La Commune au jour le jour. Samedi 13 mai 1871

À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

Situation militaire

À l’ouest

La position des deux armées se modifie peu, bien que les engagements aient lieu sur toute la ligne, des combats d’artillerie, des fusillades aux avant-postes et barricades. Les travaux d’approche versaillais continuent dans le bois de Boulogne.

 

Au sud

Les Versaillais ont attaqué de toutes parts le fort de Vanves, occupé dans la nuit le lycée de Vanves et se rapprochent donc du rempart. Maintenant ils effectuent des opérations visant à isoler le fort de Vanves du fort de Montrouge.

Dans la matinée, les habitants de Montmartre ont été prévenus que les batteries installées au Moulin de la Galette tireraient prochainement; on les invite à garnir leurs vitres de bandes de papier, afin qu’elles puissent résister à l’ébranlement produit par la détonation.

Le délégué à la marine a fait débarquer des diverses canonnières les marins brevetés et les servants qui, par la justesse de leur tir, sont appelés à rendre de grands services aux fortifications.

Le commandant de la 6e légion porte à l’ordre du jour les deux frères Ernest et Félix Dunand, du 115e bataillon, l’un âgé de quatorze ans, l’autre de dix-sept.

Ces deux jeunes gens se sont brillamment conduits à l’attaque du parc d’Issy. Ils ont, pendant plus d’une heure, essuyé le feu des Versaillais à 100 mètres de distance ; puis, avec leurs camarades de la 1re compagnie, ils se sont élancés à la baïonnette et ont pris la barricade des Moulineaux, le lundi 9 mai. Le plus âgé des deux frères, Ernest, tomba frappé d’une balle en plantant le drapeau du bataillon sur la crête de la barricade. Félix s’élança pour reprendre le drapeau et recueillir le corps de son frère ; il tomba à son tour foudroyé au-delà de la barricade. Ils sont morts tous les deux. Le père a cessé de pleurer ses fils. Il prend le fusil pour tâcher de les venger. Avis aux lâches qui ont touché la solde et qui se sont cachés à l’heure de leur départ ! Le commandant en chef de la 6e légion, COMBATZ.

Une délégation d’une centaine de femmes s’est rendue aujourd’hui à l’Hôtel de Ville pour demander des armes. Il semble qu’un bataillon de femmes, la légion des fédérées se constitue dans le XIIe arrondissement.

 

Les manœuvres des Versaillais dans Paris continuent

Informations recueillies par Michel Cordillot :

« Quarante six gendarmes déguisés en gardes nationaux sont arrêtés à la caserne des Minimes, sous l’accusation d’avoir préparé une opération contre l’Hôtel de ville avec comme signe de ralliement des brassards tricolores.

Sans doute appartenaient-ils à la plus connue de ces conspirations, dite celle « des brassards » qui [vient] d’être découverte par inadvertance, parce que la patronne de l’entreprise qui fabriquait lesdits brassards tricolores n’avait pas payé ses ouvrières et que l’une d’elles, persuadée de travailler pour le compte de la Commune, était allé réclamer son salaire à l’Hôtel de ville.les perquisitions opérées dans l’atelier, vont mettre les communards sur la trace d’une certain de Beaufond, qui s’est auto-proclamé « chef de la mission militaire et politique du parti de l’ordre » après avoir reçu mandat de Thiers de recruter des agents capables et désorganiser des services communalistes… il est parvenu à nouer des relations à l’état major de l’école militaire et à la guerre, ou le chef d’artillerie, Guyet, a accepté de saboter les approvisionnements en munitions. »

Dans la journée, quelques quartiers des IXe, XIe et XIIIe arrondissements ont été cernés par des gardes nationaux qui recherchaient les armes et les réfractaires. Ces perquisitions ont été ordonnées par le Comité central de la garde nationale sans en informer ni la Commune ni les mairies concernées. Depuis que le premier Comité de salut public avait confié l’administration de la guerre au Comité central, l’autorité de la Commune sur ces questions n’était plus qu’illusoire. Un certain nombre de jeunes gens arrêtés ont été détenus dans l’église Notre-Dame-de-Lorette. Est ce bien efficace de chercher à enrégimenter, contre leur gré, des gens hostiles à la Commune, mettant autant d’éléments de division et même de trahison dans les rangs de la Garde nationale ?

 

Du nouveau à la Sûreté générale

Il n’y avait pas de réunion de la Commune aujourd’hui, c’est le Comité de salut public qui a nommé le citoyen Ferré comme délégué à la Sûreté générale en remplacement du citoyen Cournet. Les citoyens Martin et Émile Clément sont nommés membres du comité de Sûreté générale, en remplacement des citoyens Th. Ferré et Vermorel.

