À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
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Vers une heure du matin, il y eut une nouvelle attaque des Versaillais. Le combat dura environ une heure, puis les Versaillais rejoignirent leurs retranchements. Comme les jours précédents, pas de résultat important.
L’Assemblée nationale a voté la version finale de la loi municipale débattue depuis plusieurs jours par 497 voix contre 16.
En ce qui concerne Paris, cette loi prévoit que chacun des vingt arrondissements, quel que soit leur nombre d’habitant.e.s (certains étant trois fois plus peuplés que d’autres), élirait quatre conseillers. En outre, dans chaque arrondissement, le maire et trois adjoints seraient choisis par le chef du pouvoir exécutif, avec incompatibilité entre ces fonctions et celle de conseiller municipal de la ville de Paris. Il est ainsi bien établi que les maires ne seront pas des élus ! Le préfet de la Seine et le préfet de police auraient entrée au conseil municipal de Paris et seraient entendus toutes les fois qu’ils le demanderaient.
Par ailleurs, la nouvelle loi crée trois catégories parmi les communes de France : les communes de moins de 20 000 habitant.e.s où le conseil municipal élu doit nommer lui-même le maire et les adjoints parmi ses membres, les communes de plus de 20 000 habitant.e.s et les chefs-lieux de département ou d’arrondissement où les maires et adjoints sont nommés par le chef du pouvoir exécutif, et enfin, Paris. C’est ce que M. Thiers appelle le droit commun pour Paris lors de ses échanges avec les conciliateurs.
La mauvaise foi de Thiers est-elle encore à démontrer ?
Ci-dessous une lettre qu’il écrivit en réponse à la démarche de l’archevêque de Paris, monseigneur Darboy, dans laquelle il osait affirmer : « Jamais nos soldats n’ont fusillé les prisonniers ».
Versailles, 14 avril I871.
Monseigneur ;
J’ai reçu la lettre que M. le curé de Montmartre m’a remise de votre part, et je me hâte de vous répondre avec la sincérité de laquelle je ne me départirai jamais.
Les faits sur lesquels vous appelez mon attention sont ABSOLUMENT FAUX, et je suis véritablement surpris qu’un prélat aussi éclairé que vous, monseigneur, ait admis un instant qu’ils pussent avoir quelque degré de vérité. Jamais l’armée n’a commis ni ne commettra les crimes odieux que lui imputent des hommes, ou volontairement calomniateurs, ou égarés par le mensonge au sein duquel on les fait vivre.
Jamais nos soldats n’ont fusillé les prisonniers ni cherché à achever les blessés. Que dans la chaleur du combat ils aient usé de leurs armes contre des hommes qui assassinent leurs généraux, et ne craignent pas de faire succéder les horreurs de la guerre civile aux horreurs de la guerre étrangère, c’est possible ; mais, le combat terminé, ils rentrent dans la générosité du caractère national, et nous en avons ici la preuve matérielle exposée à tous les regards.
Les hôpitaux de Versailles contiennent quantité de blessés appartenant à l’insurrection, et qui sont soignés comme les défenseurs de l’ordre eux-mêmes. Ce n’est pas tout, nous avons eu dans nos mains 1600 prisonniers, qui ont été transportés à Belle-Isle, et dans quelques postes maritimes, où ils sont traités comme des prisonniers ordinaires, et même beaucoup mieux que ne le seraient les nôtres si nous avions eu le malheur d’en laisser dans les mains de l’insurrection.
Je repousse donc, monseigneur, les calomnies qu’on vous a fait entendre ; j’affirme que jamais nos soldats n’ont fusillé les prisonniers ; que toutes les victimes de cette affreuse guerre civile ont succombé dans la chaleur du combat ; que nos soldats n’ont pas cessé de s’inspirer des principes d’humanité qui nous animent tous, et qui seuls conviennent aux convictions et aux sentiments du gouvernement librement élu que j’ai l’honneur de représenter.
J’ai déclaré et je déclare encore, que tous les hommes égarés qui, revenus de leurs erreurs, déposeraient les armes, auraient la vie sauve, à moins qu’ils ne fussent JUDICIAIREMENT convaincus de participation aux abominables assassinats que tous les honnêtes gens déplorent ; que les ouvriers nécessiteux recevraient pour quelque temps encore le subside qui les a fait vivre pendant le siège, et que tout serait oublié une fois l’ordre rétabli.
