La Commune au jour le jour. Mercredi 5 avril 1871

À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

***

L’essentiel de la journée

Situation militaire

Il n’y a pas eu d’engagement important aujourd’hui.

Rive gauche, les Versaillais occupent les positions occupées par les prussiens lors du siège. Les fédérés occupent les tranchées, les Moulineaux, la gare de Clamart ; les forts de Vanves et Issy qui couvrent le plateau de Châtillon.

Rive droite, les gardes nationaux occupent Courbevoie, le pont de Neuilly barricadé, mais les troupes versaillaises ont remis en état les batteries établies par les prussiens qui vomissent  leurs projectiles incendiaires sur l’ancienne banlieue, devenue inhabitable de ce côté : il n’est plus permis aux Parisien-nes de s’aventurer sans danger au delà du rond-point de l’allée des Veuves, au milieu des Champs-Elysées.

Quelques barricades avec talus, fossés et banquette de tir ont été aménagées rue royale, place de la concorde et place Vendôme. D’autres également dans divers endroits, pas aussi rigoureusement construites.

Cent à cent cinquante personnes se sont présentées pour remettre en fonctionnement les canonnières stationnées sur la Seine.

 

Témoignages de la barbarie versaillaise

Les témoins des atrocités commises par les versaillais continuent d’arriver :

Paris, le 5 avril 1871.

Aux membres de la Commune de Paris,

J’arrive de Versailles encore ému, indigné des faits horribles que j’ai vus de mes propres yeux.

Les prisonniers sont reçus à Versailles d’une manière atroce. Ils sont frappés sans pitié. J’en ai vu sanglants, les oreilles arrachées, le visage et le cou déchirés comme par des griffes de bêtes féroces. J’ai vu le colonel Henry en cet état, et je dois ajouter à son honneur, à sa gloire, que, méprisant cette bande de barbares, il est passé fier, calme, marchant stoïquement à la mort.

Une cour prévôtale fonctionne sous les regards du gouvernement. C’est dire que la mort fauche nos concitoyens faits prisonniers. Les caves où on les jette sont d’affreux bouges, confiés aux bons soins des gendarmes.

J’ai cru de mon devoir de bon citoyen de vous faire part de ces cruautés, dont le souvenir seul provoquera encore longtemps mon indignation.

                                    BARRÈRE.

                                               Je certifie que la présente déclaration a été faite devant moi.

                                               LEROUX, Commandant au 84e bataillon de la garde nationale.

*

Citoyen directeur,

Nous tenons à porter à votre connaissance des honnêtes gens un fait inouï, accompli par les artilleurs du Mont-Valérien dans la journée du 3 avril. Une vingtaine de médecins, portant le brancard réglementaire, et accompagnés de sept voitures de la Société internationale, pourvues du drapeau blanc à croix rouge de la convention de Genève, ont été pris pour point de mire, et n’eût été un pli de terrain, médecins et blessés auraient été atteints par les obus. Nous préférons croire que les artilleurs n’ont pas les drapeaux de la convention de Genève, plutôt que de leur reprocher une atrocité si souvent mise à exécution par les Prussiens.

Salut et fraternité.

                                                     Le médecin en chef de l’Hôtel-de-Ville, Dr HERZFELD.

                                                                       Le médecin adjoint,  Dr CLAUDE.

 

Obsèques

Le capitaine Henry, frère du général du même nom, qui remplit les fonctions de chef d’état-major, a été tué avant-hier. Son enterrement civil a eu lieu, hier, à une heure. Le cortège devait partir de la place Vendôme. Le corbillard s’est mis en marche, précédé par un détachement d’hommes portant le costume des chasseurs de Vincennes, une musique exécutant une marche funèbre ; derrière, et au premier rang, marchaient le général Henry, revêtu de son uniforme, et son père, vieillard à longue barbe blanche, en simple garde ; puis venaient deux cents personnes environ : officiers de la garde nationale, garibaldiens, bourgeois. La marche jusqu’au  cimetière Montmartre était close par trois bataillons de la garde nationale.

 

Adoption du décret « des otages »

Versailles a pris l’initiative d’agir sans aucun respect des droits de la guerre communément admis, comme ses généraux ont pris l’habitude de faire lors des conquêtes coloniales.