Théophile Ferré, 25 ans, comptable

Militant blanquiste, il a déjà été condamné à plusieurs reprises quand arrive la révolution du 18 mars. Un des animateurs, avec Louise Michel, du Comité de vigilance du XVIIIe arrondissement, il était de ceux qui voulaient marcher sur Versailles le 19 mars.

Il est créé dans chaque mairie un commissariat central de police : les municipalités sont invitées à proposer immédiatement au délégué à la sûreté générale les citoyens de leur arrondissement qui, à leur connaissance, seraient aptes à remplir les fonctions de commissaire de police central.

Un des délégués municipaux sera chargé de faire une instruction sommaire sur les affaires purement civiles, et de maintenir en état d’arrestation ou de relaxer les prévenus.

Le commissariat central devra, chaque jour, faire un rapport au délégué à la Sûreté générale.

 

Schoelcher libéré

Voici la lettre qui lui a été adressée :

Citoyen Schoelcher,

J’apprends seulement hier votre arrestation. Ce fait, quelque étrange qu’il m’ait paru au premier abord, semblerait presque justifié par l’arrestation du citoyen Lockroy. Comme, cependant, nous ne sommes pas tenus de rendre l’absurde pour l’absurde, je m’empresse de donner l’ordre de vous mettre en liberté. Salut et fraternité,

RAOUL RIGAULT.

P.S.: Tâchez donc d’obtenir l’élargissement du citoyen Lockroy.

Rappelons qu’Édouard Locroy, député élu à l’Assemblée nationale pour Paris en février dernier, en a démissionné après avoir protesté contre les négociations de paix. Il a fait partie des signataires de l’appel à voter pour les élections à la Commune de Paris. Il vient d’être arrêté et emprisonné à Versailles sans inculpation particulière.

 

Arrestations du gouvernement versaillais

La Ligue d’Union républicaine des Droits de Paris avait envoyé cinq délégués au Congrès de Bordeaux. Deux d’entre eux, MM. Lechevalier et Villeneuve, étaient arrivés à Tours, lorsqu’ils furent interceptés, conduits chez le commissaire de police, à qui il fut ordonné d’amener les deux délégués à Versailles. Là, ils ont été conduits en prison.

Le gouvernement de Versailles a décidé de faire arrêter tous les conseillers municipaux délégués au Congrès de Bordeaux. C’est un acte de pur despotisme, le gouvernement de Versailles fait tout pour  déjouer les tentatives conciliatrices; il est déterminé à dominer par les armes.

 

À propos de la destruction de la maison de M. Thiers

Pendant le déménagement de la maison de Thiers, une foule de curieux encombrait la place Saint- Georges. Un détachement des Vengeurs de la République a fait évacuer la place. Depuis, on laisse circuler librement, mais des factionnaires empêchent d’y stationner et de former des groupes. La démolition continue. Le directeur des Domaines met à la disposition des ambulances tout le linge trouvé au domicile de Thiers, parce que « le linge du bombardeur doit servir à panser les blessures de ses victimes. »

Maison de Thiers en cours de démolition.

Témoignage d’Élie Reclus, 44 ans, journaliste

Le décret du Comité de salut public, ordonnant que la maison de M. Thiers soit abattue et nivelée au ras du sol, comme le décret ordonnant la démolition de la colonne Vendôme et de la grotesque bâtisse qu’on appelle la Chapelle Expiatoire, cela fournira des armes contre nous et des arguments, dont moi tout le premier, je reconnais le bien fondé.  L’Assemblée indemnisera M. Thiers au double ou au triple et, si le plâtras et les quelques moellons composant la bâtisse ont coûté cent cinquante mille francs à être rassemblés, c’est un capital de cent cinquante mille francs perdu. Il est vrai qu’on y aura gagné un square. On dira très justement:la Commune n’exerce pas en cette occasion la justice contre M. Thiers, car son arrêt n’est pas précédé d’un jugement et  d’une défense. Non, la Commune n’exerce qu’une vengeance. Et encore, ne pouvant se venger sur la personne, la Commune accepte de se venger sur sa maison. Cela est vrai. Cependant, je ne me courrouce pas. L’injustice faite à quelques moellons et plâtras ne me touche guère. Je préférerais que toutes les formalités fussent accomplies, mais on peut se passer de celles qui sont manifestement impossibles. Et puis, il y a des vengeances qui ressemblent singulièrement à des actes de justice. Le talion est une justice inférieure et barbare, mais c’est encore une justice, faute de mieux !

