L’analyse des causes du désastre environnemental que propose Bruno Latour est erronée, et ce qu’il prône pour y faire face ne se différencie guère du « capitalisme vert ». Comment expliquer alors que son message soit perçu comme radical par des activistes et chercheurs/euses de gauche sensibilisé.e.s à l’écologie ? Que contient-il de pertinent qui puisse expliquer ce paradoxe ?
Une partie de la réponse réside dans le fait que Latour s’est saisi intelligemment d’une question scientifique et éthique fondamentale, à partir de laquelle il fait de la politique : le caractère exceptionnel du vivant, la biosphère avec ses intrications, ses phénomènes d’émergence, de sentience, d’anticipation, de conscience. La gauche écologique et sociale s’est laissée distancer sur ce point et Latour comble le vide.
Pour relever le défi, les écomarxistes/écosocialistes gagneraient à repenser l’articulation entre le matérialisme historique et le matérialisme naturaliste, comme Patrick Tort les y invite, et à s’inspirer de leurs maîtres éponymes pour suivre les progrès de la biologie environnementale, de l’éthologie et des neurosciences.
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Pour Marx et Engels, le matérialisme n’est rien d’autre que la manière d’appréhender le réel à partir de l’axiome d’Épicure : rien ne vient de rien. Le matérialisme de l’histoire et le matérialisme de la nature constituent deux déclinaisons distinctes mais inséparables d’une même méthode générale :
« Nous ne connaissons qu’une seule science, celle de l’histoire. L’histoire peut être examinée sous deux aspects. On peut la scinder en histoire de la nature et histoire des hommes. Les deux objets cependant ne sont pas séparables : aussi longtemps qu’existent des hommes, leur histoire et celle de la nature se conditionnent réciproquement » [1].
La suite du texte dit que les deux auteurs se concentreront sur l’histoire humaine, et c’est en effet ce qu’ils ont fait toute leur vie. Ils ont pourtant suivi le développement des sciences de la nature, et on trouve dans leur œuvre des indications de la manière dont ils concevaient l’articulation entre les deux domaines. Par exemple cette affirmation pénétrante, qui n’a pas été approfondie par la suite :
« le matérialisme classique a pour conséquence que « les rapports entre les hommes et la nature sont exclus de l’histoire, ce qui engendre l’opposition entre la nature et l’histoire » » [2]. La vision globale du matérialisme comme méthode explique la jubilation initiale de Marx face à L’Origine des espèces de Darwin : « Une base dans la science naturelle pour notre conception ». Par ces mots, comme dit Tort, « Marx reconnaît dans le matérialisme naturaliste de Darwin la base nécessaire de son propre matérialisme historique » [3].
Cependant, les écrits canoniques de Marx et Engels ne sont pas toujours clairs sur l’articulation entre les deux déclinaisons du matérialisme. Ce hiatus est évident dans la première thèse sur Feuerbach, qui pose que
« Le principal défaut jusqu’ici du matérialisme de tous les philosophes est que l’objet, la réalité, le monde sensible n’y sont saisis que sous forme d’objet ou d’intuition, mais non pas en tant qu’activité humaine concrète. C’est ce qui explique pourquoi le côté actif fut développé par l’idéalisme en opposition au matérialisme ». [4]
Or, Marx avait saisi l’intérêt de la philosophie d’Épicure et il parle ici du matérialisme en général, de sorte que la thèse devrait être élargie au matérialisme dans les sciences naturelles. On peut imaginer un ajout disant à peu près ceci : le défaut jusqu’ici de ce matérialisme dans l’étude de la biosphère est que celle-ci n’y est saisie que sous forme d’objet, mais non pas en tant qu’activité concrète du vivant. C’est ce qui explique pourquoi le matérialisme réduit la connaissance des êtres à celle de leur soma, abandonnant ainsi à l’idéalisme les questions de l’émergence, de l’autonomie, de l’anticipation et, in fine, de la conscience.
Marx et Engels étaient tributaires du développement des sciences à leur époque, et influencés dans une certaine mesure par son esprit. Ils ont donc intégré la physique et la chimie beaucoup plus que la biologie. Ainsi, l’auteur du Capital est fasciné par l’approche chimique de la fertilité des sols par Liebig, raille ceux qui imaginent que certaines plantes enrichissent les sols en captant des gaz de l’atmosphère (« une légende », dit-il) et est à mille lieux d’imaginer le rôle décisif des vers de terre (que tout bon jardinier devait connaître, et que Darwin mettra en évidence peu de temps avant la mort de Marx).
Engels a pourtant des intuitions brillantes concernant le vivant. Avant même que Darwin fasse son coming-out évolutionniste, il écrit à son ami que « l’étude de la physiologie comparée nous mène à un mépris mêlé de honte pour cette exaltation idéaliste de l’homme qui serait supérieur aux autres bêtes sauvages »[5]. Plus tard , il observe que certains animaux domestiques « ont acquis un tel sens du langage articulé que n’importe quelle langue leur devient aisément compréhensible dans la limite de leurs représentations ». Il note qu’une « conduite méthodique, préméditée, se manifeste en germe partout » dans le monde vivant et que « la progression vers le développement d’êtres doués de pensée est inhérente à la nature de la matière » [6]. Mais ce ne sont que des remarques éparses.
Reprocher aux auteurs du Manifeste Communiste de ne pas avoir exploré systématiquement les spécificités du vivant serait pédant et anachronique. Il reste cependant que la prise en compte de ces spécificités est nécessaire à l’unification d’un matérialisme qui ne laisserait « le côté actif à l’idéalisme » ni dans l’histoire humaine… ni dans l’histoire naturelle.
Malheureusement, le marxisme n’a guère progressé dans cette unification au XXe siècle[7]. Dans les faits, bien des marxistes se sont même accommodé.e.s de la conception « séparatiste » de Descartes: le vivant est une machine dont l’humain est le maître. La critique par Marx de l’aliénation capitaliste leur aurait permis de saisir que la chosification des humains et la chosification des autres espèces renvoient toutes deux au vampirisme du capital : en suçant le travail vivant, le travail mort suce aussi par conséquent la force vitale des vivants non humains qui entrent comme « ressources » dans le procès d’accumulation. Franchir ce pas aurait pu, par exemple, les aider à développer la critique du passage de l’élevage traditionnel à l’industrie capitaliste de la viande. Mais le pas n’a pas été franchi.
Les conséquences sont importantes. En effet, dans l’horizon théologique du projet cartésien, la nouvelle science mécaniste reproduisait et prolongeait l’idée religieuse d’une coupure entre la nature et l’humain « créé par Dieu à son image ». Ce prolongement de la religion sous le masque de la Raison explique la combinaison d’idéalisme et de mécanisme qu’on trouve non seulement chez bien des scientifiques, mais aussi chez celles et ceux qui ont érigé le « matérialisme dialectique » en science. La responsabilité du stalinisme (et de la social-démocratie) est ici écrasante.
