Sur le trotskisme en Tunisie. Entretien avec Sadri Khiari

Sadri Khiari, l’un des anciens animateurs de la IVe Internationale en Tunisie et cofondateur du Parti des indigènes de la république en France, revient sur son parcours ainsi que sur les différentes phases du trotskisme en Tunisie. Ce retour permet de mettre en perspective les défis actuels de la révolution avec les anciens débats de la gauche tunisienne.


 

L’entretien ci-dessous date d’août 2012. Je l’avais complètement oublié jusqu’à ce que des circonstances inutiles à relater ne me le remettent en mémoire. Il avait été conduit par un vieil ami, Saleh Mosbah, professeur de philosophie à l’Université de Tunis, qui avait l’intention de le proposer au bulletin (ayant depuis cessé de paraître) de la Ligue de la gauche ouvrière (LGO), une organisation tunisienne qui regroupe, entre autres, de nombreux militants issus du groupe marxiste révolutionnaire auquel j’ai longtemps appartenu. C’est autour de cette expérience que tourne cet entretien qui aborde également des questions qui étaient d’actualité en Tunisie, en 2012 et, qui dans un nouveau contexte le demeurent.

Je dois préciser que, même si les événements qui se sont déroulés par la suite ont pu m’amener à réviser partiellement certains jugements formulés dans l’entretien, je n’en ai rien modifié et, de toutes façons, il y a peu de choses que j’écrirais différemment aujourd’hui. (Sadri Khiari, mars 2015)

 

Saleh Mosbah : Peux-tu reconstruire ta venue au trotskysme ?

Je voudrais d’abord remercier la « Tribune révolutionnaire » de porter attention à la mémoire du mouvement révolutionnaire marxiste en Tunisie, même si, force m’est de le reconnaître, je n’y ai joué qu’un rôle marginal contrairement à mes ambitions de jeunesse. Pour répondre à ta question, je dois te dire d’où je viens. Je suis né deux ans après l’Indépendance, dans une famille de militants communistes (membres du PCT), d’un père musulman et d’une mère juive, tous deux tunisiens, non-religieux, bourgeois déclassés, très fortement imprégnés de culture française quoique très attachés à l’indépendance tunisienne, comprise exclusivement comme indépendance politique et économique. Je suis en partie le produit de tout cela, c’est-à-dire, entre autre chose, de la colonisation. Très jeune admirateur de Lénine, je le suis toujours même si ce n’est pas nécessairement pour les mêmes raisons qu’à l’époque. Héritier d’un certain « élitisme » dont je ne me suis pas vraiment débarrassé, le regard polarisé par la France, largement extérieur à la société tunisienne sinon comme résidu de la période coloniale, j’étais de gauche comme on pouvait l’être à Paris, Rome ou Berlin, avec, comme cette même gauche à l’époque, une grande sensibilité à la question palestinienne. A Paris, Rome ou Berlin, on remettait en cause le stalinisme, c’est-à-dire l’idéologie et le système soviétique. Cette influence s’est ajoutée, lorsque j’étais adolescent, à la conscience très claire de la débâcle du Parti communiste tunisien. Arrivée à l’automne 1977 en France pour y poursuivre des études supérieures, je me suis « naturellement » inscrit à l’Université de Vincennes, réputée alors d’extrême-gauche, où j’ai immédiatement commencé à militer au sein d’un « Comité de défense des étudiants étrangers ». En parallèle, je cherchais à rencontrer des militants tunisiens pour m’engager à leurs côtés. Et c’est à travers un étudiant tunisien trotskyste – je pourrais le citer, mais je ne sais pas s’il en a envie – que j’ai connu la section française de la IVème internationale, la Ligue communiste révolutionnaire. Je dois avouer que leur propos m’a convaincu en à peu près trois minutes et quinze secondes. Ce n’est donc pas à travers un cheminement théorique et une réflexion sur les différentes gauches que je suis arrivé au troskisme, mais parce que j’éprouvais un besoin urgent de m’engager politiquement et que le trotskysme qui m’était présenté correspondait à ce que j’étais et à ce que je voulais être : enraciné dans tous les idéaux d’émancipation, universaliste et internationaliste, antistalinien et assez libertaire, très gauchiste aussi, je dois dire. Ce qui me séduisait également, témoignant de mes contradictions personnelles, c’est bien sûr qu’un groupe lié à la IVème internationale existait en Tunisie et surtout que la IVème internationale pensait la politique révolutionnaire en Tunisie ainsi que la libération de la Palestine, toute la Palestine !, dans le cadre de ce que nous appelions la « révolution socialiste arabe ». Je pleurais donc à l’évocation de nos camarades assassinés par la dictature baathiste en Irak ou mort au combat durant la guerre civile libanaise ; j’exultais des progrès annoncés de tel ou tel noyau trotskyste dans les pays arabes, et, plus généralement, je jouissais d’appartenir à une grande tribu de révolutionnaires qui mourraient et ressuscitaient dans tous les pays du monde. En vérité, je ne connaissais de la Tunisie que ce que publiaient nos camarades à Tunis et qui me semblent, aujourd’hui encore, bien raisonnables sur de nombreux plans. C’est en 1981 que je suis rentré en Tunisie, pressé de participer à la construction de la section tunisienne de la IV, toujours clandestine, dans un contexte que nous considérions très favorables. Et c’est à partir de là que j’ai commencé à connaître mon environnement tunisien réel, notamment lorsque j’ai pris la direction effective de notre organisation et que, rompant avec la timidité des anciens dirigeants, nous avons tenté de nous affirmer sur la scène étudiante et, sinon de sortir d’une clandestinité imposée, du moins de nous faire connaître en tant qu’organisation dans les milieux militants de gauche. A posteriori, je ne pense que cela ait été une erreur. Nous étions un petit groupe propagandiste et replié sur lui-même, plus une excroissance de la LCR française où tous nos militants avaient été formés, qu’un produit de l’histoire de la gauche tunisienne. Nous étions extrêmement gauchistes, mais cette ouverture sur l’extérieur a permis d’enrichir la gauche radicale tunisienne d’une tradition marxiste qu’elle rejetait depuis les délires vaguement trotskisants d’une frange du groupe « Perspectives ». Et, aujourd’hui, même si je m’en suis éloigné, il me semble positif que continue d’exister, aux côtés d’autres courants, une sensibilité se réclamant du trotskisme, formé à travers les luttes de classes en Tunisie et non plus sur la planète Mars. Mais, au risque de décourager les militants les plus jeunes, l’expérience du groupe auquel j’ai appartenu est loin d’avoir été un succès. Bien sûr les conditions n’étaient guère faciles et un trotskisme élémentaire, largement modelé par le gauchisme français, ne nous a pas aidé. Mais, pour les années où j’ai dirigé cette organisation, jusqu’aux alentours de 1993, la responsabilité de cet échec m’incombe. Il a bien fallu que je me rende à l’évidence : j’ai été un mauvais dirigeant. Ce qui est bien dommage parce que, malgré tout, bien des idées que nous portions auraient pu être fructueuses et, pour une part, le sont sans doute encore. Quoi qu’il en soit, il fallait bien essayer.

