Ce texte fait suite à la communication proposée par l’auteure au sein de l’atelier « Matérialismes féministes » lors du colloque Penser l’émancipation (février 2014 à Nanterre). Il s’agit de présenter quelques apports théoriques de ce que certain-e-s ont appelé « le tournant matérialiste dans les études queer ». Sophie Noyé souhaite engager le débat sur les liens possibles entre théorie queer et féminisme matérialiste à partir de ces réflexions récentes dans les études queer.
Introduction : Dépasser l’opposition entre féminismes matérialistes et théories et pratiques queer en France.
Cet article se propose de faire une lecture critique et théorique du tournant matérialiste queer dans le but de dialoguer avec les analyses féministes matérialistes françaises.
En France, nombreuses féministes, et en particulier des féministes matérialistes, assignent la pensée queer à une démarche « postmoderne et poststructuraliste » (voir Agone, 2010 ; Epstein, 2010). En ce sens, elles la place en complète opposition avec l’approche marxiste et matérialiste. Dans la mesure où les théories et pratiques queer s’inspirent en grande partie d’une réflexion foucaldienne, qu’elles s’intéressent donc aux rapports de pouvoir multiples et diffus et envisagent la normalisation et la performance des subjectivités de genre et sexuelles, elles ne prendraient pas en compte les dominations systémiques et hiérarchiques, et délaisseraient la division sexuelle du travail et les rapports sociaux de genre. Ces féministes matérialistes dénoncent la posture idéaliste, relativiste, individualiste, voire naturalisante des politiques queers ; elles/ils leur reprochent leur incapacité à envisager des stratégies de résistance collective et leur refus de viser le renversement du système de genre, et plus généralement des systèmes de domination.
Nous citerons à titre d’exemple les arguments de deux importantes féministes matérialistes françaises, Nicole-Claude Mathieu et Christine Delphy.
Nicole-Claude Mathieu critique vivement la démarche postmoderne dont font preuve la théorie queer et la théorie féministe postmoderne, et en particulier les écrits de Judith Butler, dans un article au titre éloquent « Dérive du genre/ stabilité des sexes » (2003). Elle condamne l’absence de prise en compte par l’approche queer des rapports sociaux concrets, matériels, de sexe et de race. Elle remarque qu’il est illusoire et même dangereux de considérer le « travestissement » ou l’ « érotisme généralisé » comme une forme d’émancipation sans s’attaquer aux rapports sociaux inégalitaires, « ancrés dans l’économique, le juridique, le culturel, et perpétués par la violence, verbale et physique ». À propos de « l’érotisme généralisé, toutes catégories précédentes confondues » et du « transvestissenent » : « croire, comme le fait le mouvement queer, qu’on peut le réaliser en « déplaçant » les catégories de pensée sans s’attaquer à leurs racines est inconséquent : illogique et courant le risque de la récupération » (p. 299). En évoquant ses travaux d’anthropologue, elle indique que les pratiques de travestissement existent dans de nombreuses sociétés, mais n’empêchent pas que les rôles sociaux dominants soient attribués aux « personnes initialement hommes » (p. 305).
Christine Delphy, dans une intervention au Congrès International des Recherches Féministes Francophones en 2012 (Delphy, 2012), expose de quelle manière la théorie matérialiste et « la théorie postmoderne ou queer » s’opposent selon elle. Elle affirme que seule la première est véritablement constructiviste et permet en ce sens de comprendre le genre, la race et la sexualité comme des constructions sociales. Elle rappelle que le féminisme matérialiste conçoit la domination de genre comme un système global qui hiérarchise la société en deux catégories, et assoie la domination de l’une sur l’autre dans tous les domaines sociaux, « économique, politique, sexuel, et intellectuel ». La sexualité n’est que l’un de ces domaines, qui sont par ailleurs tous reliés entre eux. Christine Delphy pense que la théorie queer, au contraire, n’envisagerait l’oppression qu’à travers le prisme de la sexualité. Celle-ci serait par ailleurs conçue comme isolée des autres domaines sociaux. La théorie postmoderne queer affirmerait enfin que les rapports de pouvoir qui caractérisent la sexualité lui seraient en quelque sorte inhérents et ne résulteraient d’aucune construction sociale, et qu’il serait ainsi vain de vouloir les éliminer.
La dissociation entre la pensée queer et la réflexion matérialiste entendue dans un sens large n’est pas le seul fait des féministes matérialistes et/ou marxistes. Les théoricien-ne-s et activistes queer dénoncent l’essentialisme et l’universalisme qu’implique la vision monolithique de la domination proposée par les matérialistes, et la façon dont cette dernière reconduit des bicatégorisations, notamment hommes/femmes, qui sont excluantes et normatives. Il est intéressant à ce propos de remarquer que les deux approches se reprochent réciproquement de procéder à une analyse naturalisante. L’article de Marie-Hélène Bourcier, « La fin de la domination masculine. Pouvoir des genres, féminismes et post-féminisme queer » (2003) illustre bien, à mon avis, la teneur des critiques adressées aux féministes matérialistes par les tenants de l’approche queer.
