La Commune au jour le jour. Mardi 4 avril 1871

À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

La triste fin de la sortie

Témoignage

Élisée Reclus, 41 ans , géographe

.. Le général Duval, qui se trouvait sur le plateau de Châtillon avec 2.000 hommes, dépourvus de vivres et munitions, et qu’entourait la foule grandissante des Versaillais, avait instamment demandé du renfort. On battit le rappel dans notre arrondissement, autour du Panthéon, et hier, vers 5 heures, environ 600 hommes étaient rassemblés sur la place. Pleins d’ardeur, nous désirions marcher immédiatement au feu, en compagnie des autres corps envoyés des quartiers méridionaux de Paris, mais il paraît que ce mouvement n’eût pas été conforme aux précédents militaires, et l’on nous dirigea vers la place Vendôme où, privés de toute nourriture, de tout objet de campement, nous n’eûmes, pendant plus de la moitié de la nuit, d’autre réconfort que d’entendre chanter dans le ministère voisin les brillants officiers du nouvel État-major:   « Buvons, buvons, à l’Indépendance du monde! »

À 2 heures de la nuit, un ordre du général fait quitter à notre troupe, déjà bien diminuée par la désertion, l’abri précaire de la place Vendôme et l’on nous mène à la place de la Concorde, où nous essayons de dormir sur des dalles, jusqu’à 6 heures du matin. C’est alors qu’on nous dirige vers Châtillon, les os rompus par ce premier bivouac et sans nourriture aucune. Pendant la marche, notre petite bande se fond encore, et partis 600 la veille, nous arrivons 50 sur le plateau, une demi-heure avant que les troupes versaillaises, feignant de passer en armes à la cause de la Révolution, se fassent aider à l’escalade des remparts, aux cris répétés de « Nous sommes frères! embrassons-nous! Vive la République! »…

Le général Péllé, qui commandait les troupes versaillaises qui entourèrent les 2000 hommes dirigés par Duval s’engage, s’ils se rendent, à ce qu’ils aient la vie sauve.

Cet engagement n’est pas respecté, dès les fédérés se rendent, des gardes sont saisis et fusillés.  Les autres prisonniers sont acheminés vers Versailles entre deux haies de chasseurs.

Sur la route, le convoi rencontre le général Vinoy, qui ordonne de fusiller les officiers. Le chef d’escorte rappelle la promesse faite.

Vinoy demande s’il y a un chef. Duval s’avance, « oui moi ! », et deux autres le suivent, Émile Lecoeur commandant du 103ème et Joseph Mauger commandant des volontaires de Montrouge. Vinoy déclare alors « Vous êtes d’affreuses canailles, qu’on les fusille !».

Emile Duval, 31 ans, ouvrier fondeur en fer

Né dans un milieu ouvrier parisien, il reçoit une bonne éducation, et devient ouvrier fondeur en fer. Après avoir été un des animateurs de la grève des fondeurs en 1864, il devient responsable de la société de prévoyance de la profession, qui joue le rôle d’un syndicat.

En 1867, presque tous les membres du bureau décident d’adhérer à l’Internationale.

C’est également à partir de 1867 qu’il s’intègre à l’organisation blanquiste, dont il dirige le 5ème groupe de combat dans le XIème arrondissement. Il se retira du groupe blanquiste, opposé à la stratégie des coups de main. Il milite alors dans la Fonderie Gouin dans le XIème.

Il joue un rôle central dans l’organisation d’une nouvelle grève des fondeurs en fer en 1870, à la suite de laquelle la société des fondeurs en fer adhère en bloc à l’Internationale.

Condamné à plusieurs reprises, il est libéré le 5 septembre 1870. Il fonde un club socialiste dans le XIIIème arrondissement qui adhère lui aussi en bloc à l’Internationale.

Il est un des 43 socialistes révolutionnaires présentés aux élections du 8 février par l’Internationale, la Chambre fédérale des sociétés ouvrières et la Délégation des vingt arrondissements de Paris, sans être  élu.