Voilà les déclarations que j’ai faites, et que je renouvelle, et auxquelles je resterai fidèle quoiqu’il arrive, et je nie absolument les faits qui seraient contraires à ces déclarations.
Recevez, Monseigneur, l’expression de mon respect et de la douleur que j’éprouve en vous voyant victime de cet affreux système des otages, emprunté au régime de la Terreur, et qui semblait ne devoir jamais renaître chez nous.
Le Président du Conseil, A. THIERS.
Pour illustrer le climat régnant dans cette Assemblée, lors de la même séance, M. Gavardi a demandé que l’on comprît parmi les délits de presse les attaques que des journalistes téméraires autant qu’insensés pourraient avoir l’idée de diriger contre le dogme de l’existence de Dieu ou contre le dogme de l’immortalité de l’âme !
Charles Quentin, journaliste
Paris, le 14 avril 1871.
Citoyen rédacteur,
Vous avez rarement des nouvelles des départements ; j’ai eu la bonne fortune de recevoir, par un ami arrivé du nord, des renseignements et des journaux, que je m’empresse de vous communiquer.
Le gouvernement de Versailles a besoin d’ombre et de silence ; il a peur de la lumière, du grand jour, et, dans l’espoir de tromper le pays, il a organisé le silence.
Pour peu qu’ils ne se montrent pas hostiles à la Commune, les journaux de Paris sont saisis dans les wagons-poste et confisqués ; le Siècle et le Temps eux-mêmes, qui sont pourtant les adversaires de la Commune n’ont pas échappé à cet ostracisme. Les journaux étrangers sont arrêtés à la frontière ; le Peuple belge, qui compte un grand nombre de lecteurs dans les départements voisins de la Belgique, dans le Nord, la Somme, le Pas-de-Calais, l’Aisne et les Ardennes, a eu l’honneur de se voir fermer l’entrée en France par un décret spécial. Il avait commis le crime de dire, dans des correspondances datées de Paris, la vérité sur les intrigues monarchiques qui s’ourdissent à Versailles.
Pas plus que les journaux, les lettres de Paris n’arrivent pas à destination. Le cabinet noir est scandaleusement rétabli ; des agents versaillais forcent les malles du courrier, trient les lettres, saisissent et ouvrent celle qui leur déplaisent.
Par surcroît de précaution, pour empêcher lettres et journaux de circuler dans les poches ou dans les bagages des voyageurs, le gouvernement versaillais a organisé un système complet d’espionnage, qui mériterait les éloges de Piétri et de ses agents. À quelques lieues de Paris, un commissaire de police visite minutieusement les bagages ; les journaux sont impitoyablement confisqués, et les voyageurs sommés de remettre les lettres dont ils sont porteurs.
Je dois à la vérité de déclarer que jusqu’à présent on n’a pas encore fusillé les voyageurs trouvés nantis de lettres et de journaux !
La province n’a donc de nouvelles de Paris que celles que veut bien lui faire expédier Versailles. Grâce à ces mesures, le gouvernement de Versailles trompe impudemment la province et répand sur Paris les calomnies les plus mensongères et les plus infâmes.
Il y a un plan bien combiné ; trois moyens sont entre les mains de M. Thiers : les circulaires aux préfets, l’agence Havas, les journaux de Versailles.
Les circulaires officielles de MM. Thiers et Picard mettent en circulation, sous le couvert officiel, les mensonges les plus avérés ; les journaux qui se publient à Versailles ont pour mission de semer les bruits, les plus fâcheux sur les membres de la Commune, de les traîner dans la boue, de leur attribuer toutes sortes de vilenies et de sottises. C’est un vilain métier, mais on paye si bien à Versailles ! Un seul journal, très ami de l’ordre, très énergique défenseur de l’Assemblée et du gouvernement, l’Echo français, n’a pas voulu se prêter à ces petites infamies ; il a été saisi par ordre de M. Picard, ministre et propriétaire de l’Electeur libre.
L’agence havas est chargée d’une besogne particulière. Tous les jours, elle expédie des télégrammes aux journaux des départements et de l’étranger ; elle alimente la presse des mensonges les plus révoltants.