Quand elles s’emparent des masses les idées deviennent des forces matérielles, disait Marx. Fidèles à ce matérialisme actif, ce matérialisme de la praxis, les marxistes non mécanistes se distinguent par la conviction que les exploité.e.s, par la lutte, ont la capacité de s’émanciper elleux-mêmes, en projetant des utopies émancipatrices concrètes. Mais les représentant.e.s de ce courant n’ont guère théorisé le fait que la « conscience anticipante » (Ernst Bloch) des humains n’est que la forme la plus développée du « côté actif » qui caractérise tous les vivants. Ils n’ont pas comblé cet angle mort du matérialisme (certains l’ont élargi, au contraire).
Selon moi, c’est un des éléments qui ouvrent un espace à Bruno Latour. Il s’y glisse en puisant dans sa besace de nombreuses références récentes à l’écologie, à la biologie environnementale et à l’éthologie animale., Il constate ainsi ironiquement que « nous n’avons jamais été vraiment matérialistes ». La remarque n’est pas totalement dénuée de fondement. Mais on peut, sur cette base, prendre deux directions différentes: soit contribuer à élaborer un matérialisme de l’anticipation (au sens d’Ernst Bloch) qui intègre « l’optimisme de la volonté » (Antonio Gramsci) et « assume le côté actif de l’idéalisme » (Daniel Bensaïd)[8]; soit amalgamer le matérialisme de Marx à celui de Descartes et « de tous les philosophes matérialistes » qui « n’ont fait qu’interpréter le monde » (alors qu’il s’agit de le changer)… et donner ainsi une bouffée d’oxygène au mysticisme qui, depuis les Lumières, a dû reculer face aux avancées des sciences.
Bruno Latour prend la seconde voie. Proclamant que tout sur Terre est enchevêtré et vivant – actif – il commence par éliminer les concepts de nature, de société et d’environnement, puis se débarrasse de l’anticapitalisme comme enjeu, de la lutte de classe comme vecteur et de l’idée qu’un autre monde est possible. Le procédé est subtil : le refus de la « domination sur la nature » et des visions téléologiques de l’histoire humaine sert à écarter l’idée de projet social alternatif pour y substituer, non pas la transcendance religieuse vers le Ciel, mais l’immanentisation de la téléologie religieuse en Gaïa. Il ne faudrait pas en conclure que les questions posées sont sans intérêt.
Selon Patrick Tort, l’intégration incomplète du matérialisme historique et du matérialisme naturel est déjà présente chez Marx et sous-tend les difficultés des marxistes face à la question écologique. Sa thèse est que Marx et Engels n’ont pas lu La filiation de l’homme, le dernier grand ouvrage théorique de Darwin, où le naturaliste montre que bien des traits humains existent chez les animaux sous une forme embryonnaire, et explique que ce sont les lois de la sélection naturelle qui ont sélectionné chez Homo sapiens la socialité, l’empathie, la solidarité et l’éthique… c’est-à-dire le contraire de la sélection ! Dans l’ignorance de cet ouvrage, Marx, revenant sur sa première appréciation positive de Darwin, lui a imputé un biais malthusien qu’Engels a gravé dans le marbre en écrivant que « toute la doctrine darwinienne est simplement la transposition de la société à la nature organique de la doctrine de Hobbes du bellum omnia contra omnes [guerre de tous contre tous] »[9]. Or, pour Darwin, l’évolution va précisément à l’encontre de cette doctrine ! La conséquence du malentendu est la propension des marxistes ultérieurs à creuser les discontinuités entre humains et non humains, entre nature et culture, au détriment de l’exploration dialectique des continuités… donc de l’unification d’un matérialisme non mécaniste. On peut ne pas suivre Patrick Tort en toutes choses (son insistance à maintenir que « la nature ne fait pas de sauts », notamment, est contestable) mais, sur ce point, sa démonstration est convaincante.
Espérant avoir montré l’importance de la discussion sur le vivant, je passe à l’analyse de la crise écologique par Latour et à ses propositions pour y faire face. Je procéderai par une recension de Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres (OS), le dernier livre du sociologue, que je complèterai par des incursions dans quelques-unes de ses interviews ainsi que dans ses ouvrages Où atterrir. Comment s’orienter en politique (OA) et Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique (FG).[10] Cet article ne traite donc pas des apports de Latour à la sociologie des sciences, à l’anthropologie ou à d’autres disciplines, au sein desquelles il a le mérite d’avoir introduit la question des rapports entre humains et non-humains.
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Pour comprendre l’enjeu, il faut préciser que Où atterrir? est basé sur une métaphore : les « Modernes » ont impulsé un développement hors-sol,qui excède les possibilités de la planète. Du coup, l’humanité vole pour ainsi dire dans un avion qui ne peut plus atteindre sa destination ni revenir à son point de départ. Où suis-je ? prolonge la métaphore en considérant que la pandémie équivaut à un crash de l’appareil. Latour ne s’adresse pas aux « Modernes », qui persistent à croire à un accident, mais aux personnes qui doutent et sont susceptibles de rejoindre le parti des « Terrestres », i.e. de celles et ceux qui respectent les limites. Confiné.e.s dans la carcasse de l’appareil, ils et elles étouffent sous leur masque et ont perdu leurs marques. Latour comprend leur inquiétude et leur désarroi. Il entend aussi leur désir que tout redevienne comme avant. Mais la bienveillance n’exclut pas la fermeté : en treize courts chapitres, il amène ses lecteurs et lectrices à comprendre que ce désir est illusoire.
Sur ce point, Bruno Latour a entièrement raison. Recommencer comme avant n’est pas une option: on ne peut plus, au nom d’un Progrès destructif, différer les réponses aux défis socio-écologiques en comptant sur l’intervention ultérieure d’un deus ex machina technologique. Il faut tout de suite mettre en œuvre les solutions structurelles indispensables. L’histoire du capitalisme depuis sa naissance est celle d’une fuite en avant toujours recommencée, à une échelle toujours plus vaste. Cette course au profit épuise les opprimé.e.s et les écosystèmes. Par son truchement, la crise écologique a grossi au point d’être désormais inextricable, et inextricablement liée à la crise sociale. La relance de cette machine infernale est absurde et criminelle…
Cependant, en imaginant que vous teniez un jour ce raisonnement à Bruno Latour, il vous répondrait que cette analyse n’a aucune pertinence, car le capitalisme n’est qu’un mot, « un mot qui ne sert qu’à faire croire qu’on désigne quelque chose » [11]. Dix années plus tôt, il disait déjà :
« Il y a eu effectivement une association très forte entre l’écologie et l’anticapitalisme, mais je crois que les questions très intéressantes et très compliquées de la décroissance, de morale de la consommation, d’un nouveau mouvement ascétique, ne sont pas forcément liées à une critique du grand méchant capitalisme. Il y a plutôt un très intéressant lien avec la théologie. J’organise un colloque à Venise sur ce sujet qui s’appelle ‘Passions religieuses et conflits écologiques’ (…). Je n’ai jamais cru une seconde au fait que nous étions dans un ‘système capitaliste’, pour la même raison que je ne crois pas que nous ayons une nature. C’est le même argument contre la notion même, très démobilisatrice, de système. Cela ne m’a jamais paru très pertinent »[12].