Face aux exécutions systématiques des soldats passé à la Commune, aux exécutions sans autre procès des chefs de l’insurrection, comme Flourens et Duval, la Commune adopte un décret prévoyant l’exécution des prisonniers, et la constitution d’un groupe d’otages composé de personnes jugées coupables de « complicité avec le gouvernement de Versailles ».

L’émotion est forte, à tel point que les termes des deux textes adoptés, la déclaration de la commune et le décret ne sont pas identiques. La première prévoit l’exécution d’un nombre égal ou double de prisonniers en cas de massacre des soldats, le second d’un nombre triple d’otages.

Citoyens,

Chaque jour les bandits de Versailles égorgent ou fusillent nos prisonniers, et pas d’heure ne s’écoule sans nous apporter la nouvelle d’un de ces assassinats.

Les coupables, vous les connaissez : ce sont les gendarmes et les sergents de ville de l’empire, ce sont les royalistes de Charette et de Cathelineau qui marchent sur Paris au cri de Vive le Roi et drapeau blanc en tête.

Le gouvernement de Versailles se met en dehors des lois de la guerre et de l’humanité, force nous sera d’user de représailles.

Si, continuant à méconnaître les conditions habituelles de la guerre entre peuples civilisés, nos ennemis massacrent encore un seul de nos soldats, nous répondrons par l’exécution d’un nombre égal ou double de prisonniers.

Toujours généreux et juste même dans sa colère, le peuple abhorre la guerre civile ; mais il a le devoir de se protéger contre les attentats sauvages de ses ennemis, et, quoi qu’il lui en coûte, il rendra œil pour œil et dent pour dent.

                                                              Paris, le 5 avril 1871.

                                                              La Commune de Paris.

*

La Commune de Paris,

Considérant que le gouvernement de Versailles foule ouvertement aux pieds les droits de l’humanité comme ceux de la guerre ; qu’il s’est rendu coupable  d’horreurs dont ne se sont même pas souillés les envahisseurs du sol français ;

Considérant que les représentants de la Commune de Paris ont le devoir impérieux de défendre l’honneur et la vie des deux millions d’habitants qui ont remis entre leurs mains le soin de leurs destinées ; qu’il importe de prendre sur l’heure toutes les mesures nécessitées par la situation :

Considérant que des hommes politiques et des magistrats de la cité doivent concilier le salut commun avec le respect des libertés publiques,

DÉCRÈTE :

Art. 1er. Toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles sera immédiatement décrétée d’accusation et incarcérée.

Art. 2. Un jury d’accusation sera institué dans les vingt-quatre heures pour connaître des crimes qui lui sont déférés.

Art. 3. Le jury statuera dans les quarante-huit heures.

Art. 4. Tous les accusés retenus par le verdict du jury d’accusation seront les otages du peuple de Paris.

Art. 5. Toute exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera, sur-le-champ, suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus en vertu de l’article 4, et qui seront désignés par le sort.

Art. 6. tout prisonnier de guerre sera traduit devant le jury d’accusation, qui décidera s’il sera immédiatement remis en liberté ou retenu comme otage.

Des dizaines de personnes sont immédiatement arrêtées, pour l’essentiel des prêtres, accusés d’être des agents de Versail1es.

A la férocité versaillaise on veut opposer les grandes fureurs du Paris révolutionnaire de 93. Mais il apparaît que deux motivations différentes président à l’adoption de ce décret : l’une tendant à obtenir de Versailles l’engagement formel de ne plus fusiller de prisonniers ; l’autre, plus politique, visant à l’échange de prisonniers et notamment de Blanqui.

Mesures de répression

Sur l’ordre de la préfecture de police, signé de Ferré, Rigault et Chalain (deux blanquistes et un internationaliste), sans décision de la Commune, trois journaux qui soutiennent le gouvernement et l’assemblée, qui publient des mensonges éhontés sont saisis dans la matinée : le Constitutionnel, le Journal des Débats, Paris-Journal. Il ne s’agit pas d’une interdiction ponctuelle, puisqu’il est interdit « à l’imprimeur de continuer à faciliter la publication de ladite feuille en la faisant composer et imprimer».