C’est elle qui annonce aux populations épouvantées que la Commune a fait fusiller M. Assy et emprisonné M. Delescluze ; que M. Amouroux est arrêté ; que l’abbé Deguerry est mort des coups de crosse de fusil qui lui ont donnés les gardes nationaux qui le conduisaient au dépôt ; que la Commune exige une rançon d’un million pour mettre l’archevêque de Paris en liberté ; que dans Paris les citoyens pillent et massacrent les passants à tous les coins de rue ! Ces mensonges, et bien d’autres, expédiés de Versailles par le télégraphe, s’étalent chaque matin dans les journaux de Belgique, de Suisse et des départements.
Ce système a déjà porté ses fruits : la population des départements, terrifiée, n’ose plus venir à Paris ; un de mes amis quittait Lille avant-hier, sa famille l’a supplié de ne pas entreprendre un voyage aussi périlleux. Quand il est monté en wagon, ses amis l’ont traité d’imprudent et même d’insensé.
Un autre, revenant de Saint-Omer, a été prévenu officiellement par un gendarme qu’il ne pourrait pas entrer dans Paris, et que si par hasard, il y entrait, il n’en pourrait sortir !
L’épouvante est si grande que le train de Calais, arrivé hier soir en gare de Paris, contenait… un voyageur ! Encore paraissait-il fort peu rassuré !
La province est tenue ainsi dans les ténèbres, et le gouvernement, par ces moyens coupables, entretient et envenime les vieilles rancunes des départements contre Paris. Voilà l’œuvre de M. Thiers et de ses complices.
En dépit de ces manœuvres si habilement calculées, la province n’est trompée qu’à demi, elle sent instinctivement qu’il y a dans Paris autre chose que ce que lui révèlent les dépêches de M. Thiers, de l’agence Havas et des journaux de police.
À Lille, le conseil municipal, dans la séance du 5 avril, a voté l’adresse suivante : …
À Monsieur le chef du pouvoir exécutif de la République française
À Monsieur le président de l’Assemblée nationale
…………..
« Il faut, sans plus de retard, consacrer les vœux unanimes du pays par une loi municipale qui rendra à toutes les communes, petites et grandes, le droit de choisir leur maire, et par une loi électorale qui permettra aux villes d’échapper à l’oppression des majorités rurales et d’avoir, elles aussi, leur représentation.
Il faut, en même temps et par-dessus tout, rechercher au milieu de tous les désaccords l’affirmation politique qui groupera le plus grand nombre de volontés communes. Cette affirmation existe : c’est l’affirmation de la République.
……………
À Saint-Omer, cet exemple a été suivi, et un groupe de citoyens vient de publier dans l’Indépendant du Pas-de-Calais l’arrêté suivant, qui se couvre de signatures : …
……………
D’après les renseignements que me donne mon ami, le mouvement s’accentue dans tout le nord, et il montre bien combien sont vaines les précautions prises par M. Thiers et Cie pour arrêter l’épidémie révolutionnaire.
Elle marche, elle marche, et sous peu aura envahi toutes les grandes villes.
À vous de cœur ;
CH. QUENTIN
Il ne se passe pas un jour sans que soit relatées des perquisitions et des arrestations. Selon nos informations, aujourd’hui l’église Saint Roch a été perquisitionnée, les biens et objets de valeur réquisitionnés, et le curé et le vicaire ont été arrêtés. Des faits similaires étaient rapportés avant-hier à l’église Notre-Dame-de-Lorette, et hier à l’église Saint Loi.
Ce matin, vers onze heures trente, un détachement de gardes nationaux dirigé par un délégué de la préfecture de Police a envahit l’hôtel de M. Thiers, place Saint-Georges. À l’issue d’une perquisition longue et minutieuse, les papiers ont été saisis, l’argenterie envoyée à la Monnaie.
Une perquisition a aussi été faite dans l’hôtel de M. de Gallifet, rue Rabelais ; une autre avait eu lieu la veille chez les frères Péreire, rue du Faubourg Saint-Honoré.
La Commune veut mettre en place des garanties contre les arrestations arbitraires. Avec le soutien de la commission de justice, Vermorel a présenté un décret, qui fut discuté et amendé. Après avoir repoussé la proposition d’une lecture quotidienne d’un rapport des arrestations et perquisitions opérées la veille, il est voté dans les termes suivants :
La Commune de Paris,
Considérant que s’il importe pour le salut de la République que tous les conspirateurs et les traîtres soient mis dans l’impossibilité de nuire, il n’importe pas moins d’empêcher tout acte arbitraire ou attentatoire à la liberté individuelle.
