« La redécouverte de ses propres origines signifie pour le marxisme un questionnement radical, produire le concept d’une différence que n’est authentique qu’à condition d’être impure » (José Aricó, 1969)[1].
Le premier des Sept essais d’interprétation de la réalité péruvienne, titré « Schème d’évolution économique », ouvre l’analyse avec l’affirmation suivante : « Sur le plan de l’économie on aperçoit mieux que dans tout autre, jusqu’à quel point la Conquête divise l’histoire du Pérou »[2]. La célèbre analyse que propose Mariátegui de la situation historique du Pérou au début du XXème siècle, qui a été considérée comme l’un des premiers travaux d’analyse « marxiste » en Amérique Latine (ou inspirée d’un certain « matérialisme historique »)[3], établit en toute rigueur le moment de la conquête de l’empire espagnol comme un moment de rupture, qui a scindé l’histoire du Pérou, ainsi que de tout le continent latino-américain, en le soumettant à sa domination, et avec elle, aux conditions de servitude, de dépouillement et, bien sûr, de pauvreté.
Ce moment de destruction marque de manière irréversible l’avenir du pays, et notamment le destin de la population indigène. « La société indigène, l’économie incaïque, se sont décomposées et anéanties complètement suit au coup de la Conquête. Brisés les liens de leur unité, la nation s’est dissoute en communautés dispersées. Le travail indigène a cessé de fonctionner de manière solidaire et organique. Les conquéreurs ne se sont presque préoccupés que de se distribuer et se disputer l’abondant butin de guerre »[4].
Pour le mettre en quelques mots, on pourrait très facilement considérer cet événement comme l’origine de la condition de sous-développement de la société péruvienne, et de la société latino-américaine en général. Ce serait, pourrait-on dire, l’origine de l’inégalité, aussi bien de l’inégalité au sein de la société péruvienne (disons, entre la classe des propriétaires fonciers et la masse des paysans), que de l’inégalité entre la société péruvienne et la société européenne, et plus généralement, entre les pays développés et le dit « Tiers monde », l’ensemble des pays sous-développés. « Le Vice-royauté (el Virreinato) — dit Mariátegui — signale le commencement du procès difficile et complexe de formation d’une nouvelle économie »[5].
Comme on le sait, suite à une grande polémique, Mariátegui caractérise comme « socialiste » l’économie incaïque, et la nouvelle économie imposée par l’empire espagnol, qui s’est érigée sur les « ruines » et les « résidus » de la précédente, comme « féodale ». Son analyse se poursuit avec la description d’une deuxième « étape » de transition depuis cette économie féodale vers une économie « bourgeoise », marqué par un autre événement historique d’envergure : le moment de l’Independence et la naissance de la République. Enfin, il distingue l’étape actuelle de l’économie péruvienne, marquée cette fois par les conséquences néfastes de la guerre entre la Confédération et le Chili (1836-1839), mais suivie d’une consolidation de la bourgeoisie ainsi que de la formation d’un « prolétariat », conséquence du développement de l’industrie et du capital financier.
Sans pouvoir entrer dans les détails, il est intéressant de noter que cette analyse s’élabore à partir du même schème marxiste des étapes du développement historique des sociétés, selon lequel l’évolution progressive des différents modes de production détermine les différentes formations sociales. Mais dans le même temps, il est remarquable aussi que Mariátegui parle ici de la coexistence chez les Incas des différentes modes de production ou formes économiques (Mariátegui parle d’un capitalisme naissant, d’un féodalisme hérité de la colonie, et du « communisme inca », tous contemporains), ce qui nous rappelle le genre d’analyses que Marx développe dans plusieurs de ces écrits journalistiques et dans quelques cahiers plutôt tardifs à propos de la communauté rurale russe (notamment le projet de lettre à Véra Zassoulitch)[6], ainsi que du problème colonial, particulièrement en Irlande et en Inde.
Ces analyses, méconnus pour la plupart des marxistes du XXème siècle, étaient évidemment ignorées par Mariátegui. Mais cela ne l’a pas empêché d’observer, dès les années 1920, qu’il n’y avait pas une loi universelle du développement historique dans des sociétés faisant partie du système capitaliste. Comme il a été bien documenté dans l’étude de Flores Galindo, la position mariateguienne de défense du « communisme inca », dont l’ayllu était le témoin, lui a valu une série de problèmes et de polémiques avec les communistes et intellectuels de la Troisième Internationale.
