La Commune au jour le jour. Samedi 29 avril 1871

À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

Situation militaire

À l’ouest

Sur la ligne de Neuilly à Clichy, la situation reste la même; il n’y a eu que des engagements de tirailleurs sans importance.

 

Au sud

Les forts du sud sont attaqués avec une grande violence par les batteries versaillaises établies à Meudon et à la Lanterne. Elles ont quasiment écrasé le fort d’Issy, qui, après un début d’évacuation, est repris.

Par ordre du citoyen délégué au ministère de la guerre, neuf compagnies de sapeurs du génie sont formées qui éliront un cadre de sous-officiers, mais dont les officiers seront des ingénieurs militaires.

Les francs maçons soutiennent la Commune et se rendent aux remparts

Depuis longtemps Paris n’avait rien vu de semblable. Au cours de cette journée les francs-maçons devaient essayer leur dernière démarche pacifique en allant planter leurs bannières sur les remparts de Paris ; s’ils échouaient, la franc-maçonnerie tout entière devait prendre parti contre Versailles.

Témoignage – Elie Reclus, 44 ans, journaliste

Le convent maçonnique du Châtelet a produit un résultat qui étonne jusqu’à ses promoteurs. Je me laisse entraîner à parler comme j’eusse parlé hier, et néanmoins je suis profondément ému. Il y a dans la franc-maçonnerie parisienne une forte probité qui vient de se montrer courageuse et fière. Et le citoyen qui, à table, au milieu de sa famille et de ses amis, est un simple bonhomme, mais qui reste calme, digne et bon tandis que les balles pleuvent autour de lui, celui-là est bien près d’être un héros, au moins à son heure. Quoi qu’il en soit, plus le franc-maçon passait, à tort ou à raison, pour un bourgeois foncièrement innocent et insignifiant, plus significative la résolution qu’il a prise, plus est décisive l’affirmation du droit de Paris… C’était un spectacle solennel que ce cortège de 10 à 11000 hommes se rendant de la place du Carrousel à la place de l’hôtel de ville au milieu des acclamations. La foule, raconte un frère, se pressait immense, silencieuse, recueillie. Il y avait quelque chose de religieux et dans l’acte accompli par les maçons et dans le respect donc il était salué par le peuple accouru… Les antiques bannières, qui n’avait encore connu que le repos du Temple, venaient pour la première fois flotter au vent de la Révolution et couvrir de leurs plis protecteurs la grande Cité…. A la suite des dignitaires de la maçonnerie, décorés du cordon jaune et vert du Grand Orient ou du cordon blanc des députés écossais, on voyait se presser les maçons de tous les rites …

A neuf heures, les francs-maçons se sont réunis dans la cour des Tuileries où ils ont été rejoints par une délégation de la Commune sortie de l’Hôtel de Ville, musique en tête.

Tous les maçons, anciens maçons, renforcés par des membres des compagnonnages sont là, affluant de tous les points, bannières et musique en tête, au milieu d’une foule compacte que ce spectacle avait attirée là dès la première heure. Plusieurs bataillons de la garde nationale forment la haie et contiennent les curieux qui se poussent aux cris de : « Vive les francs-maçons ! vive la Commune ! » auxquels répondent d’autres cris de : « A bas Versailles ! ».

Le défilé des cinquante-cinq loges commence, par rangs de quatre, bannières déployées, au son d’une musique au rythme étrange, sévère, impressionnant. Il y a environ 10 000 citoyen-nes de tous âges, une loge de femmes est particulièrement saluée par la foule émue de ce spectacle unique.

Le cortège arrive à onze heures dans la cour d’honneur de l’hôtel de ville, accueilli par la Commune tout entière en haut de l’escalier d’honneur, entourée de trophées des drapeaux de la Commune. Les bannières maçonniques viennent les rejoindre.