Ainsi, on le constate immédiatement : au-delà d’un constat commun sur l’impasse du développement actuel (et d’autres points d’accord que nous mentionnerons ultérieurement), les chemins divergent complètement. Pour Latour, il n’y a pas plus de capitalisme que de nature. Mettre fin à la production généralisée de marchandises par des propriétaires concurrents qui exploitent le travail et la nature pour le profit maximum n’est donc pas une condition nécessaire pour arrêter le désastre du « hors-sol ». La solution, pour lui, est théologique : il faut en finir avec « l’étrange perversion » des notions religieuses d’ici-bas et d’au-delà. En effet, il fut un temps où :
« l’ici-bas était une forme ancienne, première, ancestrale du terrestre, associée (…) à un puissant sentiment de confinement, de limite, de maladie, de morts à pleurer et de vies dont il fallait prendre soin ».
Cela « justifiait l’envol vers un au-delà de paix, de récompense et de salut », vers un « Ciel » qui ne signifiait pas « une distance en kilomètres » mais « une distance en valeurs ». En ce temps-là, il n’y avait pas de « hors-sol », parce que « le contraste entre le haut et le bas avait un sens » (OS, pp. 66-67). Mais « tout s’est compliqué » avec Galilée. Avant lui, on avait « tenté pendant des siècles d’imaginer Univers selon le modèle donné par Terre » ; après lui, « on a voulu prendre un modèle d‘Univers comme une excellente manière de remodeler la vie sur Terre » (OS, p. 45). L’ici-bas est donc devenu « matière », l’au-delà est devenu distance. Moqués par les Modernes qui les accusaient de gaver les masses d’opium, les croyants se sont adaptés « en inventant », à partir du XVIIIe siècle, un monde « spirituel » séparé du monde « matériel ». Or, la matière d’Univers est inerte, son mouvement obéit à des lois physiques qui le rendent prévisible. Un concept aussi rigide ne convient pas à Terre, où le mouvement est imprévisible car « les agents rament toujours à contre-courant de l’entropie (de sorte que) c’est toujours la surprise »… (OS, p.32)
Selon Latour, ce « malentendu » a eu une double conséquence. D’une part, il « a fait s’égarer les religieux vers un monde spirituel au-delà du matériel ». D’autre part, « la partition entre matériel et spirituel » a été « laïcisée », de sorte que « le progrès, l’avenir, la liberté, l’abondance » sont devenues « les nouvelles figures du ciel » (OS, pp. 68-69) plaquées sur une matière inerte… inexistante sur Terre. Du coup, bien que la démarche se réclamait du matérialisme, la notion même de « matière » la privait… de tout vrai matérialisme. Au final, explique le sociologue, « deux formes de sortie du monde » se font face : l’une « pseudo-religieuse » (pseudo, car elle postule la séparation de l’esprit et de la dite « matière », donc la transcendance), l’autre pseudo-séculière (pseudo, car elle promet « le paradis sur terre », ce qui revient en fait à « immanentiser la transcendance », en créant une confusion telle que, pour les Modernes, «il n’y a plus de Terre accessible ») (FG, pp 252 et suiv.). Notons que les deux formes ne peuvent pourtant pas être renvoyées dos à dos : la seconde est « plus perverse encore » que la première (OS, p. 164) car les Modernes, avec « leurs promesses d’un autre monde », « endorment les masses encore plus sûrement » que les curés « en les poussant à fumer des doses encore plus fortes d’opium » (OS, pp. 69-70).
En conclusion de ce raisonnement, Bruno Latour dit en substance ceci aux rescapé.e.s du crash : vous vous êtes égarés hors-sol parce que votre obsession du paradis sur terre vous a enfoncés toujours plus profondément dans l’erreur consistant à vouloir « remplacer ce monde par un autre » (OS p. 150). Cette erreur, abjurez-la. N’imaginez plus que votre chance d’arrêter le désastre résiderait dans le changement de paradigme socio-économique. Ce coup-là, on vous l’a déjà fait, ne vous laissez plus prendre. On vous a déjà fait miroiter la perspective d’un « grand basculement dialectique » d’une « sorte d’opération extrême, limitée dans le temps, cohérente et concertée ». Le désastre est précisément le produit de cette fausse promesse : en effet, « l’affreuse ironie est que ce remplacement, cette grande bascule a déjà eu lieu, et c’est justement de ce monde remplacé, le monde modernisé que nous voulons sortir en retrouvant le nôtre – ou ce qu’il en restera pour le faire prospérer ». Au cas où ces paroles ne suffiraient pas à décourager des tentations révolutionnaires, l’auteur insiste :
« L’anthropocène, c’est le nom de cette révolution totale, qui s’est faite sous nos pieds pendant que nous célébrions, en cette glorieuse année 1989, la ‘victoire contre le communisme‘. La voilà l’étrange défaite ! » (OS p. 149)
Comprenez-vous, pauvres confinés ? Vos projets de révolution totale, votre volonté de changer le monde social nous ont embourbés dans le bouleversement du monde physique : l’anthropocène, le basculement climatique, la destruction du vivant, c’est votre faute ! Stupeur et culpabilité chez les rescapé.e.s du crash. Ils et elles pensent à leurs enfants. Une question angoissante leur brûle les lèvres : « Mais alors, M. Latour, que faire? » Le sociologue leur répond, énigmatique : tirez les « leçons du confinement »; l’issue est dans « la fuite hors de la fuite », dans le « devenir-termite » qui nous ramènera « en arrière » par une « métamorphose », comme celle de Gregor dans la nouvelle de Kafka. D’ailleurs, « on a lu Kafka à l’envers, […] il faut imaginer Gregor heureux » (OS pp.14-15). Je comprends, poursuit Latour, que « vous ne ressentez pas encore l’étrange promesse impliquée par (cette) métamorphose »: « c’est bien trop cruel de ne plus pouvoir vivre comme des humains à l’ancienne, c’est-à-dire comme des humains modernes » (OS p.53). Mais ce n’est là qu’une mauvaise passe : « à cause de cette mutation, on a l’impression d’étouffer. Et puis, après un temps, on s’aperçoit que l’on respire mieux » (OS p. 65). Vous avez « perdu l’ancienne liberté, mais c’est pour en regagner une autre » (OS p.39). Rejoignez les Terrestres et vous comprendrez que « rien ne (vous) empêche de […] retrouver la source d’action dont (vous avez) besoin » (OS p. 115)…
Abandonner l’idéologie du Progrès ; exproprier les expropriateurs ; remplacer le paradigme du profit par le prendre soin des personnes et des écosystèmes ; étendre sans cesse le commun, partager les richesses, le temps, et le travail nécessaire ; orienter sobrement la production vers la satisfaction des besoins humains réels, démocratiquement déterminés dans le respect prudent des non-humains… Telle est la révolution sociale et culturelle que les écosocialistes esquissent pour arrêter la catastrophe et vivre bien, respirer mieux dans l’espace confiné de la biosphère. Elle est escarpée, les obstacles sont nombreux, le Capital est puissant – seuls les fous s’imaginent que ce sera une promenade de santé. Mais on comprend de quoi il s’agit, qu’il faudra se battre, et que le social et l’environnemental sont indissociables. Avec Bruno Latour, c’est plus compliqué. Puisque l’anticapitalisme ne rime à rien, en quoi consiste cette « promesse » de « retrouver en arrière » une « source dont nous avons besoin » ?