L’Union, le Français,le Monde, l’Ami de la France, le Peuple français, la Liberté, le Pays ont suspendu leur publication. La Gazette de France paraît à Versailles, ainsi que Le Gaulois. Cet acte a suscité de violentes protestations lors de la réunion de la Commune, par tous ceux qui ont combattu durant tout l’Empire les limitations au droit d’expression, pour l’abolition des lois contre la presse.

Si nulle armée ne peut supporter dans ses lignes les traîtres, les espions, ceux qui souhaitent sa perte, est-ce le plus efficace pour combattre le contenu de ces journaux que de les interdire ?

 

Démissions de la Commune

Ce climat, le décret des otages, les décisions de la sécurité provoquent un débat important, des interrogations, et deux élus démissionnent dans ces circonstances, les citoyens Ulysse Parent et Ranc fuient le « radeau révolutionnaire ».

C’est le cœur navré que je viens déposer entre vos mains le mandat que les électeurs du 9ème arrondissement m’avaient confié.

Jusqu’à l’accomplissement de l’œuvre exceptionnelle que la misérable attitude du gouvernent de Versailles impose, j’espérais pouvoir partager vos travaux, vos luttes, vos périls.

Mais si le dévouement  a ses entraînements, la conscience a ses exigences ; et je ne crois pouvoir désormais m’associer à une action politique et militaire pour laquelle un contrôle suffisant me fait défaut.

Mon cri de ralliement restera toujours : Vive la république démocratique et sociale!

                                                                                Ulysse Parent

Le citoyen Ranc se contente de «rentrer dans le rang ». Lui qui avait eu longtemps des attaches avec Blanqui, qui avait été condamné à de multiples reprises sous l’empire, qui avait beaucoup de relations en province avec la bourgeoisie républicaine radicale, voire révolutionnaire, qui auraient pu être utiles à la Commune, va se tourner vers la Ligue Républicaine des droits de Paris.

 

Mesures d’autorité

La commune réaffirme son autorité dans les arrondissements bourgeois.
Le drapeau rouge de la Révolution populaire de Paris a été hissé au balcon de la mairie du 1er arrondissement. La foule a salué ce drapeau qui symbolise les espérances de la France révolutionnaire. Aux vivats répétés se sont ajoutées des protestations énergiques contre tous les ennemis de notre régénération sociale.

Dans le XVIème arrondissement, par suite de la démission des deux membres de la Commune élus et de la fuite des deux commandants de la garde nationale, tous les services communaux de l’arrondissement ont été paralysés ou désorganisés.

La Commune a confié au citoyen Émile Oudet, un de ses membres, envoyé exprès au XVIe, sa direction administrative et la surveillance des opérations militaires du 6e secteur.

Il est annoncé que le citoyen Régère donne sa démission de membre de la commission des finances. Certaines sources affirment qu’il a été poussé dehors par le citoyen Jourde, du fait qu’il proposait de se livrer à des « tripotages de bourse », en faisant telle ou telle opération pour réaliser des bonnes opérations financières au bénéfice de la Commune. Jourde ne veut pas de ressources provenant de la spéculation.

 

Relations internationales

La note suivante a été adressée hier aux représentants à Paris des puissances étrangères par le citoyen Paschal Grousset, membre de la Commune, délégué aux relations extérieures :

« Le soussigné, membre de la Commune de Paris, délégué aux relations extérieures, a l’honneur de vous notifier officiellement la constitution du Gouvernement communal de Paris.

« Il vous prie d’en porter la connaissance à votre Gouvernement, et saisit cette occasion de vous exprimer le désir de la Commune de resserrer les liens fraternels qui unissent le peuple de Paris au peuple N***

« Agréez, etc.                                            PASCHAL GROUSSET.