DÉCRÈTE :
Art. 1er. Toute arrestation devra être notifiée immédiatement au délégué de la Commune à la justice, qui interrogera ou fera interroger l’individu arrêté, et le fera écrouer dans les formes régulières, s’il juge que l’arrestation doit être maintenue.
Art. 2. Toute arrestation qui ne serait pas notifiée dans les vingt-quatre heures au délégué de la justice sera considérée comme une arrestation arbitraire, et ceux qui l’auront opérée seront poursuivis.
Art. 3. Aucune perquisition ou réquisition ne pourra être faite qu’elle n’ait été ordonnée par l’autorité compétente ou ses organes immédiats, porteurs de mandats réguliers, délivrés au nom des pouvoirs constitués par la Commune.
Toute perquisition ou réquisition arbitraire entraînera la mise en arrestation de ses auteurs.
Paris, le 14 avril 1871.
La volonté des élus parisiens d’éviter toute atteinte à la liberté individuelle est claire, mais comment faire pour qu’elle s’applique ?
En effet, la Commune avait par décret réservé l’affichage sur papier blanc à ses seules communications. Or, une affiche sur papier blanc portant l’entête République Française et la devise républicaine, apposée dans le VIème arrondissement, présente Lacord comme « chargé des pouvoirs du Comité central », ce qui lui donne un air tout à fait officiel, alors qu’elle n’émane pas de la Commune. Cette affiche impose l’inscription de tous les citoyens mobilisables dans la Garde nationale et l’instauration d’une commission chargée de relever les noms des réfractaires afin de les déférer à une cour martiale, elle dit notamment :
« Citoyens….
Devant le crime, les opinions politiques s’effacent et la neutralité est inadmissible. On est toujours responsable du mal que l’on voit faire quand on ne tente rien pour l’empêcher ou pour le châtie… Il faut absolument que les lâches traînent dans la cité, sous l’œil et le mépris de leurs concitoyens, la marque de leur ignominie. »
La Commune publie une déclaration dans laquelle elle regrette cet affichage, espère que les infractions au décret pris sur l’affichage « ne se renouvelleront plus ». Elle prévient que « dans le cas contraire, les auteurs et signataires desdites affiches seront poursuivis suivant la loi. De plus, le citoyen ayant cru devoir menacer de renvoi devant la cour martiale des gardes nationaux réfractaires, la commission exécutive rappelle à la Garde nationale et à tous les citoyens que la Commune ou ses délégués seuls ont qualité et compétence pour prononcer le renvoi devant les tribunaux militaires. ».
Direction des télégraphes.
À dater d’aujourd’hui, 15 avril, la télégraphie privée fonctionne pour le public dans les bureaux suivants :
Bureau de la Bourse.
– Grand-Hôtel.
– boulevard Malesherbes, 4.
– à la poste, rue J.-J.-Rousseau.
– avenue de la Grande-Armée, 80.
– palais du Luxembourg.
– Montmartre.
– direction centrale des télégraphes, rue de Grenelle, 103.
– Ecole militaire.
Nous devons nos félicitations à M. Pauvert, le directeur général des lignes télégraphiques, pour la promptitude qu’il a mise à réorganiser cet important service.
Grâce à son intelligente activité, cette administration, qui était complètement désorganisée, se trouve aujourd’hui rétablie dans ses conditions normales. Le public lui doit de la reconnaissance.
Parallèlement aux démarches engagées par Da Costa suite à l’adoption du décret des otages, il est confirmé que Benjamin Flotte, l’ami de Blanqui rentré à Paris fin mars, a été convaincu par Tridon d’entamer une négociation avec Versailles pour échanger Blanqui contre les otages. Deux militants blanquistes étaient partis pour tenter de découvrir où était détenu Blanqui.
Flotte a rencontré Rigault qui a décidé de modifier l’objet de la négociation des otages : il s’agit maintenant d’obtenir leur échange avec Blanqui. Pour faciliter ses déplacements, il lui rédige un permis spécial.