La réponse est détaillée dans Face à Gaïa. Le philosophe y reprend une thèse d’Eric Voegelin, un philosophe autrichien des années trente (soit dit en passant, il appartenait à l’extrême-droite catholique pro-Dollfuss). Selon cette thèse, le moine Joachim de Flore, au XIIe siècle, commit une déviation idéologique qui, bien que « minuscule », causa une « transformation radicale » dans l’interprétation du récit de l’Apocalypse: il crut bon d’ajouter un royaume de l’Esprit à ceux du Père et du Fils. Du coup, explique Latour, « l’attente continue du retour du Fils » est devenue « la certitude de la réalisation ici-bas du royaume de l’Esprit ». Or,
« réaliser ici-bas la promesse de l’au-delà, cela veut dire, inévitablement, passer d’une définition que l’on pourrait dire spirituelle à une forme de politique. On abandonne alors la solution sage et précaire de saint Augustin qui consistait à ne rien attendre de la Cité terrestre mais tout de la Cité céleste ».
La porte fut ainsi ouverte à l’idée qu’un autre monde est possible, et « cette figure de la contre-religion », typique des Modernes, ne pouvait que déboucher sur « le projet terrifiant de confier à des militants, inspirés par la certitude des vérités d’en haut, la réalisation du Paradis sur Terre. Oui, exactement : l’exercice de la terreur. » (FG pp. 256 et suiv.).
Voilà donc le message clé de Latour: « vouloir remplacer ce monde par un autre » = « vouloir le paradis sur terre » = « la certitude des vérités d’en haut » = « l’exercice de la terreur ». Dès lors, l’alternative latourienne « n’est revenir en arrière ni vers l’ici-bas d’autrefois, ni vers le monde matériel (des) Modernes » (OS p.71) mais « habiter autrement le même lieu » (le même monde, DT), c’est-à-dire « réinvestir » en Terre « la valeur que les religions figuraient un peu naïvement […] en haut », et le faire avec « la même exigence de finalité et d’absolu ». Car « sans la Terre, quel pourrait bien être le sens de l’Esprit ? » (OS p. 75).
Donc, on efface la bévue de Joachim pour renouer avec « l’attente continue du Fils », l’attente de l’Apocalypse qui « permet enfin, dans la crainte et le tremblement, de comprendre ce qui était latent dans les figures du passé » (OS 74-75). Mais quelles figures ? Celles des dominé.e.s écrasé.e.s pour avoir osé voulu faire bifurquer l’histoire – de Spartacus à Jean Huss, de Thomas Münzer à Louise Michel, de Jesus à Guevara ? Non les figures pétries de « finalité et d’absolu », celles de « la tradition, ce mot honni (qui) ne nous effraie pas, (car) nous y voyons un synonyme de la capacité d’inventer, de transmettre et donc de durer ». (OS 116) Reprenant au terme de son ouvrage la métaphore de l’avion crashé, Latour presse une fois encore les survivant.e.s d’abandonner tout projet collectif de transformation sociale :
« Que faire? Aller droit, comme le conseillait Descartes à ceux qui sont perdus dans une forêt ? Mais non, vous devez vous disperser au maximum, en éventail, pour conspirer, autant que possible, avec les puissances d’agir qui ont rendu habitables les lieux où vous avez atterri ». Ne vous fixez aucun but, inspirez-vous de Gaïa : « c’est parce qu’elle ne cherchait aucun but qu’elle a fini par s’autoréguler partiellement ». (OS pp. 164-165)
Latour fustige le militantisme, mais son livre est très militant. Le philosophe a un mot complice pour chacun.e de ses ami.e.s, polémique avec ses adversaires (sans les nommer) et explique aux lecteurs/trices que les « leçons du confinement » impliquent, en substance, de consentir à traverser quatre métamorphoses.
Première métamorphose : comprendre qu’il y a deux mondes : un « dedans » et un « dehors ». La Terre est notre « dedans », le seul monde que nous connaissions vraiment. Nous y sommes confinés à vie. Les êtres y ont « des soucis d’engendrement » parce que « leur cours d’action est interrompu en tous ses points par l’intrusion des autres acteurs dont ils dépendent ». Au-delà de cette pellicule de biosphère, c’est le vaste « dehors » – Univers . « C’est un tout autre monde, qui ne nous sera jamais familier ». Ici, point de « soucis d’engendrement », les chose semblent obéir à des lois qui leur sont étrangères.
Cette présentation ne laisse pas d’étonner : alors que Latour est connu pour son opposition au naturalisme dont Aristote est un des représentants majeurs, le voilà qui endosse la distinction aristotélicienne entre monde infralunaire et monde supralunaire. Or, le philosophe grec accordait une place décisive à l’observation sensible des phénomènes dont il cherchait à comprendre les causes matérielles. La question à résoudre pour Latour est donc la suivante : comment rendre cette pensée compatible avec sa propre excommunication de la matière ?
Le sociologue tente une solution en trois volets. D’abord, il persiste comme à son habitude à réduire arbitrairement la nature des Modernes à la nature mécanique de Descartes, comme s’il n’y avait pas eu aussi les vitalistes comme Glisson, les transformistes Buffon et Lamarck, puis les évolutionnistes Darwin et Wallace, et beaucoup d’autres. Cette caricature lui permet ensuite d’opposer artificiellement notre natura à la physis d’Aristote. Enfin, il postule une séparation radicale entre les mondes infra- et supra-lunaire : La Terre, affirme-t-il, peut tout au plus « accueillir, par moment, des portions d’Univers […] créées en vase clos (« ce sont les laboratoires ») « à force de calculs, à grands renforts d’équipements, par de longs apprentissages, à l’intérieur d’enceintes protégées ». ITER – le réacteur thermonucléaire expérimental international – serait l’exemple type de « ces flaques d’Univers à l’intérieur de Terre » qui ne formeront jamais, « sauf en rêve, un ensemble continu » (OS 47-48). Pour Latour, du fait du changement climatique, « les terrestres sentent que la différence entre le supralunaire et l’infralunaire, dont ils se croyaient ‘libérés’ depuis Galilée, est bel et bien revenue » (OS 73).
Mais, pardon, le pouvoir radiatif des molécules de gaz comportant plus de trois atomes est une loi de la physique complètement indépendante des « soucis d’engendrement » des terrestres. Dès lors, le changement climatique prouve en réalité l’inverse de ce que dit Latour : la matière inerte et ses lois supralunaires sont à l’œuvre dans l’infralunaire – partout, comme Galilée l’avait dit ! Ce n’est d’ailleurs pas une exception : qu’on songe à l’alternance des jours et des nuits, des saisons, des glaciations, des marées, à la pesanteur, au cycle de l’eau, aux alizés, à la dérive des continents, au volcanisme, à la tectonique des plaques, … Comment soutenir qu’Univers n’est présent sur Terre que sous forme de « flaques discontinues » maintenues « à force de calculs à l’intérieur d’enceintes protégées »?