A partir de mars 1871, il est à l’origine de nombreux coups de mains des gardes nationaux rive gauche. Le 18 mars, il organise l’occupation de toutes les usines et des postes de police du XIIIème.

Élu membre de la Commune  avec 6 630 voix, il a été désigné membre de la Commission exécutive et de la commission militaire.

Picard annonce plus de 2000 prisonniers et que «leurs principaux chefs, Flourens et le Général Duval, ont péri » . Un autre officier supérieur déclare « quant au nommé Duval, cet autre général de rencontre , il avait été fusillé dès le matin au Petit Bicêtre, avec deux officiers d’état major de la Commune. Tous trois avaient subi en fanfarons le sort que la loi réserve à tous chefs d’insurgés pris les armes à la main ».

Lorsque les prisonniers arrivent à Versailles, l’émigration parisienne les reçoit en les frappant des poings, des cannes, des ombrelles, arrachant képis et couvertures.

Picard télégraphie partout «La cavalerie qui escortait les prisonniers a eu la plus grande peine, à son entrée dans Versailles à les protéger contre l’irritation populaire. Jamais la basse démagogie n’avait offert aux regards affligés des honnêtes gens des visages plus ignobles ».

Dans la soirée, la description de l’exécution de Duval et de Flourens, la sauvagerie des Versaillais, car il est également fait mention de tirs contre les ambulances soignant les blessés fédérés, y compris de la croix rouge, provoquent la fureur. Edouard Vaillant lance «  Nous avons des otages, il faut rendre coup pour coup ! ». Rigault veut qu’on fusille l’archevêque, les curés, les jésuites arrêtés. Le délégué à la justice Protot a du mal à se faire entendre : « on peut  être terrible avec ses ennemis en restant justes et humains… ». Il est chargé de rédiger un décret sur les otages.

 

La Commune affiche une proclamation

Commune de Paris

PROCLAMATION AU PEUPLE DE PARIS

Citoyens,

Les monarchistes qui siègent à Versailles, ne vous font pas une guerre d’hommes civilisés ; ils vous font une guerre sauvage.

Les Vendéens de Charette, les agents de Piétri fusillent les prisonniers, égorgent les blessés, tirent sur les ambulances.

Vingt fois les misérables qui déshonorent l’uniforme de la ligne ont levé la crosse en l’air, puis, traîtreusement, ont fait feu sur nos braves et confiants concitoyens.

Ces trahisons et ces atrocités ne donneront pas la victoire aux éternels ennemis de nos droits.

Nous en avons pour garants l’énergie, le courage et le dévouement à la République de la garde nationale.

Son héroïsme et sa constance sont admirables.

Ses artilleurs ont pointé leurs pièces avec une justesse et une précision merveilleuses. Leur tir a plusieurs fois éteint le feu de l’ennemi, qui a dû laisser une mitrailleuse entre nos mains.

Citoyens,

La Commune de Paris ne doute pas de la victoire.

Des résolutions énergiques sont prises.

Les services, momentanément désorganisés par la défection et la trahison, sont, dès maintenant, réorganisés.

Les heures sont utilement employées pour votre triomphe prochain.

La Commune compte sur vous, comme vous pouvez compter sur elle.

Bientôt il ne restera plus aux royalistes de Versailles que la honte de leurs crimes.

A vous, citoyens, il restera toujours l’éternel honneur d’avoir sauvé la France et la République.

Gardes nationaux,

La Commune de Paris vous félicite et déclare que vous avez bien mérité de la République.

Paris, 4 avril 1871.

                           La commission exécutive :

                                   BERGERET, DELESCLUZE, DUVAL, EUDES, FÉLIX PYAT, G. TRIDON,

                                   E. VAILLANT

L’échec a des conséquences militaires, la perte de milliers de combattants, le fait que les versaillais vont se sentir autoriser à attaquer, et la Commune va devoir faire des efforts importants pour se défendre.

Il a aussi des conséquences politiques : comment défendre la crédibilité des légitimes exigences de la Commune? Elle donne aussi de l’audace aux ennemis du dedans, qui reprennent la lutte assoupie depuis le 26 mars.

