Le racisme n’est pas un simple préjugé mais un ensemble de pratiques et de représentations qui, se déployant en particulier dans le cadre de l’État et du marché du travail, conduisent à la stigmatisation et à l’infériorisation de groupes en raison de caractéristiques généralement imaginaires, toujours essentialisées. Le racisme n’a ainsi nullement besoin d’une conception biologique de la race (comme dans le cas de l’antisémitisme nazi) ; il peut parfaitement, et c’est même le cas le plus fréquent, se fonder sur des propriétés culturelles – religion, langue, coutumes, etc. – que l’on prête à des groupes et à partir desquelles ces derniers vont être altérisés, discriminés et marginalisés, voire considérés comme de potentiels traîtres à la nation et donc menacés d’expulsion ou d’extermination. Il se présente donc à la fois comme système d’inégalités et comme idéologie justifiant ce sytème.
Le racisme n’est pas non plus un archaïsme, une survivance d’un autre temps avec lequel nous en aurions fini mais qui perdurerait d’une manière incompréhensible. S’il est bien le produit d’un héritage ancien – l’islamophobie est ainsi ancrée dans toute l’histoire de l’impérialisme français, colonial puis néocolonial -, cet héritage s’actualise en chaque moment à travers des politiques, des dispositifs, des discours qui façonnent une discrimination systémique. On ne saurait donc combattre le racisme par la seule mise en œuvre d’une éducation antiraciste, d’une pédagogie égalitaire aussi habile soit-elle, mais par une lutte politique visant à démanteler les structures de l’inégalité raciale, à décoloniser l’État et les esprits, une lutte pour l’égalité et la dignité, une lutte qui n’oublie rien d’un passé qui ne passe pas, qui ne pardonne rien des crimes et des injustices, mais qui cible le racisme tel qu’il fonctionne au présent, y compris dans ses ruses visant à le présenter sous des formes respectables.
Ce dossier vise à défendre un tel antiracisme politique et à fournir quelques armes dans un combat qui doit enfin devenir central pour les gauches, particulièrement françaises. Celles-ci ne l’ont jamais pris suffisamment au sérieux, ont bien souvent justifié le colonialisme voire contribué à sa perpétuation, n’ont pas saisi la potentialité génocidaire du racisme (qu’il s’agisse de l’antisémitisme ou du racisme colonial), plus récemment n’ont pas compris les mutations du racisme et l’émergence de l’islamophobie comme figure centrale du racisme contemporain et, là encore, ont même joué un rôle important dans sa diffusion. S’il est vrai qu’en finir avec le racisme supposera de rompre avec le capitalisme, il n’y aura pas d’unité dans la lutte pour l’émancipation sociale et politique, donc pas d’émancipation du tout, sans un combat obstiné contre l’oppression raciste.
***
*
Crédit photo : Alain Bachellier _ Flickr Creative commons