La Commune au jour le jour. Dimanche 14 mai 1871

À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

Situation militaire

À l’ouest

D’Asnières à Neuilly, la canonnade est vive, le combat violent, sans modification des lignes de front. De Vaugirard à Auteuil, le rempart reçoit une grêle de projectiles qui en rendent l’abord impossible. Les batteries de Montmartre commencent à tirer depuis ce matin. Les tirs, d’abord un peu justes, des obus qu’elles envoyaient tombant vers Levallois près du rempart, ont été rectifiés.

 

Au sud

Dans la nuit, les Versaillais se sont emparés du fort de Vanves. L’évacuation du fort s’est en partie effectuée par les carrières qui établissent une communication entre Vanves et Montrouge. Cette perte, après celle du fort d’Issy, prive les fédérés de défenses efficaces en avant des fortifications. La Ligue d’union républicaine des droits de Paris essaie d’obtenir une suspension des combats pour permettre aux malheureux habitants des villages d’Issy, Vanves, Malakoff et Montrouge, de quitter leurs maisons et de chercher un refuge ailleurs.

 

Une nouvelle fusillade de prisonniers fédérés par les Versaillais

Note du Ministère de la Guerre

Nous signalons à l’indignation publique et à la mémoire des Parisiens le colonel commandant le 39e de ligne. Lorsque les Versaillais s’emparèrent du parc de Neuilly, ce misérable fit passer par les armes dix-huit prisonniers fédérés, jurant qu’il en ferait autant à tous les Parisiens qui lui tomberaient sous la main. Qu’il se garde de tomber sous les mains des Parisiens !

Paris, le 14 mai 1871.

La question s’est donc une nouvelle fois posée d’appliquer ou non le décret sur les otages. Loin des déclarations violentes tant reprochées à la Commune, en pratique ce décret est resté lettre morte jusqu’aujourd’hui.

Par contre, la négociation pour l’échange de Blanqui contre les otages continue. La semaine dernière, le banquier Henri Cernuschi est allé à Versailles pour jouer les intermédiaires. En ce moment, Benjamin Flotte est là-bas. Il y a rencontré Thiers par l’intermédiaire d’un prêtre et proposé d’échanger la totalité des otages (soixante-quatorze en tout) contre Blanqui. Mais Thiers ne change pas d’avis, persuadé comme il le dit à Flotte, que « rendre Blanqui à l’insurrection, c’est lui envoyer une force égale à un corps d’armée », bien inutile au moment où les troupes versaillaises prennent l’avantage.

Thiers est convaincu que la Commune ne s’en prendra pas aux otages, les membres du Conseil des quinze le soutiennent. Barthélemy Saint Hilaire allant même jusqu’à déclarer « Les otages, tant pis pour eux ! ». Si jamais la Commune en venait à une décision de cette sorte, ce sera un argument de plus contre elle.

 

Nouvelles mesures d’organisation militaire

Des décisions sont prises dans le cas où les Versaillais parviendraient à forcer l’enceinte, hypothèse qui devient possible après les pertes des forts au sud de Paris et le pilonnage des portes à l’ouest. Le délégué à la guerre, Delescluze, active les travaux de terrassement et de barricades. Une note de la guerre invite tous les ouvriers terrassiers à se faire inscrire « à la mairie de leur arrondissement » pour prendre part aux travaux concernant la défense de Paris, moyennant une rétribution de « trois francs cinquante 3 par jour ».

Un arrêté organise la direction des opérations militaires à l’intérieur de la ville, unifiant les forces intérieures et extérieures.

Le délégué civil à la guerre, considérant qu’il importe d’établir l’unité d’action entre les forces communales destinées à agir à l’extérieur et celles se trouvant à l’intérieur.

ARRÊTENT :

1° Chaque commandant des trois corps d’armée dits de l’aile droite, du centre et de l’aile gauche, aura, à partir de ce jour, le commandement militaire supérieur des arrondissements qui confinent à leur zone de commandement, et en conséquence il sera responsable de l’exécution des mesures intérieures relatives à la défense.

