La Commune au jour le jour. Dimanche 21 mai 1871

À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

Les versaillais sont dans Paris !

Les forces en présence

L’armée de Thiers est composée d’au moins 120 000 hommes[1], ce qui permet au commandement d’organiser des rotations, qui améliorent le moral de la troupe qui s’use vite dans les combats.

Pour entrer dans Paris, le paquetage est limité au maximum, et pour attaquer les barricades, ils ont mis en place des petites compagnies de francs-tireurs composées de 60 hommes triés sur le volet, choisi parmi les meilleurs tireurs.

L’attaque d’une barricade commence en général par des tirs de canons jusqu’à ce qu’elle ne soit plus dangereuse, alors les petits groupes glissent le long des murs suivis par des batteries et mitrailleuses qui isolent les défenseurs.

 

Et les fédérés?

Sur le papier les effectifs de la garde nationale sont considérables. Au début du mois de Mai, avant les combats meurtriers de ces dernières semaines, il y avait 100 000 inscrits dans les bataillons sédentaires, mais seulement 80 000 présents, et ces bataillons ne sont pas utilisables dans les opérations actives.
Dans la partie qui est au combat, les bataillons de marche, il y avait en théorie 100 000 hommes, mais seulement 89 000 présents. En réalité aux premières lignes ce sont entre 20 000 et 30 000 hommes qui assurent la défense dans des conditions de plus en plus difficiles depuis des semaines, certains deux mois, sans être relevés. La canonnade des versaillais est cinq fois plus puissante que celle des prussiens lors du premier siège. Les effectifs de ces bataillons sont réduits par les pertes, la fatigue et la démoralisation.

Propos rapportés par un policier communaliste[2]

Beaucoup de gardes nationaux disent à qui veut l’entendre que la guerre faite de cette façon est une idiote boucherie. Ils arrivent du secteur sud et les critiques sanglantes qu’ils adressent à beaucoup de chefs commandant cette partie du théâtre de guerre jettent le plus grand trouble dans l’esprit des citoyens qui les écoutent :

– Les officiers (est-ce vrai?) abandonnent les soldats, qui, malgré cette désertion, continuent la lutte, n’ayant plus pour les guider que ce seul chef, le courage. Ils vendent chèrement leur vie, mais ils succombent sans faire avancer d’un pouce le succès de la Commune. N’ayant plus personne pour les commander, ils tombent dans les pièges tendus par les versaillais.

– les chefs se sauvent !  Bruits épouvantables qui circulent de bouche en bouche …

Beaucoup de chefs de légion ne sont pas ménagés non plus. Les traits acérés sont décochés contre eux par une grande quantité de gardes. Ils les appellent les Mirliflors.

– Ces hautes payes ne font pas de la besogne pour trente sous. Organisateurs les appelle-t-on ? Organisateurs de quoi ? Jamais les bataillons n’ont été aussi désorganisés, aussi délabrés, aussi pieds nus.

La garde nationale dispose de centaines de canons, près de 1000, dont seulement le tiers est en service sur les forts, dans les bastions et les positions avancées.

Enfin le peuple ouvrier, héritier des barricades de juillet 1830, février 1848 et mars 1871 est convaincu que dans Paris l’armée versaillaise sera fractionnée, désagrégée, absorbée par le peuple faisant la guerre de rues. Cette conviction est partagée par un certain nombre de membres de la Commune et du Comité central, qui pensent que cette armée encerclée peut être anéantie par une résistance à l’intérieur de la ville militairement organisée et savamment conduite.

 

L’offensive versaillaise

Dans la nuit, les Versaillais, massés dans le bois de Boulogne, ont effectué une reconnaissance offensive du côté de Passy qui a été repoussée par les fédérés. Mais de la Seine à Neuilly, leur situation est de plus en plus difficile. Les portes du Point-du-Jour et d’Auteuil sont complètement détruites, il ne leur est plus possible de se maintenir sur le rempart balayé d’obus et de mitraille.

Une grande masse de gardes nationaux est concentrée à Passy, dans le but de faire échec à l’assaut qui se prépare pour les jours suivants (selon certaines informations il serait prévu par les généraux mardi prochain). Dombrowski a écrit le matin au délégué à la guerre :

[…] L’assaut est imminent. J’ai l’honneur, si c’est votre intention, vu la nécessité, d’employer les moyens les plus énergiques pour organiser la résistance.