1- Le tournant matérialiste des études queer.
Je voudrais nuancer cette opposition frontale, parfois violente, qui ne reflète pas seulement un débat d’idées, mais aussi des enjeux de positionnement et de reconnaissance dans le milieu militant et académique (Möser, 2013, p. 157-159), en mettant en avant des points de convergence afin de penser des possibilités d’alliance.
Alliance que nous pouvons faire semble-t-il assez spontanément, à travers nos lectures et dans nos luttes. Il faudrait étudier plus précisément dans quelle mesure une partie de la jeune génération de féministes, qui commence à militer dans les années 2000, est nourrie à la fois par la lecture des analyses de Christine Delphy sur le patriarcat et celles du « trouble dans le genre » de Judith Butler. Comment cette double filiation se traduit-elle dans notre féminisme? Par ailleurs, il serait intéressant de voir de quelle manière le militantisme féministe français dit « minoritaire », qui se bat contre la putophobie, la transphobie et l’islamophobie, et s’inscrit souvent dans une démarche anti-capitaliste, anti-raciste et anti-fasciste, peut unir en pratique des perspectives « queer » et « matérialistes ». Ce féminisme milite en effet pour et avec la « subversion » sexuelle et de genre mais aussi pour l’ « abolition » des inégalités structurelles entre femmes et hommes, et plus largement contre la violence d’un système étatique et économique.
Il est temps à mon avis de nuancer les oppositions entre ces deux courants et de montrer leurs continuités plutôt que leurs divergences, c’est-à-dire leur vision constructiviste du genre et leur perspective de transformation sociale, surtout dans le contexte actuel français de remise en cause du « genre » par les opposants à « la théorie du djendeur », et de politiques néolibérales qui précarisent encore davantage les femmes, les personnes queer et non-blanches.
Pour réaliser cela, je vois deux approches utiles, qui sont aussi des projets à mener. D’une part, une démarche généalogique permet de retracer la complexité de chaque courant et de nuancer ainsi la perception parfois figée et caricaturale que nous en avons aujourd’hui. D’autre part, nous pouvons rendre compte des réflexions récentes qui cherchent à allier explicitement ces deux perspectives.
La première approche montre de quelle manière les théories féministes matérialistes de la Deuxième Vague ont pris en compte la spécificité des questions sexuelles (Wittig, 2007), ainsi que les articulations des différentes oppressions (Kergoat, 2009) et envisagent les subjectivités (Wittig, 2007 ; Guillaumin, 1978). Elle s’intéresse également à la manière dont les théories queer des années 1990 ont pu développer des analyses intégrant des questionnements matérialistes. La pensée queer est ramenée généralement à la théorie développée par Judith Butler, qui développe effectivement une analyse qu’on pourrait dire « post-moderne et poststructuraliste » en ce qu’elle discute notamment les théories de Foucault, Derrida, Lacan et Irigaray, outre celle de Hegel, Althusser, Freud, Nietzsche, Austin, de Beauvoir, Wittig, Rubin et autres1. Cependant, Teresa De Lauretis, autre figure « tutélaire » des études queer, se réfère plus aux Cultural Studies, qui essayent de concilier matérialisme et idéologie en utilisant par exemple le concept d’hégémonie (De Lauretis, 2007). Les théories queer of color s’inspirent en grande partie du feminism of color et du féminisme du « Tiers-monde états-unien », qui s’inscrivent dans une démarche matérialiste, même s’ils intègrent par la suite des réflexions postmodernes (voir Bacchetta, Falquet, 2011).
Dans cet article, je souhaiterais plutôt développer la seconde approche, c’est-à-dire m’intéresser à des réflexions récentes qui cherchent explicitement à articuler la pensée queer avec la pensée matérialiste ou marxiste. Émerge en effet un « tournant économique » ou « matérialiste » dans la littérature et l’activisme queer à la fin des années 2000 à travers une attention accrue aux inégalités au sein du mouvement LGBTQI2, notamment du fait des queer of color qui posent les questions d’inégalités de classe à partir de leurs expériences subalternes (voir Social Text, 2005). Il se développe également une critique du néolibéralisme et une réflexion sur les dynamiques de régulation étatique et capitalistique des sexualités. Si la réflexion sur les inégalités économiques n’est pas toujours inscrite dans une analyse matérialiste3, il semble toutefois que de nombreux écrits queer renouent avec des conceptualisations matérialistes et souvent même marxistes afin de mettre en lumière le rapport entre hétéronormativité et capital. Le « tournant économique » queer est ainsi dans une large mesure lié à un « tournant matérialiste », et surtout à un « tournant marxiste », bien qu’il ne s’y réduise pas.