Deuxième métamorphose : au sein du monde infralunaire, comprendre que « le cadre inanimé et ceux qui l’habitent, c’est tout un » (OS 18). Cela vaut pour la ville, ses habitant.e.s, leurs maisons et leurs robots ; pour la termitière, ses termites et leurs champignons ; pour les montagnes, leurs forêts et leurs scolytes ; pour les fleuves, les mers et leurs poissons… Bref, pour toute la biosphère. Inspiré par L’hypothèse Gaïa de Lovelock, Latour pose que « cette terre si favorable à leur développement, ce sont les vivants qui l’ont rendue favorable à leurs desseins » (OS 23). D’ailleurs, « sur Terre ‘tout est vivant’ […] en tout cas artificiel en ce sens […] que l’invention et la liberté y sont toujours engagées » (OS 33) : «nous n’avons pas, nous n’aurons jamais, nous n’avons jamais eu l’expérience de rencontrer des ‘choses inertes’ ».
Pour nous dissuader de « changer le monde », Latour nous conseille d’imiter Gaïa qui « ne cherche aucun but ». Pour nous convertir à Gaïa, par contre, il saupoudre son texte de métaphores qui, mises bout à bout, ne laissent aucune place au hasard : « Chaque existant correspond à une invention » ; « tout est le produit de la vie », c’est-à-dire des « desseins », des « buts », des « choix », des « astuces », du « travail », de « l’ingénierie » « d’animalcules innombrables ».
Le Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution définit ainsi le finalisme: « doctrine de l’Etre qui assigne à toute forme d’existence un plan, un projet ou une intention réglant l’adéquation de ses caractéristiques à une destination préfixe »[13]. Bruno Latour n’annonce pas le royaume de Dieu sur Terre, non. Mais le royaume de Gaïa est-il si différent ? Une des « leçons du confinement » est la révélation du fait que :
« sur Terre, rien n’est exactement ‘naturel’ si l’on entend par là ce qui n’aurait été touché par aucun vivant: tout est soulevé, agencé, imaginé, maintenu, inventé, intriqué par des puissances d’agir qui, d’une certaine façon, savent ce qu’elles veulent, en tout cas visent un but qui leur appartient en propre, chacune pour elle-même » (OS 31).
Dans cet énoncé, les puissances d’agir sont multiples, mais Latour précise qu’elles ont « une origine commune » (OS 36). Les engendrements ont été engendrés. Certainement, mais par quoi ? Si la vie n’est pas une potentialité de la matière, une émergence de celle-ci, comme l’imaginait Épicure, d’où vient-elle ?
Troisième métamorphose : comprendre que nous ne sommes « pas sur Terre mais avec Terre, ou Gaïa » (OS 38). Tout est intriqué. Non seulement rien n’est inerte, mais en plus rien n’est « délinéé ». Le confinement met en évidence cette « incertitude sur nos enveloppes protectrices ». Incertitudes géopolitiques : la pandémie le montre, la délimitation en États est obsolète. Incertitudes biologiques aussi : les chercheurs « ne cessent de mesurer la difficulté de tenir les vivants distincts les uns des autres », nous sommes toustes ce que la biologiste Lynn Margulis appelait des « holobiontes ». Les avancées de la biologie complexifient en effet la définition des organismes. Nous dépendons des milliards de bactéries de notre microbiote. Les mitochondries qui jouent un rôle clé dans la cellule ont pour lointaine origine une bactérie associée puis incorporée dans des protocellules eucaryotes. Plus près de nous, les causes écologiques de la multiplication des zoonoses en attestent : le confinement favorise une « métamorphose des affects politiques », comme dit Latour – « on s’aperçoit soudain qu’on est pour toujours emmêlés » (OS 60). Mais de là à affirmer que « vous ne pouvez jamais distinguer un organisme de ce qui l’entoure » (OS, p. 23), il y a de la marge. Une relation unit la gazelle et le lion au sein d’un biome, mais ils ne forment pas un méta-organisme, leurs identités sont distinctes. La vie sur Terre n’est pas une soupe d’holobiontes indistincts.
La quatrième métamorphose se résumerait en un slogan : « Aspirants terrestres, renversez les vieilles idoles ». Le sociologue, en effet, voit dans la pandémie la confirmation de thèses qu’il défend depuis belle lurette, et il enfonce le clou : puisque tout sur Terre est vivant, que rien n’est inerte, abandonnons le concept de matière. Puisque tout est interdépendant, oublions l’autonomie, jetons aux orties la notion de nature. Et, puisque la nature est un concept relationnel, soyons cohérents : il n’y a plus non plus de société, d’environnement, ou d’économie. D’ailleurs, « c’est du parallèle avec le fonctionnement de la ‘nature et ses lois’ qu’est venue l’idée d’assimiler les lois de l’Economie avec celles de la ‘Nature’ » (OS 84). De même que « les lois de la nature » importées d’Univers violent Terre au nom d’une matière qui lui est étrangère, de même « l’ Economie a ceci d’étrange que, s’occupant des choses les plus ordinaires, les plus importantes, les plus proches de nos préoccupations quotidiennes, elle insiste néanmoins pour les traiter comme si elles étaient le plus éloignées possible et qu’elles se déroulaient sans nous, saisies depuis Sirius et de façon totalement désintéressée – scientifique est l’adjectif qu’on emploie parfois » (OS 79).
Pour Latour, l’idée de Matière-chose engendre d’en-haut l’idée de Science, laquelle engendre à son tour l’idée d’Économie… (avec majuscule et sans exploitation !) Une fois la réalité mise ainsi sur sa tête, le philosophe peut déduire de l’arrêt du monde par la pandémie que « la célébrissime ‘infrastructure’ de la vie moderne est apparue superficielle ». La véritable infrastructure, ce sont les « soucis d’engendrement et les questions de subsistance que les bons esprits prenaient jusqu’ici pour une ‘superstructure’ » (OS 79).
On peut discuter les notions d’infrastructure et de superstructure, mais sans doute pas de cette façon. En effet, que fait ici l’auteur ? Il commence par puiser dans la critique marxienne de l’aliénation capitaliste concrète des éléments de sa propre critique abstraite d’une « Économie » ahistorique, qui n’existe que dans son esprit. Cet emprunt réalisé, il se pose en vrai matérialiste en imputant implicitement à Marx l’idée ridicule que « les questions de subsistance » constitueraient… la superstructure sociale. Enfin, pour conclure son tour de passe-passe, il décrète qu’il « ne s’agit pas de faire une nouvelle critique de l’économie politique mais de l’abandonner tout à fait » car « si l’économie ensorcelle, il s’agit de l’exorciser » (OS 83). Passer de la critique historique à l’exorcisme serait donc la méthode de Bruno Latour en économie ?
Dans son interview récente à Hors-Série, le sociologue complète son propos en affirmant que « l’Économie ne permet pas de saisir les enjeux », qu’il faut donc « déséconomiser », « sortir du cadre de ce qu’a été la politique fondée sur la notion de production » et y substituer un cadre fondé sur la notion de « reproduction ».