 

SM. : Quels ont été les rapports du groupe auquel tu appartenais avec le Rassemblement socialiste progressiste (RSP) de Nejib Chebbi ?

Pour en venir au RSP, qui est pour moi une vieille histoire, il y a deux épisodes reliés par une conviction qui, je le crois encore, était juste, en l’occurrence que le parti révolutionnaire que nous souhaitions construire ne se construirait pas à travers un processus linéaire et continue d’accumulation au sein de notre petit groupe ni au sein d’aucune des organisations d’extrême-gauche qui existaient alors. Même si parfois nous avons cédé à l’illusion narcissique d’être le noyau du futur parti révolutionnaire, je crois pouvoir dire que l’idée généralement prédominante en notre sein a été que si ce parti devait se construire ce serait à travers une dynamique historique complexe, qu’alimenteraient tout à la fois une radicalisation et une politisation de l’UGTT, en tant qu’espace hégémonique d’organisation des travailleurs, la formation au sein de cet espace d’une « avant-garde » ouvrière et une recomposition idéologique et organisationnelle des mouvements de la gauche radicale. Tout en construisant notre propre organisation, nous avons agi de manière à favoriser ces processus et leur convergence. Au tournant 1981-1982, si tu te souviens de la situation d’alors, malgré la fin du cycle de mobilisation à l’échelle mondiale et la nouvelle offensive impériale qui se dessinait, en Tunisie, il semblait en quelque sorte que l’histoire nous donnait raison et je pense que cela aurait pu être le cas n’eut été les grosses erreurs des dirigeants de gauche et des syndicalistes les plus radicaux. Je demeure convaincu à ce jour qu’une occasion historique a été manquée et que le régime de Ben Ali en a été le prix. Bref, à cette époque-là une frange de militants, en rupture d’organisation, et des syndicalistes cherchaient de manière plus ou moins convergente à faire émerger un nouvel espace politique de gauche capable d’être un cadre de regroupement et de dépasser la sclérose idéologique et le sectarisme des organisations existantes. Nous étions en relation avec ces militants et ces syndicalistes et nous voulions encourager ce processus. C’est ainsi que lorsque certains d’entre eux, dont à l’époque Néjib Chabbi, Sihem Ben Sedrine, Salah Zeghidi, Omar Mestiri, Cherif Ferjani, Noura Borsali, et d’autres encore ont entamé des discussions pour donner forme à ce projet, nous nous y sommes investis, représentés officieusement par Abdelaziz Basti – duquel d’ailleurs, j’avais beaucoup appris – et moi-même. Je pense que c’était juste, pour le petit groupe que nous étions, de tenter cette expérience. Il ne faut pas juger de la trajectoire ultérieure des uns et des autres pour se faire aujourd’hui une opinion. La majorité des militants qui étaient impliqués étaient radicaux et même, le plus droitier, Néjib Chabbi, peut être considéré, à cette époque, comme ultra-gauchiste par rapport à ce qu’il est devenu. Malgré cela, avec d’autres militants, nous l’avions mis en minorité et il s’était retiré du projet. La dynamique de celui-ci a été brisée dans l’œuf par l’incarcération de plusieurs d’entre nous pendant quelques semaines et l’inculpation de beaucoup d’autres. Certains se sont découragés, comme il arrive toujours face à la répression, d’autres se sont ralliés à Néjib Chabbi autour d’une seule idée, la nécessité de profiter du coup de pub donné par les arrestations pour lancer un nouveau parti (le RSP), quitte à régler ultérieurement les divergences, d’autres encore, minoritaires, ont refusé de s’y associer. La deuxième expérience avec ces mêmes militants date, je crois, de deux années plus tard et, bizarrement, je m’en souviens beaucoup moins. Je suis incapable de me rappeler pourquoi nous avions décidé alors, non pas de nous dissoudre, mais d’intégrer en groupe le RSP. Avons-nous eu tort ou raison de le faire, je n’en sais rien. Je sais par contre que nous nous y sommes comportés comme des bovins, bourrés d’illusions que nous pourrions convaincre de nos thèses les nouveaux militants que la relative tolérance dont bénéficiait le RSP lui permettait d’attirer. Nous en sommes sortis assez rapidement quand d’autres perspectives de construction ont semblé s’offrir à nous. C’est, je crois, le début de l’Organisation des communistes révolutionnaires (OCR).

 

SM. : Peux-tu me parler des débuts de OCR ?

J’ai vécu la période de l’OCR avec beaucoup d’enthousiasme. Je ne suis pas certains cependant de l’enchaînement des faits dont je vais parler. Il faut donc prendre mes souvenirs avec précaution. S’étaient intégrés à nous quelques petits groupes et militants de différentes régions (sidi bouzid, jerissa, etc.), investis pour certains dans l’activité syndicale, ainsi que des étudiants qui étaient actifs dans plusieurs facultés. La plupart de ces militants étaient issus de couches populaires, parfois très défavorisés, vivant parfois en zone semi-rurale. C’était, à notre échelle, une véritable mutation tant dans la composition sociale des militants que dans leurs parcours politiques et leurs expériences de terrain. Je crois pouvoir dire qu’à cette époque nous étions particulièrement optimistes et activistes. Nous avons agi comme si nous avions les responsabilités d’un parti révolutionnaire en miniature. Nous étions en outre focalisés par les autres groupes de la gauche radicale comme le PCOT et la « famille watad », que nous espérions pouvoir rapidement rattraper, en termes d’audience et de forces militantes. Je crois que cela a accentué notre tendance activiste qui implique nécessairement une multiplication des tâches, bien au-delà de nos capacités réelles, et par conséquent d’importantes difficultés d’organisation. Sans entrer dans le détail, nous étions également très propagandistes et particulièrement gauchistes, alors même que nous entrions dans une phase de crise et de reflux du mouvement des travailleurs. À travers l’UGTT ou les mouvements étudiants et lycéens, nos militants participaient bien sûr à toutes les batailles menées contre le pouvoir. C’est peut-être ce qu’il faut retenir, d’autant plus que beaucoup l’ont fait au détriment de leur vie professionnelle, scolaire et personnelle. Sur le plan politique, hélas, ce qui nous a caractérisé, c’était un manque de maturité. Ce qui nous a conduit très rapidement à une scission, suscitée, je dois le dire, par des divergences sur des questions qu’on aurait pu reporter à bien plus tard tant elles étaient secondaires dans le contexte politique de l’époque. Ces divergences portaient sur la notion trotskyste classique de « programme de transition » ainsi que sur les mots d’ordre de « gouvernement ouvrier et paysan » et d’assemblée constituante. Au bout d’un certain temps, nous nous sommes retrouvés mais la scission nous avait quand même coûté très cher. Nos activités se sont poursuivies par la suite, progressantes et stagnantes à la fois. Je crois que nous devons notamment de nous féliciter de n’avoir eu aucune illusion lors du coup d’État de Ben Ali. Nous n’avions aucune raison de regretter l’éviction de Bourguiba mais, pour autant, contrairement à beaucoup d’autres militants à gauche, nous n’avons jamais pensé que Ben Ali engagerait une quelconque « transition démocratique ». Vient la première guerre impérialiste contre l’Irak et nous avons bien sûr mobilisé toutes nos forces dans action de soutien à l’Irak. Sur cette question, nous étions d’ailleurs en divergence avec les positions de la IVème internationale. Celle-ci dénonçait l’occupation du Koweït et, tout en s’opposant très vigoureusement à l’intervention militaire impérialiste, condamnait également le régime irakien. Quant à nous, sur le premier point, nous affirmions que l’occupation du Koweït était tout à fait légitime quoique engagée maladroitement, sans tenir compte du rapport des forces. Malgré cela, nous étions convaincus, qu’un retrait sous la menace américaine serait désastreux et vécu par les masses arabes comme une nouvelle défaite. Il est vrai que, comme beaucoup, nous nous sommes laissés aller à croire que l’armée irakienne et le peuple irakien résisteraient plus longtemps à une guerre et que, dans ce cas, la coalition regroupée autour des États-Unis ne tiendrait pas le coup tandis que se développerait une puissante mobilisation dans le monde arabe. C’était une grave erreur et a posteriori il apparaît évident qu’il aurait mieux valu que l’Irak cède aux injonctions américaines et se retire du Koweït. En même temps, il est certain que les États-Unis auraient rapidement trouvé un autre prétexte pour détruire l’Irak. Sur le deuxième point de divergence avec la IVème internationale, nous n’avions certes aucune sympathie pour la dictature baathiste mais nous pensions que, dans une situation de polarisation politique extrême, il fallait choisir son camp sans ambigüité et que la dénonciation du régime de Saddam Hussein, même accompagnée d’une opposition ferme à la guerre impérialiste, était complètement inaudible dans les pays arabes. Je pense toujours que, sur ce point, nous avions raison. Mais, d’une certaine manière, je ne pense pas que la IVème internationale avait tort. En vérité, les divergences entre nous soulèvent un problème très important : le fait que, d’un même point de vue révolutionnaire, on peut défendre des positions différentes voire opposées dans des champs de lutte à la fois autonomes et intégrés. Ainsi, la position de la IVème internationale, reflétait à mon avis la prédominance en son sein des sections euro-américaines, polarisées à juste titre par les impératifs de la mobilisation anti-guerre en Europe et aux États-Unis. Dans ces pays-là, c’était une politique révolutionnaire ; dans le monde arabe, cela aurait été une politique contre-révolutionnaire.