Selon le point de vue matérialiste que j’adopte, il est important de comprendre que les changements théoriques sont liés à des contextes économiques et sociaux particuliers. Outre l’importance des rapports de pouvoir au sein du milieu universitaire et militant (Shapiro, 2004), ce tournant s’explique par l’accroissement d’inégalités au sein de la communauté LGBTQI, lié à la crise économique mais aussi aux conséquences d’un mouvement gay mainstream menant depuis les années 1980 une politique centrée sur l’acquisition de droits formels. Nombreuses-x auteur-e-s (Eng, Halberstam, Muñoz, 2005) remarquent qu’en ne se préoccupant que de l’égalité civile, des revendications plus radicales ne sont pas portées (contre l’exploitation capitaliste ou les politiques racistes et impérialistes) et les personnes LGBTQI les plus marginalisé-e-s sont ainsi laissé-e-s de côté. Lisa Duggan and Richard Kim soulignent que l’écart s’est creusé aux États-Unis entre d’un côté les gays et lesbiennes qui demandent le mariage, l’accession au marché et au service militaire et de l’autre les politiques queer qui contestent les inégalités liées à la famille privatisée, l’État impérialiste et le marché néolibéral (Duggan, Kim, 2011/2012). Marie-Hélène Bourcier fait le même constat concernant la situation française (Bourcier, 2011, p. 299). Kenyon Farrow remarque que la politique pour l’égalité civile laisse actuellement de côté de nombreuses personnes queer qui subissent différents types de violences : de race, de classe, violence du sida, de la police etc. (Farrow, 2011/2012).
Le tournant économique/matérialiste est beaucoup plus important dans le milieu anglo-saxon. Ces réflexions sont particulièrement méconnues en France, car bien souvent non traduites. Je distingue deux types de corpus. Le premier est celui des marxistes queers, comme Alan Sears (2005 ; 2010 ; 2013), Kevin Floyd (2013), Rosemary Hennessy (1995a ; 1995b ; 2006) et d’autres, dont les articles sont parus notamment dans la revue américaine Rethinking Marxism4. Le deuxième corpus est celui de personnes qui travaillent la question du néolibéralisme à partir d’une perspective queer radicale, comme Lisa Duggan et John d’Emilio. Ces derniers-ères ont constitué un groupe, « Queer for Economic Justice », et ont publié un numéro spécial intitulé « A New Queer Agenda » dans la revue Scholar and Feminist Online5. Mais il y a également des réflexions en France qui portent sur la rencontre du matérialisme et du queer. Je pense notamment à Maxime Cervulle (Cervulle, Rees-Robert, 2010), Elsa Dorlin (2007 ; 2013), Gianfranco Rebucini (2011 ; 2013), Cornelia Möser (2013), et Natacha Chetcuti (2013) entre autres.
La démarche conceptuelle de ces auteur-e-s et militant-e-s cherche souvent à articuler une analyse foucaldienne et une analyse matérialiste-marxiste. En effet, elles/ils pensent la constitution des subjectivités sexuelles et de genre à la fois dans un régime de normalisation (ce que Foucault a appelé l’assujettissement dans et par des rapports de savoir-pouvoir) et dans un régime d’accumulation capitaliste, qui est lui-même lié à un régime de régulation institutionnelle. Elles/ils allient ainsi une analyse en termes de « savoir-pouvoir » à une réflexion qui s’intéresse à la domination capitaliste et étatique. Pour mieux expliciter cette démarche théorique, je m’intéresserai ici en particulier au travail de Kevin Floyd qui discute le couple conceptuel marxiste de réification/totalité (voir aussi Boggio-Éwanjé-Épée, 2014). Ces notions me semblent particulièrement opérantes pour comprendre de façon plus générale les propos des auteur-es de ce tournant économique/matérialiste.
J’exposerai d’abord de quelle manière, selon Floyd, la réification capitaliste opère sur le désir comme abstraction, au début du XXème siècle. Puis je détaillerai comment cette réification tend à un processus de marchandisation et de privatisation des subjectivités sexuelles et de genre dans le néolibéralisme. Enfin, j’expliquerai comment la démarche queer matérialiste envisage l’émancipation à travers une pensée et une pratique de la totalité.
2- Désir et capitalisme : la réification comme abstraction.