                                                                                   Paris, le 5 avril 1871

 

Le comité central de la garde nationale s’adresse aux citoyens

Dans la soirée il a fait afficher dans Paris la proclamation suivante :

C’est un texte clairement politique qui affirme que c’est la question sociale qui est la cause primordiale de l’affrontement entre Versailles et Paris, c’est-à dire une perspective dépassant clairement les seuls besoins des parisien-nes. Il affirme que l’affrontement est bien une lutte sociale qui met aux prises avec âpreté, acharnement, la bourgeoisie et le prolétariat (même si les formulations de la fin du texte « commerçants, industriels, boutiquiers » … peuvent recouvrer des couches sociales différentes), « c’est la grande lutte, c’est le parasitisme et le travail, l’exploitation et la production, qui sont aux prises » et  que l’action de « l’héroïque population parisienne va s’immortaliser et régénérer le monde ».

Immédiatement il est reproché au Comité central d’outrepasser ses fonctions, de continuer à vouloir exercer un pouvoir politique. Pour répondre à ces critiques, il réagit immédiatement par une  déclaration qui réaffirme que le comité central ne veut aucun pouvoir politique, car un partage de pouvoir serait un germe de guerre civile :

L’opinion d’une certaine partie de la population, manifestée par plusieurs journaux, nous attribue une situation sur laquelle il est de notre devoir de nous expliquer, ne serait-ce que pour donner une dernière garantie de notre bonne foi.

Ainsi que nous l’avons déjà déclaré, notre mandat politique expirait le jour où, tenant loyalement notre parole, nous remettions entièrement et sans restriction entre les mains des membres de la Commune des pouvoirs que nous n’avions exercés, pour notre compte, qu’à titre pour ainsi dire administratif.

N’ayant pas cru devoir nous ériger en gouvernement lorsque nous supportions seuls la lourde charge de tout créer, après le chaos dans lequel la fuite à Versailles laissait Paris, il n’est pas à supposer que nous prétendions maintenant réclamer une part de pouvoir à la Commune que nous avons contribué à établir.

Notre passage à l’Hôtel-de-Ville, la sympathie qui nous y a accompagnés, et l’approbation qui a accueilli chacune de nos paroles, chacun de nos actes, ne nous ont pas un seul instant fait perdre de vue le rôle d’où nous étions sortis par la force des choses par la force des choses et dans lequel nous devions rentrer complètement et sans arrière-pensée.

Nous le déclarons donc une dernière fois : nous n’avons voulu et ne voulons aucun pouvoir politique, car une idée de partage serait un germe de guerre civile dans nos murs, venant compliquer celle que des frères dénaturés, par ignorance et par les mensonges d’ambitieux, nous apportent avec une horrible haine.

Nous sommes redevenus, le 28 mars, ce que nos mandats nous ont faits, ce que nous étions le 17 ;

Un lien fraternel entre tous les membres de la garde citoyenne ; une sentinelle avancée et armée contre les misérables qui voudraient jeter la désunion dans nos rangs ; une sorte de grand conseil de famille veillant au maintien des droits, à l’accomplissement des devoirs, établissant l’organisation complète de la garde nationale, et prêts, à chaque heure, à dire à ceux qui nous ont élus :

Jugez. Êtes-vous contents de nous ?

Voilà quelle est notre ambition. Elle se borne aux limites de notre mandat, et nous la trouvons assez haute pour l’avoir l’orgueil de n’en jamais sortir.

Vive la République ! Vive la Commune !

L’usurpation de pouvoir est interdite par la composition des commissions, des instances chargées de décider, d’expédier les affaires courantes. Il est incontestable que par un texte de cette nature, le Comité central essaie de contrôler, d’influencer, de juger la Commune, et que le risque de convoitise du pouvoir est possible.

Une nouvelle fois certains demandent la dissolution immédiate comité central pour avoir cherché à annuler l’autorité de la Commune.

 

Les conciliateurs en action

Parmi les républicains de la petite bourgeoisie, la bourgeoisie travailleuse, les courants hostiles à des mesures s’imposant par la violence tout en étant hostiles à la réaction versaillaise, des comités se forment, des adresses sont rédigées, des réunions ont lieu dans le but d’arrêter l’effusion du sang tout en faisant connaître la réalité de la situation parisienne.

Aujourd’hui s’est réunie dans les locaux de l’Avenir national l’Union Républicaine, avec les anciens maires et les élus de paris républicains et certains démissionnaires de la Commune. Ils veulent organiser une grande manifestation pacifique demain.