Les discours expriment l’émotion : « Votre acte, citoyens, restera dans l’histoire de la France et de l’humanité. Vive la République universelle ! »

Beaucoup de membres de la Commune sont eux-mêmes francs-maçons, dans toutes les tendances présentes, des internationalistes ( Beslay, Longuet, Malon, Johannard, Babick, Amouroux …) des blanqistes (Eudes, Ranvier …), des jacobins (Viard, ..) et d’autres comme Lefrançais, Jourde …

Le citoyen Beslay, membre de la Commune : « Le sort ne m’a pas favorisé, hier, lorsqu’on a tiré les noms des membres de la Commune qui devaient aller recevoir les francs-maçons…. je n’ai pas eu le bonheur d’être désigné, mais j’ai demandé pourtant à aller au-devant de vous, comme doyen de la Commune de Paris, et aussi de la franc-maçonnerie de France, dont j’ai l’honneur de faire partie depuis cinquante-six ans. Citoyens, frères, permettez-moi de donner à l’un de vous l’accolade fraternelle. »

La Commune offre un drapeau rouge au citoyen Thirifocq qui déclare : « Si nous échouons dans notre tentative de paix et si Versailles donne l’ordre de ne pas tirer sur nous pour ne tuer que nos frères sur les remparts, alors nous nous mêlerons à eux, nous qui n’avions pris jusqu’ici le service de la garde nationale que comme un service d’ordre, ceux aussi qui n’en faisaient pas partie, comme ceux qui étaient déjà dans les rangs de la garde nationale, et tous ensemble, nous nous joindrons aux compagnies de guerre pour prendre part à la bataille et encourager de notre exemple les courageux et glorieux soldats défenseurs de notre ville. »

Un ballon est lancé, portant les trois points maçonniques avec ces trois mots « la Commune à la France »

Le cortège, accompagné de tous les membres de la Commune, sort de l’hôtel de ville, remonte la rue St Antoine jusqu’à la Bastille, et, descendant les boulevards jusqu’à la Madeleine, gagne l’Arc-de-Triomphe.

Témoignage – Louise Michel, 41 ans, institutrice, membre du comité de vigilance de Montmartre

Ce fut un spectacle comme ceux des rêves que ce défilé étrange, …., voir cette file de fantômes allant avec une mise en scène d’un autre âge, dire les paroles de liberté et de paix qui se réaliseront dans l’avenir. L’impression était grande, il fut beau de voir l’immense cortège marchant au bruit de la mitraille comme en un rythme

Il y avait les chevaliers Kasoches avec l’écharpe noire frangée d’argent. Les officiers rose-croix, le cordon rouge au cou, et tant d’insignes symboliques que cela fai­sait rêver. En tête, marchait une délégation de la Commune avec le vieux Beslay, Ranvier, et Thirifocq, délégué des francs-maçons.

Des bannières étranges passaient, la fusillade, le canon, les obus faisaient rage.

…..

Le cortège spectral parcourut la rue Saint-Antoine, la Bastille, le boulevard de la Made­leine, et par l’Arc de Triomphe et l’avenue Dau­phine, vint sur les fortifications, entre l’armée de Versailles et celle de la Commune.

Il y avait des bannières plantées de la porte Maillot à la porte Bineau ; à l’avancée de la porte était la bannière blanche de paix, avec ces mots écrits en lettres rouges : « Aimez-vous les uns les autres. » Elle fut trouée de mitraille. Des signes s’étaient échangés aux avancées entre les fédérés et l’armée de Versailles ; mais ce fut seulement passé cinq heures que cessa le feu ; on parlementa et trois délégués francs-maçons se rendirent à Versailles où ils ne purent obtenir que vingt-huit heures de trêve

Dans cette grandiose manifestation, on remarque des vieillards courbés par l’âge, marchant aussi résolument au-devant d’une mort possible que s’il se fut agi de se rendre à quelque fraternelle agape. Toujours la même foule sur tout le parcours, impressionnée par la portée morale de l’acte qui s’accomplit de la part de cette association dans laquelle se trouvent confondus des gens de toutes classes, de toutes conditions et surtout de toutes religions politiques et morales, et qui, depuis si longtemps, se tenait renfermée dans ses temples. A l’Arc de-Triomphe, il y a toujours une pluie incessante d’obus, reçus aux cris de : « Vive la Commune ! Vive la République universelle ! »

Une délégation composée de tous les vénérables, accompagnés de leurs bannières respectives, s’avance par l’avenue de la Grande-Armée, et les plantent sur les remparts aux postes les plus dangereux. Puis 40 vénérables s’avancent sur l’avenue de Neuilly sur la barricade du pont de Courbevoie Le général Montaudon qui les reçoit,(est-il toujours franc-maçon ?), met une voiture à disposition des trois délégués envoyés à Versailles. Le feu cesse alors du côté versaillais. Il est convenu de part et d’autre que le feu ne pourra reprendre qu’après le retour des délégués.