2° Chacun des commandants supérieurs des trois corps d’armée devra parvenir chaque matin, au ministère de la guerre, un rapport concernant les opérations de la veille et de la nuit.

3° Expédition du présent arrêté sera délivrée aux généraux Dombrowski, La Cécila et Wrodleski, pour leur servir ce que de raison.

Le délégué à la guerre,

Delescluze

Une longue note d’organisation de l’artillerie est publiée dans le Journal officiel. Elle précise les matériaux, munitions et personnels à regrouper pour l’artillerie de campagne et l’artillerie de position, de sièges et de remparts dans des parcs bien identifiés. Par exemple, un parc de corps d’armée est composé comme suit :

Bouches à feu : 12 de campagne, 7 et 8 à culasse, 4 de campagne et de montagne, canons à balles (mitrailleuses) ;

Caissons : Pour les bouches à feu susdites, en double approvisionnement avec armements, munitions et accessoires ;             

Affûts de rechange ;

Forges de campagne ;

Chariots de batterie et de parc ;

Prolonges ;

Affûts de siège, de place et de côte ;

Triqueballes, chèvres, etc.

Elle demande que chaque jour, à neuf heures du matin, les commandants d’artillerie envoient au général commandant le corps d’armée leur rapport journalier et la situation du personnel et du matériel sous leurs ordres. Une telle organisation apparaît tout à fait adaptée aux besoins d’une ville en guerre, on peut simplement s’étonner qu’elle soit mise en place aujourd’hui alors que le guerre est commencée depuis plus d’un mois.

Une centaine de femmes, portant un drapeau rouge, se sont présentées hier, vers deux heures, à l’Hôtel de Ville. Elles venaient demander à la Commune des armes pour combattre dans les rangs de leurs frères et leurs maris. Le citoyen Gambon leur a immédiatement fait remettre des fusils.

 

Recensement et carte d’identité

Dans les arrondissements, des mesures sont prises pour arriver à avoir un recensement et la situation réelle de chaque maison au point de vue de l’état civil et militaire des citoyens. Par exemple dans le IXème, pour obtenir des concierges ou régisseurs de chaque immeuble des déclarations qui ne soient pas mensongères ni incomplètes, la Garde nationale et les délégués de la Commune organisent un groupe d’agents recenseurs qui, aidés du concours de la Garde nationale, font le recensement systématique à partir de huit heures du matin jusqu’à six heures du soir. L’objectif est d’arriver à une égale répartition des droits et des devoirs civiques et militaires de chacun.

Le Comité de salut public, de son côté, décide de mettre en place une carte d’identité. Il s’agit là d’une grande nouveauté, qui donnerait beaucoup de travail aux municipalités si elle devait s’appliquer rapidement.

Le Comité de salut public,

Considérant que, ne pouvant vaincre par la force la population de Paris, assiégée depuis plus de quarante jours pour avoir revendiqué ses franchises communales, le Gouvernement de Versailles cherche à introduire parmi elle des agents secrets dont la mission est de faire appel à la trahison.

ARRÊTE :

Art. 1er. Tout citoyen devra être muni d’une carte d’identité contenant ses noms, prénoms, profession, âge et domicile, ses numéros de légion, bataillon et de compagnie, ainsi que son signalement.

Art. 2. Tout citoyen trouvé non porteur de sa carte sera arrêté, et son arrestation maintenue jusqu’à ce qu’il ait établi régulièrement son identité.

Art. 3. Cette carte sera délivrée par les soins des commissaires de police sur pièces justificatives, en présence de deux témoins qui attesteront par leur signature bien connaître le demandeur. Elle sera ensuite visée par la municipalité compétente.

Art. 4. Toute fraude reconnue sera rigoureusement réprimée.

Art. 5. L’exhibition de la carte d’identité pourra être requise par tout garde national.

Art. 6. Le délégué à la sûreté générale ainsi que les municipalités sont chargés de l’exécution du présent arrêté dans le plus bref délai.