J’ai reçu 30 mortiers, je n’ai pas d’hommes pour les servir, je n’ai ni projectiles, ni ustensiles nécessaires au maniement de ces pièces. Les troupes qui sont à ma disposition ne présentent plus que 4000 combattants à la Muette et 2000 à peu près à Neuilly, autant à Asnières et Saint-Ouen. Il me manque des artilleurs et surtout des travailleurs[3], lorsque le moment actuel demande un grand développement de travaux pour la défense qui seule pourrait ralentir la catastrophe…

Mais Thiers n’aura pas besoin de cela, vers trois heures de l’après-midi, un homme apparaît auprès de la porte de Saint-Cloud, agitant un mouchoir blanc en guise de drapeau parlementaire. C’est Jules Ducatel, ancien officier d‘infanterie de marine, qui n’était pas impliqué dans les conspirations versaillaises, qui vient informer les troupes versaillaises que les fédérés ont dû abandonner cette partie du rempart, et qu’il est donc possible de pénétrer dans la ville sans avoir à faire une brèche et à donner l’assaut. Les fédérés ont effectivement abandonné la porte de Saint Cloud, se sont repliés à quelques centaines de mètres en arrière. Les versaillais entrent dans Paris sans combat, prennent possession sans résistance de la porte de Saint Cloud et des deux bastions voisins, puis la porte d’Auteuil, après un combat assez vif.

Les fédérés, retranchés derrière les barricades dans Auteuil, sont bientôt contraints de se replier. Déconcertés par l’entrée subite des Versaillais, en proie à une sorte de panique, ils n’ont pas utilisé les retranchements la seconde ligne de défense établie par eux. Lorsque Dombrowski essaie d’organiser la contre-offensive, il échoue. En voyant l’armée dans les murs, les fédérés ne pensent plus qu’aux barricades de leur quartier et se refusent à marcher en avant. Ce chauvinisme de quartier, qui avait déjà causé la défaite des insurgés de juin 48, s’empare à nouveau du peuple en armes. Cela explique le peu de résistance sur les premiers points envahis dans des quartiers bourgeois.

A sept heures et demie, déjà 20 000 hommes sont entrés dans Paris

Ils avancent vers le Trocadéro, une importante hauteur, qui est protégée par un ouvrage ébauché à l’avenue de l’Empereur[4]… qui  tourne le dos aux versaillais. Déployés en tirailleurs ils surprennent les fédérés, quelques gardes répondent, mais la majorité se débande. En soirée ils s’emparent du Trocadéro, ouvrent au sud les portes de Vaugirard et Montrouge, car ils ont emporté Malakoff et le petit Vanves dans la journée, et se sont massés aux portes sud. Elles ne sont pas non plus gardées.

Témoignage de Prosper-Olivier Lissagaray, 33 ans, journaliste

A onze heures, Assi[5] s’engage dans la rue Beethoven[6] dont les lumières sont éteintes. Son cheval refuse d’avancer ; il vient de glisser dans de larges mares de sang ; le long des murs, les gardes nationaux semblent dormir. Des hommes s’élancent, le saisissent. Ce sont les versaillais tapis en embuscade. Ces dormeurs, ce sont des cadavres de fédérés.

Les Versaillais égorgent dans Paris et Paris l’ignore !

Témoignage de Louise Michel, 41 ans, institutrice, membre du Comité de vigilance de Montmartre

L’égorgement commençait en silence. Assi allant du côté de la Muette vit dans la rue Beethoven des hommes qui, couchés à terre, semblaient dormir. La nuit étant claire, il reconnaît des fédérés et s’approche pour les éveil­ler, son cheval glisse dans une mare de sang. Les dormeurs étaient des morts, tout un poste égorgé.

L’Officiel de Versailles n’avait-il pas donné la marche pour la tuerie, on s’en souvient.

Pas de prisonniers ! Si dans le tas il se trouve un honnête homme réellement entraîné de force, vous le verrez bien ; dans ce monde-là, un honnête homme se distingue par son au­réole ; accordez aux braves soldats la liberté de venger leurs camarades en faisant sur le théâtre et dans la rage même de l’action ce que le lendemain ils ne voudraient pas faire de sang-froid.

Tout était là. On persuada les soldats qu’ils avaient à venger leurs camarades ; à ceux qui arrivaient délivrés de la captivité de Prusse, on disait que la Commune s’entendait avec les Prussiens et les crédules s’abreuvèrent de sang dans leur rage.