Leur programme : reconnaissance de la République; reconnaissance du droit de Paris à se gouverner, à régler, par un conseil librement élu et souverain dans la limite de ses attributions, sa police, ses finances, son assistance publique, son enseignement et l’exercice de la liberté de conscience, avec la garde de Paris exclusivement confiée à la garde nationale.

Ils font placarder une affiche appelant à se retrouver à la Bourse le lendemain 6 avril à 8h00 du soir :

CITOYENS,

 A la Commune de Paris nous disons :

Renfermez-vous strictement dans l’édification de nos franchises municipales.

Engagez-vous à déposer votre mandat, sitôt qu’une loi équitable et juste, ayant statué sur la reconnaissance de nos droits, nous appellera à des élections libres et discutées.

A Versailles nous disons : Reconnaissez franchement ce que veut l’opinion publique, le temps presse, votez sans délai des institutions vraiment républicaines, au moins en ce qui concerne la ville de Paris, qui, par ses votes, depuis vingt ans, n’a jamais varié dans ses aspirations.

Pas de projets de loi qui sont autant de brandons de discorde; tel que celui sur l’élection des conseils municipaux où l’on propose :

Le maire choisi par les conseillers dans les villes jusqu’à 6,000 âmes.

Le maire imposé par le pouvoir exécutif dans les villes de plus de 6,000 âmes.

Pas de défiance, mais de la confiance, et alors, oubliant les noms de réactionnaires et de révolutionnaires, nous nous rendrons la main; nous nous souviendrons seulement que nous sommes tous frères d’une même patrie qui est faible aujourd’hui, mais que nous voulons forte bientôt pour ses destinées prochaines.

Vive la France ! vive la République!

Paris, 5 avril 1871.

 

En bref

 ■  Appel aux instituteurs, institutrices et professeurs, ainsi qu’aux parents. Réunion à l’école Turgot, tous les dimanches et jeudis, à trois heures très précises.  Études et résolutions pratiques sur les réformes à réaliser dans les programmes, méthodes et lois d’enseignement.

 ■  La commission du travail et de l’échange prie messieurs les ingénieurs et entrepreneurs de travaux publics de vouloir bien se réunir, samedi prochain, 8 courant, deux heures du soir, au ministère des travaux publics, afin de prendre des résolutions au sujet du projet de l’aménagement des égouts pour le transport des immondices hors de la ville.

 ■  Le citoyen Jules Vincent, délégué par la Commune à la Bibliothèque nationale, a signé un engagement avec les conservateurs pour sauvegarder l’intégrité et la conservation des collections qui leur sont confiées et qui appartiennent à la Nation.

*

M. Gustave Courbet, président des artistes, autorisé par la commune, a invité ses confrères à se réunir vendredi prochain, dans le monument de l’École de médecine, à deux heures de l’après-midi.

Il vient de leur adresser l’appel suivant :

La revanche est prise. Paris a sauvé la France du déshonneur et de l’abaissement. Ah ! Paris ! Paris a compris dans son génie qu’on ne pouvait combattre un ennemi attardé avec ses propres armes. Paris s’est mis sur son terrain, et l’ennemi sera vaincu comme il n’a pu nous vaincre. Aujourd’hui, Paris est libre et s’appartient, et la province est en servage. Quand la France fédérée pourra comprendre Paris, l’Europe sera sauvée.

Aujourd’hui, j’en appelle aux artistes, j’en appelle à leur intelligence, à leur sentiment, à leur reconnaissance,

Paris les a nourris comme une mère et leur a donné leur génie. Les artistes, à cette heure, doivent, par tous leurs efforts (c’est une dette d’honneur), concourir à la reconstitution de son état moral et au rétablissement des arts, qui sont sa fortune. Par conséquent, il est de toute urgence de rouvrir les musées et de songer sérieusement à une exposition prochaine ; que chacun, dès à présent se mette à l’œuvre, et les artistes des nations amies répondront à notre appel.