Le Comité de salut public, ANT. ARNAUD, BILLIORAY, E. EUDES, F. GAMBON, G. RANVIER.

Hôtel-de-Ville, le 24 floréal an 79.

En outre prévoir que la présentation, « l’exhibition », de la carte d’identité à tout garde national qui en fait la demande est obligatoire pourrait, dans ces temps de soupçon de traîtrise, de méfiance généralisée, faire courir le risque d’être arrêté à chaque pas pour se voir sommé de satisfaire aux exigences d’un zèle exagéré. Est-ce adapté à une société démocratique de donner une autorité judiciaire de contrôle à tout garde national ? Une application stricte de cet arrêté pouvait susciter, à tout moment, des altercations, mettre n’importe qui à la merci du premier passant venu, qu’il fût imbécile ou grincheux. Cette décision provoque les moqueries des journaux qui ne sont pas favorables à la Commune.

 

Controverse

Gustave Lefrançais, 44 ans, instituteur, comptable

Qu’à l’origine du mouvement du 18 mars, la police étant restituée aux quartiers, les citoyens eussent été invités à se grouper, afin de se pouvoir délivrer entre eux les cartes civiques qui eussent servi à faire reconnaître au besoin leur identité, et à pouvoir ainsi éliminer du sein de leurs réunions quartenaires les éléments suspects, ou sans droit délibératif, concernant leurs intérêts locaux, la mesure à notre avis eût été excellente.

Mais qu’une administration centrale d’une ville de plus de deux millions d’habitants prétendît mettre fin en quelques jours aux dangers imminents qui menaçaient la cité, en délivrant elle-même et sur l’attestation de deux témoins, dont le témoignage eût dû être à son tour contrôlé, des certificats de civisme à des citoyens qu’elle ne pouvait connaître, c’était là une puérilité inqualifiable, qui livrait la liberté et la dignité des citoyens à la discrétion du premier venu, outre le danger qu’elle créait  de conflits continuels et dangereux pour la sécurité publique.

Elie Reclus, 44 ans, journaliste

L’obligation faite à chaque citoyen d’être toujours muni de papiers constatant son identité soulève de vifs murmures parmi nos libéraux et pseudo-libéraux, qui crient bruyamment à la terreur et à la tyrannie, et même aussi parmi des républicains sincères. Quant à nous, le décret ne nous semble nullement exorbitant, vu la gravité des circonstances. Paris est affligé par une armée de cent cinquante mille hommes, qui chaque jour et chaque nuit, l’attaquent ou peuvent l’attaquer par dix points différents, les cent cinquante mille Versaillais du dedans. Malgré sa supériorité écrasante dans l’enceinte de nos murs, la Commune est cependant menacée par une grosse armée installée dans la place, telle est la situation. Et dans ces terribles conjonctures, on ne prendrait pas des précautions sérieuses, si possible ! Le fait est que rien ne prouve mieux la douceur du régime auquel nous a astreint la Commune, c’est que depuis quarante jours de siège, aucune mesure de ce genre n’avait été prise. Toute femme entre dans Paris et en sort sans difficulté, tous les garçons, tous les hommes au-delà de quarante ans, tous ceux qui sont employés dans quelque service public, tous ceux qui travaillent ou prétendent travailler dans le commerce des subsistances. Parmi eux combien d’agents de Versailles, combien de soldats déguisés peut-être ! On exige une carte d’identité, la mesure n’est certes pas trop sévère, malheureusement, elle n’est qu’une faible garantie : car les cartes d’identité se passent ou se prêtent, se vendent même avec la plus grande facilité. On semble ne pas prévoir l’impossibilité dans laquelle se trouveraient les citoyens qui ne font pas partie de la Garde nationale, de se faire délivrer immédiatement leur carte, c’est une maladresse qui rend l’arrêté provisoirement inexécutable, raison de plus pour lui épargner les furieuses critiques des libéraux.