Flotte s’était déjà rendu à Mazas avait obtenu de Darboy la lettre suivante :
Prison de Mazas, 12 avril 1871.
Monsieur le Président,
« J’ai l’honneur de vous soumettre une communication que j’ai reçue hier soir, et je vous prie d’y donner la suite que votre sagesse et votre humanité jugeront la plus convenable.
Un homme influent, très lié avec M. Blanqui par certaines idées politiques, et surtout par le sentiment d’une vieille et solide amitié, s’occupe activement de faire qu’il soit mis en liberté. Dans cette vue, il a proposé de lui même aux commissaires que cela concerne, cet arrangement : si M. Blanqui est mis en liberté, l’archevêque de Paris sera rendu à la liberté avec sa soeur, M. le président Bonjean, M. Deguerry, curé de la Madeleine, et M. Lagarde, vicaire général de Paris, celui-là même qui vous remettra la présente lettre. La proposition a été agréée, et c’est en cet état qu’on me demande de l’appuyer près de vous.
Quoique je sois en jeu dans cette affaire, j’ose la recommander à votre haute bienveillance ; mes motifs vous paraîtront plausibles, je l’espère.
Il n’y a que trop de causes de dissentiment et d’aigreur parmi nous ; puisqu’une occasion se présente de faire une transaction, qui, du reste, ne regarde que les personnes et non les principes, ne serait-il pas sage d’y donner les mains et de contribuer ainsi à préparer l’apaisement des esprits ? L’opinion ne comprendrait peut-être pas un tel refus.
Dans les crises aiguës comme celles que nous traversons, des représailles, des exécutions par l’émeute, quand elles ne toucheraient que deux ou trois personnes, ajoutent à la terreur des uns, à la colère des autres et aggravent encore la situation. Permettez-moi de vous dire, sans autres détails, que cette question d’humanité mérite de fixer toute votre attention, dans l’état présent des choses à Paris.
Oserais-je, monsieur le Président, vous avouer ma dernière raison ? Touché du zèle que la personne dont je parle déployait avec une amitié si vraie en faveur de M. Blanqui, mon cœur d’homme et de prêtre n’a pas su résister à ces sollicitations émues, et j’ai pris l’engagement de vous demander l’élargissement de M. Blanqui le plus promptement possible. C’est ce que je viens de faire.
Je serais heureux, monsieur le Président, que ce que je sollicite de vous ne vous parût point impossible ; j’aurais rendu service à plusieurs personnes et même à mon pays tout entier.
Veuillez agréer …
G. DARBOY.
Archevêque de Paris.
L’abbé Lagarde a été envoyé porter la lettre à Versailles, en promettant de revenir quoiqu’il résulterait de cette démarche. La réponse de Thiers n’est pas parvenue à ce jour.
– À la Commune, le débat sur les échéances continue. Aujourd’hui le rapport de la commission a été présenté, suivi d’une longue et riche discussion très détaillée et argumentée sur les avantages et inconvénients des trois projets. La prise de décision est reportée.
– Les élections complémentaires à la Commune auront lieu le dimanche 16 avril. Le nombre de membres à élire est de : 4 pour le 1er arrondissement ; 4 pour le 2ème ; 1 pour le 3ème ; 3 pour le 6ème ; 1 pour le 7ème ; 1 pour le 8ème ; 5 pour le 9ème ; 2 pour le 12ème ; 1 pour le 13ème ; 2 pour le 16ème ; 2 pour le 17ème ; 2 pour le 18ème ; 1 pour le 19ème ; 2 pour le 20ème.
– Afin de permettre aux citoyens de service hors de leurs arrondissements de prendre part au vote le dimanche 16 avril, il aura lieu dans le bataillon, d’après des listes dressées séance tenante portant les noms et adresses des ayants-droit.
– Les recensements impériaux avaient fixé la population du XXe arrondissement à 86 000 habitants ; le dernier recensement qui vient d’être fait par la municipalité établit qu’elle est aujourd’hui de 108 000 habitants. Le XXe arrondissement aura donc à élire dimanche prochain, le 16 avril, deux conseillers communaux.
– L’intendance disposant de quantités considérables de denrées et liquides, toute réquisition de vins et denrées est formellement interdite dans l’intérieur de l’enceinte.
