Le 21 août 1940, le révolutionnaire russe Léon Trotsky était assassiné par un agent stalinien. Théoricien de haut vol et militant charismatique, élu président du Soviet de Petrograd aussi bien en 1905 qu’en 1917, fondateur et dirigeant de l’Armée rouge, qui parvint à battre les armées blanches à la solde de la vieille Russie féodale et des puissances impérialistes, Trotsky a incarné aux côtés de Lénine cette Révolution russe qui, inattendue, ébranla le monde et modifia tout le cours du 20e siècle.
Exclu du bureau politique puis du parti par la clique bureaucratique de Staline, condamné à l’exil, pourchassé dans le monde entier par les agents de la Guépéou (la police politique de l’URSS), Trotsky a tenté malgré tout, et dans toutes les tempêtes de son temps (en particulier la victoire du nazisme en Allemagne, la défaite de la Révolution espagnole et la course vers la Seconde guerre mondiale), de maintenir vivant l’espoir né en Octobre 17 en faisant la critique systématique du stalinisme, notamment sur deux points : l’étouffement bureaucratique de toute démocratie au sein des partis communistes (et plus encore de toute capacité d’auto-organisation du côté des exploité·es et des opprimé·es), et la rupture avec l’internationalisme.
S’il n’eut pas raison en tout, s’il commit assurément des erreurs, Trotsky tenta néanmoins de faire vivre l’héritage de la révolution d’Octobre, enseveli sous les déformations et les mensonges mis en circulation par les partis communistes stalinisés, qui non seulement effacèrent le rôle central qu’il joua en 1917 et durant la terrible guerre civile qui suivit, mais dénaturèrent surtout ce que furent la politique de Lénine et du parti bolchevik au cours de la révolution, souple et en lien constant avec l’auto-activité des masses. Il ne cessa en outre de démontrer la nécessité d’un marxisme vivant, proposant des analyses souvent lumineuses de situations concrètes, toujours tournées vers l’action politique de classe ; ses textes sur l’Allemagne des années 1930 constituent à ce titre un sommet de la pensée politique marxiste au 20e siècle.
Il ne s’agit nullement pour nous de rendre un simple hommage, ou pire de favoriser ces rapports de déférence que l’on entretient vis-à-vis d’ancêtres glorieux mais dépourvus d’actualité. On ne saurait se contenter d’étudier pieusement l’œuvre de Trotsky pour clamer les mérites éternels du « grand homme » et ânonner en cœur quelques citations. Militant révolutionnaire, il fut toujours un penseur en situation, et s’il se fit le défenseur intransigeant du marxisme, s’il s’engagea dans la politique organisationnelle et les polémiques de son temps, il se montra toujours rétif aux automatismes de pensée, aux facilités rhétoriques et aux dogmatismes de tout poil (qui se réclament parfois du trotskysme).
Il est donc vain de chercher à dégager des leçons intemporelles de ses textes, mais on peut apprendre de sa méthode. Les textes que nous proposons ci-dessous visent ainsi à donner à voir cette méthode (en lisant Trotsky dans le texte) et à la discuter. Ils ont également vocation à présenter ses combats : ceux de l’époque de la Révolution russe (de 1905 à 1917) comme ceux qui précédèrent sa mort, en particulier la lutte contre le nazisme et contre la dégénérescence stalinienne de la Révolution russe (un seul et même combat car, dans l’esprit de Trotsky, seuls un redressement et une politique juste du Parti communiste allemand auraient pu éviter une victoire nazie et la course vers la guerre).
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