Le secrétaire général de l’inspection générale des ambulances civiles et militaires nous fait part des faits suivants : on a conduit hier à l’amphithéâtre de Clamart, 17, rue de Fer à Moulin, dix cadavres de gardes nationaux ayant appartenu au 118e bataillon. Ces braves gens avaient cru pouvoir s’avancer sans défiance vers une troupe de Versaillais qui leur avaient paru mettre bas les armes. Surpris par une fusillade terrible à bout portant, ils ont été achevés à coups de baïonnette et mutilés d’une façon horrible. « L’un d’eux, notamment a reçu au crâne, à la face et dans la région du cœur trente-sept coups de baïonnettes. »

Dans la soirée le canon s’est tu : un silence inconnu depuis trois semaines s’installe. Pendant ce temps l’invasion continue. A trois heures du matin l’armée versaillaise inonde Paris par cinq portes : Passy, Auteuil, Saint Cloud, Sèvres et Versailles ; le XVème est occupé, Passy et la Muette sont pris.

Dans l’ignorance, la vie continue

L’information de l’entrée des versaillais dans Paris n’est parvenue au peuple que dans la soirée.

Un grand concert de bienfaisance avait été prévu place de la Concorde. Hier soir, il a été jugé risqué de l’y maintenir à cet endroit, compte tenu des bombardements versaillais. Il s’est donc tenu aux Tuileries.
Huit mille personnes sont venues alors que les obus faisaient rage à moins de cinq cent mètres. Le soleil est de la fête. L’esprit de solidarité attire tout Paris vers les solennités musicales et littéraires. Les musiques d’un grand nombre de bataillons de la garde nationale ont pris l’initiative de ce festival, dont ils ont donné la direction au citoyen Delaporte. Mille trois cent musiciens produisent un effet immense surtout dans la Marseillaise.

A quatre heures et demie, un militaire monte sur l’estrade pour déclarer « Citoyens, M. Thiers avait promis d’entrer hier à Paris. M. Thiers n’est pas entré ; il n’entrera pas. Je vous convie pour dimanche prochain 28, ici, à la même place, à notre second concert au profit des veuves et des orphelins.»

La recette pour nos malheureux blessés a été très conséquente.

Au Cirque National, la société philanthropique Lorraine-alsacienne a donné, au profit de 1750 petits-enfants pauvres de sa Légion, une magnifique soirée littéraire et artistique. Là, comme partout, la citoyenne Agar a été l’objet d’une ovation enthousiaste de la part du public, qu’il a comblé de rappels et de bravos.

Au Gymnase s’est tenue une représentation extraordinaire devant une salle comble, la citoyenne Desclée provoque les applaudissements mérités.

 

La Commune en réunion

La séance est ouverte à 3 heures et demie, en présence d’une partie des minoritaires, certains parce qu’ils ont décidé d’eux-mêmes de revenir.

D’autres, comme Arnould, Clémence et Gérardin, parce qu’ils ont réuni leurs électeurs et que l’assemblée a émis un vote les invitant à revenir aux séances de la Commune, tout en restant libres de défendre leur politique, dès lors que le compte rendu des séances est public. Ils ont obéi à la volonté de leurs électeurs, sans pour autant retirer leur signature du manifeste de la minorité. C’est aussi l’état d’esprit de la motion du conseil fédéral de l’Internationale. D’autres comme Varlin ne sont là que pour l’affaire Cluseret, comme ils s’y sont engagés dans leur déclaration du 15 mai qui prévoit qu’ils seront là « le jour où elle se constituerait en cour de justice pour juger un de ses membres ».

 

La Commune réagit à la publication d’hier

Le Journal officiel a publié hier cette note émanant du Comité central, « Les habitants de Paris sont invités de se rendre à leur domicile sous les quarante-huit heures ; passé ce délai, leurs titres de rente et grand livre seront brûlés. Pour le Comité central, GRELIER », qui est absolument incompréhensible. On demande au Comité de salut public s’il a donné le droit au Comité central de se substituer à la Commune. Il affirme qu’il n’y a rien eu de tel, que sa publication a été aussi inexplicable pour eux, et que c’est une véritable conspiration dans le but de nuire à nos intérêts financiers. Il apparaît ainsi que, quelques jours auparavant, on a essayé de fermer la Bourse sans ordre, ni de la Commune, ni du Comité de salut public.

Cette parution est violemment condamnée lors de la réunion de la Commune, comme insensée, dangereuse, par la totalité des membres qui décident la publication d’un démenti qui sera inséré au Journal Officiel et mandate le Comité de salut public pour les décisions à prendre contre son signataire, Grelier.