La fin rapide de la guerre en Irak a suscité une nouvelle crise en notre sein. Notre direction était divisée entre un courant qui faisait un bilan réaliste des conséquences de cette défaite et un autre, dont je faisais hélas partie, qui refusait d’accepter la défaite et continuait d’espérer un sursaut des masses arabes. Nous étions majoritaires ce qui nous a permis d’orienter l’action de l’organisation dans un sens encore plus activiste que ce n’était le cas ; je dirais même totalement aventuriste, et avons pris des risques absurdes, sans comprendre que le pouvoir avait entamé le tournant répressif qui allait conduire à l’instauration de la dictature policière. Là encore, nous en avons payé le prix fort en termes de répression. A cause de cet aveuglement, de nombreux camarades se sont retrouvés en prison et, avec le reflux général des mobilisations dans le pays, notre marge d’action s’est considérablement étiolée. C’est là qu’a commencé la décomposition de l’OCR comme organisation politique même si tel ou tel militant a pu s’en réclamer dans les années suivantes. Je me dois de rappeler aussi qu’au début des années 1990, nous avons dénoncé la violente répression des militants d’Ennahdha, alors que l’écrasante majorité de la gauche et de la gauche radicale, y compris ce qui prétendent aujourd’hui le contraire, l’ont approuvé explicitement ou ont préféré se taire. Je mentionne cette position, dont je suis fier, parce que cela met en évidence l’un de nos paradoxes, en l’occurrence la capacité à définir des positions pertinentes dont l’efficacité n’a pas pu se déployer en raison d’une incapacité à nous débarrasser d’une culture gauchiste.

 

SM. : Est ce que tu peux être plus précis concernant les trois Congrès de l’OCR ?

Non.

 

SM. : Tu parles de décomposition de l’OCR, ce qui signifie l’absence de toute décision politique et organisationnelle d’autodissolution et justifie que d’aucuns aient continué une certaine activité légitime au nom de cette organisation. En ce qui te concerne, peut-on parler du choix d’une « errance politique » à partir de 1992 jusqu’en 1998 plutôt que de continuer dans le même esprit ?

Contrairement à ce que tu dis, je n’ai pas fait de choix d’errance, comme tu dis, ni d’ailleurs aucun choix. J’ai en quelque sorte suivi le mouvement de décomposition de notre organisation et à un moment donné, il a bien fallu que je constate que je n’étais plus organisé. Dire que j’ai une responsabilité particulière dans cette décomposition est par contre tout à fait justifié dans la mesure où j’en étais de fait le principal dirigeant. Une organisation politique, ce n’est pas une bande de copains qui sont proches politiquement et se voient régulièrement, c’est une identité politique commune, c’est des militants et des instances dont l’articulation assure le fonctionnement d’ensemble dans un but donné. Selon mes souvenirs, à partir de 93/94, la mécanique de l’OCR ne fonctionne plus, ses instances ne se réunissent plus en tant que telles, des militants continuent d’être actifs mais en toute indépendance, chacun pour soi. C’est cela que j’appelle une décomposition. Il n’y a donc effectivement pas eu de décision d’autodissolution et il ne pouvait justement pas y en avoir puisque les structures ne fonctionnaient plus. Que certains militants qui ont maintenu une activité militante inorganisée aient continué à se revendiquer de l’OCR, ce n’est ni légitime ni illégitime puisque les structures qui constituaient l’OCR n’existaient plus, or seules ces structures auraient été habilités à dire ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas. Dire je représente une organisation qui dans la réalité n’existe plus, c’est un mensonge et rien n’empêche de mentir si on juge que c’est politiquement utile. Dire je me revendique d’une identité politique qui était celle de l’OCR, c’est autre chose et tout un chacun, même s’il n’a jamais été à l’OCR, peut le faire à sa guise. Quant au nom de l’OCR, il appartient évidemment à tout le monde. En 2000, lorsque Taoufik Ben Brick a fait une longue grève de la faim qui a obligé Ben Ali à satisfaire sa principale revendication c’est-à-dire avoir le droit de quitter le territoire à sa guise, Jalel Zoghlami qui faisait déjà partie de l’OCR dans les années 1980, a tenté de ressusciter cette organisation. J’ignore dans quel état d’esprit il a fait cela, s’il y avait des militants et si des structures ont effectivement fonctionné qui l’ont désigné comme porte-parole. Je ne vois pas, en tous les cas, au nom de quelle légitimité qui me serait propre, j’aurais pu lui contester le droit de le faire. Par contre, la IVème internationale dont les instances avaient accepté l’OCR, fondée dans les années 80, comme sa section en Tunisie peut évidemment, si elle le souhaite, ne pas reconnaître la continuité d’une organisation et lui contester le statut de section. Je précise que ce statut n’est pas donné à des individus mais à des structures. J’ignore si la question s’est posée ou non lorsque Jalel Zoghlami a voulu relancer l’OCR et, étant alors en dehors de tout cela, je n’ai pas à avoir d’avis là-dessus. En réalité, la question n’est plus l’appartenance à la IVème internationale, considérablement affaiblie depuis des années et dont le rôle en tant qu’organisation mondiale semble s’être épuisée. La question est celle de l’opportunité ou non, en Tunisie aujourd’hui, de construire une organisation autour d’une identité exclusivement trotskyste. J’ai cru comprendre que ce n’était pas le projet de la LGO, ce qui me paraît être la bonne voie.