Dans La réification du désir, vers un marxisme queer, Kevin Floyd (2013) reprend l’analyse foucaldienne qui explique de quelle manière la psychanalyse, en tant que savoir-pouvoir, participe de la formation des subjectivités sexuelles au début du XXème siècle. Mais il précise que c’est le processus de réification propre au système capitaliste qui permet à la psychanalyse de fonctionner comme savoir qui conditionne la subjectivation sexuelle.
Il relie en effet l’analyse de Foucault à celle du marxiste Lukács sur la division du travail et la réification qu’elle entraine. Le capitalisme fordiste, comme type particulier d’accumulation du capitalisme, organise une division accrue du travail, qui se caractérise par une séparation entre travail manuel et intellectuel mais aussi par une spécialisation des savoirs. Cette division du travail est gérée par un nouveau savoir qui est le taylorisme. C’est dans ce contexte que la psychanalyse se développe comme savoir spécialisé sur la sexualité. Floyd fait le parallèle entre le taylorisme et la psychanalyse qui expriment tous deux le passage d’une science qui classifie les corps, c’est-à-dire qui hiérarchise les corps en fonction de leur normalité raciale ou de leur utilité pour le travail, à une science qui cloisonne les corps, c’est-à-dire qui dissocie différentes propriétés corporelles, et exproprie le savoir des corps :
« La similarité qui existe entre le remplacement progressif du confessionnal par le cabinet médical et l’émergence contemporaine du taylorisme est saisissante : l’usine et la cabinet médical (…) deviennent des lieux de déqualification scientifique, où le savoir est exproprié des corps qui deviennent sujets de l’expertise scientifique. L’objectivation épistémologique des compétences techniques des travailleurs et l’objectivation épistémologique du désir sexuel sont toutes deux, en ce sens, des aspects particuliers d’une dynamique capitaliste plus générale de réification qui a été analysée par Lukács » (p. 64-65).
Constituée en tant qu’expertise spécifique au sein du capitalisme fordiste, la psychanalyse réifie le désir de deux façons : d’une part, elle extrait et exproprie le désir de la connaissance qu’en ont les individus eux-mêmes. D’autre part, elle fait de la sexualité une dimension symbolique isolée du corps et des relations sociales : elle envisage le désir comme une identité propre au sujet, et non comme une pratique corporelle et sociale. Elle parle ainsi « en termes d’“espèces” homosexuelles, plutôt que de pratiques sodomites par exemple » (p. 58) dit Floyd en reprenant les termes de Foucault (1976, p. 59).
Floyd remarque également que face à la menace d’une crise d’accumulation, « une suraccumulation de capital oisif, non investi, et de main d’œuvre oisive, non investie » (p. 68), le capitalisme fordiste, fondé sur l’accumulation de capital par un circuit production/consommation très soutenu, accompagne la division du travail par le développement d’une « nouvelle gamme d’industries de service », la création de nouveaux besoins, un effort général donc pour gérer la consommation sociale.
Floyd montre ainsi « en quoi le basculement freudien du dispositif de sexualité a été médié aux États-Unis par un moment particulier dans l’histoire des efforts sociaux de gestion de l’accumulation. L’institutionnalisation de la psychanalyse comme institution et marchandise est intiment liée aux répercussions structurelles et historiques du taylorisme. La psychanalyse faisant partie d’une différenciation émergente des industries de services, elle est un des lieux où le capital et le travail ont été réinvestis au début du XXème siècle » (p. 69-70).
La normalisation par la consommation s’est accrue dans le régime fordiste, et a ainsi entrainé une localisation de la sexualité dans la sphère de la consommation et des loisirs, ce qui a complètement participé de sa réification. « Par la commercialisation de la connaissance psychanalytique du soi, par exemple, le savoir sexuel devient celui d’une temporalité réifiée et abstraite, une temporalité propre au désir sexuel. Loin d’être intégré dans d’autres temporalités, le récit psychanalytique du développement sexuel […] attribue à la sexualité une temporalité qui la détache de la vie sociale, qui la présente comme indépendante d’autre temporalités sociales » (p. 78). Non seulement la sexualité est devenue l’apanage d’un savoir particulier, mais l’accès à celui-ci est souvent devenu payant, comme le montre l’exemple de connaissance de la sexualité par la psychanalyse. « L’accès à cette connaissance sexuelle et temporelle de soi ne peut se faire que par l’échange de marchandises, par la consommation de plus en plus normalisée de la psychanalyse qui déqualifie le corps sexuel de sorte qu’il puisse servir de moyen à l’effort intense fourni pour gérer le taux d’accumulation » (p. 79).