Nous partageons l’idée importante que la reproduction sociale et écologique doit être mise au centre des priorités politiques. Moyennant toutefois deux remarques : 1°) l’humanité ne peut évidemment se passer de toute production; 2°) et surtout, il n’y a pas plus de Reproduction ahistorique que d’Économie ahistorique. Le capitalisme implique non seulement l’invisibilisation de la reproduction mais aussi un certain mode de reproduction – patriarcal, utilitariste, raciste et destructeur, soumis à l’impératif quantitatif de la valorisation du capital. Le capitalisme est décidément plus que « un mot qui ne sert qu’à faire croire qu’on désigne quelque chose » : un mode de production et de reproduction basé sur la généralisation du rapport salarial, donc sur la production généralisée de marchandises. Ce système est productiviste par définition et constitue, en soi, un obstacle incontournable sur la voie d’une humanité rompant avec le « hors-sol » pour prioriser la reproduction[14].
Au terme des quatre métamorphoses, le Terrestre sort de sa chrysalide, conscient des mille et un liens qui l’unissent à Terre. Il comprend « qu’embrasser l’antihumanisme serait une fuite en avant, une autre façon […] d’abandonner (la) mission dont il s’est chargé par inconscience » (OS 137). D’accord. Le Terrestre se sent holobionte et sait que « les holobiontes ne peuvent jamais se définir par une identité puisqu’ils dépendent de tous les autres pour avoir un identité » (OS 143). Pas de frontière face aux migrant.e.s, pas de privilèges liés à l’identité nationale : encore d’accord. Mais nous ne sommes plus d’accord lorsque la vision du vivant comme soupe d’holobiontes amène Latour à décoller du réel, en naturalisant le social (dans une nature censée, elle, ne pas exister !). Au nom de cette vision le voilà, en effet, qui tend à dénier aussi toute identité sociale de classe, de genre, de « race », toute idée de conflits structurants à articuler contre un ennemi commun.
A propos de conflits, en effet, Où suis-je ? marque un tournant par rapport à Où atterrir ? Dans ce précédent ouvrage, Latour proposait de « conserver le principe du conflit propre à la vie publique, mais en le faisant virer de bord », afin que le clivage gauche-droite cède la place au clivage « Modernes-Terrestres ». « Basculer la ligne de front » et « modifier le contenu des causes à défendre » devait permettre, disait-il, de « chercher des alliés chez des gens qui, selon l’ancienne gradation, étaient clairement des réactionnaires » et de « forger des alliances avec des gens qui, toujours selon l’ancien repère, étaient peut-être des libéraux, voire des néolibéraux » (OA 65-70).
J’ai critiqué ailleurs ce scénario illusoire[15], mais l’ambition de l’auteur était de remplacer « le conflit des riches et des pauvres », cette « grande machine, (cette) immense scénographie (sic) qui, pendant les deux siècles précédents, organisait tous les conflits et permettait de repérer, même grossièrement, où il fallait se placer pour tenter (sic) d’être juste » (OS, pp.147-148). Or, dans Où suis-je ?, c’en est fini du conflit : l’auteur constate bien une « guerre à mort » entre ceux qui avancent le jour du dépassement global et ceux qui tentent de le reculer, mais il la déclare
« impossible à organiser en deux camps »! « Pour nous rassembler sous le même drapeau, il faudrait croire aux identités, alors que c’est justement les limites de toute notion d’identité que révèle la crise actuelle » (OS 150).
Il y a une « guerre à mort » mais pas de camps possibles, pas de conflit structurant! [16] Les holobiontes l’ont dissout ! Désormais, « les ennemis sont partout et d’abord en nous » (OS 150). Il y aurait donc de l’extracteur dans l’extracté.e, de l’oppresseur dans l’opprimé.e, de l’exploiteur dans l’exploité.e ? Bruno Latour s’interroge:« n’est-ce pas la même peur » qui sous-tend aux deux extrémités du « spectre politique » « la haine contre d’autres humains », la « hantise du Grand Remplacement qui obsède l’extrême-droite », d’une part, et « la rage devant la destruction des êtres non humains » qui motive Extinction Rebellion, d’autre part? « Au moment même où les opinions se croient plus radicalement divisées que jamais, ne seraient-elles pas unifiées malgré tout, par la même angoisse ? » (OS 54-55).
La question reste en suspens mais, de gauche ou de droite, « les terrestres se reconnaissent comme ceux qui se trouvent dans le même bateau » (OS 64). Ce n’est guère étonnant puisque la cause majeure du conflit, l’exploitation du travail, a disparu :
« ce n’est plus la plus-value qui est accaparée, mais les capacités de genèse, la plus-value de subsistance ou d’engendrement » (OS 149).
Mais qu’est-ce que cela veut dire ? La plus-value n’est rien d’autre qu’une traduction économique de la force vitale d’engendrement (humaine et naturelle) captée par le capital. Pourquoi ce concept deviendrait-il obsolète du fait de l’accaparement de la capacité de genèse ? Cet accaparement – les enclosures – n’est-il pas justement le fondement sans cesse revisité du Capital? Bruno Latour ne répond pas mais tire tout de suite sa conclusion : la notion de camp social n’a plus de sens. Aux Gilets jaunes, il reproche leur « extraordinaire inaptitude à mouliner du politique »[17]. Il poursuit en expliquant que cette inaptitude découle du fait qu’ils posent « des revendications incroyablement générales, telles que le rétablissement de l’ISF ou la démission de Macron ». Selon lui, « la justice sociale, faire payer les riches et un peu moins les pauvres, cela ne fait pas une politique », c’est « une façon dépassée de faire de la politique, où l’on se précipite tout de suite pour passer au global ». Il ne faut donc rien demander à l’Etat, car « par essence, il s’appelle un ‘état’, un état de choses ». Les Gilets jaunes feraient mieux de rentrer dans leurs villages pour « décrire » leurs situations, réaliser « combien (ils sont) dépendants de la planète » et rédiger des « cahiers de doléances ». Ce serait le seul moyen de dégager des « marges de manœuvre »[18], car. il faut « pour commencer, que chacun reprenne langue avec son voisin »! (OS 100).
Dans l’esprit de Latour, parler des interdépendances entre voisins pourra « limiter les empiètements » et « permettre les compositions plus favorables à tous » (OS, p.99), de sorte que les classes sociales seront remplacées par des « classes géosociales ». Vu les statuts sociaux des voisins donnés en exemple (un agriculteur conventionnel, un retraité et ses petits-enfants empoisonnés par les pesticides, une industrielle, un patron de supermarché, quelques Gilets jaunes…), gageons que les « marges de manœuvre » seront limitées. Du coup, il restera surtout l’examen de conscience individuel, dont on sait pourtant qu’il est dérisoire au vu des enjeux : « en fonction de mes actions minuscules, est-ce que j’accrois ou que je stérilise les destinées de ceux dont j’ai jusqu’ici bénéficié, » (OS 150) Paraphrasons l’auteur: ne nous montre-t-il pas une « extraordinaire aptitude à mouliner »… la négation du politique?