Voilà un Monsieur qui nous démolit Paris avec des obus pesant de cinquante à cent kilogrammes chacun ; chaque jour, il nous tue des centaines d’hommes, depuis des semaines ; il nous a provoqués, il nous a attaqués et aux hommes qui viennent parle conciliation, il répond dédaigneusement : qu’importent les gens tués, qu’importent les maisons trouées ! … Et l’on serait scandalisé et navré parce que, pour le punir autant que faire ce peut, on démolit sa maison et on emploie son linge à panser les blessés, à enterrer les morts qu’il a faits ?

Voici à ce sujet un paragraphe de l’Avenir National qui ne manque pas de verve. Il est bien entendu que, depuis longtemps, la Commune a aboli la liberté de la presse et confisqué tous les journaux qui lui étaient désagréables.

« La destruction de la maison de M. Thiers continue. Un grand nombre de personnes se tiennent sur la place Saint-Georges et dans les rues avoisinantes. Ces personnes sont attirées là par le bruit que les membres de la Commune ont voté et signé le décret de destruction devaient, pendant la durée des opérations, danser en rond autour de la maison, vêtus d’un pagne, armés d’un tomahawk, des plumes autour de la tête et un anneau dans le nez, en chantant leur chant de guerre. Cette nouvelle était absolument erronée, et nous sommes heureux de la démentir de la façon la plus absolue.Les membres de la Commune qui assistent à l’opération continuent de porter le costume des civilisés. »

Extrait un rapport de police du 13 mai [1] dans le Ve arrondissement

« Dans une maison de la rue Saint-Jacques, sur quarante-deux locataires qui faisaient partie de la Garde Nationale, il y en a deux seulement qui marchent. On se plaint vivement du peu d’énergie des délégués de cet arrondissement. Il n’y a pas de Comité de vigilance ; pourquoi ?

Dans le Ve arrondissement, les réfractaires ont beau jeu : l’on ne s’occupe pas d’eux : Avis.

J’ai été hier soir à Saint Jacques du Haut Pas et à Saint Ambroise. Grande quantité de citoyens à ces clubs. J’entends dans ces deux clubs réclamer impérieusement la levée en masse »

 

Du côté des Clubs

Église Saint Séverin

L’assemblée de 2000 citoyen-nes vote à l’unanimité les motions suivantes

– Fermeture immédiate des portes de Paris et de tous les ateliers autres que ceux concernant la défense. Ces mesures prises, faire immédiatement  arrêter toutes les femmes ayant appartenu à la police et les mettre devant nos bataillons.

– Sommer le gouvernement de Versailles de rendre Blanqui à la Commune dans les 48 heures; faute par lui d’obtempérer à cet ordre, l’archevêque de Paris sera immédiatement fusillé.

– Faire saisir, dans tous les quartiers à la fois, au moyen des bataillons sédentaires, tous les réfractaires et les envoyer les premiers au feu

 

Club de la Révolution église Bernard

Les membres réunis en séance publique au nombre de trois mille environ ont voté à l’unanimité les résolutions suivantes :

1- Suppression de la magistrature qui a précédé et anéantissement des codes ; leur remplacement par une commission de justice chargée d’élaborer un projet de lois en rapport avec les nouvelles institutions et aspirations du peuple.

2- Suppression des cultes, arrestation immédiate des prêtres, comme complices de monarchiens, cause de la guerre actuelle ; la vente de leurs biens, meubles et immeubles, ainsi que ceux des fuyards et des traîtres qui ont soutenu les misérables de Versailles, le tout au profit des défenseurs du droit.

3- Retrait du décret sur le Mont-de-Piété, son remplacement ainsi qu’il suit : les objets déposés au Mont-de-Piété seront rendus gratuitement ; y auront seuls droit les défenseurs de la cité, ainsi que les citoyennes, mères, filles, sœurs, épouses et femmes des citoyens morts pour la défense de Paris et qui justifieront de leurs droits.

4- Tout porteur d’une reconnaissance achetée sera passible de l’amende ou de l’emprisonnement, et verra sa reconnaissance saisie.

5- Suppression des maisons de tolérance.

6- Les travaux et entreprises pour la Commune devront être donnés aux différentes corporations ouvrières.

7- Exécution d’un otage sérieux toutes les 24 heures jusqu’à la mise en liberté et l’arrivé à Paris du citoyen Blanqui nommé membre de la Commune.

 

En bref

■  Ordre a été donné à l’Officiel  qu’il soit enfin vendu  cinq centimes le numéro, en conformité du décret de la Commune.

■  Le citoyen Darras (Charles-François-Octavie) est nommé greffier de la justice de paix du IVe arrondissement de la Commune de Paris.