Témoignage – Martial Sénisse, 20 ans, maçon limousin

… les vénérables ont pris la direction des portes de Paris afin d’aller planter leur bannière aux premières lignes.

Alors j’ai vu Thoumieux pleurer. Il m’a dit :

Regarde-les, ces hommes respectables qui s’exhibent aujourd’hui devant tes yeux. Ils sont très âgés pour la plupart. Toute leur vie ils ont choisi le silence et la discrétion. Ils occupent presque tous des situations importantes dans cette société que nous voulons abattre, et les voici pourtant qui viennent à nous, qui prennent le parti le plus héroïque, qui viennent à la Commune alors que ses lendemains sont angoissants, qui adhèrent à la révolution parce qu’elle est pour eux la justice et qu’ils ne se reconnaissent pas le droit de se taire.

….

En rentrant rue Monge, le soir, j’ai longuement expliqué à Élise ce que je pensais maintenant de cette aventure dans laquelle je suis engagé. Je crois qu’il y a d’un côté les hommes qui ne sont forts que parce que la force règne sur le monde. En face d’eux, il y a ceux qui veulent faire triompher la justice. Mais jamais la justice ne l’emportera sur la force si une fois, une seule fois, elle ne bat pas la force avec ses propres armes. C’est ce que la Commune est en train d’apprendre au monde, et même si elle est vaincue, la leçon sera retenue par d’autres et un jour la justice l’emportera.

 

Pendant ce temps à Versailles

L’Assemblée nationale vote la prise en considération d’urgence d’un projet de loi déclarant inaliénables les propriétés publiques ou privées, mobilières ou immobilières, qui auraient été soustraites, détenues ou séquestrées par les ordres du Comité central ou de la Commune de Paris depuis le 18 mars …on voit bien où sont les préoccupations de ces messieurs !

 

La bourse de Paris est toujours en activité

Ce temple du capitalisme est ré-ouvert depuis la 28 mars et fonctionne, les membres les plus audacieux de la Commune n’ont jamais pris de mesures contre ce sanctuaire. A aucun moment l’idée de paralyser le fonctionnement des marchés n’a été évoquée jusqu’à ce jour. Selon le journal La Nouvelle République du 22 mars 1871, le syndic des agents de change et les agents de change eux-mêmes ont refusé de transporter la Bourse à Versailles.

Elle est donc ouverte, plus calme qu’à l’accoutumée, mais les agents continuent à travailler, et les cours sont publiés tous les jours comme d’habitude au journal officiel. Malgré la panique que devrait produire en pareil lieu une révolution comme celle du 18 mars, la tenue des cours n’est pas mauvaise. Les cours relevés par Henri Lefebvre1 dans le journal Le Temps montrent que les baisses massives précèdent de beaucoup la prise du pouvoir par le Comité Central. Depuis la remontée est régulière.

 

 

La monnaie

Ce service géré par l’ouvrier bronzier Zéphirin Camélinat fonctionne si efficacement qu’on n’en entend pas parler. Michel Cordillot indique que le Directeur de la monnaie, soucieux de ne laisser passer aucune opportunité, a échafaudé un plan dès qu’il a appris la décision de la démolition de la colonne Vendôme. Il a ainsi calculé qu’avec le bronze provenant des bas-reliefs, on obtiendrait en ajoutant pour 75000 franc de cuivre une quantité d’alliage permettant la frappe de plus d’un million de pièces de menue monnaie, ce qui pourrait permettre de réaliser un bénéfice estimé à 845 000 francs. Pourra-t-il appliquer ce projet ?

 

Les écoles dans le VIIIème arrondissement

La Mairie du VIIIème arrondissement a fait un travail de recensement sur le nombre d’enfants à scolariser, qui montre les efforts et les réalisations accomplies.