Elle juge Cluseret

Cluseret, l’ancien délégué à la guerre est emprisonné depuis l’évacuation du fort d’Issy. La commission chargée de l’enquête donne lecture de son rapport, dans lequel il n’a aucun grief précis, aucune charge véritable  et pas de conclusions. Les onze chefs d’accusation se dégonflent rapidement.

C’est l’occasion d’un échange sur l’état des troupes.
Le citoyen Grousset rappelle que Cluseret s’était engagé à mettre sur pied, en vingt-cinq ou trente jours, une armée opérationnelle de quarante mille hommes pour prendre l’offensive. Or, vingt-cinq jours plus tard, la Commission exécutive a été obligée de constater que rien n’avait été fait et que la situation militaire était plus mauvaise qu’au moment de son entrée en fonction.

Cluseret répond qu’à son arrivé au ministère, il n ’y avait rien, et que lorsqu’il commandait 1500 à 2000 hommes, 500 à peine arrivaient aux portes. Pouvais-je aller les forcer à marcher? Dit-il. « Le jour où j’ai été arrêté, il y avait 41 000 hommes organisés, armés, équipés et prêts à marcher, tandis que, le jour où vous m’avez demandé le chiffre, il n’était que de 13 000. Mon point de départ était faux. Je le reconnais et, si j’avais connu la situation de la Garde nationale, j’aurais conservé les légions et j’aurais tâché de les grouper d’une façon ou d’une autre pour arriver à la mobilisation. »  Il est remis en liberté par 28 contre 7 et se déclare serviteur du peuple et de l’idée communale.

C’est au cours de cette discussion qu’est annoncée à l’Assemblée communale l’entrée des Versaillais dans Paris.

La dépêche de Dombrowski lue estime qu’il est possible de les arrêter à la seconde ligne de défense appuyée sur le viaduc d’Auteuil, c’est avant son échec pour faire cela.

Benoit Malon, 30 ans, membre de la Commission du travail et de l’échange

Cette communication fut reçue avec recueillement, mais avec une trop grande confiance dans l’optimisme de Dombrowski. On convint de se rendre chacun dans son arrondissement respectif pour y organiser la défense, si besoin était.

Dans ce moment solennel, la résolution parut chose si naturelle que personne ne s’avise de la recommander. Jules Vallès, qui présidait [cette] réunion, déclara la séance levée, et les membres de la Commune se séparèrent.

Dès la connaissance de cette entrée, à quatre heures et demie, le délégué à la guerre a fait sonner le tocsin dans tous les quartiers, et évacué le ministère de la guerre sur l’Hôtel de Ville.
Le départ des membres de la Commune dans leurs arrondissements laisse aux seuls Comité de salut public et Comité central de la garde nationale la capacité de réagir à cette situation très dangereuse.

 

Un appel du Comité de salut public

Paris, le 21 mai.

Au peuple de Paris, à la garde nationale,

Citoyens,

Assez de militarisme, plus d’états-majors galonnés et dorés sur toutes les coutures !

Place au peuple, aux combattants, aux bras nus ! L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné.

Le peuple ne connaît rien aux manœuvres savantes, mais quand il a un fusil à la main, du pavé sous les pieds, il ne craint pas tous les stratégistes de l’école monarchiste.

Aux armes ! citoyens, aux armes ! il s’agit, vous le savez, de vaincre ou de tomber dans les mains impitoyables des réactionnaires et des cléricaux de Versailles, de ces misérables qui ont, de parti pris, livré la France aux Prussiens et qui nous font payer la rançon de leurs trahisons !

Si vous voulez que le sang généreux qui a coulé comme l’eau depuis six semaines ne soit pas fécond, si vous voulez vivre libres dans la France libre et égalitaire, si vous voulez épargner à vos enfants et vos douleurs et vos misères, vous vous lèverez comme un seul homme, et devant votre formidable résistance, l’ennemi, qui se flatte de vous remettre au joug, en sera pour la honte des crimes inutiles dont il s’est souillé depuis deux mois.

Citoyens, vos mandataires combattront et mourront avec vous, s’il le faut. Mais au nom de cette glorieuse France, mère de toutes les révolutions populaires, foyer permanent des idées de justice et de solidarité qui doivent être et seront les lois du monde, marchez à l’ennemi, et que votre énergie révolutionnaire lui montre qu’on peut vendre Paris, mais qu’on ne peut ni le livrer ni le vaincre ! La Commune compte sur vous, comptez sur la Commune !