Floyd explique ainsi de quelle manière la réification de l’ensemble des rapports sociaux dans le capitalisme fordiste concerne également le désir, et donne à voir l’homosexualité et l’hétérosexualité comme des propriétés abstraites et objectivées. Il remarque que la réification et le consumérisme produisent les conditions de possibilité des contestations gay et/queer et que la subjectivité queer se forme au sein de ce processus. Mais il souligne également comment la réification du désir peut empêcher de concevoir le changement social puisque les catégories sexuelles ne sont pas perçues comme des relations sociales qui ont été historiquement différenciées, mais comme des entités atomisées, extérieures et donc hermétiques à l’intervention humaine.
3- La réification dans le néolibéralisme : marchandisation et privatisation des subjectivités sexuelles et de genre.
Le processus de réification dans le capitalisme fordiste a créé les conditions de possibilité pour qu’un processus de marchandisation et de privatisation participe de la constitution des identités sexuelles et de genre dans le néolibéralisme6. Kevin Floyd explique de quelle manière le néolibéralisme est une nouvelle stratégie d’accumulation qui répond à la crise du fordisme. Cette stratégie donne la priorité à l’accumulation à court terme, car elle fait de l’instabilité sociale générée par la crise du fordisme une source de profit, contrairement au fordisme qui misait sur la constitution de formations « culturelles » stables et organiquement structurées sur le long terme. En ce sens, le néolibéralisme développe de nouveaux outils d’accumulation de capital, que sont les privatisations et les logiques d’atomisation (Floyd, 2013, p.265-268).
La marchandisation/privatisation des subjectivités sexuelles et de genre est une régulation à la fois « micro » et « macro » des sujets : régulation normative des corps et des désirs, mais également régulation institutionnelle de groupes sociaux plus ou moins « désirables ».
La marchandisation fait des subjectivités sexuelles et de genre des identités que l’on peut acquérir en consommant. Rosemary Hennessy (1995) et Alan Sears (2005) s’intéressent à la façon dont le néolibéralisme, qui colonise en général l’ensemble des champs sociaux de manière à les rendre marchands, a investi en particulier les identités sexuelles et de genre pour en faire des « styles de vie » (lifestyle) qui se caractérisent par un ensemble de biens et de pratiques à acheter, à consommer de façon individuelle. Un ensemble de bars, magasins, produits, vêtements, voyages etc. constituent un « pink market » qui participent de la construction d’une subjectivité LGBTQI reconnaissable.
Si l’on peut remarquer que les pratiques de consommation ont contribué avant la phase néolibérale à la création d’une identité LGBTQI commune et à la visibilisation de celle-ci, il convient de différencier à ce propos dans quelle mesure ces formes de consommation sont alternatives au marché capitaliste, « underground »7, ou intégrés à celui-ci. Or, la marchandisation des subjectivités dans le cadre de la « rationalité néolibérale », selon l’expression de Wendy Brown (2004 ; 2007), indique non seulement la pénétration de la logique marchande dans le rapport qu’entretient l’individu à son corps et à son désir, et ainsi la transformation des sujets en « sujets de valeur »8, mais également le branchement de cette marchandisation aux circuits de production et de consommation capitaliste.
Si des stratégies de subversion peuvent prendre place au sein du système de consommation capitaliste9, il n’en demeure pas moins que la marchandisation des identités LGBT (mais la remarque vaut de façon bien plus générale pour la marchandisation de l’ensemble des identités – et du désir- dans le néolibéralisme) engendre de fortes inégalités : les personnes qui n’ont pas les moyens ne peuvent acquérir cette identité qui conditionne pourtant leur visibilité et leur reconnaissance. La marchandisation rend donc « invisibles » celles et ceux qui ne peuvent suffisamment ou correctement consommer.
Le régime de consommation participe ainsi pleinement d’une homonormativité10 – c’est-à-dire une normalisation des identités LGBTQI. Ce régime décrit non seulement les contours de ces identités réifiées mais indique également les manières de les performer. Cette définition exclue les personnes les plus pauvres bien sûr et spécifiquement les femmes11, les personnes âgées, les trans, les personnes stigmatisées comme handicapées, et les personnes racisées. Alan Sears remarque :
« Queers with limited incomes are invisible because they cannot enter the commodified realm of lesbian/gay visibility. Indeed, Hollibaugh argues that queers are often particularly vulnerable to poverty: “Poverty and outright destitution can happen to anyone — and the queerer you are, the fewer safety nets exist to hold you up or bounce you back from the abyss. Queerness intensifies poverty and compounds the difficulty of dealing with the social service system.” (Hollibaugh, 2001) » (2005, p.105).
Ces précisions remettent en question l’utilisation du terme LGBTQI qui englobe des situations très différentes, notamment du point de vue des inégalités socio-économiques. À ce propos, Rosemary Hennessy et Alan Sears soulignent de quelle manière cette marchandisation des identités LGBQI réifie les rapports de travail qui la sous-tendent, c’est-à-dire dissimule les rapports sociaux de classe, de race et de genre qui fondent la production de ces marchandises. Si ces rapports de classe ont toujours existé, et ne sont certes pas propres au néolibéralisme, il est nécessaire de remarquer que le développement du « pink market » non seulement les exacerbe, mais repose également sur eux.