 

Cluseret délégué à la guerre

A la séance de nuit, Bergeret fait l’éloge de la sortie, met la défaite sur le compte de retards fâcheux, et le comité central de la garde nationale vient redemander l’intendance et le droit de réorganiser la garde nationale.

Contre ces fanfaronnades, la commune décide de confirmer la choix de Gustave Cluseret comme délégué à la guerre. Il a deux mérites au yeux de la Commune : il n’est pas membre du Comité Central de la garde nationale, et il refuse l’aventure de l’offensive.

Étrange personnage que ce militaire de carrière.

En tant que chef de bataillon mobile il participa à la répression de l’insurrection de juin 1848. Contestataire, accusé de propager les idées républicaines dans l’armée, accusé d’’exercer des activités commerciales lors de la colonisation, il démissionne de l’armée française en 1858. Il rejoint Garibaldi pour son expédition en Italie, puis part aux États Unis pour prendre part à la guerre de sécession du côté nordiste. En contact avec des socialistes, il devient révolutionnaire, adhère à l’AIT, participe aux réunions des chambres syndicales, et lors de son retour en France en 1870 participe aux activités du comité central des 20 arrondissements. Candidat à la Commune, il n’a pas été élu.

Il prend comme chef d’État major Louis Rossel, un militaire de carrière qui a rejoint la révolution.

Ceux qui critiquent cette nomination estiment qu’il n’a pas confiance dans lecourage de la garde nationale ni surtout à la possibilité de tirer profit, pour les opérations militaires, des convictions politiques.

Une réorganisation radicale de la garde nationale

Trois décisions ont pour objectif affiché d’éviter la reconduction de situations telles à celles qui se sont produites ces deux derniers jours, en renforçant la hiérarchie et la discipline. Il s’est produit une rupture dans la confiance des gardes envers  leurs chefs, on l’a vu dans ces deux journées, avec de nombreuses désertions dans les bataillons. Les choix faits visent à centraliser les pouvoirs de décision et à militariser la garde nationale.

La Commune décide ainsi qu’à l’avenir, toute demande à la garde nationale doit passer par le ministère de la guerre et que  « tout ordre relatif au mouvement des troupes sera signé du général Bergeret, commandant la place de Paris » qui recevra pour cela les instructions du délégué de la guerre. Cela implique que tout autre ordre ou réquisition de troupes devra être considéré comme nul et non avenu.

Cluseret fait adopter une réorganisation des compagnies de marches, celles qui vont au feu. Elle prévoit que les soldes à partir du 7 avril seront différenciées en fonction du grade, 1 franc 50 et les vivres pour les gardes, 2 francs pour les sous-officiers et 2 fr 50 pour les officiers. En outre les compagnies de guerre éliront un chef de bataillon spécial.

La modification principale concerne la composition de ces bataillons de guerre puisque qu’il est décidé que « font partie des bataillons de guerre tous les citoyens de 17 à 35 ans non mariés, les gardes mobiles licenciés, les volontaires de l’armée ou civils ».

C’est donc la mobilisation générale autoritaire, qui laisse de coté tous les vieux révolutionnaires convaincus. C’est une mesure désastreuse méconnaissant la puissance et l’énergie que peuvent donner des convictions réfléchies, pour substituer à cette spontanéité une certain forme d’enrégimentement. Pour la motivation, décisive pour une force militaire comme la garde nationale, la question de l’âge n’est rien. Dans la garde nationale chaque bataillon, chaque compagnie forme une famille, un groupe soudé, composé de voisins, d’habitants d’une même rue, du même immeuble, de camarades d’atelier, séparer ce groupe c’est atteindre, peut-être détruire une unité autrement sérieuse et profonde.

Tribune

Arthur Arnould, 38 ans, journaliste et homme de lettres

 … une guerre civile, une guerre politique, dont toute la grandeur et toute la justification résident dans la conviction des combattants, qui ne sont pas seulement des soldats,  mais qui sont des idées vivantes, ne peut se conduire comme la guerre contre un envahisseur étranger.
Là, nulle scission, nulle hésitation possible….. en face de Versailles, quelle différence !