Ce qui nous intéresse dans cette position, cependant, c’est qu’à partir d’elle on peut apprécier un autre discours parallèle chez Mariátegui, qui fonctionne comme son complément, comme l’envers nécessaire de ce discours sur l’origine de l’inégalité qui évoque la situation de pauvreté et de subordination de l’Indien : un discours qui porte sur l’inégalité des origines. Ce discours, Mariátegui le rend explicite à plusieurs reprises, et son articulation se fait à travers différents textes et problématiques (peut-être surtout dans les textes non strictement « économiques », ceux dont Mariátegui aborde les problèmes du rapport et de la différence culturelle entre l’Amérique Latine et l’Europe).
Mais dans les Sept essais, on peut trouver un moment privilégié de ce discours, et c’est la note au pied de page qu’il inclut dans le troisième essai, où Mariátegui soutient :
« Le communisme moderne est quelque chose de différent du communisme incaïque… L’un et l’autre communisme sont le produit des différentes expériences humaines. Ils appartiennent à des époques historiques différentes. Ils constituent l’élaboration des civilisations dissimilaires. Celle des incas a été une civilisation agraire. Celle de Marx et Sorel est une civilisation industrielle. Dans celle-là, l’homme se soumit à la nature. Dans celle-ci, la nature se soumit parfois à l’homme. Il est donc absurde de confronter les formes et institutions de l’un et l’autre communisme. La seule chose qui peut se confronter c’est leur ressemblance essentielle incorporelle, dans la différence essentielle et matérielle de temps et d’espace. Et pour cette confrontation il faut un peu de relativisme historique. »[7]
De ce point de vue, pour Mariátegui, on pourrait dire que c’est dans le retard même de la société incaïque que se trouve la possibilité ou plutôt le potentiel du socialisme[8]. En tout cas, il ne serait pas nécessaire de passer par toutes les étapes du développement capitaliste occidental, tel qu’il a été connu en Europe, pour atteindre la révolution et le communisme. De manière générale, tout le débat autour des « théories du développement » (et de ce qu’on a nommé le « développementisme » en Amérique Latine), ainsi que la critique ou réfutation qui étaient censés d’être les « théories de la dépendance » (même ceux qui ont parlé d’une « dialectique de la dépendance »), se révèle donc un problème dont les termes ainsi que les prémisses ont été mal posés.
Cela ne veut pas dire, certes, que les inégalités entres les pays du « centre » et de la « périphérie » n’existent pas, ou qu’il n’y a pas des rapports de domination entre les pays colonisateurs et les anciennes colonies. Ces différences existent, et sont bien réelles, sans doute. Mais dans tous les cas, il s’agit d’une même conception du temps historique, où ce qui retient l’attention c’est de savoir, d’une part, si l’Amérique latine est ou bien féodale ou précapitaliste, ou bien déjà capitaliste (mais en retard), une fois qu’elle a été intégrée au système mercantile mondiale ; et d’autre part, s’il faut continuer l’échange marchande avec les pays riches du « centre », ou bien s’il faut plutôt privilégier le marché interne et donc renforcer l’industrie nationale, suite à quoi, en se rapprochera tard ou tôt à la possibilité d’une révolution socialiste, grâce à la formation d’une classe prolétarienne robuste (tout cela constitue à peu de choses près le nœud des débats en Amérique Latine dès les années 1950 et jusque dans les années 1970).
En ce sens, dès l’époque durant laquelle Mariátegui écrit, il était possible de reconnaître ces mêmes termes ou prémisses. D’un côté, les accusations de la part de l’APRA pour son prétendu « européisme » et, d’un autre côté, les accusations de la part des communistes de l’Internationale d’un « romantisme nationaliste » ou même de « populisme »[9], peuvent se rapporter toutes les deux à une même explication, à un même problème qui en serait la cause : sa conception de l’histoire, mais aussi de la culture et la politique, se fonderait sur une « origine absolue » : soit l’origine d’un certain « universalisme » (le marxisme comme doctrine surgie de l’Europe), soit l’origine d’un certain « particularisme » (la nation Inca, ou les peuples indigènes de l’Amérique Latine).
C’est ici qu’on touche à une question nodale chez Mariátegui, décisive pour identifier ce que sa pensée peut nous apprendre mais aussi ce qu’il est nécessaire de questionner et de critiquer chez lui. Je voudrais donc à présent confronter ce double discours à l’œuvre dans les travaux de Mariátegui, à une tradition de pensée qui n’est pas toute à fait étrangère à lui – même s’il s’est montré attentif au processus révolutionnaire en Chine, il n’a pu connaître la pensée de Mao Zedong : ce lien sera plutôt le résultat de la combinaison délirante et néfaste que produira « Sendero Luminoso » dans les années 1970-1980.