 

Les républicains en province

Les tentatives de la Commune d’organiser un/ des soulèvements sur les arrières des armées versaillaises, comme celle qui vient d’être tentée dans la Nièvre par des envoyés du délégué aux relations extérieures de la Commune, échouent. Par contre, un certain nombre d’élus qui n’ont pu se réunir à Bordeaux l’ont fait à Lyon. De même qu’il avait interdit le Congrès de Bordeaux, le Gouvernement de Versailles s’oppose à cette réunion. Les promoteurs du Congrès parmi les conseillers municipaux de Lyon ne se sont pas contentés de protester auprès du ministre de l’intérieur, ils ont quand même tenu une réunion qui a réuni soixante-dix délégués de seize départements, et qui ont adopté la résolution suivante :

Les délégués membres de conseils municipaux de 16 départements, réunis à Lyon au nom des conseils municipaux de 16 départements, au nom des populations qu’ils représentent, affirment la République comme le seul gouvernement légitime et possible du pays, l’autonomie communale comme la seule base de gouvernement républicain et demandent :

la cessation des hostilités,

la dissolution de l’Assemblée nationale dont le mandat est terminé, la paix étant signée,

la dissolution de la Commune,

les élections municipales dans Paris,

les élections pour une Constituante dans la France entière.

Dans le cas où cette solution serait repoussée par l’Assemblée ou par la Commune, ils rendraient responsables devant la nation souveraine celui des deux combattants qui les refuserait et menacerait ainsi de donner à la guerre civile de nouveaux aliments.

Délégués de l’Ardèche, Bouches-du-Rhône, Cher, Drôme, Hérault, Isère, Loire, Haute-Marne, Nièvre, Pyrénées-Orientales, Rhône, Saône-et-Loire, Savoie, Var, Vaucluse

Dans les signataires, on trouve le maire de Lyon, Hénon, ce qui indique que cette réunion a réussi à faire se rencontrer des modérés avec des radicaux favorables à la Commune pour défendre les libertés communales. Mais il n’a pas été possible d’adopter la proposition de quelques délégués, dont ceux de l’Hérault, de prendre les armes contre Versailles au cas où le gouvernement de Thiers repousserait les propositions du Congrès.

 

Pour l’éducation intégrale

Avant la révolution du 18 mars, seulement deux enfants sur trois en âge scolaire fréquentent des écoles. Le travail est considérable, dans la mesure où de nombreux enseignants ont quitté Paris et où des écoles ont tout simplement fermé. Et l’objectif va beaucoup plus loin que l’introduction de la laïcité et de la gratuité. C’est la conception même de l’enseignement qui est repensée.

Le choix pris est de s’appuyer sur les expériences qui sont apparues dans les différents arrondissements, notamment à l’initiative des militant.e.s de la Société d’éducation nouvelle. Accumulant des dizaines d’années d’expérimentations pédagogiques, iels défendent des méthodes expérimentales qui consistent à permettre aux enfants des deux sexes d’apprendre en déployant leurs capacités dans tous les domaines, plutôt que de manière passive et autoritaire. Le militant pédagogue Rama est chargé de récolter les projets d’enseignement et de recruter les personnels.

Il s’agit de faire en sorte que la formation rende les travailleurs autonomes tant du point de vue économique qu’idéologique. L’éducation intégrale qu’iels promeuvent est une éducation rationnelle, composée, globale et simultanée, qui combine « le contingent complet des facultés de l’enfant ». Elle a pour objectif de donner à chacun.e la possibilité de développer librement ses facultés physiques et intellectuelles, au travers d’une éducation complète sans hiérarchie entre les matières et les savoirs, sans exclusion du travail manuel et des activités physiques.