 

SM. : Revenons un peu en arrière. Tu as dit « les délires vaguement trotskisants d’une frange du groupe « Perspectives » ». Cette évaluation ne serait-elle pas sévère du point de vue de l’histoire de quelques individualités ? Ce jugement peut-on l’étendre aux premiers qui ont été exclu du PCT en 1958 pour former le groupe Al Kifah ? Quelle était la nature exacte des aînés immédiats de OCR (c’est-à-dire ceux qui ont gardé la flamme entre 1966 et 1981, comme le groupe Nidhal et d’autres).

Je te ferais d’abord remarquer que j’ai été tout aussi sévère pour notre groupe et pour moi-même. Cela dit, tu as raison ; c’était une affirmation péremptoire et sévère. Plus le souvenir d’une critique qu’une critique étayée. Je te réponds spontanément sans consulter aucun document et très probablement mon jugement ne peut s’étendre à toute la production ni à toutes les pratiques de ces militants. Je ne peux d’ailleurs qu’avoir le plus grand respect pour des militants qui ont tant donné d’eux-mêmes et ont subi les persécutions, la torture et le bagne, pour certains pendant de longues années. J’ajouterais que les publications de « Perspectives » ainsi que les textes de débat interne à cette organisation, bien qu’inégaux, sont, pour ce que j’en connais, ce qui a été écrit de plus sérieux dans l’histoire de la gauche radicale tunisienne, indépendamment de savoir si on en approuve les arguments ou non. S’il faut reconnaître aux militants qui se sont peu ou prou réclamés du trotskisme à la fin des années 1950, c’est d’abord d’avoir inauguré en Tunisie l’émergence d’une gauche révolutionnaire. Cependant, la période d’al-kifah et des militants trotskisants qui ont participé à « Perspectives », c’est, pour moi, la préhistoire de la gauche révolutionnaire tunisienne et, sauf si on est historien, je ne crois pas indispensable de l’étudier plus profondément. Les débats qui l’ont traversés ne me semblent plus avoir de pertinence pour l’action politique. Je me contenterais donc d’un commentaire très général qui vaut ce qu’il vaut. Pour faire de la politique-fiction, j’aurais préféré que le marxisme révolutionnaire apparaisse à partir du mouvement yousséfiste plutôt qu’à partir du parti communiste. Je sais que cela ce marxisme révolutionnaire s’est constitué en rupture avec le PCT mais, qu’on le veuille ou non, qu’il ait été possible ou non à cette époque que les choses se développent autrement, il n’en reste pas moins que le profond européocentrisme de cette tradition a fortement marqué la toute première génération de militants radicaux de gauche. Pour quelqu’un qui s’y intéresserait, je suis certain qu’il serait fructueux d’étudier leurs positions stratégiques à la lumière de ce constat. Cela demande aussi à être confirmé, mais on pourrait penser aussi que la vague plus ou moins maoïste qui les a submergé par la suite était pour une part, mais pas seulement, une réaction saine face à cet européocentrisme. Il est regrettable bien sûr que ce soient les formes les plus primaires d’un maoïsme en pleine dégénérescence stalinienne qui aient été retenues et non ce qu’il y a de plus intéressant dans la pensée politique du grand révolutionnaire chinois. En ce qui concerne l’OCR, elle est apparue sans lien direct avec les expériences trotskisantes antérieures sinon dans l’esprit de ceux qui, pour contester nos thèses, nous ont assimilés à elles.

 

SM. : Alors comment, politiquement et idéologiquement, se situent tes textes de la période 2000-2003 par rapport à l’expérience de l’OCR ?

La plupart des textes que j’ai produits entre la fin 1998 et 2003 sont des textes d’intervention liés à mon engagement au sein du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et à RAID-Attac auxquels je me suis consacré ces années-là. Il en a y eu d’autres, centrés sur l’analyse d’un moment ou d’un aspect de la situation politique, mais généralement bornés par les conditions de leur publication sur des supports disons académiques. Tout ce qui me semblait intéressant dans ces textes, comme d’ailleurs dans certains que j’avais écris étant encore à l’OCR, je l’ai repris dans « Tunisie : Le délitement de la cité » (dont le titre, pour le dire en passant, est de l’éditeur), en le retravaillant bien sûr. Ce livre, dont la forme tient compte d’un certains nombres d’impératifs liés à la nature non-militante de la maison d’édition qui a accepté de le publier, doit beaucoup évidemment à mon expérience antérieure, aux réflexions que nous avions eu au sein du mouvement trotskyste tunisien ainsi qu’à celles que j’ai eu par la suite, à travers d’autres expériences militantes. Je peux préciser aussi que l’ai rédigé alors que je venais de terminer une thèse sur l’État et la notion de bonapartisme chez Marx, sujet que j’avais justement choisi parce que je pensais qu’il m’aiderait à réfléchir le système politique tunisien. En fait, ce travail universitaire m’a permis beaucoup plus que cela puisque, pour la première fois, j’ai travaillé sérieusement sur Marx, Engels et même Trotsky, Lénine et Gramsci ainsi que sur d’autres auteurs. Tout cela m’a beaucoup servi pour ce livre comme pour tout ce que j’ai pu faire par la suite. Quoiqu’il en soit, ce livre est en premier lieu le fruit d’un parcours et d’interrogations en tant que militant. Je dois dire que jusqu’à ce jour, je suis largement incapable de réfléchir et d’écrire sans lien avec une pratique militante et les problématiques qu’elles génèrent. Pour moi, s’il y a une « science-politique », elle ne saurait être autre chose qu’une science de la stratégie politique. C’est pourquoi notamment elle ne peut seulement s’apprendre sur les bancs d’une bibliothèque ou à l’université. Elle ne peut être abstraite, conçue en dehors de tout engagement. C’est pourquoi aussi, dans ce livre, si parfois je feins une certaine neutralité, je m’inscris en réalité pleinement dans les controverses et les conflits qui ont traversé le champ politique tunisien, avec parfois aussi la contrainte tactique compréhensible de ne pas donner certaines informations ou de ne pas me montrer trop critique envers certains courants ou certaines personnalités. Sur le fond, ce livre qui se présente comme une analyse de l’État tunisien moderne, des dispositifs politiques propres au benalisme et des différents courants de l’opposition, pose un diagnostic et quelques pistes, qui étaient utiles à mon avis, pour la définition d’une stratégie. Le diagnostic central est que le benalisme représentait une tentative avortée de résoudre la crise du régime bourguibien entamée au tournant des années 1970-1980 et que n’eut été les circonstances internationales prédominantes au lendemain de la première guerre contre l’Irak et les politiques combinées de la bureaucratie syndicale et des forces de l’opposition, il n’aurait pas tenu le coup aussi longtemps. Le livre tente ainsi une analyse de la faiblesse intrinsèque des mécanismes de pouvoir sur lesquels s’appuyait Ben Ali et notamment de ce qui est en même la logique de la crise du régime et une stratégie de pouvoir, en l’occurrence la dislocation de la société sous l’effet d’un entremêlement incontrôlé de bureaucratisme, de libéralisme économique et de prédation népotique. Or, une société qui se disloque ou se délite perd assurément la maîtrise de ses solidarités internes ; elle perd ces capacités de résistance et de contestation organisée ; elle est contrainte, un temps, de se tourner pour continuer d’exister vers le pouvoir central et ses relais locaux qui en tirent leur force avant d’être en quelque sorte contaminée par ce phénomène. À terme, cela ne pouvait qu’exploser dans les conditions que nous avons connu, comme je l’ai suggéré prudemment dans la conclusion du livre. Cette perspective rendait notamment inopérante toute tentative de réforme graduelle du régime. Tout au long de ce livre, j’ai voulu montrer que l’État tunisien et ses formes sont d’abord le produit de rapports de forces sociaux très instables et mouvants. Il y a eu dans l’histoire et ailleurs des rapports de forces peu fluctuants qui ont permis la stabilisation durable de systèmes politiques divers, mais, en Tunisie, c’est à la fois le cas et cela ne l’est pas. Je ne peux ici rentrer dans le détail mais ce qui est important, me semble-t-il, c’est que, chez nous, tout dépend de la politique de l’UGTT, à la fois institution du pouvoir et force d’opposition au pouvoir, tout dépend des stratégies suivies par les oppositions. Et cela a été encore plus vrai après que Ben Ali ait pris le pouvoir. C’est ce qui m’a incité, en m’appuyant sur les informations dont je disposais, à tenter de comprendre les dynamiques internes de ces dernières et je pense que, sur l’essentiel, je ne me suis pas trompé. Par contre, je pense avoir sous-estimé deux choses. La première, c’est l’effet du 11 septembre, le renfort qu’il a apporté au pouvoir et son impact sur l’orientation des oppositions. La seconde, c’est la capacité de régénération de tendances contestatrices au sein de l’UGTT. Enfin, il y a sans doute une lacune dans ce livre mais je n’en mesure pas l’importance. C’est la prise en compte des continuités coloniales. Il y ait certes questions de la permanence de la dépendance économique et politique, mais je suis conscient que cela ne saurait suffire. Combler cette lacune exigerait un nouveau travail auquel, un jour peut-être, quelqu’un s’attèlera.