Le délégué à la guerre, CH. DELESCLUZE,

Le comité de salut public : ANT. ARNAUD, BILLIORAY, E. EUDES, F. GAMBON, G ; RANVIER.

 

Derniers gestes des conciliateurs

La Ligue d’Union républicaine pour les Droits de Paris est toujours là, en relation régulière avec le Comité central et la Commune.

Dans la soirée, les délégués du Congrès des élus municipaux de Lyon veulent rencontrer le Comité de salut public, afin de savoir si la Commune serait disposée à conclure un arrangement sur cette base : l’Assemblée nationale et la Commune donneraient en même temps leur démission. Ces gestes qui ne font que reprendre toutes les propositions ayant échoué ces dernières semaines, ils n’ont aucune chance de pouvoir changer la situation.

 

Mesures dans l’enseignement

La commission de l’organisation de l’enseignement, composée des citoyens André, Da Costa, Manier, Rama et Sanglier, avec le membre de la Commune délégué à l’enseignement, Édouard Vaillant, continue son travail.

Elle décide le principe de l’égalité de salaire pour les instituteurs et institutrices. Elle institue une Commission pour organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles, composée des citoyennes :

André Léo, 47 ans, Léodile Bréa, épouse Champseix, journaliste socialiste et féministe, a été la signataire d’un manifeste pour l’égalité des sexes en 1868, fondatrice de la Société pour la revendication des droits des femmes en 1869 avec Noémie Reclus, rédactrice de l’appel aux paysans, membre du Comité de vigilance des citoyennes de Montmartre, et elle participe aux réunions de l’Internationale.

Anna Jaclard, 27 ans, militante blanquiste, membre de l’Internationale, secrétaire du Comité de Vigilance des citoyennes du XVIIIe arrondissement et déléguée aux hôpitaux et ambulances où elle soigne les blessés.

Isaure Périer, 32 ans, éducatrice, milite pour la démocratisation de l’enseignement avec André Léo et Noémie Reclus.

Noémie Reclus, 43 ans, institutrice, participa à la Société pour la revendication des droits des femmes en 1869 avec André Léo .

Anna Sapia.

Les jeunes gens inscrits déjà pour l’école professionnelle de la rue Lhomond sont invités à s’y présenter tous les jours, à partir de lundi 22 mai courant.

Le même avis s’adresse aux jeunes gens non encore inscrits à l’école et qui voudraient s’y faire inscrire.

Les ouvriers qui voudraient être maîtres d’apprentissage dans l’école sont invités à adresser leurs demandes à la délégation du travail et de l’échange, section des Chambres syndicales.

 

Du côté des Clubs

Club du Comité de Vigilance du Ive, dans l’église Saint-Paul

Après les vêpres, l’église a été envahie par un groupe d’une dizaine de Vengeurs qui l’ont pillée : la statue de la Vierge renversée, celle de Saint-Vincent-de-Paul décapitée, le maître-autel détruit, les troncs éventrés, les chandeliers tordus, confessionnaux, chaire. Les deux abbés ont réussi à fuir. Ils reviennent le soir vers 21 heures, pendant la séance du club, pour constater les dégâts, et sont emmenés à la Préfecture de police où Ferré les fait interner.

Club Saint-Jacques-du-Haut-Pas, dans l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas

On a voté ce soir l’exécution immédiate de tous les otages et la destruction de tous les monuments « pouvant rappeler des souvenirs monarchiques ».

(Maîtron).

 

En bref

 Le public est averti que les musées du Louvre seront fermés pendant quelques jours pour cause majeure, la Commission fédérale des artistes procède en ce moment à leur réorganisation.

Les sœurs sont remplacées dans les différents services qu’elles occupaient à l’hôpital Beaujon. Des citoyennes y ont été installées par la direction de l’Assistance publique. Elles seront dévouées, et sauraient mériter par leur zèle et leur intelligence la confiance des blessés, des malades et du peuple de Paris.

Vente Mobilière de l’Eglise Bréa Avenue d’Italie, 76 (XIIIème arrondissement) La vente, commencée le dimanche 21 mai, se continuera le lundi 22. Les portes ouvriront à midi.

 

En débat

Tribune de Prosper-Olivier Lissagaray, 33 ans, jounaliste

La Commune [n’a] pas d’armée véritable, c’est-à-dire un ensemble solide de discipline, de science et d’entrain courageux. Certes, ni l’entrain ni le courage ne [manquent] aux fédérés mais la discipline, les chefs, une administration.