– À partir du 15 avril, le service des passe-ports est organisé dans la mairie de chaque arrondissement. Toutes personnes qui désirent des laissez-passer ou passe-ports, et qui ne se trouvent pas sous le coup de la loi militaire communale pourront donc les obtenir à leur mairie.
Le 16 mars 1871, Mokrani, dirigeant de l’insurrection en Kabylie, avait lancé six mille hommes à l’assaut de Bordj Bou Arreridj. Lorsque le 8 avril, les troupes coloniales françaises reprennent le contrôle de la plaine de la Medjana, le chef de la confrérie des Rahmaniya, proclame la guerre sainte qui soulève immédiatement 150 000 Algériens. À partir de ce moment, l’insurrection s’est étendue tout le long du littoral, depuis les montagnes qui ferment à l’est la Mitidja jusqu’aux abords de Constantine, et au sud de cette dernière ville, se reliant aux mouvements localisés vers la frontière et dans le Sahara oriental. Près du tiers de la population algérienne, 250 tribus, sont soulevées.
La prise de Palestro, à 60km à l’est d’Alger, montre que les insurgés progressent vers la capitale algérienne.
Tribune d’Arthur Arnould
Le passé pesa sur nous tout le temps, et, au lieu d’approprier les actes aux circonstances, quelques-uns crurent qu’en recommençant nos pères, nous sauverions la Commune, comme les conventionnels avaient sauvé, momentanément, la patrie et la République.
Qu’on me comprenne bien : je ne prêche ici ni la violence, ni la modération. Je prêche le bon sens. Ni la violence, ni la modération ne sont des principes. Cela n’existe pas. Il faut faire ce qu’il faut, voilà tout.
Jamais je ne repousserai une mesure parce qu’elle paraîtra violente ou parce qu’elle sera modérée. Je repousserai toujours une mesure que je trouverai fausse, illogique, dangereuse, impraticable, contraire au but poursuivi.
Qu’importe qu’on accole à cette mesure l’épithète de révolutionnaire ?
Cette mesure n’est pas révolutionnaire parce qu’elle est violente. Elle est révolutionnaire si elle est de nature à amener le triomphe de la Révolution. Je n’ai pas eu, je n’aurai jamais d’autre critérium. […]
Malheureusement la police…. Échappa presque toujours au contrôle de la Commune, et forma une sorte d’État dans l’État.
Sur cette question de la police, il y a pour moi le principe et le fait.
En principe, la police centralisée, en dehors du peuple, doit être abolie. Il ne doit pas y avoir une préfecture de Police. La police doit être faite, dans chaque quartier, dans chaque arrondissement, dans chaque commune, par les citoyens. Eux seuls la font bien et sans danger pour les honnêtes gens. Nous en avons eu la preuve pendant le siège. Tout au plus, faut-il un bureau central pour relier et coordonner les renseignements, et si ce bureau a besoin d’agents spéciaux pour certaines circonstances difficiles, ces agents doivent être responsables, et leur nomination doit présenter de sérieuses garanties.
Ce qu’on appelle le commissaire de police, ne doit être qu’un premier magistrat, nommé par l’élection, pour un temps limité, comme tous les magistrats.
En fait, je ne suis pas de ceux qui pensent que cette réforme, la plus urgente de toutes peut-être, avec la suppression de l’armée, dût être appliquée tant que la Commune luttait contre Versailles. Il fallait simplement poser le principe, préparer l’organisation nouvelle, révolutionnaire, communale, et en ajouter l’application après la guerre.
En effet, Paris [est] rempli d’agents versaillais et de conspirateurs de toutes sortes. Les circonstances [sont] terribles, anormales, il [faut] maintenir, pour quelques jours encore, une organisation toute faite, et dont la centralisation [peut] présenter plusieurs avantages momentanés, eu égard aux conditions… J’admets donc qu’on eût gardé, pendant la durée de la guerre, un délégué à la préfecture de Police, et que ce délégué ait joui de pouvoirs assez étendu.
Malheureusement le choix des hommes à qui l’on confia cette mission, délicate entre toutes, et qui demandait des qualités hors lignes, fut défectueux….Les arrestations furent faites sans discernement, presque toujours à côté. Les véritables agents de Versailles échappaient aux poursuite, ou arrêtés, étaient relâchés le lendemain, sans que l’on sût, la plupart du temps, par qui ou comment.