Dans son étude De la contradiction (de 1937), Mao Zedong énonçait une thèse devenue célèbre dans les études d’analyse marxistes, selon laquelle, « dans toute contradiction, les aspects contradictoires se développent d’une manière inégale »[10] (cette thèse n’est pas sans lien avec la « loi du développement inégale et combiné » formulée par Trotsky dans son Histoire de la révolution russe[11], mais pour des raisons historiques, aussi bien que théoriques, on laissera cet aspect de côté[12]).
C’est dans cette même étude que Mao introduit les notions de contradiction principale et d’aspect principal d’une contradiction. En lisant ce texte, justement, Althusser parle, dans l’un des essais de Pour Marx, d’une « loi du développement inégal des contradictions »[13], pour exprimer l’idée que toute formation sociale est structurée par une inégalité fondamentale, car c’est la structure elle-même qui est constituée par la « différence » entre ses contradictions, ou autrement dit, c’est la différence des contradictions qui pose « les conditions d’existence du tout complexe »[14] structuré.
Althusser veut montrer que c’est justement dans cette conception d’une formation sociale comme un « tout structuré complexe à dominante », ainsi que dans la formulation de cette « loi primitive » de l’inégalité, qu’on peut discerner la différence entre une conception hégélienne et une conception marxiste du tout et de la dialectique. Alors que la totalité hégélienne est « le développement aliéné d’une unité simple », c’est-à-dire d’une origine qui contient en soi-même sa fin, elle ne comporte pas la différence des contradictions ou le décalage entre ses structures (« c’est pourquoi chez Hegel aucune contradiction déterminée n’est jamais dominante »[15]).
Au contraire, la totalité marxienne est constituée par cet « invariant structural » qu’est cette loi de l’inégalité. Mais par là il faut comprendre (pour éviter l’accusation hâtive d’un « structuralisme » dogmatique) un double mouvement : cet invariant est la condition des variations concrètes des contradictions, et inversement, ces variations sont elles-mêmes ce qui donne existence à cet invariant[16]. D’où la possibilité du « jeu » des différences, qui rend impossible l’idée d’une origine simple et absolue. De ce point de vue, le « développement inégal » ne s’explique pas du « dehors » des éléments de la contradiction, mais au contraire, il constitue l’essence même du rapport des éléments en contradiction.
Comme l’a bien souligné Vittorio Morfino, tout cela renvoie à la thèse du « primat de la rencontre sur la forme »[17]. Il n’y a pas d’éléments préconstitués, il n’y a pas d’unité originaire simple toujours déjà donnée, mais il y a la différence, l’inégalité des origines, inégalité qui rend possible la rencontre, la « prise de consistance » d’une formation sociale déterminée (ou plutôt, toujours surdéterminée).
Ayant ces distinctions théoriques en tête, on peut revenir à Mariátegui, pour voir la forme que prend et comment fonctionne son discours sur l’inégalité des origines, aux côtés de son discours sur l’origine de l’inégalité. On le voit très clairement, par exemple, dans un passage du livre Le problème des races en Amérique Latine. Lorsqu’il identifie très explicitement dans la colonisation le problème du « retard » et de l’ « ignorance » des peuples indigènes, il se tient néanmoins à l’écart de toute réponse essentialiste face à ce contexte d’extrême inégalité :
« Du préjugé sur l’infériorité de la race indigène, on commence à passer à l’extrême opposé : celui selon lequel la création d’une nouvelle culture américaine serait essentiellement l’œuvre des forces raciales autochtones. Souscrire à cette thèse, c’est chuter dans le mysticisme le plus naïf et le plus absurde. Au racisme de ceux qui méprissent l’indien, parce qu’ils croient à la supériorité absolue et permanente de la race blanche, il serait imprudent et dangereux d’opposer le racisme de ceux qui surestiment l’indien, avec une foi messianique dans sa mission comme race dans la renaissance américaine »[18].
Mais si on revient au premier des Sept essais, on voit s’affaiblir cette critique des origines, jusqu’à un oubli complet — bien que momentané — de tout discours sur l’inégalité des origines. En effet, comme nous en a averti il y a plusieurs années Robert Paris, par exemple, l’image que Mariátegui donne de la communauté inca et de la figure de l’ayllu reste par beaucoup d’aspects une image idéalisée, essentialiste et donc « déshistoricisée » (pour ne pas dire tout à fait « anhistorique »)[19].