La revanche est prise, le génie aura son essor ; car les vrais Prussiens n’étaient pas ceux qui nous attaquaient d’abord. Ceux-là nous ont servi, en nous faisant mourir de faim physiquement, à reconquérir notre vie morale et à élever tout individu à la dignité humaine.

Ah ! Paris, Paris la grande ville, vient de secouer la poussière de toute féodalité. Les Prussiens les plus cruels, les exploiteurs du pauvre, étaient à Versailles. Sa révolution est d’autant plus équitable, qu’elle part du peuple. Ses apôtres sont ouvriers, son Christ a été Proudhon. Depuis dix-huit cents ans, les hommes de cœur mouraient en soupirant ; mais le peuple héroïque de Paris vaincra les mystagogues et les tourmenteurs de Versailles, l’homme se gouvernera lui-même, la fédération sera comprise, et Paris aura la plus grande part de gloire que jamais l’histoire ait enregistrée.

Aujourd’hui, je le répète, que chacun se mette à l’œuvre avec désintéressement : c’est le devoir que nous avons tous vis-à-vis de nos frères soldats, ces héros qui meurent pour nous. Le bon droit est avec eux. Les criminels ont réservé leur courage pour la sainte cause.

Oui, chacun se livrant à son génie sans entrave, Paris doublera son importance, et la ville internationale européenne pour offrir aux arts, à l’industrie, au commerce, aux transactions de toutes sortes, aux visiteurs de tous pays, un ordre impérissable, l’ordre par ses citoyens, qui ne pourra pas être interrompu par les ambitions monstrueuses de prétendants monstrueux.

Notre ère va commencer ; coïncidence curieuse ! c’est dimanche prochain le jour de Pâques ; est-ce ce jour-là que notre résurrection aura lieu ?

Adieu le vieux monde et sa diplomatie !

GUSTAVE COURBET

Nouvelles du Havre

Le Comité Central Républicain de Solidarité à tendance socialiste (qui rassemble 500 membres), animé par des ouvriers ferblantiers, typographes, menuisiers, voiliers, cordonniers,  employés  de commerce… ne fait pas mystère de ses sympathies pour la commune de Paris.

Dans sa séance aujourd’hui un des animateurs, Milamon Dufour a déclaré « Nous voulons la commune ; nous voulons faire entre au Conseil Municipal l’élément ouvrier en grande majorité afin de vous défendre, de soutenir vos intérêts…. ».

Le Comité veut donc  examiner les candidatures ouvrières, et cherche des « gens solides ».

Deux lettres de  Bakounine (5 avril 1871, Locarno)

À Jean.

… Tu devras remettre la lettre ci-jointe pour Varlin de la main à la main. Selon toutes probabilités, les Parisiens seront vaincus, mais ils ne périront pas inutilement, ils auront fait beaucoup de besogne. Qu’ils fassent sauter Paris même, s’il le faut ! Malheureusement, les villes de province comme Lyon, Marseille et autres, ne montrent pas plus de vaillance qu’au commencement, s’il faut en croire les nouvelles qui me parviennent. Les anciens Jacobins, les Delescluse, les Flourens, les Pyat, et Blanqui lui-même, devenus membres de la Commune ne laissent pas de me donner de nouvelles inquiétudes. Je crains qu’ils n’entraînent et ne maintiennent le mouvement dans l’ancienne voie de coupe-tête et d’économie des finances. Alors tout sera perdu. « Une et indivisible » va annuler tout et, surtout elle se perdra elle-même. Ce qui donne de la valeur à cette révolution, c’est précisément qu’elle a été faite par la classe ouvrière. Voilà ce que peut produire une organisation. Durant le siège de Paris, nos amis avaient eu le temps de s’organiser ; ils surent créer une force formidable, tandis que nos Lyonnais et nos Marseillais demeurèrent bredouilles. Les hommes de talent et d’énergie se concentrent en trop grand nombre à Paris ; je crains qu’ils ne s’entravent même les uns les autres. Mais alors, en province, les hommes manquent totalement. S’il n’est pas encore trop tard, il faut insister pour envoyer en province un nombre de délégués, de véritables révolutionnaires. Comment se fait-il que Cluseret soit du Comité ? Est-ce bien vrai ? S’il en est ainsi, c’est de la violence pure et simple. En effet, quelle diabolique situation ! d’un côté, l’entente policière du gouvernement français avec les Prussiens, de l’autre, la bêtise de la province. Ce n’est que par des mesures extrêmes, en prenant la résolution de se détruire soi-même pour entraîner la destruction complète de tous, qu’on pourrait sauver la cause. Je t’en prie écris-moi tout ce que tu sais sur Lyon, Marseille, de même que sur Paris. …