Elle a fait un relevé à partir des cartes de boucherie, qui indique une présence de 6 251 enfants dans l’arrondissement, garçons et filles de 7 à 15 ans. Les écoles communales, au nombre de 14 laïques, congréganistes ou protestantes, ne reçoivent pourtant que 1 453 garçons et 1 577 filles, ensemble 3 030 élèves. Cette étude met en évidence que 3 221 enfants ne seraient pas scolarisés dont il faut retrancher ceux que les parents font instruire à leurs frais.

Déjà considérable, cette différence serait encore plus importante si les enfants de trois à cinq ans et de cinq à sept ans avaient été ajoutés, mais les asiles et les écoles maternelles seront l’objet d’une autre étude.

Les écoles communales organisées dans l’arrondissement sont donc très insuffisantes. En effet, il y a urgence à faire entrer tous les enfants de cinq à douze ans dans les écoles, à moins de prouver qu’on les instruit ou fait instruire.

L’école des filles de la rue de la bienfaisance est vacante et fermée : nous la faisons rouvrir immédiatement. Les écoles anciennes fonctionnent convenablement. Toutefois, trois écoles congréganistes de garçons ont suspendu leur enseignement. La mairie a dû, pour éviter de laisser les enfants dans la rue, faire faire les classes par des professeurs libres. L’enseignement, que les titulaires ont cru devoir abandonner, a été établi dans deux écoles. Toutes les écoles communales étant en activité, moins une, il y a lieu de transformer l’enseignement lui-même. Elle se propose de profiter, dans ce but, de la réorganisation nécessaire des deux écoles vacantes.

L’école des filles de la rue de la Bienfaisance sera la première des écoles nouvelles et la base dont les élus de l’arrondissement espèrent voir sortir la réforme. Ils ont choisi pour directrice Mme Geneviève Vivien, institutrice d’un grand mérite, qui sait mieux que personne l’importance de l’enseignement de l’éducation nouvelle.

Dès que les arrangements préparatoires seront terminés, le programme sera publié; les enfants y seront admis depuis l’âge de trois ans, pour commencer à la première enfance. Pour les enfants de cinq à sept ans, la lecture, l’écriture et le calcul, ainsi que l’orthographe, doivent être des faits acquis. Or, dans les règlements actuels, les écoles communales ne reçoivent les élèves qu’à l’âge de sept ans : il y a donc dans la réforme à faire un enseignement entièrement nouveau à établir. Les cours de cette école, dès qu’ils seront organisés, seront publics, afin que les parents et les professeurs puissent y assister à leur gré.

La Mairie a déjà établi une école normale gymnastique, qui permettra dans quelques jours, de faire faire la gymnastique comme enseignement régulier pour toutes les écoles. Elle prévoit de faire bientôt de même pour la musique et le dessin.

Les inscriptions et réceptions se feront directement aux écoles mêmes. Les parents et les enfants doivent aller faire eux-mêmes leur inscription sans aucun retard.

Pour l’école des filles de la rue de la Bienfaisance, les inscriptions seront admises pour les enfants à partir de l’âge de cinq ans.

La Mairie fait un appel insistant à toutes les consciences, ainsi qu’à toutes les intelligences, pour la seconder dans l’œuvre, qu’elle appelle «le rêve de [notre] vie, que nous espérons enfin voir fleurir » : « La réforme à la fois scientifique et pratique de l’enseignement pour les enfants. »

La société la Commune sociale de Paris, dont elle est fondatrice, secondera ce travail de ses lumières et de ses membres. C’est pourquoi nous la recommandons, en même temps que notre œuvre même, aux bons désirs de tous, pour les enfants et les familles, que nous voulons instruire, et que bientôt aussi nous ferons travailler.

 

Des nouvelles de la Fédération artistique

Le mouvement fédéraliste s’accentue : après la réunion des artistes peintres, graveurs, dessinateurs sous l’impulsion du citoyen G. Courbet, les artistes des théâtres et concerts se fédéralisent à leur tour.

Leur premier acte est l’organisation de représentations au bénéfice des blessés, veuves et orphelins de la garde nationale, de spectacles disponibles appartenant à la ville de Paris.

Un comité organisateur de ces représentations est désigné.

