqawi. L’approche gradualiste n’a pas empêché Jabhat al-Nusra d’adopter un comportement de plus en plus violent contre d’autres groupes d’opposition armés suite à sa rupture avec l’EI. Pourtant, Jabhat al-Nusra a essayé de suivre les méthodes de base de Zawahiri pour mener des activités de sensibilisation sociale et établir des structures de base ostensiblement pour atteindre les grands objectifs stratégiques d’al-Qaïda. En plus de cela, en dépit de graves conflits entre les deux groupes depuis leur séparation en 2013, cela n’a pas empêché la coopération tactique entre Jabhat al-Nusra et ISIS après la scission. Dans la région de Qalamoun, en Syrie, par exemple, à l’été 2014, les deux groupes djihadistes ont maintenu des relations étroites. Le leader d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, tout en refusant toute légitimité à l’EI et à son chef, Abu Bakr al-Baghdadi, a déclaré en septembre 2015 qu’il était prêt néanmoins à coopérer avec eux en Iraq et en Syrie pour combattre la coalition américaine. Il a déclaré: « Malgré leurs graves erreurs, si je me trouvais en Iraq ou en Syrie, je coopérerais avec eux pour tuer les croisés, les laïques et les Chiites, même si je ne reconnais pas la légitimité de leur État ». Orient le Jour, “Al-Nosra prend possession de la dernière base du régime dans Idleb”, 10 septembre 2015.

[7] « Interview of Samir Amin« , 15 juillet 2013.

[8] Le syndicaliste vétéran et Nasserien Kamal Abu Eita, ancien responsable de l’Union de l’administration fiscale immobilière et président de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (Al-Ittihad al-Masri lil-Naqabat al-Mustaqilla, EFITU), a par exemple servi comme ministre du Travail dans le cabinet provisoire suite au coup d’État militaire de juillet 2013 jusqu’en mars 2014, et à l’époque il a accepté la «feuille de route» transitoire de l’armée.

[9] Jad Bouharoun, “Understanding the Counter-revolution”, International Socialism n° 153, janvier 2017.

[10] Ann Alexander, “Reformism, Islamism & Revolution Socialist Review, Issue 406, octobre 2015,

[11] Ibid.

[12] Phil Marfleet, “’Never Going Back’: Egypt’s Continuing Revolution,” International Socialism Issue 137, janvier 2013,

[13] Ernest Mandel, “The Nature of Social-Democratic Reformism, The Material Foundations of Opportunism” Marxist.org, octobre 1993.

[14] Pour plus d’information sur le sujet Charlie Post, “Ernest Mandel and the Marxian Theory of Bureaucracy” Juillet 1996 ; Charlie Post, “The Myth of the Labor Aristocracy, Part 1” Against the Current, n° 123, juillet-août 2006 ; et Charlie Post, “The ‘Labor Aristocracy’ and Working-Class Struggles: Consciousness in Flux, Part 2Against the Current n° 124, septembre–octobre 2006.

[15] Voir Ernest Mandel, “La social-démocratie désemparée—Nature du réformisme social-démocrate” Ernest Mandel.org, 21 septembre 1993.

[16] Anne Alexander and Mostafa Bassiouny, Bread, Freedom, Social Justice, Workers and the Egyptian Revolution, London, Zed Books, 2014, p. 20.

[17] Anand Gopal, “The Roots of ISIS, Imperialism, Class, and Islamic FundamentalismInternational Socialist Review  n°102 (Fall 2016).

[18] Jeffrey Azarva and Samuel Tadros, “The Problem of the Egyptian Muslim BrotherhoodAmerican Enterprise Institute, 30 novembre 2007.

[19] Cited in Abbas Shahrabi Farahani and Gilbert Achcar, “Towards Progressive Politics in the Middle East, Problematica in Conversation with Gilbert Achcar”, 24 mars 2016.

[20] Ibid.