 

SM. : Tes textes depuis 2003 et surtout depuis 2005 me semblent rompre sinon avec le marxisme en général, du moins le trotskisme. Me semble le confirmer ton activité au sein des indigènes de la République après ton départ en France et la lecture que tu fais (cf. tes articles et interviews) de la révolution tunisienne…

Ah bon ? Ta réaction m’étonne. En général, on me reproche plutôt le contraire, d’être trop marxiste et d’être un trotskyste tout à fait orthodoxe. En vérité, je ne sais pas du tout si Marx et Trotsky me reconnaîtraient comme un des leurs. Et malgré le respect que j’ai pour l’un et l’autre, je ne m’en soucie guère et, quand j’écris un texte ou que je réfléchi sur une question politique quelconque je ne me demande plus « suis-je bien marxiste et trotskyste ? », comme j’ai pu longtemps le faire. Je m’en fous. Lorsque je connaissais à peine leur œuvre, je tenais à leur être fidèle, maintenant que je la connais beaucoup mieux, même s’il y a longtemps que je n’y ai pas retravaillé, je pense pouvoir à la fois en tirer le meilleur profit et m’en écarter voire même faire carrément chambre à part. Et puis à quel Marx faut-il se référer pour être marxiste ? Faut-il se référer au Marx, produit des Lumières, de son européocentrisme, de sa conception de l’histoire, de son scientisme, ou au Marx qui en fait la critique voire qui bât en brèche les présupposés de ces idéologies ? Faut-il se référer au Marx admirateur de la révolution bourgeoise ou au Marx qui en fait une critique dévastatrice ? Faut-il se référer au Marx qui se laisse aller à l’économisme le plus outrancier ou au Marx qui met la politique aux commandes de l’histoire ? Au Marx qui approuve la colonisation de l’Inde et de l’Algérie ou au Marx qui soutient les mouvements de libération anticolonialistes ? Au Marx qui traite Abraham Lincoln comme un frère ou au Marx qui en démonte le caractère bourgeois ? Au Marx qui pensait que l’histoire de tous les peuples du monde devait suivre la trajectoire de l’Europe occidentale ou au Marx qui suggérait que cela n’était pas nécessairement le cas ? On pourrait multiplier à l’infini ce type de questions sauf si, au-delà de ces questions, on pense qu’il existe un concept qui serait la vérité profonde du marxisme comme un philosophe de l’Antiquité grec pensait que la réalité manifeste n’était que l’incarnation imparfaite de concepts qui existeraient Dieu seul sait où. En tant que philosophe, tu devrais pouvoir me dire qui était ce philosophe.