« An investigation of the impact of market relations on the character of lesbian and gay communities goes beyond the question of access to the character of the businesses that organize queer space. These businesses (bars, cafes, shops, restaurants, fashion and beauty industries) are themselves class-organized workplaces. There is a need for more research on the specific social relations of the queer service economy. It matters that these spaces are sustained by the labor of relatively low-wage service workers who may (though further investigation is required) be willing to accept a lower wage than they would be paid elsewhere in exchange for the relative comfort of working in a queer environment » (Sears, 2005, p.105-106).
Kevin Floyd et Alan Sears remarquent que le développement de cette consommation homonormative, qui peut apparaitre comme une forme d’inclusion positive des personnes LGBTQI dans le capitalisme, est corollaire de la privatisation d’espaces queer. Le néolibéralisme, et la spéculation immobilière qu’il engendre, a par exemple entrainé l’éclatement et l’embourgeoisement des quartiers et des lieux de consommation queer. Les quartiers sont de plus en plus habités par les classes moyennes et supérieures, les prix (des loyers, comme des lieux de consommation) s’envolent, et les gays et lesbiennes de classe populaire et/ou of color, et les trans en sont chassé-e-s. Laissant la place à une catégorie de gay riches et blancs (surtout des hommes), qui par ailleurs iront faire du « tourisme ethnique » dans les quartiers queer of colors plus périphériques.
Ce processus a conduit en particulier à la fermeture et/ou la redéfinition par le néolibéralisme des bars et de lieux de consommation LGBT-friendly, ainsi qu’à la disparition des espaces publics et gratuits (notamment les lieux de dragues et/ou de sociabilité et de contestation gay et lesbienne), qui se forment « entre » et à partir de ces lieux de consommation. « Au moment même où de gigantesques publicités de Calvin Klein jouant sur l’érotisme homosexuel s’exhibaient dans Times Square, la municipalité de New York parvint à fermer la plupart des lieux de sexualité publique aux alentours » (Floyd, 2013, p. 275). Ce mouvement conduit à une privatisation des pratiques sexuelles et a des conséquences particulièrement inégalitaires sur les formes de sociabilité et d’existence queer.
Floyd, en s’appuyant sur le travail de Martin Manalansan (2005), décrit la privatisation du quartier de Christopher Street à New York, lieu de sociabilité de queers of colors, à coups de spéculation immobilière favorisée par les instances politiques. Les queers of colors ont été chassé-e-s de cet endroit et ont été privé-e-s par là même de la possibilité de se rencontrer et de vivre leur sociabilité et existence queer. Comble de la logique de privatisation : après l’expulsion des queers of colors, un tourisme culturel pour des gays blancs et aisés a vu le jour dans ce même quartier (Floyd, 2013, p.281-282).
Floyd et Sears montrent ainsi comment l’établissement des normes du marché ne peut se passer de la dispersion de formes qui lui sont alternatives et comment cet isolement se réalise grâce à l’action étatique.
L’inclusion publicitaire et publicisée des minorités sexuelles et de genre dans le néolibéralisme se fait avant tout au nom du profit, la publicité se servant des corps queer masculins12 pour créer et séduire un nouveau profil de consommateurs. Elle recrée par ailleurs de fortes inégalités, car elle instaure une nouvelle stratification sociale à partir des différentes formes de masculinités qui en résultent. Ce processus se réalise à l’aide d’une violence d’État alliée aux forces du néolibéralisme, à travers notamment des politiques de gentrification soutenues par les municipalités.
4- L’émancipation queer à travers la totalité sociale et l’articulation des luttes.
Pour Kevin Floyd, les « formations queer » aspirent à une forme de totalité sociale, c’est-à-dire une conception qui reconnecte le sexuel et le social, contre la réification du sexuel, et envisagent des mondes communs queer, contre la privatisation du sexuel (au sens à la fois de restriction du sexuel à une pratique intime et de colonisation du sexuel par le capitalisme et l’État).