Évidemment à Paris, comme dans le reste de la France, tout le monde n’est pas d’accord, tout le monde ne souhaite pas d’un cœur égal le triomphe de la révolution sociale ; quelques uns la regardent même comme l’abomination et la désolation.
Ceux-là, quoiqu’on dit ou qu’on décrétât, il est impossible de les faire marcher, ou s’ils marchent, une fois, ce peut être avec l’arrière pensée , soit de passer à l’ennemi, soit de lâcher pied au premier coup de fusil, de créer la panique ou d’amener la défaite …. souvent, parmi les non-combattants du fait de la loi, il se trouve des hommes dévoués, résolus, énergiques, qui eussent versé leur sang avec joie sous le drapeau rouge à frange d’or, tandis  qu’on peut avoir de la peine à recruter dans les limites d’âge, les compagnies destinées à aller au feu….

La garde nationale, avant d’être une force militaire, est une force morale. Chaque garde pense, réfléchit, raisonne, a une volonté. Il faut aussi songer à l’opinion des femmes, qui exercent une action considérable sur leurs maris, leurs amants, leurs fils, leurs frères, leurs pères. Quand deux hommes habitent sur le même palier, vous ferez difficilement comprendre à l’un de ces hommes, et surtout à sa femme, qu’il doit se faire tuer, parce qu’il a trente neuf ans et onze mois, tandis que son voisin restera à l’abri du danger, parce qu’il a quarante ans et quelques jours.

Exposés ensemble aux même périls, ils se piqueront d’émulation et se battront carrément. ….

Enfin il officialise la défensive jusqu’à la réorganisation complète des troupes de la commune, susceptible de permettre une nouvelle offensive. C’est le retour à la tactique du siège. Il est vrai que les conditions du siège ont changé depuis juin 1848, aujourd’hui les parisien-nes insurgé-es ne sont plus des désespéré-es, derrière des pavés, réduit-es à charger leurs fusils de lingots et de pierres. La Commune possède plus de soixante mille gardes aguerris, des centaines de milliers de fusils, 1200 canons, cinq forts, une enceinte, des munitions en quantité.

Face à cela, il est clair que Versailles, ne voyant dans Paris que des insurgés, ne se contera pas des conseils de guerre, se donnera le droit d’exécuter sommairement les prisonniers, se prépare à généraliser les exécutions de ces derniers jours.

Comment inverser le rapport de force, car la partie militaire est mal engagée si la province ne se lève pas ?

Incident avec la presse hostile à la Commune

Parait dans le Journal officiel petite édition du soir :

Les délégués de la commune à l’Intérieur viennent d’adresser au directeur de Paris-journal la note suivante :

« La rédaction de Paris-journal , en présence du sang qui coule, à la vue de nos frères égorgés par les gendarmes et les sbires de Versailles, continue avec acharnement ses calomnies haineuses contre la Commune et l’héroïque garde nationale de Paris.

Il est criminel et faux de dire que « Paris déclare la guerre à la France »; il est faux  de dire que la garde nationale ait fusillé un parlementaire, quand elle a été au contraire traîtreusement attaquée par des hommes qui levaient la crosse en l’air pour tromper la vigilance.
La liberté de presse n’est pas le droit de s’embusquer prudemment derrière un journal pour redoubler les horreurs d’une lutte que Paris n’a pas commencé, mais dans laquelle il fera triompher la République et la Commune »

Réaction de Paris-Journal : 

« nos lecteurs ne nous pardonneraient certainement pas de répondre aux invectives anonymes qui partent d’un ministère dont personne ne soupçonnait l’existence. Bornons nous donc à souhaiter que l’avertissement donné à Paris-Journal serve de leçon à nos confrères de la presse. Il est bien avéré aujourd’hui que le régime communal s’accommode fort bien des procédés de l’empire : nous n’en sommes encore qu’aux communiqués ; à bientôt sans doute les avertissements, à quand les suppressions ?