Mais il s’en pose une autre aussi importante : que faire de toutes ces questions que Marx, concentré sur l’analyse du capitalisme, n’a pas abordé ou qu’il n’a fait qu’effleurer ? L’État, en premier lieu, les classes sociales, catégorie centrale chez lui qu’il n’a pourtant jamais définie, la nation, la culture, la religion, la relation de genre, et bien d’autres problématiques encore, dont toutes celles évidemment qui ne sont apparues qu’avec le développement ultérieur de la modernité capitaliste. Et je ne parle pas bien sûr des milliers d’interprétations de Marx qui ont été faites depuis et qu’on ne peut pas se contenter de balayer d’un revers de main comme s’il n’en existait qu’une seule de « fidèle », celle de Lénine et de Trotsky. Et Engels, que doit-on faire de lui qui a été en même temps le co-auteur de Marx et un interprétateur pas toujours « fidèle » lui non plus ? Doit-on le suivre quand il assimile caricaturalement le développement historique au processus d’évolution de la nature ? Doit-on le suivre quand il parle de « nations sans histoire » ? Quant à Trotsky, puisque ta question porte essentiellement sur lui, sa pensée politique me paraît avoir été assez homogène à partir de la révolution d’Octobre et son « assimilation » du « léninisme ». Mais, bien que reposant sur une base théorique forte, sa pensée est principalement orientée vers la résolution de questions stratégiques et tactiques en période d’ébullition révolutionnaire, une pensée surdéterminée à la fois par son expérience spécifique russe et par son combat contre le stalinisme triomphant. Sur toutes les questions de ce type qu’il a abordé on ne peut qu’être fasciné par l’intelligence politique redoutable qui est la sienne. Pour autant, je ne suis pas capable d’affirmer que les réponses qu’il a apportées aient toujours été les bonnes. Pour être un peu provocateur et faire encore de la politique fiction, je ne suis pas du tout sûr que si Trotsky avait dirigé le mouvement communiste chinois à la place de Mao, celui-ci aurait pu connaître le triomphe qui a été le sien en 1949. Je pense que Trotsky, comme Lénine, est une source incomparable d’enseignements pour réfléchir sur les questions stratégiques et tactiques mais je me garderais de dire qu’ils ne se sont jamais trompés dans leurs conclusions ou que ces conclusions sont toujours d’actualité aujourd’hui. Mais l’importance de Trotsky est aussi ailleurs. Je pense en particulier à la force de ses analyses sur la montée du fascisme en Allemagne ; je pense aussi à la théorie de la révolution permanente, à la fois théorie et stratégie, ou à celle du stalinisme et de la nature de l’État stalinien. Là encore, je dois d’abord rappeler que je n’y suis pas revenu depuis longtemps, mais la fameuse notion d’« État ouvrier bureaucratiquement dégénéré » que je continue de considérer comme la théorisation la plus pertinente sur la question, me pose quand même un problème. Elle présuppose la possibilité d’un État ouvrier non-bureaucratique alors que la bureaucratie est la forme d’existence de l’État. Et je ne sais toujours pas ce que signifie un « État ouvrier ». Que signifie la classe ouvrière constituée en pouvoir d’État ? Au-delà, cela pose également une question plus générale à tout le marxisme, celui de la classe ouvrière et de son « noyau dur » le prolétariat industriel comme sujet prédestiné de la révolution sociale et de l’émancipation. Et puis il y a la question de la révolution permanente. C’est une théorie magnifique, fort utile pour analyser certaines dimensions fondamentales du développement des processus révolutionnaires. Ce sont notamment les commentaires de Marx sur la révolution française et ses textes sur les révolutions européennes de 1848. C’est aussi bien sûr de multiples textes de Trotsky avec évidemment ceux qui concernent la révolution russe. Cette théorie a en outre le mérite de battre en brèche le marxisme le plus économiste et la vision linéaire du développement historique mondiale dont la dernière étape aurait pour sujet la classe ouvrière industrielle. Mais si elle le bât en brèche, elle ne le remet toutefois pas en cause et demeure de ce point de vue là tout à fait européocentriste. En dernière instance, ne présuppose-t-elle pas – même si ce n’est pas par les mêmes chemins, si les articulations entre les classes au cours du processus ne sont pas identiques, si les dynamiques internes des révolutions diffèrent – que de toute façon les histoires vont converger vers une finalité commune et le prolétariat industriel aura le dernier mot. Cela apparait nettement dans certaines formules souvent employées à propos de la révolution permanente, concernant la possibilité de « bonds en avant » de l’histoire, de « saut », de « transcroissance », de « contournement » ou de raccourcissement des « étapes ». Autrement dit, la théorie de la révolution permanente dépasse très certainement en pertinence l’étapisme stalinien mais partage avec lui beaucoup de points communs. Surtout, elle a trop souvent, me semble-t-il, était interprétée par le mouvement trotskyste d’une façon gauchiste, confondant une théorie général, un outil d’analyse et de stratégie dans le moment révolutionnaire avec une méthode valable en tout lieu et en tout temps, que la conjoncture soit révolutionnaire ou ne le soit pas. Dire par exemple qu’il n’y a pas d’« étapes historiques » incontournables ne signifie pas qu’il n’y ait pas des étapes dans la lutte ou l’on peut être amené à faire exactement le contraire de ce que l’on ferait dans le moment révolutionnaire. Et les étapes peuvent même exister au cours du processus révolutionnaire lui-même ! Prenons le cas de la Tunisie. J’avoue que je trouve complètement absurde de débattre de la révolution permanente. Franchement, les groupes qui s’accrochent encore à l’étapisme stalinien sont tellement aveuglés par des dogmes, qui leurs servent plus de repères identitaires que d’outils dans la lutte, qu’ils sont « identitairement » incapables d’écouter le moindre argument. Je suis très sceptique quant au fait que leurs « théories » (je devrais plutôt dire leur « théologies ») expliquent vraiment leurs choix politiques. Tout au plus servent-elles de légitimation ou permettent de faire accepter par leurs militants certains tournants qui pourraient les embarrasser comme par exemple le soutien au camp moderniste libéral ou la mise en avant des revendications démocratiques au détriment des revendications sociales. Mais je pense aussi que la stratégie de la révolution permanente se heurte à un autre problème concret dans notre révolution ; un problème qui tient moins à la dynamique interne des forces qu’aux rapports de forces régionaux et mondiaux. Je le dis tout de suite, je ne sais pas quelle solution apporter à cette équation de la discordance entre rapports de forces internes et rapports de forces externes. Dans notre situation, il est tout à fait réaliste de fonder sa politique sur le pari stratégique d’une prise du pouvoir par les forces populaires. Y parvenir est évidemment très compliqué et, aujourd’hui, difficilement accessible mais, comme disait je ne sais plus qui, le chemin qui mène de l’impossible au possible, c’est la lutte. Sauf qu’il y a les rapports de forces internationaux qui non seulement font obstacle à la réalisation d’un tel projet mais de surcroît, si les forces populaires parvenaient quand même au pouvoir, il y a de fortes chances qu’elles seraient écrasées en quinze jours. Certes, d’une certaine manière, la révolution permanente a raison de s’opposer à l’idée d’une autolimitation volontaire de la révolution qui pourrait se traduire en débâcle. Mais en même temps n’est-ce pas de l’aventurisme que de vouloir prendre le pouvoir dans le cadre des rapports de forces mondiaux actuels ? Cette question, on ne peut pas y répondre par la référence dogmatique à la théorie de la révolution permanente. Cela étant, je ne crois absolument pas qu’il faille relativiser ou mettre de côté les revendications sociales et je suis tout à fait opposé à une alliance avec les forces modernistes libérales. Mais ces deux questions ont très peu avoir avec la révolution permanente. Ce sont des choix politiques qui s’accordent parfaitement avec la simple révolution démocratique. L’augmentation des salaires, la lutte contre le chômage, le contrôle des prix, la préservation du secteur public, la protection du marché intérieur, l’intervention économique de l’État, sont des revendications économiques démocratiques même si évidemment elles bousculent le Capital. Comme je l’ai dit, je n’ai pas de solution à l’équation stratégique de la révolution tunisienne. C’est pourquoi – et en cela je suis « fidèle » à la stratégie de la révolution permanente et aux thèses qui étaient celle de l’OCR – je n’en vois de résolution possible que parce que la révolution tunisienne a enclenché un processus révolutionnaire à l’échelle arabe. Je le dis souvent : le principal acquis de la révolution tunisienne, c’est la révolution égyptienne. Car sans la révolution égyptienne, il n’y aurait pas ce processus révolutionnaire généralisé à l’échelle du monde arabe qui, malgré sa complexité extrême et les risques majeurs d’étouffement, et les centaines de milliers voire de millions de morts qui en résultera, hélas, peut seul donner des perspectives réelles aux masses populaires de nos pays.