 

Du côté des Clubs

Club Saint-Éloi, dans l’église Saint-Éloi

Il a ouvert sous la présidence de Jean Fenouillas. Il réunit en particulier les membres de la légion féminine du XIIe arrondissement : sa colonelle Adélaïde Valentin, Élisa Neckbecker, Marie Rogissard… et des habitués comme Magat, qui ce soir a déclaré : « Nous n’arriverons à fonder la Sociale qu’après avoir fait tomber cent mille têtes ». On y entend aussi Thérèse, âgée de 58 ans, « l’amazone de 48 », ainsi que la fille Morel qui, au cœur des combats de mai, s’écrie : « Je demande pour en finir que l’on jette dans la Seine toutes les religieuses. Il y en a dans les hôpitaux qui donnent du poison aux fédérés blessés ».

Maîtron

Club Saint-Pierre-de-Montrouge, dans l’église Saint-Pierre-de-Montrouge

Le président est tantôt Dardenne, tantôt Tournié, tantôt Damerey qui demanda, lors de la séance qui se tint en soirée, que l’archevêque soit brûlé vivant sur un bûcher au Champ-de-Mars. Parmi les principaux orateurs on remarque Avoine fils, Billioray, Decamp, Piazza, etc. Une jeune intervenante demande que soient envoyés dans les communautés de religieuses « trente ou quarante solides gaillards » pour leur faire subir… « le traitement que les Romains infligèrent aux Sabines… ».

Maîtron

Club Ambroise

Citoyen Chardon demande l’instruction publique, obligatoire et gratuite enseignée par des professeurs laïcs, les castes religieuses ayant jusqu’alors empêché cette instruction de se développer dans la classe du travailleur et par cela même lui retire la faculté de devenir libre. 1851 a été le coup qui nous a jeté dans l’ornière de l’ignorance où l’on voudrait nous faire vivre éternellement… Citoyen Rabaté … demande pourquoi l’on n’a pas fait sauter le fort d’Issy. Il veut la résistance la plus opiniâtre. Pas de proclamation comme Favre, mais des faits. Faire sauter Paris plutôt que se rendre. Citoyen Bouveron : il faudrait que Thiers disparaisse à tout prix, celui qui le supprimera aura bien mérité du Pays et de la République. Réprobation sur les hommes qui ont empêché l’émancipation du peuple….

Jacques Rougerie

 

En bref  

– Le délégué à la sûreté générale annonce que tous les services des halles et marchés sont, à dater d’aujourd’hui, 14 mai 1871, du ressort de la délégation des finances.

– Le decret de la Commune concernant le dégagement gratuit, par voie de tirage, des objets engagés au Mont-de-Piété, a des effets ! On peut voir dans les diverses mairies, un nombre considérable de personnes qui viennent chercher les numéros tirés au sort. Aux alentours des trois grands bureaux du Mont-de-Piété, la foule est si nombreuse, que les gardes nationaux ont peine à établir un peu d’ordre dans ces groupes de personnes, désireuses de rentrer en possession de quelques hardes qu’elles y avaient déposées.

 

En débat

Article du Cri du Peuple de Pierre Denis :

Silence à la politique

Quand le canon va gronder l’heure décisive ; quand la générale va mettre Paris debout pour résister à l’attaque suprême, la politique doit faire silence.

Quand, après cinq semaines de lutte, l’ennemi ramasse ses forces pour bondir à l’assaut ; quand il est nécessaire de se recueillir, d’en appeler à tout son sang-froid et à toute son énergie, la politique doit se taire ; on doit cesser les discussions stériles, le parlementarisme communal ou le communalisme parlementaire.

Il faut songer maintenant au salut public dont on parte et qu’on invoque ; il faut l’assurer non point par des ordres du jour et des décrets, mais par l’action et l’organisation, l’ordre et la vigilance.

Il y a une question de salut public.

Mais le salut public est maintenant dans la défense de la ville, que M. Thiers a promis de prendre en huit jours.

Il est dans l’active construction de formidables ouvrages intérieurs.

Il est dans le soin qu’on mettra à bien disposer les combattants, à leur épargner toute fatigue et toute perte inutile.

Il est dans une intelligente offensive prise sur les points où elle peut encore être tentée afin de retarder la marche de l’ennemi, ou d’entraver ses mouvements.