Instituée pour l’étude et le travail, antithèse de la centralisation et de la dictature, la Commune, si prompte à relever tous les services publics, [a été] incapable d’improviser une organisation militaire… Cette révolution politique et sociale ne [comporte] pas et ne [peut] susciter de génie militaire. La prise d’armes du 18 mars avait été aussi spontanée que le 14 juillet 1789. A la nouvelle du coup d’état manqué, les bataillons républicains s’étaient trouvés descendus dans la rue, poussés par le même instinct secret, sans autre but que de défendre la République, sans mot d’ordre, sans chefs, à tel point qu’il errèrent au hasard une partie de la journée. Le Comité central, pris à l’improviste autant que le gouvernement, se réunit fort tard, hésita des heures entières enfin nomma Luillier général en chef… Plus tard la Commune nomma Cluseret [et] Rosel venu trop tard, entièrement ignorant de ce milieu, où il fallait surtout un homme politique […]
Seule, la Commune n’aurait pu. Mais c’était la garde nationale qui avait fait le 18 mars, le Comité central installé la Commune. Comment donner des lois à cette force qui faisait et défaisait les gouvernements ? Les élus du 26 mars n’étaient pas pour l’oser et, timides, ils laissèrent les gardes victorieux et d’autant moins disciplinables, maîtres absolus de leur organisation intérieure. Ceux-ci, après le 18 mars, reconstituèrent les cadres des bataillons, et tous les officiers qui, dès le début, ne s’étaient pas ralliés à la révolution, furent éliminé sans pitié, plusieurs mêmes poursuivis et arrêtés. Leurs successeurs, élus trop souvent par de petits groupes, n’eurent qu’une médiocre autorité. Le Comité central fut également renouvelé depuis le 18 mars et, moins heureusement composé que le premier, prétendit représenter comme lui la garde nationale. La Commune laissa vivre cette autorité, qui n’avait plus de raison d’être…

Aussi le délégué à la guerre ne put mettre jamais sur la garde nationale une main toute-puissante. Cluseret, essayant de ruser, appela le Comité au Ministère, l’y installa, crut l’annihiler; le Comité vint et fut le maître. Encore, s’il avait exercé souverainement cette autorité qu’il disputait à la guerre! Mais il se heurtait lui aussi contre indiscipline engendrée par le principe fatal de l’élection. Tel chef de bataillon trouvait le moyen de différer son départ, ayant reçu l’ordre de sortir, pendant que tel autre bataillon demeurait quinze et vingt jours de suite aux tranchées. […] Le service de l’armement ne put même en deux mois fournir des chassepots ou des fusils à tabatière à tous les hommes aux tranchées ou en expédition. Et cependant [il y avait dans Paris] 285 000 chassepots, 190 000 fusils à tabatière… de quoi armer dix fois les bataillons de marche…

Aucun ne comprit que l’esprit de cette institution était complètement opposé aux règles de discipline ordinaire et qu’il fallait lui créer une tactique spéciale… Au lieu de provoquer à grands frais la création de corps francs, tels que Les Vengeurs, les Zouaves, Les Enfants de Paris, Les Enfants perdus, les cavaliers, les garibaldiens (il y en [a] plus de 32 comprenant environ 10 000 hommes) et d’éparpiller des efforts précieux, on aurait dû refondre toutes les activités particulières  dans une organisation uniforme. Dès lors, les opérations d’ensemble, qui demandent de la précision et de la discipline, seraient devenues possibles. On [n’a pu], hélas! Obtenir cette discipline même en présence des plus pressants dangers….
C’est cette poignée d’hommes sans cohésion, sans officiers suffisants, sans état majors, sans intendance, sans discipline, qui a arrêté deux mois la fameuse armée de M. Thiers.

[…] Par suite du défaut d’entente et de direction, les résistances des fédérés [seront] toujours locales et ne se[relieront] pas entre elles. En effet très peu de points[reçoivent] des renforts. Ce funeste mot d’ordre[va-t-il] prévaloir, que chacun [doive] défendre son quartier… On ne [peut] tenter, ni un retour offensif, ni un mouvement stratégique de quelque valeur. Cette attitude purement défensive [peut conduire] droit à la défaite, quelque [soit] le courage et la ténacité de la résistance.

 

Notes

[1] Olivier Peynot

[2] Maurice Choury

[3] Des terrassiers.

[4] Qui deviendra l’avenu Georges Mandel.

[5] Membre de la Commune, ancien membre du Comité central de la garde nationale.

[6] Rue en dessous du Trocadéro où se trouve une poudrière.