Agustín Guillamón. Espagne 1937 : Josep Rebull, la voie révolutionnaire. Une critique d’Andreu Nin et de la direction du POUM. Éditions Spartacus. 2014. 170 pages.
Josep Rebull Cabré est né en 1906 en Catalogne, à Tivissa, un village de la province de Tarragone. Son frère Daniel, plus âgé de dix-sept ans, qui adoptera le pseudonyme de David Rey, adhère très jeune à un groupe anarchiste et milite à la CNT à Barcelone dès sa création en 1910 et devient secrétaire du syndicat des métaux1. Josep se trouve chez lui, à Barcelone, lors de la grève générale insurrectionnelle d’août 1917 et il sera arrêté avec lui, ce qui, compte tenu de son jeune âge, fera scandale. Dans les années 1920, après avoir commencé à travailler, grâce à l’aide de sa famille il fera des études d’ingénieur en électro-mécanique et, en 1927, il adhère à la fédération catalane du Parti communiste d’Espagne, dont son frère avait assuré la coordination en 1924. En 1930, cette fédération se sépare du parti national et, en 1931, elle fonde à Terrassa avec le Parti communiste catalan le Bloc Obrer i Camperol (Bloc Ouvrier et Paysan), le BOC. En 1933, employé par l’entreprise textile Soliano à Tarragone, il participe à une grève de neuf semaines ; la direction accède finalement aux revendications des ouvriers, mais à la condition que Josep Rebull quitte l’entreprise. En octobre 1934, il devient responsable salarié des publications du BOC dont il organise la fabrication et la distribution, trouvant les moyens de mettre celle-ci à l’abri de la police et de s’assurer du paiement des exemplaire vendus ; c’est une fonction qu’il conservera à Barcelone après la fondation du Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, le POUM, en septembre 1935, et il sera à ce titre membre avec voix consultative du Comité central (CC) du POUM.
En février 1936, le POUM ayant décidé de rejoindre le Front populaire, Josep Rebull fut candidat au nom du POUM aux élections législatives nationales sur la liste du Front populaire à Tarragone. Au cours des journées révolutionnaires du 19 juillet, il prit part aux combats de rue à Barcelone, sur la Place de Catalogne, avec un groupe d’une centaine de militants dont Carmel Rosa, dit Roc, Josep Rovira, Algemir et Germinal Vidal. Celui-ci, secrétaire de l’organisation de jeunesse du POUM, la Juventud Comunista Ibérica (JCI), dont Josep Rebull était très proche, fut abattu ce jour-là lors d’un affrontement avec un groupe de soldats place de l’Université, alors même que Rebull tentait de parlementer avec eux.
Le POUM ayant réquisitionné les presses d’El Correo catalan, Josep Rebull en prit la direction pour poursuivre sa mission de fabrication et de diffusion de la presse du POUM et des ouvrages de l’Editorial Marxista, dont il était administrateur. On verra plus loin en détail la part qu’il prit dans la préparation du deuxième congrès du POUM, qui aurait dû avoir lieu à la fin du printemps de 1937, ainsi que les actions qu’il mena pendant les Journées de mai 1937 à Barcelone. La répression qui s’abattit sur le POUM à la suite de celles-ci, et en premier lieu sur ses dirigeants, amena Josep Rebull à exercer davantage de responsabilités aussi bien au Comité de Barcelone qu’au Comité central du POUM et à se consacrer à l’organisation de la solidarité avec les militants emprisonnés et à la publication de la presse du Parti désormais clandestine
Recherché par la police politique stalinienne, Josep Rebull va mener ainsi pendant un peu plus d’un an une vie largement clandestine à Barcelone. Il y vivra notamment dans l’appartement de Joaquín Maurín (retenu prisonnier dans la zone franquiste dès les premiers temps du soulèvement, et à l’époque tenu pour mort) dans la rue Padua, ainsi que dans une maison louée rue Llibreteria. Il s’efforce notamment, par des visites fréquentes à Manuel de Irujo, le ministre de la Justice de la République, d’obtenir la libération de Katia et Kurt Landau détenus dans une tchéka, une prison stalinienne, d’où l’on pouvait disparaître à tout instant sans laisser de trace2. Mais l’omniprésence de la répression stalinienne contre les militants du POUM et la difficulté croissante d’échapper à l’incorporation de force dans l’armée le décidèrent à s’engager sous un faux nom à la fin de 1938.