Une commission d’élaboration des statuts vient d’être nommée ; deux auteurs, deux compositeurs, trois artistes de théâtre, trois artistes de concerts et deux musiciens, composent cette commission, à laquelle ont été adjoints les trois promoteurs de la Fédération : les citoyens Paul Burani, auteur, Antonin Louis, compositeur, et Alfred Isch-Wall, auteur.

Ont été nommés membres de cette commission :

Auteurs : les citoyens Houssot et Nazet ; compositeurs : les citoyens Littolff ; A. de Villebichot ; J. Javelot ; Benzat.

Artistes dramatiques : Delanglay (Ambigu) ; Damiens (Porte-Saint-Martin) ; Kalpestri (mime) ; Artistes lyriques : Perrin ; Muller ; Berger ; Littolff, Benzat.

Des invitations ont été adressées à tous les artistes présents à Paris, pour réclamer leur adhésion. Plus de six cents artistes ont répondu à cet appel.

 

Du côté des Clubs

Dans l’église saint-Germain-l’Auxerrois

Le 29 avril s’est réuni le Club des Libres penseurs du Ier arrondissement en présence de 500 personnes sous la présidence d’Alfred Pierre et de Lodojska Kawecka, « très belle femme au costume pittoresque et théâtral: pantalon de turco, veste de hussard en velours cramoisi chamarré de broderies, à la ceinture bleue deux revolvers, aux bottines des glands d’or, à la toque la cocarde rouge » et en présence de Nathalie Le Mel. Au cours de la séance un garde s’est hissé jusqu’à la statue de la Vierge, d’un coup de baïonnette lui fait un trou dans la bouche et y a mis une pipe allumée. Il a déboulonné l’Enfant-Jésus qui est passé de bras en bras, puis a été embroché sur une baïonnette et finalement brisé. De nombreux intervenants proposent des projets sur les sujets les plus divers.

Maitron

 

Salle de la rue d’Arras

Ils s’y tiennent tous les soirs à 8 heures ½ des entretiens populaires pour des programmes d’éducation nationale, présidés par Edmond Douay.

Compte rendu de l’une des dernières réunions

Lecture du programme complet d’éducation primaire nationale. Résumé des précédents entretiens sur la morale universelle, sur les droits et les devoirs de l’enfant ;

Les droits et devoirs dans la famille, droits et devoirs des époux.

Le Dictionnaire de l’Académie française définit la famille : « Toutes les personnes d’un même sang, comme enfants, frères, neveux ; se prend aussi pour toutes les personnes qui vivent dans une même maison, sous un même chef. »

Ce n’est pas la famille moderne ni républicaine.

La famille est une association créée par le mariage ; elle est la base de la nation et de la moralité publique.

L’époux et l’épouse doivent être égaux devant la loi, et devant la morale ; il ne peut y avoir que des inégalités physiques ou intellectuelles, et des fonctions différentes dans l’association.

Cette association n’est durable que par la communauté d’éducation primaire nationale.

Les familles fondées sur la passion, l’intérêt, la convenance, la domination d’un chef sont instables. La famille républicaine a pour ennemi le célibat, la confession, la prostitution, l’institution monarchique, l’inobservation des droits et des devoirs mutuels, fondés sur la solidarité de l’association.

L’association se brise par cette inobservation.

La dot est une institution immorale : la vraie dot est la valeur personnelle de la fiancée.

 

Club Saint Nicolas des Champs

Le citoyen Paysant propose aux 3000 citoyens réunis :

« Considérant que la guerre civile est l’œuvre de l’Empire et de ses suppôts, la Commune de Paris décrète :

Tous les biens des fonctionnaires civils et militaires depuis le grade de colonel jusqu’à celui de maréchal seront vendus au profit des veuves et des blessés victimes de la guerre depuis son commencement »

Jacques Rougerie

 

En bref

■ Il y a dans le service médical de la garde nationale des personnes qui portent les insignes et l’uniforme d’emploi et de titre auxquels elles n’ont aucun droit, et prennent même des qualifications qui ne leur ont pas été régulièrement conférées. Le citoyen délégué au ministère de la guerre les prévient qu’elles s’exposent à des poursuites sérieuses, pour infraction aux lois.