Contre la réification de la sexualité, les théories et pratiques queer aspirent à comprendre la totalité sociale à partir d’un point de départ singulier, d’une subjectivité historiquement et socialement produite. Elles dévoilent ainsi la possibilité d’une critique de cette totalité (le capitalisme) à partir de leur propre subjectivité, qui est traversée et produite par les différents rapports sociaux. Les pratiques et théories queer, visant la totalité, militent ainsi pour la transformation du système d’oppression et de domination. La pensée de la totalité se matérialise par des revendications queer globales et une volonté de construire des coalitions politiques larges. Les auteurs queer matérialistes aux États-Unis, qui ont écrit notamment dans le numéro « A New Queer Agenda », portent des revendications pas uniquement pour l’acquisition de droits formels ou contre les discriminations mais aussi pour une émancipation « matérielle », qui passe par la justice économique ou l’accès à la santé pour toutes et tous. Pour cela, ils défendent la construction de coalitions politiques queers et féministes, anti-capitalistes, anti-impérialistes etc. Ils soulignent la nécessité de ne pas nier les différences (de race, de classe, de genre etc.), mais affirment que c’est justement en refusant la particularisation que l’on peut prendre en compte l’articulation des différences (Duggan, 2011/2012).
Les formations queer représentent une contre hégémonie à la réification en ce qu’elles envisagent les luttes queer comme des luttes qui ne sont pas seulement « identitaires », « symboliques », « culturelles », mais aussi « matérielles ». Cette politique queer montre que l’opposition « culturel / économique », ou « reconnaissance / redistribution » selon les termes de Nancy Fraser, n’est absolument pas pertinente. Au contraire, cette dichotomie rejoue une partition libérale et capitaliste, qui dépolitise complètement les questions dites « culturelles » en ce qu’elle les individualise et les cantonne à la sphère privée et marchande. Et laisse ainsi penser que les revendications les concernant peuvent être distinctes de changements sociaux et économiques plus larges.
Il serait plus intéressant de penser des « rapports sociaux de sexualité », comme le dit Gianfranco Rebucini :
« Comme la race, la classe, l’ethnicité, l’âge, les identités sexuelles fonctionnent comme des marqueurs de distinction sociale. Il ne s’agit pas là seulement d’identité ou de culture qui mériteraient juste le respect ou pire la tolérance, mais bel et bien de rapports sociaux par lesquels notre société distribue des avantages et des privilèges qui ne sont pas seulement de l’ordre du symbolique mais aussi de l’ordre du matériel » (Rebucini, 2013).
Cette notion de « rapports sociaux » permet de penser l’aspect également matériel de la domination des personnes LGBTQI, qui s’incarne dans une forte précarité économique pour certain-e-s d’entre eux/elles. Or, la réflexion queer matérialiste prend en compte ces inégalités en soulignant la façon dont elles sont déterminées par l’articulation de différents rapports sociaux. Gianfranco Rebucini revient sur une étude13 qui indique qu’en France les hommes gays gagnent moins que les hommes hétérosexuels à compétence égale (l’ampleur de cette discrimination varie de ?6.5% environ dans le secteur privé à ?5.5% dans le secteur public) et que les gays et les lesbiennes se trouvent très souvent dans des conditions économiques précaires à cause de l’homophobie et de la lesbophobie. Concernant le contexte états-unien, Joseph de Philippis (2011/2012) précise que les LGBT of colors sont plus pauvres que les LGBT blancs, mais aussi plus pauvres que les hétérosexuels of colors, que les couples gays et lesbiens sont plus pauvres que les couples hétérosexuels en général et que les personnes trans sont les plus pauvres de la communauté LGBTQI : environ 65% d’entre eux vivent dans la pauvreté.
Conclusion
Je pense que ces analyses ouvrent des pistes à approfondir pour construire une alliance entre féminisme matérialiste et théories et pratiques queer.
À l’encontre de certaines féministes matérialistes qui considèrent les luttes et théories queer comme promouvant un engagement purement individuel, voir individualiste et libéral, et une perspective renaturalisant la sexualité et le genre, le tournant matérialiste-marxiste queer réaffirme la radicalité des approches queer et leur points communs avec le féminisme matérialiste : elles adoptent une vision constructiviste du genre et de la sexualité, en montrant non seulement le caractère discursivement mais aussi socialement et économiquement construit des subjectivités sexuelles et de genre, et défendent une transformation sociale et économique radicale. Les analyses qui s’inscrivent dans ce tournant soulignent en particulier la façon dont la sexualité, loin d’être séparée des autres champs sociaux, est complètement liée à la domination de genre, de race et de classe, et ce, dans des contextes historiques déterminés, marqués notamment par des modes d’accumulation du capital spécifiques.
Là où les réflexions sur la consubstantialité et la co-extensivité des rapports sociaux (Kergoat, 2009) ainsi que le patriarcat comme mode d’exploitation spécifique des femmes (Delphy, 2002) demeurent indispensables pour nos luttes féministes, je pense que les analyses « queer matérialistes » nous sont également précieuses. En conservant les apports des approches post-structuralistes, elles appréhendent la constitution des subjectivités de genre et de sexualité non seulement dans des rapports de production mais aussi dans des régimes de savoir-pouvoir. Le tournant marxiste queer en particulier développe des considérations intéressantes pour nos perspectives féministes, car il complète une compréhension de la division sexuelle du travail dans la globalisation néolibérale par une lecture de la subjectivation sexuelle et de genre au sein de ce système et par une relecture du concept de totalité capitaliste.