Les conciliateurs réapparaissent

Deux courants pour la conciliation ont repris leur activité. Mais celle-ci pour avoir du sens suppose la reconnaissance de droits réciproques. Au moment où des centaines de cadavres jonchent le sol, au moment où Versailles attaque, ils devraient commencer par dire : Que Versailles la première arrête ses coups!

Un parti républicain modéré, composé de certaines notabilités de l’ancienne presse républicaine dite radicale et de la bourgeoisie républicaine ayant fait partie de l’administration du 4 septembre, députés, anciens maires (ils n’ont pas participé aux élections de la commune ou en ont démissionné) créent une Ligue d’Union républicaine des droits de Paris qui constate les responsabilités de l’assemblée et de Thiers, ainsi que celles de la Commune.

Elle réaffirme la reconnaissance de la République, et du droit de Paris à avoir un conseil élu et souverain, avec sa police, ses finances, son assistance publique, son enseignement et sa garde nationale.

L’autre groupe est l’Union nationale des chambres syndicales, qui regroupe  plus de 50 chambres syndicales patronales et ouvrières, plus de 7000 industriels et commerçants à Paris, qui peut même encore s’agrandir avec d’autres. Elle représente l’essentiel des chambres patronales, quelques chambres ouvrières et quelques coopératives, et traite avec Thiers et la Commune, comme elle l’a fait pour le courrier.

Elle est inquiète d’une situation qui peut causer le tort le plus grave aux intérêts économiques de la ville, veut qu’elle cesse au plus vite. L’union déclare qu’elle est en présence de faits accomplis et que « Paris a fait une révolution aussi acceptable que toutes les autres, et, pour beaucoup d’esprits, c’est la plus grande qu’il ait jamais faite, c’est l’affirmation de la

République et la volonté de la défendre ». Elle propose de faire l’ expérience sérieuse de ces nouvelles institutions qui ne coûteront jamais plus que l’ancien ordre de choses vient de nous coûter.

Cette union propose la discussion d’une bonne loi municipale, et l’élection d’une assemblée constituante, car les élus pour signer la paix ne sont pas ceux qu’il convient pour élaborer une constitution.

Leurs  programmes sont au fond identiques : il s’agit de faire succéder à la Commune, essentiellement composée de travailleurs dévoués à la révolution sociale, un conseil municipal, élu dans de telles conditions que l’élément bourgeois conservateur y soit dominant, et qu’ainsi l’ordre, c’est-à-dire le maintien des privilèges, soit sauvegardé.

Sur la forme, le programme des premiers, l’Union républicaine est plus précis que celui de l’Union nationale qui, propose d’accepter la loi municipale provisoire qui serait votée au premier jour par l’assemblée, laquelle devait en même temps régler le mode d’élection du nouveau Conseil municipal, appelé à succéder à la Commune.

Dans l’expression l’Union républicaine semble plus énergique que l’Union nationale, puisqu’elle déclare que si Versailles n’accède pas à son programme, elle invitera ses adhérents à appuyer la Commune, même par les armes.

En province, il y a également des pétitions et des manifestes pour une république démocratique et laïque, la fin de la guerre civile.

Hier un article de la Tribune de Bordeaux, journal républicain radical qui ouvre ses pages aux internationalistes, se prononce pour la conciliation : « nous prions la municipalité de provoquer dans le plus court délai une action commune des grandes cités afin quelles offrent leur médiation fraternelle aux combattants ».

Tribune de MILLlÈRE – DÉCLARATION parue dans  La Commune

Malgré le profond dégoût que m’inspirent les passions haineuses et violentes de la majorité, j’ai cru de mon devoir de rester dans l’Assemblée nationale tant qu’il m’a semblé possible d’y remplir le mandat que le peuple de Paris m’a conféré, c’est-à-dire tant que je pourrais lutter pour la cause de la justice et combattre les partis du désordre, coalisés contre la République.

Sans me permettre de juger, et moins encore de blâmer les citoyens qui, par un sentiment consciencieux et désintéressé, comprennent leur devoir d’une autre façon, je pense qu’une démission pure et simple n’est pas le meilleur moyen d’accomplir la tâche imposée à un représentant du peuple.

