À l’heure du capitalisme mondialisé et de sa crise, les grèves n’ont pas bonne presse. Patrons, gouvernements, journalistes dominants mais aussi certains dirigeants syndicaux ont décrété que ce moyen de lutte serait périmé. Ainsi font-ils tout ce qu’ils peuvent pour empêcher les salarié·e·s d’y recourir (pression mise par les employeurs, dispositions légales, etc.), mais aussi pour en délégitimer l’usage sur un plan idéologique.
La grève ne constituerait plus un registre de mobilisation adapté à la prétendue « modernité post-industrielle », celle-ci exigeant des formes de « dialogue social » entre acteurs collectifs conçus comme autant de « partenaires sociaux », permettant d’aboutir à des compromis « gagnant-gagnant ». Au-delà de la grève, on nous serine depuis des décennies que la lutte des classes, et l’existence même de classes aux intérêts antagonistes, appartiendrait au passé.
C’est pourtant à une lutte intensive contre les travailleurs/ses et leurs acquis que se livrent les classes dirigeantes de tous les pays. Cela leur a permis, de manière inégale selon les résistances opposées par les classes populaires des différents pays, de modifier le rapport de forces à leur avantage, de rétablir en partie les taux de profit en revenant sur les conquêtes majeures issues des luttes sociales du 20e siècle (protection sociale, services publics, droit du travail, etc.), et donc d’accroître la part de la richesse accaparée par le capital privé et par les plus riches.
L’hostilité radicale des classes dominantes à la grève pourrait d’ailleurs suffire à démontrer son actualité pour celles et ceux qui s’opposent à la grande destruction néolibérale des droits sociaux et démocratiques. Si la grève – et notamment sa généralisation au secteur privé – leur fait si peur, c’est d’abord parce qu’elle touche au porte-monnaie des capitalistes. Sur un site où travaillent des centaines voire des milliers de salarié·e·s, une grève d’une journée seulement peut faire perdre des sommes colossales à l’entreprise (y compris dans un secteur comme l’Opéra de Paris).
Mais la grève c’est aussi le moment privilégié durant lequel peuvent reprendre confiance celles et ceux qui, par leur travail, produisent toutes les richesses : confiance dans notre force collective, notre capacité à faire reculer les classes possédantes, à changer le rapport de force et à transformer radicalement la société. Regagner confiance mais aussi libérer du temps, pour discuter de nos conditions de travail et d’existence, pour nous organiser collectivement, pour débattre des objectifs et des moyens de lutte, pour faire circuler des idées et des savoirs, et bien sûr pour « refaire le monde ».
C’est tout l’enjeu du mouvement actuel en France contre une énième (et inique) réforme des retraites. Lancé notamment par les travailleurs/ses de la RATP et de la SNCF, celui-ci rappelle l’actualité de la grève – contre la morgue de ces dirigeants politiques qui se réjouissaient, comme Sarkozy hilare en 2008, que « désormais quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit ». Mais cette mobilisation ouvre des questions cruciales, car pour mettre un coup d’arrêt au néolibéralisme autoritaire de Macron et consorts, il faudra trouver les moyens d’élever le rapport de force, ce qui pose la question de l’extension de la grève mais aussi des leçons du mouvement des gilets jaunes.
Sans prétention à l’exhaustivité, ce dossier apporte quelques éléments de réflexion sur la question de la grève, en revenant sur l’histoire des grèves de masse et des débats stratégiques que leur éclatement a suscité (de la révolution russe de 1905 à l’hiver 95 en passant par mai 68), en montrant comment le mouvement féministe renouvèle la théorie et la pratique de la grève en posant la question du travail reproductif, et en donnant à voir par quelques exemples l’inscription mondiale de la grève.
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Grève de masse, parti et syndicat. Extrait de la brochure de Rosa Luxemburg
« La grève générale. Questions stratégiques », par
Grève générale et lutte contre le fascisme, par
« Grève générale, front unique, dualité du pouvoir », par
« Grèves générales et grèves de masse », par
« Les caisses de grève : une arme décisive… mais contestée », par
La grève générale n’est plus ce qu’elle était ? Réponse à Philippe Corcuff, par
La grève d’octobre 1905, par Léon Trotsky
« Leçons de Mai 68 », par
« Enterrer mai 68, occulter la grève », par
« 1995-2003-2010. Retour sur trois batailles et leçons pour la lutte présente », par
« Se mobiliser sous le spectre de 1995. Quelles utilités ? Quelles réalités ? », par
La victoire de l’hiver 95, par Annick Coupé
« Auto-organisons-nous ! ». Petite histoire de l’interprofessionnelle, par
« Automne 2010 : anatomie d’un grand mouvement social », par
« La coagulation des colères », par
Artistes en grève. Entretien avec Marion Bordessoulles
Les fourberies du système par points, par Gérard Filoche
Grève interprofessionnelle : de quelques secteurs où ça bloque, par Clémence Fourton et Anouk Colombani
Le syndicalisme, la retraite et les grèves, par
Hôtel Ibis des Batignolles : une grève emblématique des femmes de chambre. Entretien avec
L’exploitation n’est pas une vocation. Grève des stages, grève féministe. Entretien avec les Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE)
« La grève féministe du 14 juin 2019, vers un mouvement de masse en Suisse », par
Grèves de femmes, grèves politiques. Entretien avec Cinzia Arruzza et Tithi Bhattacharya
« 8 mars 2018 : en route vers la grève ! », par
« Les féministes italiennes vers la grève transnationale du 8 mars », par Collectif Non Una di Meno
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La grève reste une arme centrale pour la classe travailleuse, par Tristan Haute et Etienne Pénissat
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Grève à Amazon en Italie : leçons d’une mobilisation historique, par Francesco Massimo
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