■ Le délégué de la Commune à l’enseignement a nommé directeur de la Bibliothèque nationale le citoyen Elie reclus, le célèbre ethnologue.

■ Le chef du 1er bureau du cabinet du préfet de police (affaires politiques) prévient les citoyens qu’il ne tiendra aucun compte des dénonciations anonymes. L’homme qui n’ose signer une dénonciation sert évidemment une rancune personnelle, et non l’intérêt public.

■ Le délégué au ministère de l’agriculture et du commerce informe les boulangers qu’il tient à leur disposition, au prix de vingt francs les cent kilogrammes, le sel nécessaire à leur fabrication.

 

En débat – Tribune de Benoît Malon, 30 ans

Ouvrier teinturier, adhérent à l’Internationale depuis 1865, devenu journaliste, élu à l’assemblée en février, puis le 26 mars à la Commune.

Généralement les membres de la commune [ont] une tendance à se laisser aller à cette façon toute française de parer aux événements avec des phrases, ou de s’en prendre aux résultats immédiats au lieu de rechercher les causes. La plupart jeunes, ils ne [peuvent] guère d’ailleurs avoir ce calme qui commande aux situations terribles, cette vivacité [est] le principal reproche que leur faisaient Delescluze, Vermorel et d’autres, qui se [plaignent] souvent, et avec raison, de l’abondance des préoccupations et des attaques personnelles. Cette tendance au récriminations violentes, les membres de la commune [l’ont] prise dans les réunions publiques sous l’Empire et dans les clubs depuis le 4 septembre. Dans ces tristes jours, l’indignité des gouvernants était telle que la critique des actes gouvernementaux, quelle que fût sa violence, était toujours justifiée par les faits. Le peuple s’y habitua, et les orateurs les plus ardents devinrent les plus applaudis. Ces mêmes orateurs, élus par le peuple, apportèrent naturellement dans les discussions de la commune le même langage. Mais si les attaques [sont] vives, il n’y [a] jamais de basse insulte, grâce à ce respect pour une réunion d’hommes dont les ouvriers français ne se départent jamais. Ceux qui ont vu les clubs Parisiens savent que dans les assemblées les plus tumultueuses une certaine tenue, inconnue chez les autres peuples ne fait jamais défaut.

Beaucoup d’élus [manquent] de l’étude et de l’expérience nécessaire aux hommes politiques, mais il ne faut pas oublier que [c’est] la classe ouvrière au pouvoir pour la première fois. À part quelques littérateurs, tous [ont] eu une vie de travail et de fatigue, et ce n’était qu’à temps perdu et en prenant sur le repos nécessaire qu’ils avaient pu apprendre le peu qu’il savaient.

Le plus grand malheur [est] que la majorité trop imbue du côté Jacobins et théâtral de la grande Révolution, [est] naturellement disposée à négliger les réalités, à ne pas tenir assez compte des obstacles, à trop sacrifier les principes, importés dans la politique par la nouvelle école socialiste, à la souveraineté du but, chère à l’école autoritaire. C’est surtout cette tendance de la minorité socialiste [combat] sans trêve dans la majorité.

Mais ce qu’il [ont] à peu près tous, [c’est] ce grand amour de tous les opprimés, cette haine vigoureuse de l’injustice que toute la population ouvrière de Paris possède à un si haut degré. Ils [sentent] vaguement qu’en représentant les prolétaires parisiens révoltés, ils [représentent] la grande cause de tous ceux qui souffrent par l’oppression et l’exploitation dans notre inique société. Aussi, s’ils [différents] dans les moyens, ils se [montrent] en général prêts à donner leur vie pour hâter l’avènement de ce monde nouveau qu’ils [entrevoient] dans la République sociale universelle. Un des traits distinctifs de la commune [est], en effet, de réaliser dans son sein l’internationalité qu’elle [proclame] et qui jusque-là, n’avait jamais été consacrée dans une représentation gouvernementale quelconque, en déclarant qu’elle recevrait les élus que lui enverrait le peuple de Paris, de quelle nationalité qu’ils [soient]. C’est ainsi qu’elle accepta le citoyen hongrois Frankel élu par le 13e arrondissement.

 

Note

1La proclamation de la Commune