Pour en revenir à mes textes depuis la révolution – en fait, il y en a un seul que je tiens pour important –, je ne saurais te dire non plus s’ils est marxistes ou pas et cela m’importe peu. Il est vrai que j’y relativise la détermination économique du déclenchement de la révolution. Mais cela n’a rien en soit de non-marxiste même si cela ne concorde pas avec une des idées formulées par Marx à propos des révolutions où il les définit sommairement comme le moment où rapports de production et forces productives entrent en contradiction. Par ailleurs, je dois dire que je ne crois pas qu’une large mobilisation révolutionnaire du peuple ait jamais été motivée par de simples revendications socio-économiques. Personne ne prend le risque de mourir pour des augmentations de salaire. Il se peut qu’un telle revendication soit le point de départ d’une mobilisation mais jamais on n’a pu et on ne pourra voir se développer à l’échelle de tout un pays, un mouvement de masse, communiant dans la colère et l’esprit de sacrifice pour des revendications économiques. Comprendre la révolution tunisienne, c’est comprendre quel est ce facteur qui a réussi à provoquer un tel processus. J’ai essayé de proposer quelques pistes, guère plus que des pistes, dans les textes dont tu parles.

Cela étant le texte le plus abouti que j’ai écris sur la révolution tunisienne et ses développements jusqu’à la constituante (« Tunisie : commentaires sur la révolution à l’occasion des élections », publié en trois parties sur le site du Parti des indigènes de la république) est caractérisé – tout simplement parce que je ne sais pas réfléchir la politique autrement – par la prédominance d’une analyse en termes de rapports de forces entre les classes et par l’importance fondamentale que j’y ai volontairement apporté aux stratégies politiques des acteurs du conflit. Sans être en mesure de développer la question, j’ai essayé cependant d’y introduire un autre clivage qui me semble caractériser le processus révolutionnaire tunisien, en l’occurrence celui que je désignerai sous le terme générique de colonial et qui s’est incarné idéologiquement dans la prétendue opposition modernisme/islamisme. Ce clivage fait intervenir en même temps que des intérêts de classes, d’autres intérêts que j’appellerai statutaires qui ont directement à voir avec la suprématie blanche à l’échelle internationale. J’ignore si existent chez Marx ou dans l’ancienne tradition marxiste des éléments permettant une approche de cette question. Ce qui me paraît certain par contre c’est qu’elle questionne fortement tout ce qu’il y a d’européocentriste dans le marxisme comme dans ce qu’on appelle les sciences, c’est-à-dire le savoir dominant à notre époque. De ce point, sans m’y attarder non plus, il ne fait guère de doute que le travail d’élaboration théorique et politique auquel je me suis attelé au sein des Indigènes de la république ne s’inscrit pas dans la matrice trotskyste. Mais Trotsky a développé sur la question noire aux États-Unis des positions d’une audace et d’une radicalité exceptionnelles pour le marxisme de son époque desquelles je ne peux pas ne pas m’inspirer en partie. D’autres militants trotskystes noirs ont également produit des textes dont tout le monde reconnait la richesse et la pertinence. Je pense notamment à C.L.R. James. Sans parler de tous les militants et auteurs qui ont pensé les questions raciales sinon à partir de Trotsky du moins à partir de Marx. Pour ma part, j’ai abordé nécessairement cette question à partir de ma culture militante, politique et théorique, avec ses insuffisances et ses contradictions. Si les marxistes s’y reconnaissent tant mieux pour eux, si ce n’est pas le cas, je ne crois pas que ce soit un problème. Ce qui m’importe, c’est de contribuer à la recherche de solutions politiques qui arment ceux qui sont opprimés. Il me faut tout de même préciser que les indigènes de la république ne sont pas une organisation marxiste mais regroupent des militants ayant souvent des références très différentes.

 

SM. : Connaissant tes analyses de naguère, quelle est actuellement ta manière de voir l’islamisme en général et l’islamisme tunisien en particulier ?