■  Le musée du Luxembourg sera ouvert au public à partir du 15 mai 1871.

■  Les inspecteurs et inspectrices des écoles primaires et des écoles de chant nommés par l’ancienne administration sont révoqués. Les écoles ne pourront être inspectées que par les membres de la commission et par des délégués munis d’un pouvoir spécial, délivré par le membre de la Commune délégué à l’enseignement

■  Les municipalités sont invitées à fournir à la délégation de l’enseignement un état du personnel (laïque et congréganiste) actuellement en fonction dans toutes les écoles et salles d’asile de leur arrondissement.

■ La mairie du Ve  arrondissement, dans le but de venir en aide aux familles qui souffrent de la situation actuelle, et pour faciliter l’achat des subsistances en maintenant les denrées à des prix accessibles aux travailleurs, va créer, dans chaque quartier, un magasin de denrées à prix réduit. L’un de ces magasins fonctionne déjà avec succès, rue des Fossés-Saint-Marcel, 7. Les autres seront prochainement ouverts. Des ventes de pommes de terre ont lieu depuis le 10 courant au prix de 35 centimes le boisseau (double décalitre), rue du Pot-de-Fer, 24.

En outre, la délégation de la guerre est en mesure de fournir immédiatement considérablement de travail de femmes. On peut se présenter, dès ce jour, au Corps législatif.

■ À partir du lundi 15 mai, des boucheries municipales seront ouvertes : Rue des Martyrs, 57 ; Rue Pigalle, 5 ; Rue du Faubourg-Montmartre, 20 ; Rue Rochechouart, 9. Les viandes sont vendues dans ces boucheries au prix du tarif fixé par le délégué au ministère de l’agriculture.

 

Karl Marx à Léo Frankel et à Eugène Varlin

Londres, le 13 mai 1871.

Chers citoyens Frankel et Varlin,

J’ai eu des entrevues avec le porteur. Ne serait-il pas utile de mettre en sûreté les papiers compromettants pour les canailles de Versailles ? Une telle précaution ne peut jamais faire de mal. On m’écrit de Bordeaux que 4 Internationaux ont été élus aux dernières élections municipales. Les provinces commencent à bouger. Malheureusement, leur action est localisée et « pacifique ». J’ai écrit plusieurs centaines de lettres pour votre cause à tous les coins du monde où nous avons des sections. La classe ouvrière était du reste pour la Commune dès son origine. Même les journaux bourgeois de l’Angleterre sont revenus de leur première férocité. Je réussis à y glisser de temps en temps des articles favorables. La Commune me semble perdre trop de temps à des bagatelles et à des querelles personnelles. On voit qu’il y a encore d’autres influences que celles des ouvriers. Tout cela ne serait rien si vous aviez le temps de rattraper le temps perdu. Il est tout à fait nécessaire de faire vite tout ce que vous voulez faire en dehors de Paris, en Angleterre ou ailleurs. Les Prussiens ne remettront pas les forts dans les mains des Versaillais, mais après la conclusion définitive de la paix (26 mai), ils permettront au gouvernement de cerner Paris avec ses gendarmes. Comme Thiers et Cie se sont, comme vous le savez, assuré un important pot-de-vin dans leur traité conclu par Pouyer-Quertier, ils ont refusé d’accepter l’aide des banquiers allemands offerte par Bismarck. Dans ce cas, ils auraient perdu le pot-de-vin. La condition préalable de la réalisation de leur traité étant la conquête de Paris, ils ont prié Bismarck d’ajourner le payement du premier terme jusqu’à l’occupation de Paris. Bismarck a accepté cette condition. La Prusse, ayant elle-même un besoin très pressant de cet argent, donnera donc toutes les facilités possibles aux Versaillais pour accélérer l’occupation de Paris.

Aussi, prenez garde.

 

En débat

À paraître au Journal Officiel demain: extrait du Pall Mall Gazette du 12 mai

La Commune et Versailles

Le traité de paix est enfin définitivement signé, et M. Thiers se réjouit de la perspective d’avoir sous peu un grand nombre de troupes additionnelles sous ses ordres. Les prisonniers, paraît-il, vont revenir reprendre leur place dans cette armée qui vient « de relever de nouveau la haute renommée et la puissance de la France aux yeux de l’Europe.