Le problème, n’est pas, cependant, d’identifier chez les Incas une forme de communisme indien. Ce n’est pas le problème de l’ « anachronisme », qu’avait dénoncé Alfred Métraux dans sa célèbre étude sur les incas (qui, d’ailleurs, opposait trop abstraitement le concept de socialisme de Bertrand Russell à la réalité empirique étudié par lui)[20]. Tout au contraire, on voit là l’un des coups de génie de Mariátegui. Le problème est le suivant : la communauté inca est déjà une communauté altérée, modifiée par la rencontre des Espagnols, et par un développement historique qui peut remonter très loin dans l’histoire. En fait, la formation de la communauté inca n’est concevable qu’à partir de ses rapports de voisinage avec d’autres peuples, et même à partir d’une hétérogénéité à l’intérieur du peuple Inca lui-même.
Dans le compte rendu qu’il a fait du livre de Métraux, Lévi-Strauss souligne justement ce fait que « les incas » constituent une civilisation « historiquement tardive, [qui] ne parvint jamais à — et ne prétendit sans doute pas — assimiler les cultures multiples et souvent très anciennes qui occupaient l’immense territoire, sur lequel les conquérants établirent leur hégémonie »[21].
Bien sûr, ce n’est pas du tout notre propos (car il est totalement hors de notre compétence) de déterminer l’histoire et la composition empirique des peuples indigènes précolombiens de la région des Andes. Ce qui nous intéresse, c’est plutôt de mettre en évidence cette sorte d’oscillation ou d’ambivalence dans le discours de Mariátegui par rapport aux questions de la race et la nation, d’une part, et par rapport à son analyse marxiste du développement capitaliste, d’autre part. Paris parle, en fait, d’un certain « rousseauisme » de Mariátegui, « ami des principes et des situations originelles », auquel il oppose son marxisme[22].
Ce n’est pas par hasard alors, que ce soit justement autour de ces deux figures de référence, que s’élabore le double discours que l’on a tenté d’identifier : au discours rousseauiste sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, on voit s’opposer un discours marxiste sur l’inégalité des origines de toute formation sociale.
***
Pour conclure ces remarques assez schématiques, je voudrais avancer que cette oscillation, cette indécision ne doit peut-être pas être lue comme un défaut de Mariátegui, quelque chose qui l’empêcherait d’accéder à la pleine cohérence d’un discours achevé, mais plutôt comme ce qui constitue sa fécondité, l’ouverture d’un discours inachevable, dont l’hétérogénéité demeure irréductible. Nous croyons, avec des lecteurs comme José Aricó, Oscar Terán, Horacio Tarcus et plus récemment Martín Cortés[23], que contre tout essentialisme identitaire, mais aussi contre tout humanisme, Mariátegui ouvre la possibilité de lire le marxisme depuis l’hétérogénéité (loin de toute essence homogène), depuis le croisement (loin de toute linéarité simple), depuis la traduction (loin d’une fidélité soumisse à l’original), et surtout depuis la « rencontre » (loin, donc, des formes fixes préexistantes).
[1] José Aricó, “El marxismo antihumanista”, en Dilemas del marxismo en América Latina. Antología esencial. Edición, selección y prólogo de Martín Cortés (Buenos Aires: CLACSO, 2017), 118.
[2] José Carlos Mariátegui, 7 ensayos de interpretación de la realidad peruana. Prólogo de Aníbal Quijano. Notas, cronología y bibliografía de Elizabeth Garrels (Caracas: Fundación Biblioteca Ayacucho, 2007), 7.
[3] Mariátegui lui-même parle de son « premier effort marxiste pour fonder l’histoire péruvienne dans l’étude du fait économique » (ibid., 10). Voir aussi « El hecho económico en la historia peruana » (OC XI).
[4] Ibíd., 7.
[5] Ibid., 8.
[6] Roger Dangeville. « Lettres de Marx à Véra Zassoulitch », L’Homme et la société 5 (1967) : 165-179. Voir aussi la « Préface à l’édition russe de 1882 » du Manifeste du Parti communiste : https://www.marxists.org/francais/marx/works/1882/01/kmfe18820121.htm
[7] Ibid., 63-64n.
[8] Alberto Flores Galindo, La agonía de Mariátegui. La polémica con la Komintern (Lima : Centro de Estudios y Promoción del Desarrollo, 1980), 49.
[9] Voir notamment le commentaire très dogmatique de V. M. Miroshevski, « El ‘populismo’ en el Perú. Papel de Mariátegui en la historia del pensamiento social lationamericano », in José Aricó, Mariátegui y los orígenes del marxismo latinoamericano (México : Pasado y Presente, 1980), 55-70 (texte publié originalement en russe en 1941).
[10] Mao Zedong, De la contradiction, version numérique disponible sur le site : http://www.maozedong.fr/mao-zedong-de-la-contradiction.php. Plus tard, il ajoute: « Rien au monde ne se développe d’une manière absolument égale, et nous devons combattre la théorie du développement égal ou la théorie de l’équilibre ».