On a vu que les lois d’Univers, selon Latour, n’existent sur Terre qu’à l’état de « flaques » discontinues, ne permettant pas de saisir « le flot des vivants entremêlés qui composent le monde terrestre » (OS 120-121). Confondre les flaques et le flot, « la surface et le fond »,
« ce serait comme de prendre l’agrobusiness pour la révélation de ce qui compose un sol » […] : « on peut bien, à force d’intrants, en externalisant toutes les conséquences dommageables […], obtenir pour quelques temps des rendements supérieurs, mais ce champ-là est décidément poussé, expulsé, satellisé hors sol. Loin d’exprimer la nature profonde de ce que pourrait devenir un paysage, de plus en plus cette saisie apparaît pour ce quelle est : une prise de terre, une saisie violente, une occupation par d’autres et surtout pour d’autres, avant qu’ils s’enfuient ailleurs en laissant derrière eux la surface de la terre dévastée » (OS 121).
Rien à redire à cette dénonciation de l’agrobusiness… jusqu’à ce que le champ soumis aux intrants serve de point de comparaison au corps humain soumis aux traitements médicaux :
« pas plus l’agrobusiness n’exprime le comportement d’un sol, pas plus les différentes saisies par des biologistes (il cite le cas du cancérologue, du néphrologue et du cardiologue) n’expriment les puissances d’agir de mon corps. Je ne me plains pas du pouvoir médical ; je ne critique pas l’impossible réductionnisme; je cherche seulement à rendre mon corps compatible avec ce que j’ai appris de Terre » […] Je note que déjà, en faisant appel à Terre, […] le ‘biologique’ […] s’est réduit à des prises locales, à des saisies partielles, à des procédures d’accès dont certaines fonctionnent comme prévu, d’autres moins. C’est le seul sens utile du mot ‘réductionnisme’: ce que les procédures de laboratoire permettent de saisir ». (OS p. 123-124)
Or, une chose est de critiquer l’ultra-spécialisation médicale et de constater que la biologie est loin de pouvoir tout expliquer hors des laboratoires. Autre chose est de suggérer que l’analyse d’un objet en ses constituants élémentaires (ici, l’analyse du corps en ses organes) serait en soi incompatible avec une approche holistique, et que celle-ci requerrait d’en appeler à autre chose. Or, c’est précisément ce que fait Latour : dans ce que les médecins comprennent du corps
« il y a tellement de vides, de discontinuités, que l’on n’a plus aucune peine à y ajouter une bonne douzaine d’autres métiers, d’autres dispositifs, coach, acupuncteurs, sorciers et scarificateurs […] . Il y a de la place pour tout le monde ». (OS 124)
Comme le disait Daniel Bensaïd,
« déniant à la société comme à la nature le droit de faire taire les dissidences scientifiques, Bruno Latour renvoie dos à dos la dictature des faits et celle de l’opinion. Le paradoxe relativiste n’est pas résolu pour autant. Qui décide, qui est le juge ? Et si nul ne décide, pourquoi des sciences plutôt que des mythes, des rites, et des magies ? »[19].
Pourquoi pas l’hydroxychloroquine, en effet ? Et s’il y a « de la place pour tout le monde », pourquoi pas Didier Raoult?
Les conclusions politiques pratiques de toute cette analyse sont formulées dans le dernier chapitre de Où suis-je ?, et c’est peu dire que la montagne accouche d’une souris : en effet, Latour s’aligne très sagement derrière l’accord de Paris sur le climat. Selon lui, cet accord signifie que
« nous y sommes tous déjà », que « nous avons tous déjà muté sans nous en apercevoir », que « l’ordre international est tout entier défini par le défi de maintenir » la hausse de température globale sous deux degrés. (OS 157-159). « La politique planétaire a déjà basculé dans cet autre monde dont les confinés ont eu l’avant-goût […] : un monde […] à l’intérieur duquel il leur faudra vivre et parmi des puissances d’agir qui ne prendront plus jamais la forme de ‘choses inertes’ » (OS 158).
Pas un mot des « contributions nationalement déterminées » qui impliquent un réchauffement de 3,5°C, du projet insensé de « dépassement temporaire » du seuil de 1,5°C, des arnaques de la « compensation carbone » et de la « compensation biodiversité », des « technologies à émissions négatives », de la subordination des modèles climatiques aux impératifs de l’accumulation, d’un néocolonialisme climatique de plus en plus affiché etc. Les marchands du temple sponsorisent les COP, mais Latour, au lieu d’appeler à les chasser, proclame que le « Nouveau Régime Climatique » est arrivé :
« Terre ou Gaïa organise déjà l’horizon politique », « la politique instituée – les fameux accords sur le climat- se trouve en avance sur les mentalités scientifiques » (OS 159) !
Après cette envolée « hors sol », l’auteur « atterrit » en faisant l’éloge de la technique et de l’industrie, saisies comme abstractions ahistoriques. :
« C’est par la technique, étrangement, que l’on capte le mieux (la) puissance inventive de Gaïa. […] C’est dans chaque innovation, dans le détail de chaque machine, que se révèle le mieux l’intensité de Terre. […] L’industrie des humains continue (le) processus (d’invention de Gaïa) […]. Ce n’est pas ce qui fait d’elle une ennemie, bien au contraire » (OS 163-164).
Non, en effet : ce qui fait de la technique une ennemie, c’est qu’elle est subordonnée à cette accumulation du capital que Latour refuse de voir et qui « ruine les deux seules sources de toute richesse – la terre et le travailleur/la travailleuse » (Marx). La Bioénergie avec capture et séquestration du carbone (BECCS) est l’innovation qui tient la corde dans les folles stratégies de « dépassement temporaire » du 1,5°C de réchauffement. Les multinationales de l’énergie et de l’agrobusiness sont prêtes à y investir des sommes énormes. L’ex-directeur du Tyndall Center on Climate Change Research, le climatologue Kevin Anderson, a vu dans l’accord de Paris un « agenda caché » en faveur de cette « utopie technocratique » qui sacrifie le climat, la biodiversité et l’alimentation des pauvres sur l’autel du « hors-sol »[20]. La « puissance inventive » du capital propose, les gouvernements disposent, des scientifiques dénoncent… Au lieu de rejoindre la critique, le philosophe décrète que « la politique instituée est en avance sur les mentalités scientifiques » et entonne une ode à la « puissance inventive de Gaïa ».
Bruno Latour dynamite les concepts. Matière, nature, société, environnement, production, capitalisme, systèmes, émancipation… tout vole en éclats, il ne reste que Gaïa. C’est ce qui donne à son message une apparence de radicalité. Mais au milieu des fragments épars, au nom de l’urgence écologique et de la reproduction, le pragmatisme remplace la critique, le « compositionnisme » s’érige en stratégie[21]. La description à tâtons des interdépendances est censée dégager « les marges de manœuvre » grâce auxquelles, « de proche en proche », sans changer de mode, « l’Économie deviendra écologie » – car « l’écologie est ce que devient l’Économie quand la description reprend » (OS, p. 100). Soutien aux ZAD d’un côté, alliances avec des néolibéraux et des réactionnaires de l’autre : seuls les extrémistes du hors-sol (Trump, Musk, Ayn Rand…) sont exclu.e.s du peuple des Terrestres. Tous les autres, la cosmologie de Gaïa les rassemblera en guidant leurs changements de comportements. Car, en fin de compte, on en revient à ça : culpabilisation, confession, conversion et métamorphose personnelles en lieu et place du combat social; l’innovation technique – pardon, « la force inventive de Gaïa » – fera le reste…
On comprend que les grands médias portent au pinacle l’auteur d’une conclusion politique pratique aussi fade, aussi insignifiante. Mais qu’en est-il des ami.e.s de gauche de Bruno Latour ? Comment expliquer leur absence de critique ? Le sens commun ne devrait-il pas les amener à questionner la matrice analytique qui produit des résultats aussi conformes au prêt-à-penser du capitalisme vert – en tout cas à se distancer de ceux-ci ?