Apprends à lire ma lettre pour Varlin et, si possible, lis-la lui en présence de quelques intimes… Il serait très désirable d’avoir une entrevue avec vous avant votre départ pour Paris. Envoyez-moi de l’argent et je viendrai chez vous après le 13 ou le 15 d’avril.

*

À Aga ( Ogareff)

Eh bien ! mon ami, Aga. Veux-tu m’écrire au moins une ligne, toi aussi. Que penses-tu de ce mouvement désespéré des Parisiens ? Quel qu’en puisse être le résultat, il faut avouer cependant qu’ils sont bien braves. Cette force que nous avons vainement cherchée à Lyon et à Marseille, s’est trouvée à Paris ; il y a là une organisation et des hommes déterminés à marcher jusqu’au bout. Il est certain qu’ils seront vaincus. Mais il est certain aussi que désormais, il n’y aura pas d’autre existence pour la France que dans la Révolution sociale. « L’État français » est mort et ne pourra être ressuscité. Là-bas, les révolutionnaires sont plus formidables que les cinq milliards de contribution à payer aux Prussiens et quelle diversité d’éléments ! 1) les paysans, 2) les ouvriers, 3) la petite bourgeoisie, 4) la grande bourgeoisie, 5) les revenants de l’autre monde — les nobles, 6) les éternelles ombres — ces vampires de curés, 7) le monde bureaucratique, 8) le prolétariat de la presse. Entre tous ces éléments il n’existe pas le moindre lien si ce n’est celui de leur haine mutuelle et de leur prétendu patriotisme.

… Ton M. B.

En débat : quelle efficacité du décret des otages  ?

Oui, les troupes versaillaises ont exécuté un certain nombre de gardes nationaux prisonniers, ont exercé d’horribles représailles, le débat est pour la Commune de mesurer l’efficacité de suivre leur exemple,de remettre en vigueur l’antique coutume du talion?

Il ne s’agit pas de se joindre à toutes ces critiques de l’inhumanité de la Commune de la part de ceux qui ne trouvent rien à dire des abominations des versaillais, de la boucherie des oppresseurs. Non, il s’agit plutôt de mesurer en quoi cet appel à la réciprocité dans la barbarie, cette utilisation de moyens extrêmes, à l’opposé des objectifs de la révolution sont efficaces. On le sait, l’illégalité produit l’illégalité, l’injustice produit l’injustice.

Ce décret est-il la réponse adéquate ? Rien n’est moins sûr, et pour deux raisons principales.

La première est que les réactionnaires de grande marque ont fui depuis longtemps. Il ne reste dans Paris que le menu fretin et quelques attardés que Versailles sacrifiera sans hésiter. On a commencé à arrêter les ecclésiastiques qui, s’ils ont une responsabilité morale indiscutable dans ce qui se passe, n’ont jamais participé à ces massacres des Versaillais. Aucune de ces personnes ne sont des otages sérieux à la vie desquels Thiers tient absolument.

La seconde est que la majorité de la Commune va renvoyer aux calendes grecques l’exécution de cette décision à grande échelle de la veille. Elle donne à la Commune l’apparence d’une cruauté dont la presqu’unanimité ses membres sont incapables.

Ce décret va-t-il épargner la vie des fédérés ou au contraire va-t-il être le prétexte à de nouveaux massacres ? Dans le doute, donner à la Commune cette charge morale et politique sans garantie d’efficacité n’est certainement pas la chose la plus efficace pour convaincre que la Commune veut construire un autre ordre social et politique basé sur la démocratie et le pouvoir populaire. C’est ailleurs et autrement qu’il faut chercher à sanctionner Versailles, et à empêcher Thiers et le gouvernement de nuire.