[11] Léon Trotski, Histoire de la révolution russe 1. Février. Traduit du russe par Maurice Parijanine (Paris : Seuil, 1967), voir surtout le chapitre 1, « Particularités du développement de la Russie ».
[12] Mariátegui n’a pas eu l’occasion non plus de connaître cet ouvrage de Trotski, publié pour la première fois en 1930, l’année de son décès. Cependant, il connaissait bien sa figure de dirigeant politique et critique de la révolution, en lui consacrant plusieurs textes : « Trosky » (OC I), « El partido bolchevique y Trotsky » (OC XVI), « Trotsky y la oposición comunista » (OC XVII). Naturellement, on n’y trouve nulle part des idées qui fassent référence à cette « loi du développement combiné » ou même au concept de « révolution permanente », étroitement lié à celle-ci. Voir à ce propos, Michael Löwy, « José Carlos Mariategui et la révolution permanente », disponible sur le site : http://www.avanti4.be/debats-theorie-histoire/article/jose-carlos-mariategui-et-la-revolution. Bien qu’il reconnait que la pensée de Mariátegui sur la révolution au Pérou ne peut pas être expliqué par sa lecture de Trotski (pour des questions de chronologie), Löwy va trop loin ou trop vite pour rapprocher le premier aux positions théoriques du dernier.
[13] Louis Althusser, « Sur la dialectique matérialiste. (De l’inégalité des origines) », in Pour Marx (Paris : François Maspero, 1965), 206. Peu après il parle d’une « grande loi de l’inégalité » (218).
[14] Althusser, « Sur la dialectique matérialiste », 210-211.
[15] Althusser, « Sur la dialectique matérialiste », 209.
[16] Althusser, « Sur la dialectique matérialiste », 219. Bruno Bosteels a attiré l’attention sur le problème d’un « devenir transcendantal » de cette loi du développement inégal des contradictions, ce qui ramènerait tout la problématique d’Althusser à son point de départ qu’il voulait justement critiquer (les lois transcendantales du développement historique, lois nécessaires, vers une Fin, donc téléologiques, etc.). Mais on pense que c’est justement cette critique de la catégorie d’origine, ainsi que la question du « jeu », et plus tard, de ce qu’il appellera l’ « aléatoire », ce qui peut écarter cette possibilité. En ce sens, la notion de « loi » ne doit pas être prise au sens strict, mais peut-être comme une « tendance », plutôt (bien qu’Althusser donne beaucoup des raisons pour la prendre comme loi scientifique au sens le plus strict). C’est Bosteels lui-même qui, d’ailleurs, souligne le fait que cette notion de « loi du développement inégal des contradictions » élaborée dans Pour Marx, semble être remplacée dans Lire le Capital pour la notion — moins stricte et beaucoup plus féconde — de décalage. Bruno Bosteels, « Leer El Capital desde los márgenes : Notas sobre las lógicas del desarrollo desigual », en Matcelo Rodríguez y Marcelo Starcenbaum (comps.), Lecturas de Althusser en América Latina (Santiago : Doble Ciencia, 2017), 41-76.
[17] Vittorio Morfino et Luca Pinzolo, « Le primat de la rencontre sur la forme. Le dernier Althusser entre nature et histoire », Multitudes 21 (2005) : 150-158. Voir aussi une version plus développée dans le chapitre 4 de Vittorio Morfino, Plural Temporality. Transindividuality and the Aleatory Between Spinoza and Althusser (Leiden : Brill, 2014).
[18] José Carlos Mariátegui, « El problema de las razas en América Latina » (OC XIII), 30.
[19] Robert Paris, « José Carlos Mariátegui et le modèle du « communisme » inca ». Annales. Économies, Sociétés,
Civilisations 5 (1966) : 1065-1072. Voir par exemple : « La conquête a détruit au Pérou une forme économique et sociale qui naissait spontanément de la terre et des gens péruviennes. Et ils se nourrissaient complètement d’un sentiment indigène de la vie » (Mariátegui, OC XI, 80).
[20] Alfred Métraux, Les Incas (Paris : Seuil, 1983 [1961]), 103-104.
[21] Claude Lévi-Strauss. « A. Metraux, Les Incas », L’Homme, tome 2, n°2 (1962) : 139-140.
[22] Paris, « José Carlos Mariátegui et le modèle du « communisme » inca », 1066.
[23] Voir par exemple Martín Cortés, « Marxismo y heterogeneidad. Para una crítica del origen », Cuadernos Americanos 158 (2016) : 1-20.