Tous les gouvernements sont disposés à flatter les forces à l’aide desquelles ils espèrent surmonter une difficulté quelconque, et l’impasse où se trouve M. Thiers excuse jusqu’à un certain point son exagération plus qu’ordinaire à cet égard ; mais son discours d’hier va au-delà même de cette limite. L’armée de Versailles est restée fidèle à l’Assemblée, et a démontré qu’elle n’était point inférieure à des levées de volontaires, point sur lequel les expériences de la guerre récente avaient laissé jusqu’ici planer quelque incertitude ; Mais au-delà, nous ne voyons pas ce qu’elle a fait pour relever l’honneur de la France ou le prestige du nom français. Sa conduite envers son adversaire actuel démontre clairement que son appréciation de l’unité française n’est pas plus vive que celle qu’elle reproche à la Commune. Paris est accusé par le gouvernement de Versailles d’oublier qu’il fait partie de la France ; l’armée de Versailles, sinon l’Assemblée elle même, semble entièrement ignorer que la carte de la France comprend Paris.

Si les spectateurs impartiaux ont lieu de s’étonner de voir Paris qui, jusqu’à présent, a été le cerveau et le cœur de la France, se montrer tout à coup désireux de se séparer du reste du territoire, il ne doit pas leur paraître moins surprenant de voir des troupes françaises qu’on eût crues incapables de combattre contre leurs propres concitoyens, le faire néanmoins, et avec une férocité telle qu’elles rivalisent avec les Israélites dans leurs luttes contre les habitants de Kanaan. Paris, dit le correspondant du Times d’aujourd’hui, « n’est plus dans leur bouche qu’un lieu immonde, un repaire d’abominations, dont, de même que les villes de la plaine, la terre doit être purgée par le fer et le feu.

Et cependant, jusqu’à présent du moins, la Commune n’a rien fait, ou fort peu, pour justifier cette haine où la tient Versailles. Sa philosophie politique a ses côtés faibles ; ses plans de gouvernement ne sont pas inattaquables, soit ; mais à l’instar de maints autres enthousiasmes, ses membres se sont montrés supérieurs à leur profession de foi. Si l’on considère les circonstances particulières où Paris a été placé, le cours des événements depuis le 18 mars dernier fait décidément honneur à ses gouvernants présents. Ces derniers ont déclaré qu’ils exigeraient un œil pour un œil, une dent pour une dent, et ils n’ont exécuté aucune de leurs menaces. Ils auraient pu établir la guillotine en permanence et ils ont commencé par la détruire. Ils auraient pu sanctionner une licence générale, et l’ordre est tout aussi complet à Paris à l’heure qu’il est qu’il n’a jamais été sous tout autre gouvernement.

Ils ont, il est vrai, arrêté l’archevêque de Paris ; mais la prudence la plus ordinaire nous ordonne de nous assurer de quelques-uns de nos ennemis comme otages, si la fortune les jette en notre pouvoir. Les histoires plus ou moins fantastiques sur le pillage des églises ont été pour la plupart réfutées ; et quant aux réquisitions sur la propriété, quelques dimensions qu’elles aient prises, elles étaient excusables en ce qu’elles avaient été ordonnées par des hommes convaincus de la légitimité des pouvoirs qu’ils tenaient. On s’est beaucoup récrié contre la transformation de certaines églises en salle de conférences politiques ; mais ils n’en fut guère autrement sous l’Empire, avec cette seule différence que les orateurs d’alors portaient des robes sacerdotales et qu’ils appelaient leurs discours des sermons. Nous sommes loin de vouloir assurer que cette modération de la Commune se maintiendra jusqu’à la fin, mais nous affirmons que, jusqu’à présent, ses membres ne se sont point conduits de façon à mériter la réprobation de quiconque. Ils ont pris les armes, dit-on, contre le gouvernement légitime, et il est nécessaire qu’ils soient réduits à la soumission. Cela se peut, mais en attendant, les principes qu’ils propagent n’ont rien de monstrueux ni d’exécrable, pas plus que les miens dont ils se servent pour les propager.

Les épithètes d’exécrables et de monstrueux, pourraient êtres appliquées avec infiniment plus de justice aux amis de l’ordre, ou du moins à l’armée de l’ordre de Versailles. La férocité sauvage qui les pousse à passer par la baïonnette des hommes plongés dans le sommeil, — en supposant même que ce sommeil fût celui de l’ivresse, — et de se décorer ensuite de lauriers en l’honneur de leurs ignobles exploits ; la détermination de dégrader Paris, sans égard pour tout ce qu’il a fait et souffert pendant la guerre qui semble être, pour ainsi dire, la doublure de leur férocité ; ces faits, avec maints autres semblables qui caractérisent les troupes versaillaises et ses chefs, sont beaucoup plus dignes de réprobation que tout ce qu’on a jusqu’à présent reproché à la Commune.

(Traduit par MISS CARROLL)

 

Note

[1]Information transmise par Maurice Choury