Bruno Latour ne s’en cache pas : sa matrice à lui est religieuse. Précisons donc que ce n’est pas en soi un motif de rejet : il est non seulement légitime mais indispensable que des croyant.e.s conscient.e.s des périls écologiques lancent l’alerte en puisant dans la foi un message susceptible de convaincre d’autres croyant.e.s. C’est le sens de l’encyclique Laudato si ! du pape François. Mais, quoiqu’en dise Bruno Latour, son propre message et celui du pape sont fort différents. Quelques citations de Laudato si ! suffiront à en attester.
« L’environnement humain et l’environnement naturel se dégradent ensemble et nous ne pouvons pas affronter adéquatement la dégradation de l’environnement si nous ne prêtons pas attention aux causes qui sont en rapport avec la dégradation humaine et sociale » (48).
« Les pouvoirs économiques continuent de justifier le système mondial actuel, où priment une spéculation et une recherche du revenu financier qui tendent à ignorer tout contexte, de même que les effets sur la dignité humaine et sur l’environnement » (56) ; « L’économie assure tout le développement technologique en fonction du profit » (109).
« Voilà pourquoi aujourd’hui tout ce qui est fragile, comme l’environnement, reste sans défense par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformé en règle absolue » (57).
« Une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la Terre que la clameur des pauvres » (49). « Les possibilités de solutions requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature » (139). Etc, etc…
L’encyclique n’est pas anticapitaliste mais elle porte une Promesse de Justice parce qu’elle voit le désastre du point de vue des damné.e.s de la terre, d’hier et d’aujourd’hui. Or, ce point de vue n’est pas celui de Bruno Latour. Je ne mets pas en doute sa sincérité, je critique son positionnement social. Coupée des luttes contre les inégalités, la révélation n’est pas reconnaissance des injustices mais procrastination apocalyptique. Coupée de la perspective d’un autre monde, d’un autre métabolisme entre l’humanité et le reste de la nature, la complexité du vivant n’est plus une source de curiosité émerveillée mais un mystère invoqué pour faire descendre l’écologie politique dans la crypte du mysticisme.
A cet égard, plutôt que de vitupérer contre Bruno Latour, il faut en réalité faire ce qu’il fait, mais en y donnant une autre orientation. Pour contribuer à dissiper dans la mesure du possible les ténèbres qui obscurcissent les voies d’une émancipation collective des individus dans le respect prudent des écosystèmes, il faut se saisir des connaissances/des interrogations scientifiques sur la biosphère, des progrès des savoirs/des questionnements sur l’émergence du vivant à partir du non-vivant [22], se laisser interroger par ce matériau scientifique essentiel. La situation objective l’impose. L’Anthropocène est un Événement parce qu’il marque le moment à partir duquel l’histoire humaine et celle du reste de la nature ne peuvent tout simplement plus être dissociées. Plutôt que de surenchérir en dénonçant le Capitalocène, les marxistes devraient en priorité relever le défi et reprendre la question de fond posée dans les « Thèses sur Feuerbach » : celle d’un matérialisme historique intégral, qui ne soit ni mécaniste ni idéaliste et qui reste humaniste tout en débordant le cadre de la seule praxis humaine.
Le 19 avril 2021
Merci à Jérôme Bouvy, Paul Guillibert, Timothée Haug, Kim Tondeur, Nicole Vandemaele et Grégoire Wallenborn pour leurs contributions à cet article. La version finale n’engage que moi.
[1] Marx & Engels, L’idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 1968, p. 45. Le passage est biffé dans le manuscrit mais l’idée est reprise ailleurs dans l’ouvrage.
[2] L’idéologie allemande, op. cit. p. 71.
[3] Patrick Tort, Qu’est-ce que le matérialisme. Introduction à l’analyse des complexes discursifs, Paris, Belin, 2016, p. 788.
[4] Marx, « Thèses sur Feuerbach », in L’idéologie allemande, op. cit., p. 31.
[5] Cité par Philippe Bourrinet, « Introduction à Anton Pannekoek, Marxisme et darwinisme ».
[6] Friedrich Engels, respectivement: Dialectique de la nature, Paris, Marcel Rivière, 1950, p. 278; La part du travail dans la transition du singe à l’homme, ibid., p. 378; p. 385; p.307.
[7] Il y a quelques exceptions, comme cette remarque de Pierre Naville sur le behaviorisme : « une fois que la psychologie a trouvé sa place éminente dans la chaîne continue des sciences, elle peut aborder avec assurance l’examen de sa plus haute fonction dialectique, qui est une médiation par excellence entre la nature et la société », Introduction à Dialectique de la nature, op. cit., p.92.
[8] Daniel Bensaïd, Walter Benjamin, sentinelle messianique, Paris, Les prairies ordinaires, 2010, p. 91.
[9] Lettre d’Engels à Piotr Lavrov, cité dans Philippe Bourrinet, « Introduction à Anton Pannekoek, Marxisme et darwinisme », op.cit.
[10] Bruno Latour, Où-suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres, Paris, La Découverte, 2021; Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La Découverte, 2017; Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique, Paris, La Découverte, 2015.
[11] https://www.hors-serie.net/Aux-Sources/2021-04-03/Confines-a-tout-jamais-id443
[12] Bruno Latour, « L’alternative compositionniste. Pour en finir avec l’indiscutable », Écologie & Politique, 2010/2, n°40, p 81-93.
[13] Cité dans Patrick Tort, op. cit., p. 72.
[14] https://www.hors-serie.net/Aux-Sources/2021-04-03/Confines-a-tout-jamais-id443
[15] Daniel Tanuro, Trop tard pour être pessimistes. Ecosocialisme ou effondrement, 2020, Paris, Textuel, pp. 278-279.
[16] A quoi bon alors dire que « l’expression d’intersectionnalité vient peut être à point »? (OS, 148)
[17] Le Monde, 31/5/2019
[18] Reporterre, 16/2/2019.
[19] Daniel Bensaid, « L’histoire démoralisée. Isabelle Stengers, la science et la politique », 1994.
[20] Kevin Anderson, « The hidden agenda: How veiled techno-utopias shore up the Paris agreement ».
[21] Bruno Latour, « L’alternative compositionniste… », art. cit.
[22] Mentionnons en particulier Terrence Deacon, selon qui les tentatives de localiser dans le cerveau le site de la conscience, de la sentience, de la capacité d’anticipation etc. resteront vaines, car ces capacités ne résident pas dans la matière proprement dite mais dans les contraintes thermodynamiques qui déterminent une organisation de plus en plus complexe de la matière. Terrence Deacon, Incomplete Nature. How Mind Emerged from Matter, New York, : W. W. Norton & Co, 2013.