J’ai été confirmé dans cette opinion par les conseils d’un grand nombre de membres des comités électoraux qui ont proposé ma candidature, et j’ai pu en apprécier 1a justesse lorsque j’ai vu avec quelle satisfaction nos ennemis ont recueilli la démission de plusieurs des élus du parti républicain.

Mais l’abominable attentat commis par le pouvoir exécutif, le crime que le gouvernement de Versailles consomme en ce moment contre le droit, contre l’humanité, offre aux représentants de Paris la plus grave occasion de faire un dernier et suprême usage de leur mandat en réprouvant solennellement une politique dont le but évident est de noyer la  République dans le sang du peuple, qui ne connaît d’autres moyens de pacification que la guerre civile, et dont le résultat, s’il était réalisé, serait la perte définitive de la patrie.

C’est dans ces dispositions d’esprit que je voulais me présenter à la séance d’aujourd’hui.

Je me proposais d’interpeller le Gouvernement sur l’attaque à main armée qu’il dirige contre Paris, et de démontrer au pays, trompé par les mensonges de M. Thiers, quelle est la véritable situation de la capitale. Il est bon que la France entière sache que Paris est, non pas en état d’Insurrection, mais bien en état de légitime défense; qu’il n’a jamais fait qu’user pacifiquement de son droit, du droit qui lui appartient au même titre qu’à toutes les autres communes de France; qu’après l’avoir livré à l’ennemi par la plus infâme des trahisons dont l’histoire ait conservé le souvenir, les misérables qui ont ainsi sacrifié la patrie à leur ambition veulent encore étouffer dans Paris l’esprit de liberté politique et d’indépendance municipale, qui ne leur permettrait pas de jouir impunément du fruit de leurs forfaits; et que, malgré les outrages, les défis et les provocations, la population parisienne calme, paisible, unanime, n’avait tenté aucune agression, commis aucune violence, causé aucun désordre lorsque le gouvernement l’a fait attaquer par les anciens policiers de l’empire, organisés en troupes prétoriennes sous le commandement d’ex-sénateurs.

Voilà comment je comprends le devoir d’un représentant du peuple. C’est ainsi que j’aurais accompli mon mandat si j’avais pu me transporter à Versailles. Du haut de la tribune, j’aurais à la face du monde déclaré la majorité réactionnaire et son pouvoir exécutif responsables des nouvelles calamités qu’ils déchaînent sur notre malheureuse patrie, et j’aurais quitté l’assemblée en secouant la poussière de mes souliers.

En bref

 ■  Versailles, en plus de nous priver des correspondances de province, a essayé de suspendre la circulation des chemins de fer. Le gouvernement s’est adressé aux directeurs des compagnies. Trois, Nord, Orléans et Lyon-Méditerranée  ont poliment décliné  cette demande.

 ■  A partir de ce jour, mardi 4 avril, les dépêches de Paris à destination des départements et de l’étranger seront régulièrement expédiées. La dernière heure des levées des boîtes de quartiers est fixée à sept heures du soir. Toutes les correspondances laissées en souffrance dans les boîtes de Paris depuis le départ de l’administration pour Versailles, ont été expédies dès ce matin.

 ■  Il est nommé une commission d’initiative pour tout ce qui a rapport au travail et à l’échange. Cette commission, qui .siégera au ministère des travaux publics, est composée de citoyens Minet, Teulière, E.Rouiller, Paget -Lupicin, Serailler, Loret, Henri Gou11é, Ernest Moullé et Lévy-Lazare,

 ■   Plus de cent marins ont répondu à l’appel à se mobiliser affiché dans les rues de Paris.

 ■  La peste bovine sévit avec une telle vigueur, qu’on a dû suspendre toutes les foires en Normandie, où se font à cette époque de l’année les ventes de bestiaux. Les bœufs qui alimentent Paris viennent tous maintenant du Portugal.

 ■  La foire aux jambons a ouvert, moins de cent boutiques au lieu des 500 habituelles.