Je ne sais pas ce que tu appelles mes « analyses de naguère ». L’islam politique est un phénomène qui me perturbe depuis très longtemps et, tout en m’y accrochant, je n’étais pas à l’aise avec les analyses produites avec les seules catégories marxistes, telles que je les connaissais du moins. Je me souviens du choc positif que j’avais eu, dans les années 80, en découvrant un commentaire de Marx formulé à propos de la guérilla paysanne espagnole contre les armées de Napoléon où il soulignait sa nature à la fois progressiste et réactionnaire, progressiste dans la mesure où elle se battait contre l’occupation napoléonienne, et réactionnaire dans la mesure où il s’agissait d’une rébellion paysanne qui défendait la monarchie aristocratique et le pouvoir de l’Église en Espagne. Et, au final, Marx se félicitait que cette guérilla ait infligeait sa première défaite au nouvel Empire français. J’avais beaucoup apprécié dans ce commentaire la remise en cause – en fait, relative – de l’opposition binaire entre les catégories de « progressiste » et de « réactionnaire ». Je connaissais également les textes d’Engels rassemblés sous le titre « La guerre des paysans en Allemagne » qui analyse ces mouvements révolutionnaires menés sous le drapeau de la religion. Au sein de la IVème internationale, dont je lisais les publications, on s’intéressait beaucoup et avec sympathie à la théologie chrétienne de libération en Amérique latine. Un peu plus tard, j’avais lu aussi un livre de Michael Löwy et d’un autre auteur dont j’ai oublié le nom, sur le romantisme comme idéologie politique opposé au capitalisme et à la modernité, également impossible à saisir à l’aide de l’opposition progressistes/réactionnaires. En ce qui concerne mon propre travail en Tunisie, j’avais réalisé une petite étude universitaire dans les années 1980 sur la formation de l’État tunisien entre 1954 et 1959 et, à mon grand étonnement, je m’étais aperçu que l’opposition progressiste/réactionnaire ne fonctionnait pas pour comprendre les conflits politiques de cette époque et que le camp porté au compromis avec la France colonial était aussi le camp dirigé par les forces portés par le premier développement du capitalisme, y compris le prolétariat, et le camp qui réclamait l’indépendance, le yousséfisme, était en gros un rassemblement des classes que le capitalisme menaçait. Alors que le premier défendait un projet moderniste, le second restait attaché à des idées conservatrices et considérées comme réactionnaires. Il me semblait évident – et mon avis n’a pas changé là-dessus – que les militants révolutionnaires de cette époque devaient faire partie du camp yousséfiste. En ce qui concerne plus particulièrement l’islam politique, jusqu’à la fin des années 1980, malgré mes interrogations de plus en plus nombreuses, j’ai persisté à tenter de comprendre son extension rapide en Tunisie en gros comme une simple réaction petite-bourgeoise, hostile à la classe ouvrière et tirant parti à la fois de la crise du régime et de l’incapacité de la classe ouvrière à travers l’UGTT à imposer ses propres solutions à cette crise. Par ailleurs, il ne faisait pas de doute que l’islamisme tunisien était lié à la montée de ce courant à l’échelle régionale, depuis le début des années 1970, provoqué par la défaite du nationalisme arabe et par le soutien américano-saoudien. Il n’est pas faux qu’en Tunisie comme ailleurs dans le monde arabe, le courant islamique a longtemps été utilisé pour briser le nationalisme arabe et les mouvements de gauche. Dans un nouveau contexte, c’est d’ailleurs encore le cas. Il n’en demeure pas moins que, pour moi, l’adversaire principal a toujours été le pouvoir en place et je me souviens avoir observé avec écœurement dès 1989, de nombreux opposants de gauche, parfois radicaux en tant que tels, glisser progressivement vers le pouvoir par opposition au parti de Ghanouchi. De même, lors du coup d’État militaire en Algérie, en 1990, destiné à bloquer les portes du pouvoir au FIS, j’étais, à l’inverse d’autres dirigeants de l’OCR, favorable à une dénonciation vigoureuse de ce coup d’État. De même, comme il me semble l’avoir déjà évoqué, j’ai toujours condamné la répression des islamistes en Tunisie. J’ajouterais que tisser des alliances avec Ennahdha pour les libertés et contre la dictature de Ben Ali ne m’a jamais posé de problèmes et, dans les années 2000, j’ai regretté qu’Ennahdha fasse des choix ambigües vis-à-vis du régime et, en dehors de brefs moments, elle ait privilégié l’alliance avec les forces démocratiques les plus flottantes politiquement plutôt, pour citer cet exemple, à Moncef Marzouki auquel on doit reconnaître sa position démocratique radicale par rapport à Ben Ali. Pour en revenir à l’analyse de l’islam politique en Tunisie que j’ai résumé plus haut, je ne dirais pas qu’elle ne reflète pas une part de la réalité. Elle se fonde sur certains faits qui étaient effectivement observables et suggère des dynamiques socio-politiques qu’on pouvait également reconnaître. Elle n’en demeure pas moins trop générale, simpliste et lacunaire et reste trop largement inspiré par les analyses marxistes des conflits sociaux en Europe. Au début des années 2000, j’avais essayé d’être plus précis et nuancé comme en témoigne nettement les pages que j’ai consacrées à cette question dans « Le délitement de la cité ». J’avais souligné notamment une chose qui est en fait une évidence souvent occultée, à savoir qu’il n’y a pas un islamisme comme il n’y a pas un communisme ou une gauche et que, y compris les courants dont l’histoire s’enracine dans la confrérie des frères musulmans égyptiens et qui gardent à ce jour des attaches très fortes avec elle, sont travaillés par des dynamiques internes puissantes déterminées en particulier dans les spécificités de leur ancrage local et de leurs parcours politiques. Avec son expansion et son enracinement dans des réalités hétérogènes, l’islam politique ne pouvait que connaître d’importantes différenciations très importantes qui interdisent d’en parler comme d’un seul bloc réactionnaire, dépourvue d’historicité. Une telle idée, pour basique qu’elle soit, mérite encore hélas d’être rappelée. Dans ce livre, j’avais noté également la prédominance croissante dans leurs politiques, et notamment à partir des années 1990, des logiques nationales sur leurs solidarités transnationales et la puissance intégratrice des systèmes politiques et des États qui forceraient de nombreux mouvements de l’islam politique à rentrer en quelque sorte dans le moule, quitte à renoncer à des pans entiers de leur identité fondamentale et de leur programme d’origine, selon un processus largement analogue à celui qui a vu les partis de la social-démocratie révolutionnaire et du mouvement communiste être absorbés par la force intégratrice des États. En témoignent d’ailleurs, la trajectoire des grands partis de l’islam politique en Turquie, en Jordanie, au Maroc, en Égypte et désormais aussi en Tunisie. Sans parler de la facilité avec laquelle, lorsqu’ils sont au pouvoir, ils s’intègrent, comme hélas la plupart des partis au pouvoir, aux institutions et à la logique du système interétatique mondiale dominé par l’impérialisme. Alors, et Ennahdha dans tout ça ? Eh bien, je pense qu’Ennahdha, malgré son hétérogénéité actuelle, est typique de ces partis de l’islam politique qui sont incapables de résister aux charmes de la gestion ou de la participation à la gestion de l’État bourgeois colonial tunisien. Loin d’être un parti « réactionnaire moyenâgeux », c’est un parti tout à fait moderne, ce qui à mes yeux n’a aucune connotation positive. Il est bien sûr contraint de gérer les pressions multiples d’une base transclassiste et aux idéologies plus ou moins radicales, d’autant plus fortes que nous sommes en période révolutionnaire et que ce parti sort d’une longue période de clandestinité et de répression, mais sa dynamique fondamentale, impulsée par des directions pressées d’arriver aux affaires et aux biens matériels et symboliques terrestres, reste celle d’une intégration à ce État bourgeois colonial toujours en place. Démocratique ou pas ? Cela n’est que très secondairement lié à l’idéologie probablement fortement autoritaire que partagent ses cadres comme la majorité des forces politiques tunisiennes, indépendamment des références qui sont les leurs. Cela dépend, dans le cas d’Ennahdha comme dans celui de ces autres forces, des rapports de forces sociaux. Si le choix économique libéral est menacé par les revendications et les mobilisations populaires et si ces dernières sont incapables de défendre les dispositifs démocratiques, nulle doute que ces acquis de la révolution seront ébréchés et si nécessaires remis en cause, par Ennahdha ou par d’autres. Ce qui aujourd’hui s’oppose à la démocratie, ce n’est pas l’islamisme comme idéologie politique religieuse, c’est le libéralisme. Tout cela bien sûr est dit très rapidement et de manière schématique qui occulte d’autres dimensions du problème, mais je voudrais pour finir soulever une dernière question. Une question parce que pour commencer à y répondre, il faudrait faire tout un travail qui n’a pas été fait. L’hypothèse dont part mon interrogation est que l’influence croissante de l’islam politique en Tunisie depuis les années 80 ne peut être rattachée seulement aux développements de la lutte des classes mais s’articule également à une question coloniale non-résolue à ce jour. Je ne crois pas naturellement que Ennahdha soit un mouvement anticolonial et anti-impérialiste mais je pense qu’il faudrait se demander dans quelle mesure il a pu, et il peut encore sans doute, constituer la médiation contradictoire à travers laquelle a resurgi la question coloniale à la faveur de la crise du régime instauré par Bourguiba sous l’ombre protectrice de la France. Il me semble que, loin d’être seconde, une telle question peut avoir des implications très importantes en termes stratégiques. Je m’interroge ainsi sur la possibilité et le contenu de l’intégration dans la démarche de la gauche d’une politique décoloniale susceptible d’actionner à son profit les ressorts qui ont donné à Ennahdha l’élan dont elle a bénéficié et de contester l’hégémonie morale et culturelle qu’elle a conquise sur de larges fractions des masses populaires. Je le dis avec d’autant plus d’insistance que j’observe avec inquiétude que de plus en plus des pans entiers de la gauche, inquiets pour une modernité qui n’est en fait qu’une forme de la domination coloniale, subit le magnétisme du pôle bourgeois moderniste, lequel, soit dit en passant, pourrait très bien demain cogérer avec Ennahdha et bien sûr l’appareil destourien toujours en place, une offensive contre les mobilisations populaires.

 

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