Un vent mauvais souffle en France. Pas une journée sans que l’on apprenne une nouvelle déclaration médiatique, politique, rappelant aux musulmans de France qu’ils sont suspects par principe, qu’ils ne sont pas chez eux, qu’il faut les surveiller.
Ce sont les universités ou les administrations qui parlent, avec une pudeur particulièrement obscène, de « signaux faibles » pour dépister, comme une métastase nationale, la radicalité islamique partout. Aucun espace ne sera épargné, aucun signe ne saurait échapper au regard scrupuleux du législateur, de l’enseignant, du fonctionnaire de police, ou même du premier quidam venu : longueur des barbes, des jupes, des voiles, des pantalons, discours « victimaires », critiques, attitudes vexatoires envers les femmes, les non pratiquants et j’en passe.
Autour du musulman, de la femme voilée, se généralise un vaste système de discrimination qui autorise n’importe qui à se méfier, à exclure, à signaler, au mépris des dernières digues platement humanistes qui séparent le racisme ambiant de la barbarie, dont une seule image, photographie puis dessin (bientôt symbole ?) résume tout : une mère avec son enfant.
L’enfant pleure l’humiliation de sa mère, dont un odieux politicien d’extrême droite vient d’exiger la disparition pour que la séance d’un conseil régional se tienne. Il pleure la honte de sa mère, sa propre honte, et gageons que demain il pleurera sa honte d’avoir eu honte. Non seulement ces larmes n’ont pas bousculé le monde politique – droites et gauches confondues -, mais elles semblent même avoir fait redoubler de virulence les tenants de l’ordre dominant dans son escalade islamophobe.
Quand le visage meurtri d’un enfant n’arrête plus, mais au contraire stimule un imaginaire morbide, on sait qu’un seuil est franchi, et qu’on touche du doigt le réel brûlant de la guerre civile – le moment où le prochain, devenu étranger de l’intérieur, peut être atteint à n’importe quel prix.
Parent d’élève à Mantes-la-Jolie, mère de famille et porte-parole du Collectif de défense des jeunes du Mantois, je suis horrifiée de constater combien la scène qui s’est déroulée il y a près d’un an, en pleine insurrection des gilets jaunes et en plein soulèvement des lycéens de banlieue, cette image de 151 enfants agenouillés dehors, dans le froid, sous le regard amusé de policiers célébrant « une classe qui se tient sage », était prémonitoire de l’ambiance actuelle.
Il faut dire que nous avions, au sein du collectif, analysé cette image comme un symptôme et pas comme une bavure, c’est-à-dire comme un moment de vérité pour cette république à bout de souffle, qui ne tient ses pauvres et ses descendants de colonisés que par la matraque, le Taser, le LBD et la prison. Aujourd’hui comme l’an dernier, la guerre civile préventive est la seule mesure dont soit capable le gouvernement pour se protéger de sa propre crise. Et cette fuite nous rapproche chaque jour, de plus en plus vite, de la barbarie.
En ces temps sombres nous, collectif de défense des jeunes du Mantois, aux côtés de l’antiracisme politique et des luttes de l’immigration et des quartiers, proposons de réagir, par une marche des mamans pour la justice et la dignité le 8 décembre prochain à Barbès. Mères, d’abord pour rappeler que les prolétaires, à Rome, désignaient ceux qui n’avaient pour richesse que leurs enfants. À l’image de Fatima E. quand on lui demande d’ôter son voile, agrippant son fils comme pour le tenir à la surface de l’abime, comme des millions de mères, soeurs, filles, agrippent leur frères, leurs maris, leurs fils face à une déchéance programmée, qu’elle soit policière, carcérale ou économique.
Mères, nous marcherons en hommage à ces femmes, en hommage à nous-mêmes, aux côtés de tous ceux qui le souhaiteront, pour dénoncer le racisme d’État, les violences policières, l’escalade islamophobe et essayer d’empêcher la ségrégation qui vient.
Yessa Belkhodja est membre du collectif de défense des Jeunes du Mantois. Cette tribune a d’abord été publiée dans le journal L’Humanité.