Vint, début 1939, l’effondrement militaire de la Catalogne. Josep Rebull est rejoint à Vic, où il est stationné, par sa femme Teresa. Comme des centaines de milliers d’autres républicains, civils et militaires, et malgré les atermoiements du gouvernement français, ils vont gagner la France en traversant à pied les Pyrénées par Molló et le col Pregon3. Ayant rejoint à Perpignan d’autres militants du POUM, échappant aux rafles qui dirigeaient les républicains espagnols vers les camps de concentration de la région, ils parviennent à Paris avec l’aide du PSOP. Ils y seront hébergés par des militants socialistes, puis par la famille de Gaston Davoust, membre de l’Union communiste, qui avait rencontré Josep Rebull lors d’un séjour à Barcelone en août et septembre 19364. Et c’est chez un couple d’ouvriers, Thérèse et Robert Verdeaux, que Teresa et Josep Rebull resteront jusqu’à l’été de 1941. Comme beaucoup de militants de l’extrême-gauche antistalinienne et d’exilés antifascistes, ils se rendront à Marseille. Josep Rebull, désormais sous l’identité de Robert Verdeaux grâce aux documents que celui-ci lui a donnés, travaillera au Croque-Fruit, cette entreprise de pâtes de fruits qui permettra à plusieurs centaines de militants et d’artistes de subsister pendant cette période, en attendant de pouvoir peut-être sortir de France, et dont les commerciaux participaient à la Résistance naissante. C’est par le Comité américain de secours (CAS), l’émanation de l’Emergency Rescue Committee créé par Varian Fry pour aider ceux que le gouvernement de Vichy est susceptible de livrer aux Nazis à quitter la France ou, en attendant, simplement à survivre, que Josep Rebull est entré au Croque-Fruit. Il se lie avec Daniel Bénédite qui succède à Varian Fry à la direction du CAS à l’automne de 1941. C’est dans ces circonstances matérielles et politiques très difficiles que naît au printemps de 1942 le premier fils de Teresa et Josep, Daniel. Après la fermeture du Croque-Fruit, c’est une autre entreprise montée avec l’aide du CAS et qui fabrique des espadrilles en raphia qui permettra aux Rebull de subsister.
En juin 1943, toute la famille rejoint Daniel Bénédite à Régusse, dans le Var, où celui-ci a pris en main la gestion de la forêt domaniale de Pélenc ; le camp forestier sera à la fois un refuge pour les exilés et une base du mouvement de résistance Franc-Tireur. Arrêtés par la police allemande en mai 1944 après la dispersion du maquis, Daniel Bénédite et Josep Rebull sont emprisonnés à Marseille, à la prison des Baumettes, d’où ils sortent le 16 août lors de la libération de la ville. Les Rebull restent à Marseille où naît Germinal, leur deuxième fils, en juillet 1945 ; Josep Rebull fait alors différents métiers : très habile, il se révèle un bon réparateur d’automobiles alors qu’il dit ne rien connaître à leur mécanique. Entre temps, Daniel Bénédite est devenu à Paris l’administrateur de Franc Tireur, le quotidien issu du mouvement de résistance et dirigé par Georges Altman et Élie Piéju ; il propose à Josep Rebull de l’y rejoindre et toute la famille s’installera donc dans la région parisienne à partir de 1945. Josep Rebull continuera à assurer l’administration du journal après son rachat en 1957 par Cino Del Duca et sa transformation en Paris-Jour en 1959, jusqu’à son départ à la retraite en 1972 – l’année de la disparition de Paris-Jour.
Josep Rebull resta membre du comité exécutif du POUM en exil jusqu’à ce qu’il en démissionne le 19 mai 19535 ; en 1952, il avait contribué à un long article rédigé par Ignacio Iglesias et paru dans le bulletin intérieur du POUM affirmant la nature capitaliste d’État de l’Union soviétique et le rôle de classe dominante de son parti communiste, exprimant par là son désaccord avec les analyses de la majorité de la direction de l’époque6. En février 1953, lors d’une conférence du Parti, il défendit avec Iglesias et d’autres camarades une résolution rejetant comme étrangère au mouvement ouvrier la notion de défense de l’U.R.S.S. À l’époque de sa démission du comité exécutif, il souffrait de graves problèmes de santé. Il demeura au POUM, dont l’activité cessa pratiquement complètement à cette époque, le parti clandestin en Espagne ayant été largement démantelé.
Après son départ à la retraite, il vivra à Banyuls sur Mer, où Teresa et lui ont acquis une maison dès 1958, jusqu’à sa mort en 1999. Il ne se désintéresse nullement de l’activité des militants en Espagne ; mais, condamné à mort par contumace en 1939, il dut attendre l’amnistie décrétée après la mort de Franco en 1975 pour retourner en Espagne et, en bonne partie, la découvrir. En 1976, il participe au congrès de fondation du Parti socialiste de Catalogne – Regroupement7, mais il le quittera avec fracas lorsque celui-ci se fondra dans le PSOE, le parti socialiste espagnol : car il est resté fidèle à l’objectif fixé par Joaquín Maurín dans les années 1930, celui d’une république fédérative socialiste ibérique. L’ennemi reste l’État central espagnol, que le PSOE contribuera à renforcer. En 1985, comme on le verra plus loin, il participe à la commémoration du cinquantième anniversaire du POUM. Une phrase de l’intervention qu’il fit à cette occasion montre qu’il n’avait en rien renoncé aux critiques qu’il exprima de 1937 à 1939 : « Il aurait mieux valu que nous, les militants du POUM, on nous ait exécutés devant un peloton comme révolutionnaires, plutôt que d’avoir été jugés comme traîtres à la République. »