Grèce : le moment des grandes décisions

Malgré la désinformation des médias et le chantage de l’UE, les forces anti-austérité en Grèce restent fortes avant le référendum de dimanche. Nous publions ici l’analyse de Stathis Kouvelakis, intialement parue en anglais sur le site états-unien Jacobin.

Stathis Kouvelakis est membre du comité central de Syriza et professeur de théorie politique  au King’s College de Londres. 

 

Mon « silence inhabituel » de ces derniers jours, comme quelqu’un l’a écrit sur ma page Facebook, est simplement dû au fait que, depuis mon arrivée dimanche à Athènes pour la campagne du Non, j’ai très peu dormi et pas mal travaillé. Hier, j’ai parlé à deux rassemblements sur des lieux de travail (la gare centrale d’Athènes et le bâtiment central du métro). Une grande expérience. Mon agenda pour aujourd’hui prévoit des interventions à divers rassemblements dans la zone industrielle de Moschato et une réunion publique à Petroupoli, dans la banlieue ouest d’Athènes.
 
Les travailleurs sentent la pression de la situation créée par l’hystérie des médias et la fermeture des banques. Ils sont plutôt critiques à l’égard des concessions faites par le gouvernement au cours de ces épuisantes « négociations », mais en général ils sont confiants dans la victoire du Non. Ils attendent que ce soit un nouveau départ pour le gouvernement Syriza, avec la mise en œuvre de plus de points de son programme.
 
Je voudrais prier instamment tous ceux qui suivent ce qui se passe en Grèce avec un mélange typique d’anxiété et d’espoir de garder la tête aussi froide que possible. Les médias grecs sont dans un état d’hystérie, et dans les médias occidentaux, ce n’est pas très différent. L’un de leurs thèmes de prédilection, pour couronner l’atmosphère apocalyptique qu’ils propagent, est que le référendum n’aura pas lieu, que le gouvernement a effectivement accepté le plan Juncker et va annuler le référendum et ainsi de suite. Méfiez-vous de cette désinformation.
 
Il est vrai que certaines initiatives du gouvernement sont pour le moins ambiguës et discutables. Cela vaut particulièrement pour la proposition d’avant-hier d’un nouveau prêt du Mécanisme européen de stabilité et la lettre du Premier ministre Alexis Tsipras à l’Eurogroupe rendue publique hier (1er juillet). Leur but est d’afficher une bonne volonté et de donner du crédit à la position que ce qui aura lieu la semaine prochaine, après une victoire potentielle du Non, sera un nouveau cycle de «négociations». Mais tout le monde sait que a) c’est très peu probable que ça se produise et b) qu’en tout cas il n’y a pas de véritables négociations en cours actuellement : Merkel a clairement indiqué que des pourparlers ne sont absolument pas envisageables avant dimanche.
 
Donc, il y a une dimension de gesticulations des deux côtés et des manœuvres tactiques du côté de Syriza, mais il est également vrai que cela est un reflet de contradictions au sein du gouvernement et de Syriza. Son aile «réaliste» (dirigée par le vice-Premier ministre Yannis Dragasakis) essaie de mettre en avant l’idée que le référendum n’est juste qu’une parenthèse conflictuelle, désagréable (et brève) et que les négociations vont repartir sur la base des très graves concessions que le gouvernement avait acceptées juste avant la rupture des pourparlers. La position officielle, cependant, est que les négociations vont repartir « de zéro », ce qui signifie que toutes les précédentes propositions grecques doivent désormais être considérés comme obsolètes.
 
Le discours d’hier de Tsipras a été bien accueilli et largement considéré comme de défi, réussissant ainsi à surmonter l’impact démobilisateur des dernières propositions. Mais bien sûr, le meilleur allié du camp du Non est l’attitude intransigeante et arrogante des créanciers, qui ne laisse aucune place aux «compromis», même de la pire espèce.
 
Selon les sondages d’opinion publiés hier, le Non est en avance de onze à treize points, mais l’écart a diminué de manière significative depuis lundi en raison de la fermeture des banques, des restrictions sur les retraits d’espèces, et des problèmes rencontrés par les retraités pour recevoir les paiements de leurs pensions.
 
Cela a inévitablement créé un climat d’incertitude et de peur, et c’est exactement ce que les dirigeants de l’Eurogroupe visaient quand ils ont décidé de cesser toute fourniture de liquidités. Cependant, et ce n’est pas surprenant, c’est seulement parmi les retraités et les femmes au foyer que le Oui mène ou est proche de la majorité. Partout ailleurs, y compris parmi les petits entrepreneurs, c’est le Non qui mène.
 
Beaucoup dépendra de la capacité de chaque camp à mobiliser, mais surtout du camp du Non. Le rassemblement de mardi des partisans du Oui était grand et bien planifié, mais presque exclusivement avec des participants de la classe moyenne supérieure, et cela a sans doute été l’apogée de ce qu’ils peuvent faire en termes de mobilisation. Vu son caractère improvisé, le rassemblement pour le Non de lundi était un démarrage réussi. La campagne sur le terrain a commencé hier, et elle sera presque entièrement monopolisée par le camp du Non. L’ambiance dans la société grecque est à une polarisation croissante – suivant des lignes de classe claires dans les centres urbains, plus floues à la campagne et dans les petites villes.
 
Qualitativement parlant, les sections de Syriza sont galvanisées, et il y a une excellente relation avec les camarades d’Antarsya. D’autres forces, des mouvements sociaux et de diverses campagnes, sont également en train de nous rejoindre. Une campagne de type « front uni » prend forme, ce qui est une excellente nouvelle.
 
Mais la grande déception ici est l’attitude du Parti communiste, qui ne peut être qualifiée que comme une «trahison» (en général, je n’aime pas ce terme mais dans ce cas il semble justifié). Ils vont mettre dans l’urne leur propre bulletin de vote, affirmant un «double non» (au plan de la troïka et au gouvernement, considérés comme des «deux faces de la même médaille»), un bulletin de vote qui sera bien sûr invalide. On peut supposer qu’ils vont faire leur propre comptage et annoncer le résultat comme une sorte de «succès» de leur ligne.
 
Si le Non l’emporte – ce qui semble probable, mais pas certain – et s’il gagne avec une nette majorité, ce qui reste également à voir, il est presque inévitable que la confrontation avec l’Union européenne et la classe dominante grecque connaisse une escalade. La Grèce a déjà refusé de payer le Fonds monétaire international en juin, et la déclaration formelle de défaut de paiement devra être faite dans les trente jours. Les armes de la liquidité et des devises seront utilisées encore plus lourdement, avec la Banque centrale européenne et le Fonds européen de stabilité financière qui demanderont que leurs prêts soient immédiatement remboursés. Le moment des « grandes décisions » arrivera alors inévitablement pour Syriza.

Une victoire pour le camp du Non galvaniserait les forces populaires. Mais ce résultat ne doit en aucun cas être considéré comme acquis. C’est l’enjeu de l’incroyable bataille qui se déroule actuellement.

 

Traduction de Fausto Giudice ?????? ??????? ?????? ???????

Publication en français : http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=15099

 

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