 ■  Huit théâtres sur 27 sont ouverts et quelques unes de ces salles sont pleines tous les soirs On joue le Canard à trois bec, une pièce tout à fait propice à distraire des dandys des boulevards élégants des soucis de la guerre civile. Quand minuit approche, les cafés ferment. Le délégué à l’ex-préfecture de police a pris habitude d’envoyer des compagnies de gardes nationaux qui surveillent la fermeture des établissements publics. Mais cette précaution comme tant d’autres est inutile. Il y a des portes secrètes qui échappent aux plus minutieuses investigations….

Journal Officiel (petite édition du soir)

Rubrique humoristique ça et là

On m’annonce que la paroisse de la rue des Marais a maintenu au rituel de ses cérémonies l’invocation pour l’empereur . Le Domine salvum fac imperatorem nostrum Napoleonem! (Traduction libre : Pour dominer les hommes, les impériaux nocent trop. -Napoléon.)’ Hier matin on chanta1t encore cette petite machine monarchico ridicule à l’office du jour. Fier toupet ! Messieurs les calotins ! Que vont dire les ruraux 1

À Marseille  

Les intrigues entre la Commission et le Conseil Municipal, sous la pression du « petit Versailles » installé à Aubagne finissent par user les membres de la Commission.

Aujourd’hui l’armée a envahi Marseille, après avoir occupé les forts Saint Nicolas et Notre-dame-de-la-garde. En outre trois bateaux dans le port ont leurs canons braqués sur la ville. Des barricades se sont dressées contre l’avancée des troupes loyalistes, les gardes nationaux, les francs tireurs, soutenus par la population opposent une résistance. Deux bataillons fraternisent avec la population.

Le général ordonne le bombardement de la Préfecture, avant de l’occuper vers 19h00.

La Commune de Marseille est défaite dans le sang, même si on ne connaît pas encore le nombre de morts du côté du peuple, on parle de plus de cent cinquante.

Le membre le plus connu de la Commission, Gaston Crémieux s’est rendu volontairement à ceux qui le cherchaient.

En débat : Quelles leçons tirer de l’échec de la sortie vers Versailles ?

La détermination, le courage, l’abnégation ne remplacent pas le rapport de force politique et militaire.
Oui il y a nécessité d’empêcher cette assemblée de la capitulation, cette assemblé monarchique de sévir. Oui il est urgent de bloquer la politique destructrice du gouvernement Thiers. Mais cette Assemblée, ce gouvernement, ont des forces réelles, sans commune mesure avec celles qui restaient aux bonapartistes au moment de effondrement de l’empire.

Deux occasions se sont présentées de prendre Versailles. La première les 18 et 19 mars, alors qu’il n’y avait plus d’armée capable de contrer cette marche, après les fraternisations à Paris. La seconde dans la semaine suivante lorsqu’une action militaire dans Versailles était préparée pour être rejointe par une marche de la garde nationale. Cette préparation n’a pas été suivie d’effet. Depuis, la situation a changé, le gouvernement a réussi en urgence avec l’aide de Bismark à reconstituer une armée. Et il continue à la renforcer.

Aller vers Versailles aujourd’hui, la sortie l’a montré, ce ne sera pas une marche pacifique, mais une bataille d’importance dans laquelle Thiers est prêt à tout. D’autant que l‘échec des communes de province laisse pour le moment Paris seul face à ce pouvoir. Or l’objectif de se débarrasser de l’Assemblée et du gouvernement est peut être trop pour les seules forces sociales, politiques et militaires de Paris insurgé. Lorsque les révolutions de Paris se sont répandues en France et on changé le cours national, elles étaient plus ou moins en convergence avec une large partie de la population.

Comment frapper Versailles, montrer son rapport de force, bien au-delà d’une mesure contre les biens de quelques responsables, mais les empêcher de mener leur politique ? En utilisant le poids économique de Paris, de la Banque de France, de la Bourse ?

Comment délégitimer politiquement Versailles, le gouvernement et l’Assemblée, pour faire progresser l’exigence d’un autre pouvoir ? Ne faut-il pas frapper Versailles politiquement, en rendant impossible  aux yeux de larges parties de la population  ces crimes ? Comment défendre une perspective pour toute la population ouvrière et pauvre du pays ?