Note de l’auteure : Les riches et nombreuses remarques de Fanny Gallot et de Gianfranco Rebucini m’ont permis de modifier le texte initial. Je les remercie vivement pour leurs commentaires extrêmement intéressants.
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références
⇧1 | Pour une analyse des sources et des influences intellectuelles de Judith Butler, voir Salih (2002, p.5-7), cité dans Baril (2005, p.70). |
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⇧2 | J’utilise l’acronyme LGBTQI pour désigner le mouvement des Lesbiennes, Gays, Bisexuel-le-s, Trans, Queer, Intersexes. Ce sigle général ne rend pas bien compte évidemment de la façon dont les luttes de chacune de ces « identités » ne forment pas toujours un tout cohérent. La pensée et le militantisme queer est défini ici comme la forme radicale d’un militantisme LGBTQI, c’est-à-dire la tentative de dépasser les politiques identitaires dont la charge révolutionnaire s’était essoufflée pendant les années 1980 dans les mouvements LGBT. |
⇧3 | C’est le cas des auteurs par exemple de la revue A New Queer Agenda, voir précision dans la description du corpus plus bas. |
⇧4 | Pour un aperçu plus complet des travaux récents dans le domaine des Queer Studies qui portent sur la tradition marxiste, voir FLOYD(2013), note de bas de page, p. 11. |
⇧5 | http://sfonline.barnard.edu/a-new-queer-agenda/ Je remercie Florian Voros de m’avoir indiqué ce numéro. |
⇧6 | «Il y a un style économique du développement capitaliste qui s’est imposéàpartir des années 1970 en opposition au style keynésien et fordiste ; la dérégulation, la nouvelle géographie du capital, la redistribution des richesses, la réorganisation du travail (flexibilisation, précarisation), la financiarisation et le processus d’endettement qui est solidaire, l’avènement de formes culturelles manifestement plus en affinitéavec le consumérisme et l’enrichissement personnel sans freins dessinent une certaine sorte de monde. Le terme de néolibéralisme permet, en première analyse, de prendre ces phénomènes en considération, de manière globale» (Haber, 2012, p. 66), cité dans Sauvêtre (2014, p. 760). |
⇧7 | Kevin Floyd décrit de quelle manière s’est développé après la seconde guerre mondiale un circuit de marchandisation gay et lesbien qui a permis de lutter contre l’isolement de gays et lesbiennes. Ce marché « underground » était complètement marginalisé du marché fordiste (Floyd, 2013, p. 218-222). |
⇧8 | « Mais c’est aussi un horizon historiquement situéqui définit les lesbiennes et les gays comme des “sujets de valeur”-comme l’a soulignéPaul Smith-, c’est-à-dire comme des sujets àqui l’état post-keynésien prend soin de n’accorder que des droits conformes àla normalisation accrue de la propriétéet de la consommation propre au néolibéralisme » (Floyd, 2013, p.271). |
⇧9 | Kevin Floyd insiste beaucoup sur la formation des subjectivités queer au sein de ce régime de consommation. Voir également un exemple de subversions possibles à partir de la consommation des sex toys dans Sal, Levy, (2011). |
⇧10 | C’est Lisa Duggan (2003) qui a conçu cette notion. Gianfranco Rebucini donne une définition brève de cette notion dans Rebucini (2013, p.76). |
⇧11 | « Women are less likely to have access to a public commercial lesbian scene as a result of the dominant gendered division of labor that tends to offer women lower economic standing and a greater likelihood of having “private”domestic responsibilities », (Sears, 2005, p.105). |
⇧12 | « It is much less common to find such market niches oriented toward lesbians than gay men. Danae Clark (1991, 182) argues that lesbians have not really been targeted as a consumer group as they tend to be neither economically powerful nor identifiable as such. Yet even without such a spatially identified niche market, new forms of lesbian style have developed in the 1990s, often understood in counter-position to the lesbian-feminist hostility to commodified style that preceded it (Clark, 1991, 184–85)» (Sears, 2005, p.108). |
⇧13 | THIERRY, Laurent, MIHOUBI, Ferhat, «Moins égaux que les autres ? Orientation sexuelle et discrimination salariale en France », document de recherche EPEE (Centre d’Études des Politiques Economiques de l’Université d’Evry), 10-05, en ligne : http://www.univ-evry.fr/modules/resources/ download/default/Recherche/Les… |