Il est dans les préparatifs immédiats, actifs, puissants, qui permettent de ne pas éprouver de surprise lors de l’occupation des forts de la rive droite.

Il est dans l’étude et la pratique d’une stratégie appropriée au moment, aux difficu1tés, à cette guerre particulière que Paris soutient et aux éléments avec lesquels on la fait.

Il est enfin dans l’ordre le plus strict, le pus exact, le plus sévère, remplaçant l’agitation stérile ; dans le travail patient, attentif et rapide, remplaçant les délibérations inutiles. Versailles a pris la peine de nous faire connaître ses intentions, de nous prévenir, de nous sommer. C’est bien le moins que nous tenions compte de son avertissement. Il nous a annoncé sa victoire, et en a assigné le terme. C’est à nous à nous préparer.

Il n’y a ni à craindre ni à s’alarmer, parce que M. Thiers promet à l’Assemblée et à l’année le sac de Paris dans huit jours. -Mais il y a à se tenir prêt.

Qui dit « salut public » ne dit pas « péril public ». Il n’y aura péril que si on ne veille pas au salut. Et le salut, c’est la résistance ferme, habile, patiente ; la résistance du citoyen qui défend sa ville, du père de famille qui défend sa maison et les siens, du commerçant qui défend sa caisse, de l’homme qui défend sa vie ; la résistance insurrectionnelle, parisienne, avec toutes les énergies d’une grande cité, toutes les forces d’une population laborieuse, toutes les ressources de la science et de l’industrie.

Il y aurait péril, si on cherchait le danger là où il n’est pas, ne sachant pas le voir là où il est.

Il y aurait péril, si on continuait des discussions et des démonstrations politiques qui divisent, et si on ne se préoccupait pas de la défense commune qui unit.

Il y aurait péril, si on semait, par des mesures inopportunes, par des fautes ou des négligence, le découragement chez les combattants, le trouble dans les esprits et les consciences, par des intimidations ou un zèle inutile, et partant dangereux, ou entravait la résistance légale, non moins puissante que l’autre pour le salut de l’idée républicaine: si on s’aliénait les sympathies au dedans et au dehors, si on transformait en adversaires décidés ceux qui ne sont que des amis tièdes ou des indifférents.

Il y aurait péril, si l’on perdait son temps à délibérer sur des déclarations bonnes pour l’an 2000, au lieu de résoudre les difficultés pratiques du jour : si l’on perdait ses forces à la recherche d’un ennemi intérieur qui n’existe pas, au lieu de se préparer à recevoir celui qui s’apprête à entamer le rempart.

Mais ce péril sera conjuré par le patriotisme de tous, Ce qu’il faut pour l’écarter, ce n’est pas du courage, c’est de la sagesse.

C’est donc du salut qu’il faut nous préoccuper : du salut de la ville et du salut de l’idée ; du salut de Paris et du salut de la République, qu’il nous faut acheter par autant de patience que d’énergie, par autant d’ordre que d’activité, par autant d’habileté que de persistance.

Versailles se prépare ; et, comptant sur nos divisions intérieures, qui nous seraient plus désastreuses que des brèches aux remparts, sur la trahison lâche et le guet-apens des hommes d’ordre dont il outrage le caractère après en avoir abandonné les intérêts, sur la défection des combattants défendant leurs foyers et leurs familles, le gouvernement croit pouvoir faire de chaque rue de la capitale une nouvelle rue Transnonain et faire régner dans Paris l’ordre sanglant et lugubre de Varsovie.

Paris doit se préparer pour déjouer ses espérances et ses calculs, pour faire mentir ses promesses et ses prophéties. Il doit tout entier, debout, actif, vigilant, calme et ferme, travailler à sa défense et son salut.

Mais, à cette heure suprême, peut-être, où va s’engager l’action, où se prépare mystérieusement la soudaine attaque, il faut que tout se taise devant l’organisation, le travail et le combat.

Silence à la politique !